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Circeenne

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Billets posté(e)s par Circeenne

  1. Circeenne
    Prêtes, nous nous rendîmes pour le dîner au mess, d’un pas lassé et lourd. Nous traversâmes un couloir vitré qui permettait à la lumière naturelle d’éclairer le passage. Ensuite, nous descendîmes avec fracas des escaliers métalliques où l’obscurité s’abritait. Il fallait encore ouvrir une porte qui débouchait sur une cour et c’est là que nous vîmes la lune dont le rayonnement était quasi solaire, avant d’arriver devant le réfectoire qui était vidé de son tumulte quotidien. Nous étions les premières, et seules, on savourait ce ciel immaculé, cette brise rafraîchissante et ce silence reposant aux abords de la forêt qui nous guettait au loin, du haut de ses séquoias. Les officiers ordinaires s’étant déjà restaurés, il ne restait que le personnel d’entretien qui bourdonnait à l’intérieur en agitant des chaises, empilant des assiettes, passer d’un endroit à l’autre et attendait avec impatience les retardataires que nous formions. Nous mangions ainsi en derniers en compagnie de Pétrov et quatre autres de ses hommes qui suivirent peu après. Je pris le temps de les dévisager du coin de l’œil. Leur apparence austère accentuait la rigidité de leurs traits musclés. Le stoïcisme, le vrai, était là, dans chacune des interstices de leurs rides. Ces hommes ne devaient pas avoir de plaisirs autres qu’un sommeil réglé de cinq heures, une nourriture fade mais suffisante pour le maintien des fonctions de l’organisme, et l’amertume du café autour d’un ordre de mission. Leurs physionomies m’empêchaient de pouvoir les croire rire ni même pleurer. Ils me semblaient insensibles à toutes émotions. Je pensais cela à cause d’un je ne sais quoi qui vous sort du cœur, comme du chapeau d’un prestidigitateur, une intuition infaillible lorsque les mots ne savent pas dire ce que la vue décrit. Mais puisque tous les hommes ont un cœur chaud même lorsque le visage est froid, j’étais alors persuadée qu’ils devaient compenser la perte de la vie émotive par un savant transfert en la figure de Petrov, en qui ils percevaient certainement un parangon éternel du père protecteur dont la bonté paternaliste les a soumis par la force du respect et de la reconnaissance, et agirait comme une sorte d’abnégation de soi pour une famille harmonieuse et idéalisée qu’ils constituaient. Il est vrai que l’amour vous emplit ainsi le cœur d’une humilité mystique où la pleine satisfaction de ce bonheur que vous recevez ne laisse aucune place à la superficialité du besoin matériel et sensuel. En définitive, c’est peut-être cela l’amour, être comblé sans ne plus avoir à ressentir les impulsions erratiques du vide. Ils étaient comme des fils spirituels dont l’attitude représente celle de leur maître, rigoureuse laissant un parfum d’efficacité dans l’allure de leur démarche silencieuse, cette posture qui impose le respect au passage d’un homme qui ne parlerait que pour dire une chose utile, déterminé dans le regard et ferreux dans sa complexion. J’étais moi-même subjuguée et Sarah commençait à en douter, elle me pinça le bras pour me demander de revenir sur terre. J’évitais de réagir car ne pouvant tout expliquer, je me laissais accuser d’une chose dont j’étais innocente mais le repas allait occuper nos esprits un temps.
