Tentons d'une pierre deux coups entre idéalisme d'un côté et libre arbitre de l'autre
Je crois que nous sommes libres me dit @lumic, ma présence en tant qu'observateur pensant est essentielle me dit @Loufiat
Philosophons
Vous est t'il venu à l'idée que venant sur ce fil de plein gré, il n'y avait pas eu une multitude de raisons dans vos vies arbitraires et non choisies qui vous conduisent à y revenir ?
Ne pensez vous pas qu'un zenalpha pèse sur ce souhait de converser et que la réciproque est aussi vraie que contingente et pas forcément choisie ?
Es t'on même certain que la conscience ait précédé dans votre ressenti de libre arbitre des mobiles inconscients qui vous dépassent ?
Le libre arbitre n'est il qu'une illusion et est ce que tout n'était pas déterminé à l'avance par un nombre de facteurs qui ont conduit à notre échange bien malgré nous ?
Le premier grand défenseur du déterminisme dans ma mémoire fût un grec nommé Leucippe pour qui rien n'arrivait au hasard
Platon et Aristote à l'inverse laissaient la place au libre arbitre et j'ai déjà évoqué tout le parti pris de l'église avec la scolastique à faire coïncider la théologie à la pensée grecque
De facto...Le libre arbitre est absolument fondamental dans la notion du pêché dans la culture judeo chrétienne et contrairement aux musulmans pour qui Dieu tout puissant modèle jusqu'à nos destinées
Pour un catholique, Dieu n'est plus responsable du mal dans le monde mais l'y garde pour éprouver ce libre arbitre
Il a même envoyé son fils pour nous excuser car nous ne savons pas ce que nous faisons, une forme de déresponsabilisation pour motif psychiatrique en quelque sorte
Les mystères du dogme
C'est seulement avec Newton que ce déterminisme fût remis à l'honneur au point que le Marquis Pierre Simon de Laplace déclara que si nous connaissions la position et la vitesse de chaque objet céleste, nous connaîtrions passé et avenir et que nulle part Dieu n'avait une place dans cette horlogerie cosmique
On a vu ça avec les animaux machines de Descartes ici
Cette hypothèse a même été nommée le démon de Laplace, tout est vu déterminé.
Qu'en disent les théories modernes ?
Einstein partageait ce point de vue philosophique
J'ai évoqué pour qui suit ma pensée que la conséquence de la relativité est l'éternalisme.
Puisque le présent pour un observateur est le passé d'un autre et le futur d'un troisième, la notion de simultanéité pour un événement disparait et tous les événements se trouvent cosubstantiels et déjà écrits dans un univers bloc
Le futur y est dejà écrit
Je l'ai évoqué aussi le principe d'indetermination du à Heisenberg constatant qu'il était impossible de déterminer à la fois la position et la vitesse d'une particule a réouvert une brèche
L'aléa du quantique, son indéterminisme est fondamental et n'est pas lié à notre instrumentation (on le sait depuis les expériences de Serge Haroche)
Le comportement à petite échelle est structurellement indéterministe
Le comportement à grande échelle est déterministe mais souvent.....indéterminable...et celà est lié au rôle du chaos ou de ce qu'on appelle l'effet papillon ou de petites causes ont de grandes conséquences mais aussi par l'incapacité de connaître avec une précision absolue l'ensemble des paramètres d'un système complexe ce qui ne nous permet pas toutes les prédictions
L'évolution du système solaire est chaotique et personne ne peut calculer la position exacte des planètes dans 100 ans.
Maintenant pour faire écho à l'idéalisme la question de l'interprétation de la mécanique quantique et des raisons de cette indetermination à petite échelle à été longtemps le lieu du relent de l'idéalisme
Même si cette idée désormais à du plomb dans l'aile
Explications...
