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La blessure

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Ce soir-là


Loufiat

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Un samedi soir de juillet.

Anissa, mon ex-compagne, dormait à mes côtés. Elle m'avait annoncé avoir trouvé un nouveau "plan cul", un peu plus tôt, ce soir-là.
Notre séparation était encore assez récente, nous cohabitions pour une durée indéterminée, dormant parfois dans le même lit, quand l'un ou l'autre ne découchait pas.
Entre-temps j'étais tombé amoureux d'une créature des plus belles que la terre ait porté. Elena. Vingt ans. Ce pétillement, cette intelligence.. et quelle beauté. Quelle jouissance.
Je ne crois pas qu'elle m'aimait comme je l'aimais. Je l'ignore. En tout cas nous passions autant de temps qu'il nous était permis ensemble, depuis plusieurs semaines, généralement au lit.
Et donc la veille, et le jour-même, jusqu'à tard dans l'après-midi, ce samedi-là, j'avais été avec Elena.
La veille, pour fêter son dernier service, nous avions bu un verre au restaurant. Un premier pour la débauche avec l'équipe du matin. Puis nous étions revenus pour la fermeture. Elle avait dansé, plus rayonnante, splendide que jamais. On était rentrés tard, ivres et heureux. Mais le cœur lourd. Son dernier jour de travail signifiait notre inévitable séparation. La dernière fois peut-être où nous nous verrions. Ensuite elle partirait en vacances, pour finalement retourner vivre en province. Nous verrions-nous dans le sud, où nous pourrions nous croiser ? Ce soir-là, elle me dit que non. Que nous ne nous verrions pas dans le sud et probablement plus après. Elle avait raison évidemment. Elle partirait et moi je resterais scotché là, à vivre avec mon ex pour des mois encore peut-être, à bosser 50h par semaines en horaires décalées. Et puis, ce qui rendait cette histoire inepte, notre différence d'âge. Treize années, insurmontables.
Je ne bataillais pas. J'aurais voulu qu'elle veuille. On aurait trouvé comment. On aurait pu essayer. Mais je n'avais pas le droit de laisser éclater la colère, le refus de l'évidence. L'étoile montante, la jeune surdouée de bonne famille était promise à un avenir radieux. Quelle place y aurait un trimard de plus de dix ans son aîné ?
A vingt ans, n'est-ce pas, on a tout à découvrir, et surtout pas à s'enticher d'un gars comme moi.
Elle a eu la lucidité de le comprendre et l'honnêteté de le dire, dans des termes plus attentionnés. Je l'aimais d'autant plus.
Nous avons donc passé cette dernière nuit ensemble et le lendemain, jusqu'à ce que l'après-midi ait étiré toutes ses heures et que la séparation devienne inévitable. Un moment elle s'endormit. "Réveille-moi dans une demi-heure", avait-elle murmuré. J'aurais dû partir à ce moment-là, discrètement, comme si c'eût été un rêve, comme si de rien n'était. Tout aurait pu s'arrêter là, tout simplement. Mais je ne le compris qu'à son réveil. A nos caresses un peu forcées, maladroites, vides déjà, écoulées.
Quand je me levais pour rassembler mes affaires, elle hochait la tête, sans rien dire. L'horloge avait sonné quelque part.
Une dernière caresse au chien. Un dernier sourire.
Je t'aimerai toujours. Mais j'ai simplement dit "Salut !"
Elle ne se lèverait pas. Elle m'écouterait traverser le couloir et refermer la porte massive derrière moi, emmitouflée dans les draps, dans ses larmes.
Et moi j'étais sonné.
L'ascenseur, la rue, les gens. Tout semblait irréel après ces heures de torpeur. Tout semblait insignifiant.
Son odeur m'enveloppait encore, me hantait.
Une dernière fois ton odeur...

Je marchais jusqu'à chez moi pour trouver l'appartement vide. Anissa, mon ex, était sortie. J'y restais pensif dans le salon plusieurs heures, surpris du mélange de tristesse et de soulagement qui m'envahissait. Pourquoi du soulagement ? La tristesse, l’abattement, être plein à craquer de ce vide, je m'y attendais, c'était couru, mais me sentir soulagé maintenant ? Mais c'est que cette tension, cette fièvre, cette appréhension constante envers Elena allait pouvoir se relâcher. Il n'y aurait plus à réfléchir, à se torturer sans cesse. La fin de la passion, de la souffrance qui me dominait depuis des semaines. Et affronter enfin la douleur de la perte anticipée, connue d'avance ; n'être plus dans son attente mais la vivre pour de bon.


J'en étais là, à peu près, des investigations quant à ce soulagement inattendu, quand le texto d'Anissa me rappelait à la réalité : elle allait rentrer à l'appartement.

Je me résignais à prendre une douche, à effacer les dernières traces. Une dernière fois ton odeur...
Anissa rentra. J'étais heureux de la voir : un être familier et amical, plein d'énergie. Elle était belle, resplendissante même, en jupe noir et débardeur blanc.
On a discuté vaguement mais j'étais trop absorbé par ce vide au fond du ventre. Derrière chaque regard, sous mes doigts, encore brulante, tes yeux espiègles...
Un moment je demandais à mon ex, du but en blanc, "tu veux toujours qu'on couche ensemble ?" Elle avait suggéré quelques semaines auparavant qu'on continue malgré la rupture, que ça la rendrait plus facile. Mais ce soir-là elle déclina. Elle m'appris avoir un nouveau partenaire. Et je compris qu'elle en revenait tout juste, d'où son apprêtement. Une belle claque dans ma gueule. 
Un dégout me prenait. Je te connais si bien ! Je me taisais, frappé d'iniquité quand, ayant passé la journée avec une autre, j'étais physiquement dérangé qu'elle ait été avec un autre.
Je l'avais quittée : bien sûr qu'elle allait rencontrer quelqu'un, je le savais, à un moment même je l'avais souhaité. Mais ce soir-là...
Nous ne coucherons plus jamais ensemble. Cette pensée m'accablait, s'enfonçait comme par a-coups à la faveur du vide qui m'envahissait. Elena... tu aurais tellement ri de cette situation avec moi.
J'oscillais toute la soirée, du dégout à la tristesse. Quelle dérive... Quel bordel !
Nous avons parlé encore un peu, ce soir-là. Voulant bien faire sans doute, et pour me torturer peut-être aussi un peu - elle en avait bien le droit -, Anissa allait jusqu'à prodiguer ses conseils les plus avisés pour trouver une partenaire, et pourquoi pas utiliser une appli, et quelles filles dans mon entourage elle pensait être intéressées...
Nous en étions-là, étonnés tous deux de la facilité avec laquelle tout avait glissé entre nous, comment trois ans de relation s'étaient déliées en quelques semaines, quelques mois à peine. Pour aboutir à cette familiarité bizarre.
J'aurais pu lui parler d'Elena. Elle aurait voulu, elle a cherché. Mais non.
Et nous sommes finalement allés nous coucher. Dans le même lit, en cuillère. Sans s'embrasser, par réconfort.
Quand elle s'endormit, je glissais sur le dos, pensif encore. Quelle journée étrange... 
C'est vers trois heures que des cris retentirent, par la fenêtre entrouverte : une femme jouissait non loin, quelque part dans la nuit.

Modifié par Loufiat

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