    Une viande rouge, des légumes verts, quelques pommes de terre, une tarte aux fruits et du vin, voilà tout le repas. Je me contentais des légumes et de la tarte, à l’étonnement d’un Petrov qui ne tardait pas à se moquer du sexe faible exprimant qu’en ces latitudes, je ne survivrai pas à l’hiver si je ne consommais ni alcool ni viande rouge, ni même pommes de terre. Je rétorquais par le sourire, ne sachant pas vraiment quoi dire et n’ayant ni la volonté ni le courage de m’emmêler dans une discussion perdue d’avance, je rebondissais sur le programme de demain. Petrov reprit alors son sérieux et me proposait de nous rendre de bonne heure pour réaliser le prélèvement manquant car on annonçait pour midi de la pluie et des orages violents. Il fallait également que nous puissions investiguer aux alentours, des éléments nous avaient sûrement échappé. Le reste de la discussion abordait notre motivation à faire ce métier ingrat et rugueux. Sarah s’était empressée de répondre, devançant ma lenteur balbutiante. Elle expliquait qu’en ce qui me concerne, je n’avais pas vraiment choisi ma voie et que je suivais une destinée familiale un peu comme une sorte de fatalité. Ce n’était pas faux, je n’avais pas eu à choisir, les circonstances m’avaient choisie. Quant à elle, elle avait fait toute une tirade sur l’excitation et la richesse de cette vocation qui lui promettait une carrière instructive sur le genre humain pour lequel elle vouait une vraie passion. Elle avait cité Balzac pour référence et voulait comprendre l’homme dans sa plus misérable condition où le crime rabaissait. C’est ainsi qu’elle avait passé le concours de sous-officier de la gendarmerie, avait été reconnue pour son intérêt envers les enquêtes judiciaires et avait pu être détachée pour rejoindre mon service de lutte contre la criminalité sectaire. Je soupirais face à tant d’enthousiasme, notre taux de résolution ne dépassait pas les 32 % ce qui n’était déjà pas si mal pour des affaires classées au niveau national. Mais le faible budget dont nous étions dotés et la vétusté des locaux et matériels vont bientôt avoir raison de ses idéaux. La jeunesse s’élance dans la vie avec des pâturages de rêveries que la société jaunie. J’étais simplement heureuse de la voir chaque matin motivée et venir le sourire aux lèvres. C’est ce qui m’avait manqué, le rire innocent, le regard pétillant, un cœur ensoleillé malgré les nuages acides de la vie. Petrov se montrait très bavard et joyeux. Le vin semblait redonner de l’éclat à l’austérité. Je me joignais à eux dans un rire distant. Et nous finîmes par nous donner rendez-vous à 6 h 00 dans la cour pour déjeuner et partir dans la brume matinale.
    Nous retournâmes dans nos chambres égayées. À l’extérieur le froid était plus perceptible et de la buée avait commencé à s’installer sur les fenêtres. Sarah semblait un peu éméchée et avait un comportement plus excité que d’ordinaire. Nous étions seules dans cette aile du bâtiment et elle s’imaginait toute sorte de fantômes et autres superstitions liées aux phases lunaires qui nous guetteraient cette nuit. J’avoue que l’extérieur de notre chambre donnant sur la forêt, la lumière lunaire et le silence y pénétrant, créaient une sale atmosphère, assez glauque pour nous dont le crime était le métier. Nous nous allongeâmes cependant et nous nous laissâmes emporter par le silence avant que sa main ne rejoignît la mienne sans que j’en comprenne le sens. Gênée, je la retirais doucement et vis son regard plongé dans le mien. Je me tus un instant. Elle expirait doucement et se mit à ranger ma frange en disant que j’étais une femme fatiguée et usée par mon travail, qu’il fallait apprendre à vivre autrement, se séparer de son chat, avoir une vie émotionnelle, cesser de s’interroger sur de lugubres énigmes et m’enfumer dans la solitude. Ce qui m’impressionnait chez elle, c’était son intelligence intuitive, son art à lire l'indicible. Elle m’avait percée à jour. Derrière ma carapace torréfiée, formelle et rigide, il y avait une femme qui rêvait d’amour et de douceur. Sa main était très douce, elle jouait avec mes doigts en dessinant des cercles imaginaires. Je n’osais pas la bouger tant j’étais agréablement surprise. Je manifestais alors mon incompréhension avec un ou deux rires nerveux et une phrase maladroite un peu comme "ca t'amuse ?". Et ce silence nonchalant qui dans son visage à demi éclairé, légèrement incliné, la chevelure relâchée, dégageait une vraie chaleur. Il s’approchait comme une ombre, tout doucement. Ce fut d'abord un soupir près de l'oreille puis un baiser sur la joue, très tendre, très pulpeux, puis mes lèvres qu'elle frôlait. Elle jaugeait précautionneusement ses baisers en regardant attentivement ma réaction tout en tenant ma main. Je ne pouvais rien dire, je ne sentais aucune force de résistance en moi, j'étais à la fois charmée par tant de profondeur dans le regard et tant de tendresses sincères en même temps que je me savais être la victime d'une de mes faiblesses. Je me laissais emporter par la vague, c'était tiède, mou et indolent. Elle descendit ainsi, progressivement, baisers après baisers, sur la veine jugulaire qu'elle mordillait en y laissant un peu de rosée d'amour.