Une mesure en mécanique quantique fait forcément intervenir un observateur, un expérimentateur
Extrait du cantique des cantiques, j'en recommande l'achat
Mais qu’est-ce que l’esprit ? Qu’est-ce que la matière ? Ces questions ont-elles même simplement un sens ? Toujours est-il qu’elles sont posées depuis des siècles, sinon des millénaires, et que la nouvelle physique conduit à les poser de nouveau, mais d’une façon radicalement différente, presque mathématique : la « réduction du paquet d’ondes » implique-t-elle l’existence d’une entité non matérielle ?
Le problème de la mesure
Les paradoxes du chat de Schrödinger et de l’ami de Wigner nous ont permis de voir que deux interprétations de la physique quantique s’opposent durement. L’une fait jouer un rôle primordial à l’observateur, et plus précisément à sa conscience ou à son esprit : c’est ce que nous avons appelé l’« idéalisme quantique » ; cette interprétation est très minoritaire, mais a été soutenue par des physiciens prestigieux. Poussée à l’extrême cette position peut amener à des considérations pour le moins angoissantes : le monde matériel n’existerait pas indépendamment de l’observateur…
L’autre interprétation, plus répandue, ne fait jouer aucun rôle à l’esprit : c’est le « matérialisme quantique » (les physiciens qui la soutiennent préfèrent l’appellation de « réalisme »). Il existe deux autres interprétations, mais qui en fait se définissent par rapport aux deux premières : l’« opérationalisme » de l’Ecole de Copenhague, nettement majoritaire, qui refuse de choisir et soutient que le problème n’a pas de sens ; et le « syncrétisme » qui tente la synthèse du matérialisme et de l’idéalisme en postulant l’existence d’une réalité plus profonde dont matière et esprit ne seraient que deux aspects complémentaires.
Par « matérialisme » nous entendons une doctrine qui admet l’existence de la matière et d’elle seule, et par « idéalisme » une doctrine qui soit admet l’existence d’une entité non matérielle, appelée esprit, soit met en cause l’existence même de la matière. Ces définitions ne correspondent pas exactement à la classification philosophique généralement adoptée en France. Nous reviendrons sur cette classification plus loin dans ce chapitre, mais auparavant nous allons examiner plus en détail la question qui suscite l’affrontement entre idéalistes et matérialistes « quantiques ». Cette question, dont l’expression concrète et imagée est fournie par les paradoxes avancés par Schrödinger et Wigner, est connue sous le nom de « problème de la réduction du paquet d’ondes » ou encore de « problème de la mesure » ; pour la résoudre, différentes « théories de la mesure » ont été proposées, mais aucune n’a pu s’imposer pour le moment. (Si, faisant fi du mouvement général de la physique, on croit aux théories à variables cachées non locales, on peut éviter ce problème ; mais, comme nous le verrons au chapitre suivant, ces théories peuvent avoir elles aussi une interprétation matérialiste ou une interprétation idéaliste
Explicitons donc le problème. Avant d’être observé, un quanton n’occupe pas une position bien définie dans l’espace (pensons à l’exemple du photon émis par un atome interstellaire, développé à la fin du troisième chapitre). Quand on mesure cette position, il apparaît en un endroit et en un seul. La fonction d’onde qui lui conférait un certain étalement probabiliste dans l’espace se réduit à une fonction d’onde parfaitement localisée : une seule des possibilités représentées par la fonction d’onde initiale se concrétise. Première question : ce phénomène est-il propre aux mesures ? Ne peut-il arriver spontanément hors de toute mesure, c’est-à-dire hors de toute intervention humaine, puisqu’une mesure nécessite une préparation et un enregistrement (automatique ou par un observateur) du résultat ? Soyons plus concrets encore : une mesure quantique est le résultat d’une interaction entre un quanton et un appareil de mesure. Pourquoi n’y aurait-il pas réduction du paquet d’ondes lors d’autres interactions qui ne font absolument pas intervenir l’expérimentateur ? Après tout il y a sans arrêt des interactions dans l’univers : au sein des étoiles, comme à l’intérieur des bactéries.