    C'est à ce moment précis que je me brusquais pour mettre un terme à un élan que je ne maitrisais plus. La force me revint à la main, je la repoussais en lâchant un mot bref "Ca suffit !". D'un regard élevé, elle essuyait ses lèvres avec sa langue et me répondait simplement, "bonne nuit". J'en avais eu le frisson. On se mit dos à dos, la lumière lunaire sur ma face, je songeais longtemps avant l'aube à ce moment de disruption dont je n'avais jamais eu l'expérience.
    01 h 05 du matin... Il faut que je dorme.
  2. Circeenne
    L’imposante végétation ravivait notre regard et ralentissait notre pas. Elle avait repris possession des lieux en son bon droit, là où jadis tout devait être aseptisé. Les murs jusqu’au plafond étaient recouverts de lierres où s’enchevêtraient de grandes clématites et du sarment aux feuilles noircies et jaunies par endroits. Tout le couloir avait un air de désolation pesante, les vitres étaient brisées et les carreaux qui avaient tenu n’étaient plus transparents, ils avaient une teinte laiteuse et tâchée d’une poussière grise et acre dont on devinait mal la provenance. Les feuilles mortes, les brindilles séchées, et autres composants organiques jonchaient le sol et masquaient de fourbes embûches. Seules, d’épaisses tiges de fer rouillées marquaient les endroits à éviter du pas. Un poids, et c’était la chute assurée sur plusieurs mètres avec un hostile accueil à l’arrivée. Nous prenions donc le temps de regarder là où nous marchions avec une question en tête : qu’est-ce qui avait pu causer autant de dégâts ? Des maraudeurs ? Au bout du couloir une lourde porte métallique tenant à demi sur ses gonds, tanguait pernicieusement. À son seuil le vent s’y engouffrait si tendrement, que j’en éprouvais un sentiment de paix et un moment d’agréable solitude. Je songeais même à prendre une photo que je pris à la hâte. Mais à quoi bon, je voulais savourer ce silence. Sarah était aussi sidérée et lançait parfois un regard dans le vide en contemplant la lumière solaire au fond qui jouait de son contraste avec le béton, la verrière et l’ombre ; on était comme apaisées. L’impétuosité du temps, l’agitation, la crispation quotidienne n’étaient pas ici. C’était un lieu spirituel, propice à la quiétude des esprits. Sarah y croyait énormément et ne manquait pas d’y faire allusion chaque fois qu’un bruit, un mouvement, une brise nous surprenaient. Nous finîmes par pénétrer dans l’enceinte, je restais au milieu de ce nouveau couloir perpendiculaire à celui que nous venions de prendre. En face de moi se trouvait un escalier qui menait plus bas. Je m’approchais prudemment de la rambarde pour observer où cela guidait. Il semblait que c’était profond et vaste. Mais j’étais tentée d’aller fouiller à gauche, il y avait des portes de bois, certaines étaient enfoncées d’autres fermées. On imagine tellement de trésors et d’histoires en ces lieux. Sarah était déjà à droite en train de déchiffrer les graffitis qui recouvraient tout le couloir à ma surprise. Ce lieu était donc régulièrement visité malgré l’interdiction de la préfecture. Il y avait des bouteilles de bière et des mégots de cigarette. Mais cela paraissait très ancien. Je me résignais finalement à suivre Sarah qui sans mot dire avait déjà pénétré dans la pièce. Elle souriait en décryptant les marques sataniques qu’avaient laissées les précédents visiteurs. Il y avait même du sang séché sur un mur, probablement un sacrifice animal.
    _ Dis, on a une enquête à résoudre.