La réponse de la théorie quantique est simple : lorsque deux systèmes quantiques isolés, c’est-à-dire décrits chacun par une fonction d’onde, entrent en interaction, ils ne forment plus qu’un seul système, décrit par une seule fonction d’onde qui contient l’ensemble des possibilités des deux systèmes. Il n’y a pas réduction, mais complexification croissante. Pire encore, si le système global se sépare à nouveau en deux sous-systèmes qui s’éloignent l’un de l’autre, on ne pourra pas décrire chaque sous-système par une fonction d’onde indépendante, mais il y aura toujours une fonction d’onde globale pour
l’ensemble des deux : c’est en fait la propriété vérifiée par l’expérience d’Aspect.
Mais en quoi un appareil de mesure diffère-t-il d’un autre objet macroscopique ? Si l’on veut mesurer une propriété d’un quanton avec un appareil de mesure, il faut faire interagir ce quanton avec l’appareil. Pourquoi la fonction d’onde globale de l’ensemble se réduirait-elle à une seule des possibilités qu’elle décrit, alors que pour toute autre interaction on aboutit à une fonction d’onde globale qui contient l’ensemble des possibilités de chacun des systèmes qui ont interagi ? Plusieurs réponses à cette question ont été ébauchées ; aucune n’emporte l’assentiment général.
Les idéalistes
Première réponse : l’idéalisme à la Wigner. Avant d’en faire la description explicite, cédons la plume à Wigner lui-même, qui écrit en 1961 : « C’est l’entrée d’une impression dans notre conscience qui altère la fonction d’onde car elle modifie notre évaluation des probabilités pour les différentes impressions que nous nous attendons à recevoir dans le futur. C’est à ce moment que la conscience entre dans la théorie de façon inévitable et inaltérable. Si on parle en termes de fonction d’onde, ses changements sont couplés avec l’entrée des impressions dans notre conscience… En physique quantique, l’être conscient a obligatoirement un rôle qui est différent de celui d’un appareil de mesure inanimé. » La même année, il déclare lors d’un colloque : « Les physiciens ont découvert qu’il est impossible de donner une
description satisfaisante des phénomènes atomiques sans faire référence à la conscience. » Cette idée avait déjà été émise en 1939 par deux autres physiciens, le Français Edmond Bauer et l’Allemand Fritz London : « Ce n’est pas une interaction mystérieuse entre l’appareil et l’objet qui produit, pendant la mesure, une nouvelle fonction d’onde du système. C’est seulement la conscience d’un Moi qui peut se séparer de la fonction d’onde ancienne et constituer en vertu de son observation une nouvelle objectivité en attribuant à l’objet une nouvelle fonction d’onde. » Mais c’est Wigner qui lui a donné un contenu technique relativement précis.
Décrivons maintenant ce contenu, et pour cela détaillons l’interaction d’un quanton avec un appareil de mesure. L’ensemble quanton + appareil, à la suite du déroulement de cette interaction, est d’après l’équation de Schrödinger représenté par une fonction d’onde qui exprime plusieurs possibilités ; supposons qu’il n’y en ait que deux : l’aiguille indicatrice de l’appareil est levée ou baissée. Pour Wigner, l’aiguille est dans la superposition des états levée et baissée (ce qui ne veut pas dire qu’elle est à mi-chemin). Si je regarde l’aiguille, dit Wigner, mon œil, qui est matériel et donc obéit aux lois de la physique quantique, va lui aussi se mettre dans une superposition de deux états. Mon nerf optique, toujours matériel, va transmettre à mon cerveau un courant électrique double correspondant à cette double possibilité, et les cellules concernées de mon cerveau vont elles aussi se mettre dans un état double. Wigner dit alors : pour en finir avec cet état irréel, il faut faire intervenir une entité qui n’obéit pas aux lois de la physique ; cette entité c’est l’esprit conscient, seul capable de réduire les paquets d’ondes.