    _ Quoi ce lieu n’est-il pas excitant ! ?
    _ C’est lugubre et beau à la fois. Cette mélancolie me plaît, mais nous devons nous pencher sur les photos, l’équipe du labo va arriver, on devra les briffer.
    _ Oh tu veux bien arrêter de faire ta rigide. Qu’est-ce que tu crois, que tu vas résoudre cette affaire toute seule, d’un regard ? Allez ma chérie, détends-toi. On aura toute la nuit pour y penser.
    Ce n’était pas faux. Sarah me connaissait depuis l’enfance et savait que j’avais du mal à lâcher prise. On était si complémentaires et opposées à la fois. Parfois je me surprenais à l’admirer d’un peu trop près lorsqu’elle était si gaie et insouciante dans un travail qui nécessite pourtant de la minutie et du sang froid. Il faut être sobre pour ce métier, l’investigation tolère mal les fougueux. Cependant, elle était d’une efficacité redoutable, bien plus que moi, je dois l’avouer. Je ne lui ai jamais dit, ni fait de compliments, mais elle doit bien ressentir que je l’apprécie malgré ma pâle humeur. Que voulez-vous, il faut bien accepter que nous sommes complexes et qu’un non vaut pour un oui lorsque celui-ci cherche un peut-être dans le silence.
    _ Agathe, Agathe ! Réponds ! Mais tu es bien tête en l’air.
    _ Mince, c’est Petrov, ils sont là. Allons les rejoindre.
    Petrov était un homme élancé dont les traits massifs semblaient avoir été taillés en ligne droite, n’eut été son accent, on lui aurait bien volontiers attribué des origines germaniques. Mais il était russe et son regard écrasé était tout moscovite, d’un bleu cyan, froid et inquisiteur. Il dirigeait les commissions d’enquête et d’analyse dans la zone interdite, et il était aussi en charge d’établir le périmètre de sécurité avec un groupe de soldat d’élite. On sentait qu’il avait l’expérience du terrain et du commandement. Ce devait être un homme de règlements, très à cheval sur les procédures et les manières militaires. J’aurais parié pour un agent du FSB mais il était trop droit pour ça. En attendant il était notre référent pour tout ce qui relevait d’une charge administrative. Les enquêtes devaient donc avoir cours en sa présence et sous son égide. Nous avions fait quelques entorses à cette règle, et comme je l’avais pensé, il ne manqua pas de nous le faire savoir. C’était à sa manière ou niet. Naïve, Sarah essayait de lui faire croire qu’Interpol s’excusera de cette déconvenue financièrement, en vain. Il répondait que l’argent n’achète pas tout et excédé, il ajouta en russe que nous croyons tout posséder avec le sou. Le fait que nous avions pénétré les lieux sans lui était un péché mortel, et il se mit en douce colère avant de laisser à nouveau place à l’ironie condescendante, la salle habitude des Occidentaux mal éduqués qui se pense tout permis. L’humiliation était suffisante à ses yeux et pouvait ainsi laisser émerger un pardon avec la magnificence d’un seigneur qui épargne des culs-terreux, voleurs de patates. Le sourire narquois qui se dessinait sur son visage en une ride épaisse, réaffirmait la grandeur de ses valeurs. La guerre froide n’est jamais trop loin. Il avait finalement pitié de nous de n’être pas russes. Calmé mais toujours raide, Petrov se montrait ainsi très attentif au rapport que nous lui faisions. Et d’un geste et une parole, ses hommes s’habillaient en tenu de décontamination pour récupérer le corps. Nous étions clairement insouciantes ce qu’il nous fit remarquer pour la huitième fois. Le compteur Geiger à la main, ils allèrent d’un pas lourd et résigné chercher le cadavre. Cela prit 1 h 30 avant de revoir ce jaune vif horrible pousser une civière avec un sac noir.