Cette interprétation, parfaitement contraire aux idées reçues, semble cependant avoir le mérite de la clarté. Mais déjà ce cas simple pose un problème vis-à-vis du temps. Il s’écoule en effet un certain temps entre le moment où l’aiguille indicatrice réagit à l’interaction quanton/appareil de mesure et le moment où l’observateur prend conscience de cette réaction (trajet des photons jusqu’à l’œil, réaction des pigments photosensibles, passage dans le nerf optique, traitement de l’information visuelle dans les cellules cérébrales). Si la réduction du paquet d’ondes n’a lieu qu’au moment de la prise de conscience, comment l’information est-elle retransmise à l’appareil de mesure, de façon que l’aiguille se mette dans la position haute ou basse ? Personne ne pense que la conscience émette alors, en direction de l’appareil, des quantons d’une énergie suffisante pour forcer l’aiguille à prendre sa position. On doit envisager soit la disparition instantanée et sans libération d’énergie de l’une des deux solutions, soit l’émission d’un signal (dont la nature reste à préciser) qui remonterait le cours du temps et fixerait la position de l’aiguille au moment précis où elle réagit à l’interaction quanton/appareil de mesure.
C’est déjà très dur à avaler, mais les idéalistes aboutissent à des positions quasi intenables dans le cas de l’enregistrement automatique. En effet, dans bien des expériences l’observateur peut être remplacé par un dispositif automatique d’enregistrement, et l’enregistrement rester hors de la connaissance de tout observateur pendant un an par exemple. On réalise même, dans certaines expériences de collisions de particules, des dispositifs qui choisissent d’enregistrer ou non la collision selon ses résultats : ces dispositifs n’enregistreront par exemple qu’une collision sur
cent en moyenne, et là encore on pourra n’examiner les enregistrements qu’un an après. La solution des idéalistes extrémistes est la suivante : l’esprit peut remonter le cours du temps, et déclencher le phénomène un an avant d’en prendre connaissance (remarquons au passage que ce phénomène n’aurait plus rien à voir avec la conscience, car il serait parfaitement inconscient). On est forcé de dire de ces acrobaties mentales ce que Diderot disait de l’idéalisme absolu, de l’« immatérialisme » développé au début du XVIIIe siècle par le philosophe irlandais George Berkeley : « Système extravagant, système qui, à la honte de l’esprit humain et de la philosophie, est le plus difficile à combattre, quoique le plus absurde de tous. »
Les matérialistes
A l’opposé, la philosophie des « matérialistes quantiques » a été excellemment résumée par Fritz Rohrlich, spécialiste de la théorie quantique relativiste du champ, dans un article publié en septembre 1983 par la revue américaine Science, sous le titre très significatif de « Faire face à la réalité quantique ». Rohrlich écrit : « Quelques-uns tirent de tout cela la conclusion que l’univers n’existe pas indépendamment de tous les actes d’observation, et que la réalité est créée par l’observateur. Mais l’écrasante majorité des physiciens ne partage pas cette vue… Le monde des électrons, protons, et tout le reste existe bien même si nous ne l’observons pas, et il se comporte exactement comme la physique quantique nous dit qu’il le fait. Le point est que la réalité physique au niveau quantique ne peut être
définie en termes classiques comme l’avaient essayé Einstein, Podolsky et Rosen… Cela ne rend pas le monde quantique moins réel que le monde classique. Et cela nous apprend que la réalité de l’expérience ordinaire dans le monde classique est seulement une petite partie de ce qui est. »
Bien entendu cette philosophie doit être étayée par une théorie de la mesure cohérente, et il faut voir si, comme le soutient Rohrlich, « la description du processus de mesure a reçu beaucoup d’attention, de clarification et de spécification. Des exemples ont été traités jusqu’au bout explicitement ». Quelle est donc la réponse matérialiste à la question de la réduction du paquet d’ondes ?
En fait cette réponse n’est pas unique. Elle existe avec deux variantes principales, et nous allons examiner d’abord celle qui, apparue plus tard, connaît actuellement une certaine vogue parmi les spécialistes. Elle s’articule autour des propositions suivantes :
La description quantique des éléments de la réalité par des fonctions d’onde obéissant à l’équation de Schrödinger est exacte (il n’est pas fait appel à des variables cachées, même non locales).