    La nuit allait tomber. Nous rentrâmes à la base en silence, sous bonne escorte, assises à l’arrière de la jeep qui fonçait en convoi dans la forêt. Évasive, j’admirais ces grands arbres par la fenêtre pendant que la radio crépitait de la musique soviétique. Je songeais au fait que nous n’avions pas parlé de ce document à Petrov, s’il parvenait à le savoir, il nous renverrait dans l’heure en charter pour Lyon. Je repense encore à la rudesse de la décomposition, et dire que c’est ce qui nous attend. Enfin, carpe diem, pour l’instant essayons de résoudre cette énigme, la nuit risque d’être longue. Pourquoi ne pas écouter de la musique durant le trajet ?


  3. Circeenne
    S’il est bien des vagues dans l’âme auxquelles on ne peut résister, c’est l’amour du beau. Celles-ci n’ont point de masse, ne sont en rien des trompes d’eau qui s’abattraient sur un rocher dénudé avec férocité, non. Celles dont je parle ici, ne sont que des fragrances de douceur qui vous affaissent aussi promptement que ne le fait le soleil avec la glace. De votre force, il n’en reste qu’une sueur perlée à mesure que monte l’ivresse, vos membres se lient au charme de l’image et progressivement la langueur a tôt fait de s’emparer de toutes vos parties. Possédés, dénués de liberté, vous êtes figés et livrés à la contemplation de l’objet qui émet son parfum dans le rayonnement vibratoire de ce qu’il dégage. Indolore, vous êtes happés par l’exhalation qui pénètre tous vos sens, insidieusement. Votre peau revêt alors une texture ampoulée, votre regard scintille de candeur, le goût en est suave et lourd, l’ouïe, aveuglé, n’entend rien sous le chant mélodieux de l’odorat dont l’humeur colorée fait de l’illusion une réalité parfumée. Une enveloppe d’orchidée achève de resserrer se sphincter autour de vos hanches, une ceinture, en légère pression, qui se ressent dans le creux du ventre comme une main qui presse tout doucement. De vous, il ne reste que la sensation d’exister dans l’écho de vos sens, vous glissez lentement vers un devenir impersonnel. Il, est un vous, là où je est un autre soi. Et vous n’êtes que le spectateur de votre évaporation dans les méandres de ce vénéfice délicieux. Cela fait naître une question, qu’est-ce que le réel ? Une beauté qui ne se voit qu’avec le cœur dirait Saint Exupéry car, il est vrai, la cécité touche ceux qui ne voient qu’avec leurs yeux. A la surface de tout, ils habitent des cavités où l’ombre est une lumière. Comment verraient-ils une nuit étoilée, mille soleils chaque année à l’horizon, où chacun se couche en différents endroits, des millions de saisons, des myriades de fleurs dont la renaissance est une philosophie, les visages de l’homme et le baume des cœurs, l’huile aromatique qui fait l’ivresse des poètes, l’arôme des parfums. Adieu, il me faut m’anéantir l’âme dans ce plaisir divin, ce chant des oiseaux, ce secret des cieux, cette ambre des lunes, cet arbre des amours fleuri.
    Cigüe dulcifiée, je bois de ta coupe et me jette dans l’allégresse de tes pétales où j’embrasse le sommeil éternel. Je t’aime, Dieu.