En revanche, la « réduction du paquet d’ondes » n’est qu’une approximation, due au fait que, lors d’une mesure, l’équation de Schrödinger de l’ensemble quanton + appareil de mesure donne lieu à une évolution très rapide, qui ne laisse place qu’à une des possibilités contenues dans la fonction d’onde.
Cette évolution très rapide vient de ce que l’appareil de mesure est macroscopique et non microscopique, et du fait qu’il a été spécifiquement conçu pour mesurer telle ou telle propriété du quanton.
Contrairement à l’hypothèse de Wigner, cette variante matérialiste (ainsi que les autres) fait appel à des mathématiques élaborées, et il est difficile d’en donner les détails, d’autant plus que différents modèles ont été proposés, adaptés à telle ou telle expérience. Sa qualité première est de sembler extrêmement raisonnable : on ne peut certes pas lui faire les reproches adressés à la solution idéaliste. Cependant, elle aussi est sujette à des critiques. D’abord, elle manque de généralité pour le moment, puisqu’il faut élaborer un modèle pour chaque type d’expérience — et de plus certains au moins de ces modèles prêtent à discussion. Ensuite, si l’on veut que toutes les possibilités contenues dans la fonction d’onde disparaissent à l’exception d’une seule, un calcul appliquant rigoureusement la théorie quantique montre que l’appareil de mesure doit théoriquement être infini (cependant, s’il n’est pas infini mais simplement de taille normale, l’hypothèse de la survivance d’une seule possibilité est une excellente approximation, dans le cadre des modèles considérés). Enfin et surtout, dans le cas d’expériences comme celle d’Aspect, l’évolution rapide de la fonction d’onde de l’ensemble quanton mesuré + appareil aboutit à fixer une valeur à la polarisation (ou au spin) non seulement du quanton mesuré, mais aussi de l’autre quanton qui peut s’en trouver, en théorie, à des milliards de kilomètres. Cette évolution rapide mais de durée non nulle devrait donc avoir, en ce cas, sa contrepartie à des milliards de kilomètres. En un certain sens, il est plus
difficile d’attribuer une possibilité d’action aussi extravagante à un appareil de mesure, objet matériel dont on connaît les limitations, qu’à une entité non matérielle hypothétique dont on peut dire n’importe quoi.
L’autre variante matérialiste principale consiste à admettre la réduction du paquet d’ondes par l’appareil de mesure, réduction effective s’entend et non pas pseudo-réduction comme dans la première variante présentée ci-dessus, et à l’attribuer au caractère macroscopique de l’appareil, qui introduirait quelque part une disparition des effets proprement quantiques. Diverses tentatives, faisant souvent intervenir la notion d’irréversibilité, ont été faites pour essayer de préciser cette idée, sans résultat vraiment concluant. Cette variante se heurte par ailleurs aux mêmes objections que la précédente. Cependant, le caractère instantané de la réduction cadre peut-être un petit peu mieux avec l’expérience d’Aspect, l’interaction quanton mesuré/appareil ne violant la notion d’espace que pendant une durée nulle.
D’autres variantes moins courantes existent. L’une par exemple suppose que l’interaction d’un petit nombre de quantons peut aboutir à la réduction du paquet d’ondes dans certaines circonstances : le caractère macroscopique de l’appareil de mesure n’intervient alors que pour amplifier le phénomène. Une autre consiste à dire que, lors de chaque mesure, l’univers se sépare en autant de branches qu’il y a de résultats possibles : par exemple, dans le cas d’une aiguille indicatrice à deux positions, il y aura une branche d’univers où les observateurs (qui se dédoublent eux aussi) la verront levée, et une
branche où ils la verront baissée. Nous reviendrons là-dessus plus loin.