  4. Circeenne
    Un chemin de terre parsemé de pierres plates, devenues lisses sous l'effet du temps et du souffle ensablé, mène dans un désert vert, autrefois cité romaine. Cette nature crépitante de vivacité sous le soleil ocre de la méditerranée, nourrit l'intensité du ciel bleu d'un reflet brillant, et comme un duvet d'été dans les collines lançonnaises de Provence, elle s'anime au gré des éléments. Seuls les massifs calcaires sur lesquels se sont enracinés Cyprès, Pin d'Alep, Micocoulier donnent l'illusion d'une forêt ancrée, immuable, caractérielle. Rien n'est outre-mesuré, tout est raccourci, surement par l'ardeur de la chaleur qui lèche les flancs et illumine la chlorophylle du matin jusqu'au crépuscule. Accompagnée de ma seule solitude que j'aime retrouver ici. Je m'assieds en ce lieu, cathédrale de beauté, après avoir parcouru quelques kilomètres de longues foulées. J'y viens respirer l'air lavandin, y écouter le bruissement des rameaux velus, observer ce spectacle scintillant, en étant enveloppée par une douce fièvre. Un sommeil qui m'enivre. Je n'ai qu'une volonté, obéir à la pesanteur sur ce rocher caillouteux, dont les creux me paraissent moelleux et suffisants pour me contenir tout entier et à mon aise. Séduite, je laisse ma main caresser le rugueux sablonneux qui crisse sous son passage. Ses contours sont pareils à une sculpture antique, coquillage millénaire. Et à mesure que le soleil quitte le zénith de cet océan turquoise, vidé de ses grumeaux, comme une toile vierge, prête à recevoir sa peinture. Je suis consumée de langueur. La fièvre me gagne encore davantage lorsque l'air, trop doux, affaisse mon corps dans la paresse éternelle comme un sucre mouillé. Le temps se déforme alors et l'espace s'allonge. Les couleurs révèlent leur vérité bigarré aux nuances incroyables. Les décrire prendrait une partie des rouleaux du destin. Je ne peux plus lutter, je m'endors dans les bras du Zéphyr qui baiserait presque mon front en m'offrant de son lait tiède, quand il plonge dans l'aine pour rejoindre mon cou. Je n'ai pas le choix, je me recroqueville dans cette plaine lymphatique. Qu'il est bon de mourir ici, dans cette sereine monotonie.


  5. Circeenne
    En versant ces mots sur un miroir taché de caféine, une question abyssale vient froidement raidir la souplesse de mon cou et me souffle une vapeur blanchâtre qui me redresse promptement. Pourquoi. Je suspends l’écriture et regarde avec attention le reflet de cette brume idée. Il est vrai, à quoi bon vouloir exorciser une maladie dont la tumeur est au fond du cœur cérébral ? Car nul bistouri, nul scalpel, nul remède n’existe pour ce genre de souffrance paradoxale que la réalité maquille chaque jour, dans la lumière ou l’obscurité.
    Alors c’est ainsi, l’homme s’est inventé les mots dans un geste désespéré afin de guérir son âme, n’y voyant aucunes plantes pouvant taire ses cris silencieux, il a fallu qu’il les exprime, les nomme et les apprivoise. Mais il y a quelque chose de faux dans "il a inventé".
    De fait, si sa bouche gloutonne précédait sa langue frivole et qu’il n’en connaissait pas les termes pour distinguer le pesant du subtil ou le ceci de cela, pouvait-il inventer une chose qu’il ignorait ? J’affirme, que rien ne sort d’un obscur et hypothétique néant hasardeux, pas même lors d’un 1789ème matin, où la raison se serait surprise à dire : Chiotte ! Il fait lumière ! À quoi un autre aurait répondu : Pâ gome ça qu’ça s’dy donc !
    Ainsi si le verbe l’a précédé c’est donc que celui-ci existait indépendamment de lui-même, par lui-même et pour lui-même. Mais où ? Dans son cœur, très certainement. Né avec, il aurait grandi en contemplant leurs couleurs sonores. Les mots ont fait de lui l’homme, qui n’était pas. Se découvrant un visage, une nature et un esprit, il apposa des lettres là où le sens l’appelait. Et d’abstractions en abstractions, il matérialisait le réel ineffable. En sondant la profondeur de la beauté de ses océans imaginaires, il y découvrait toutes sortes de trésors. Et à mesure qu’il descendait, la clarté s’amenuisait, sans que cela ne l’inquiétât. Les mots devinrent des maux et des êtres difformes commençaient à s'emparer de lui. Et de baisers à morsure, il n'y a qu'un croc. Ils déversèrent en lui, dans ses cavités veineuses, un sang venimeux, chaudement infecté par la noirceur de l’agitation. C’est alors qu’il s’effondrait dans un fracas sans bruit de contorsions douloureuses excitant ses nerfs jusqu’à lui enlever la quiétude que connaissaient ses mers d’un bleu roi harmonieux. Le vent du désir s’est alors mis à souffler dans mille directions quantiques. Ici, là-bas, maintenant et après, en même temps. Le soleil a fondu avec une mollesse toute Dalienne, formant des nœuds de couleurs dont la tonalité dominante est le magenta brûlé. Un rire de folie saccadé, entrecoupé de phrases sans début ni fin, se mêle à des larmes qui pleurent en suspension dans l’espace, s’entrechoquant pour créer des vagues de tristesse. C’est la dépression. À genoux pointus sur votre poitrine elle suce votre moelle avec l’acharnement des chiens, le soupir des persécutés et le regard des hérétiques.