Remarque incidente : quelle que soit la variante matérialiste, il peut arriver que des objets macroscopiques naturels fonctionnent comme des appareils de mesure, si le hasard les fait ressembler à de tels appareils. En effet, comme selon cette réponse matérialiste c’est l’appareil de mesure qui réduit le paquet d’ondes, indépendamment de la présence de l’observateur, tout agrégat de matière présentant les mêmes caractéristiques aura cette même propriété de pouvoir réduire le paquet d’ondes.
Autre remarque plus importante, valable aussi bien pour la solution idéaliste que pour la solution matérialiste : l’expérience d’Aspect montre que deux systèmes quantiques qui ont interagi sont représentés par une fonction d’onde globale, et que chaque système considéré indépendamment ne peut être représenté par une fonction d’onde. Or un appareil de mesure est constitué de quantons, qui ont déjà subi des interactions lors de leur existence (par exemple au moment du Big Bang). En théorie, on ne peut donc le considérer comme isolé et le représenter par une fonction d’onde (à la différence des quantons à mesurer, que l’on sait « préparer » de façon à pouvoir les représenter par une fonction d’onde). Certains physiciens ont essayé de tenir compte de cela dans l’élaboration d’une théorie de la mesure ; mais ils ont à nouveau rencontré les difficultés évoquées ci-dessus.
Les autres
Comme nous l’avons déjà indiqué, on n’est pas condamné au choix entre matérialisme et idéalisme, et en fait l’interprétation la plus répandue de la physique quantique ne choisit pas. Cette interprétation est celle de Bohr et Heisenberg, appelée aussi interprétation de l’Ecole de Copenhague. Les philosophes la désignent comme positiviste, ou empiriste, ou opérationaliste. Selon cette interprétation, la physique quantique porte non pas sur la réalité, mais sur la connaissance que nous en avons ; cette connaissance est décrite par la fonction d’onde, et il est normal que cette fonction d’onde soit perturbée (réduite) lors d’une mesure, puisque dans ce cas précisément nous modifions notre connaissance de la réalité. La physique quantique permet simplement à des observateurs disposant d’appareils de mesure de représenter correctement les observations. Il est vain et sans signification de chercher à expliquer pourquoi elle marche, il suffit de constater qu’elle marche et d’appliquer son formalisme.
Cette interprétation a eu le grand mérite de permettre à la physique d’avancer sans se poser de questions pendant plusieurs décennies. Mais les curieux ont refait surface, notamment à l’occasion des expériences sur le paradoxe EPR. L’interprétation de l’Ecole de Copenhague ne les satisfait pas, ils espèrent parvenir à la réalité sous-jacente à ce formalisme, au cas où il y en aurait une. Nombre d’entre eux reprochent à cette interprétation de n’être qu’un idéalisme déguisé.
On peut aussi éviter le choix entre matérialisme et idéalisme en supposant l’existence d’une réalité mystérieuse dont matière et esprit ne seraient que deux manifestations. C’est dans cette direction que vont aussi bien David Bohm, partisan d’une théorie à « variables cachées non locales », que d’autres physiciens qui s’en tiennent strictement à la théorie quantique, tels Fritjof Capra aux Etats-Unis et Bernard d’Espagnat en France, ce dernier étant cependant très proche de l’idéalisme. On peut désigner par « syncrétisme quantique » cette tentative de synthèse : en effet ce mot désigne à la fois une doctrine qui essaie de combiner des religions apparemment incompatibles, et l’appréhension globale mais confuse d’un tout.
Un peu de philosophie
Ainsi la physique la plus élaborée, la pointe extrême de la science, rejoint-elle les interrogations traditionnelles de la philosophie, que l’on avait crues abolies par le développement même de la science et le triomphe apparent du matérialisme le plus simple, c’est-à-dire local et déterministe. Le « problème de la mesure » n’est que la résurgence d’un vieux débat qui a opposé les philosophes au cours des siècles. Ce débat est sans doute inhérent à la nature humaine elle-même : le développement de la personnalité au cours de la petite enfance, par interaction avec l’environnement matériel et humain et grâce à l’acquisition du langage, aboutit à la constitution — ou à la révélation — d’un « moi » qui inévitablement essaiera de se définir par rapport au monde extérieur. D’où l’apparition des grands problèmes
métaphysiques, et l’élaboration des diverses conceptions philosophiques du monde.