    Le médecin, de son œil opaque, ne voit que le brillant des yeux dilatés, d’où surgissent à fréquence régulière ses orbites proéminentes qui affirment la détresse, comme un battement de cœur dérégulé. Alors que le corps, lui, sue son suc sur un lit froissé. Il diagnostique un malheur incurable, en désignant le front de ce pauvre homme, tapotant de deux coups sur cet univers qui implose, pour indiquer à la famille, dont les incantations au bon Dieu s’évaporent dans l’air, que l’ardeur de la fièvre aura tôt fait de le tuer. Il mourut possédé et torréfié par l’incandescence du verbe déliquescent. De l'homme ne reste que les os, quand les mots, eux, partent dans l'éther, éternels.
    La folie, la folie, bouh, pourvu que ça ne m’arrive jamais. J'vais voir un verre d’maux. Un frisson spasmodique m'arrache soudainement un rire bref. Confuse dans mon brouillard, j'entends: dors, dors, ma grande...demain tu travailles.
    Qui parle avec moi ?

    https://www.youtube.com/watch?v=i5Kwf_nNmGI
  6. Circeenne
    Ce matin, je regarde du haut de mon balcon la pâleur du ciel froid qui revêt une teinture limpide, bigarrée d’azur, d’ocre et de carmin clairs. Peinture sublimement funeste. Toutes ces nuances diffuses sont comme des gouttes d’encre suspendues dans un temps rompu, dilatées langoureusement sur l’atmosphère aqueuse. Le bouffant vaporeux des nuages, blanc ou gris, est banni par le vent de cette toile où le soleil se fait célébrer en seigneur de guerre.
    La scène est solennelle. Tout joue avec pesanteur. Le fracas des boucliers est inaudible. Les armées se heurtent avec force et éclats rayonnants sous un ciel qui couvre les étoiles de douleur, torpeur, terreur. Elles se couvrent quand se déchire, avec une extrême lenteur, le sang des cœurs flottant dans l’air. Un cavalier s’illustre. Il frappe ! La nuit est tombée, personne ne la pleure. Cependant, les combats se poursuivent tout autour, en silence et toujours dans l’indifférence. Au milieu de la mêlée, un auguste Roi s’approche lourdement, conservant une posture de vainqueur, droite et ancrée. Il sait qu’elle est sienne. Elle tend une main trépidante d’une mortelle fraicheur. Un regard fixe, sec, brûlant vers la terre où blessée, elle s’agite avec haine et rage en soubresaut de vitalité. Je n’entends pas mais elle semble l’insulter, sans effets sur la fatalité de son destin. L’épée se lève fermement et au son de Dieu le veut ! Elle revendique impassiblement sa gloire, son prestige, sa force d’acier sur la victime étendue, avant de s’abattre tout entier sur son cou beurré. Ainsi, d’un geste abrupt, il pourfend la nuit dont la tête se détache avec allégresse, à la façon des feuilles d’automne.
    Mais il le sait, la gorgone ici achevée, naîtra maintenant ailleurs, là-bas où le regard porte sur demain. À genoux, il pleure donc de reconnaissance ou de fatigue ou d’un je-ne-sais-quoi qui le rend plus déterminé. Car qu’importent les raisons de sa lutte, elle est perpétuelle et cela suffit à l’y contraindre. C’est donc en Sisyphe, qu’il va à nouveau haranguer sa foule regroupée devant lui comme hier. Et derechef, il part vers l’horizon d’un pas usé en colonne rangée sur les traces de son passé là où règne déjà la nuit, comme hier. Et à mesure que son armée avance, les oiseaux chantent avec lassitude : « Vive le Roi, Longue vie au Roi ! ».
    Mince je vais être en retard au bureau !


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