Au cours de cette élaboration est apparu un vocabulaire spécialisé, et il s’est constitué, du moins en France, une sorte de langage normatif dominant que nous allons exposer
6. Le monde existe-t-il ?
Qu’est-ce que l’esprit ? Qu’est-ce que la matière ? Ces questions ont-elles même simplement un sens ? Toujours est-il qu’elles sont posées depuis des siècles, sinon des millénaires, et que la nouvelle physique conduit à les poser de nouveau, mais d’une façon radicalement différente, presque mathématique : la « réduction du paquet d’ondes » implique-t-elle l’existence d’une entité non matérielle ?
Le problème de la mesure
Les paradoxes du chat de Schrödinger et de l’ami de Wigner nous ont permis de voir que deux interprétations de la physique quantique s’opposent durement. L’une fait jouer un rôle primordial à l’observateur, et plus précisément à sa conscience ou à son esprit : c’est ce que nous avons appelé l’« idéalisme quantique » ; cette interprétation est très minoritaire, mais a été soutenue par des physiciens prestigieux. Poussée à l’extrême cette position peut amener à des considérations pour le moins angoissantes : le monde matériel n’existerait pas indépendamment de l’observateur…
L’autre interprétation, plus répandue, ne fait jouer aucun rôle à l’esprit : c’est le « matérialisme quantique » (les physiciens qui la soutiennent préfèrent l’appellation de « réalisme »). Il existe deux autres interprétations, mais qui en fait se définissent par rapport aux deux premières : l’« opérationalisme » de l’Ecole de Copenhague, nettement majoritaire, qui refuse de choisir et soutient que le problème n’a pas de sens ; et le « syncrétisme » qui tente la synthèse du matérialisme et de l’idéalisme en postulant l’existence d’une réalité plus profonde dont matière et esprit ne seraient que deux aspects complémentaires.
Par « matérialisme » nous entendons une doctrine qui admet l’existence de la matière et d’elle seule, et par « idéalisme » une doctrine qui soit admet l’existence d’une entité non matérielle, appelée esprit, soit met en cause l’existence même de la matière. Ces définitions ne correspondent pas exactement à la classification philosophique généralement adoptée en France. Nous reviendrons sur cette classification plus loin dans ce chapitre, mais auparavant nous allons examiner plus en détail la question qui suscite l’affrontement entre idéalistes et matérialistes « quantiques ». Cette question, dont l’expression concrète et imagée est fournie par les paradoxes avancés par Schrödinger et Wigner, est connue sous le nom de « problème de la réduction du paquet d’ondes » ou encore de « problème de la mesure » ; pour la résoudre, différentes « théories de la mesure » ont été proposées, mais aucune n’a pu s’imposer pour le moment. (Si, faisant fi du mouvement général de la physique, on croit aux théories à variables cachées non locales, on peut éviter ce problème ; mais, comme nous le verrons au chapitre suivant, ces théories peuvent avoir elles aussi une interprétation matérialiste ou une interprétation idéaliste.)
Explicitons donc le problème. Avant d’être observé, un quanton n’occupe pas une position bien définie dans l’espace (pensons à l’exemple du photon émis par un atome interstellaire, développé à la fin du troisième chapitre). Quand on mesure cette position, il apparaît en un endroit et en un seul. La fonction d’onde qui lui conférait un certain étalement probabiliste dans l’espace se réduit à une fonction d’onde parfaitement localisée : une seule des possibilités représentées par la fonction d’onde initiale se concrétise. Première question : ce phénomène est-il propre aux mesures ? Ne peut-il arriver spontanément hors de toute mesure, c’est-à-dire hors de toute intervention humaine, puisqu’une mesure nécessite une préparation et un enregistrement (automatique ou par un observateur) du résultat ? Soyons plus concrets encore : une mesure quantique est le résultat d’une interaction entre un quanton et un appareil de mesure. Pourquoi n’y aurait-il pas réduction du paquet d’ondes lors d’autres interactions qui ne font absolument pas intervenir l’expérimentateur ? Après tout il y a sans arrêt des interactions dans l’univers : au sein des étoiles, comme à l’intérieur des bactéries.
La réponse de la théorie quantique est simple : lorsque deux systèmes quantiques isolés, c’est-à-dire décrits chacun par une fonction d’onde, entrent en interaction, ils ne forment plus qu’un seul système, décrit par une seule fonction d’onde qui contient l’ensemble des possibilités des deux systèmes. Il n’y a pas réduction, mais complexification croissante. Pire encore, si le système global se sépare à nouveau en deux sous-systèmes qui s’éloignent l’un de l’autre, on ne pourra pas décrire chaque sous-système par une fonction d’onde indépendante, mais il y aura toujours une fonction d’onde globale pour l’ensemble des deux : c’est en fait la propriété vérifiée par l’expérience d’Aspect.
Mais en quoi un appareil de mesure diffère-t-il d’un autre objet macroscopique ? Si l’on veut mesurer une propriété d’un quanton avec un appareil de mesure, il faut faire interagir ce quanton avec l’appareil. Pourquoi la fonction d’onde globale de l’ensemble se réduirait-elle à une seule des possibilités qu’elle décrit, alors que pour toute autre interaction on aboutit à une fonction d’onde globale qui contient l’ensemble des possibilités de chacun des systèmes qui ont interagi ? Plusieurs réponses à cette question ont été ébauchées ; aucune n’emporte l’assentiment général.
Les idéalistes
Première réponse : l’idéalisme à la Wigner. Avant d’en faire la description explicite, cédons la plume à Wigner lui-même, qui écrit en 1961 : « C’est l’entrée d’une impression dans notre conscience qui altère la fonction d’onde car elle modifie notre évaluation des probabilités pour les différentes impressions que nous nous attendons à recevoir dans le futur. C’est à ce moment que la conscience entre dans la théorie de façon inévitable et inaltérable. Si on parle en termes de fonction d’onde, ses changements sont couplés avec l’entrée des impressions dans notre conscience… En physique quantique, l’être conscient a obligatoirement un rôle qui est différent de celui d’un appareil de mesure inanimé. » La même année, il déclare lors d’un colloque : « Les physiciens ont découvert qu’il est impossible de donner une description satisfaisante des phénomènes atomiques sans faire référence à la conscience. » Cette idée avait déjà été émise en 1939 par deux autres physiciens, le Français Edmond Bauer et l’Allemand Fritz London : « Ce n’est pas une interaction mystérieuse entre l’appareil et l’objet qui produit, pendant la mesure, une nouvelle fonction d’onde du système. C’est seulement la conscience d’un Moi qui peut se séparer de la fonction d’onde ancienne et constituer en vertu de son observation une nouvelle objectivité en attribuant à l’objet une nouvelle fonction d’onde. » Mais c’est Wigner qui lui a donné un contenu technique relativement précis.
Décrivons maintenant ce contenu, et pour cela détaillons l’interaction d’un quanton avec un appareil de mesure. L’ensemble quanton + appareil, à la suite du déroulement de cette interaction, est d’après l’équation de Schrödinger représenté par une fonction d’onde qui exprime plusieurs possibilités ; supposons qu’il n’y en ait que deux : l’aiguille indicatrice de l’appareil est levée ou baissée. Pour Wigner, l’aiguille est dans la superposition des états levée et baissée (ce qui ne veut pas dire qu’elle est à mi-chemin). Si je regarde l’aiguille, dit Wigner, mon œil, qui est matériel et donc obéit aux lois de la physique quantique, va lui aussi se mettre dans une superposition de deux états. Mon nerf optique, toujours matériel, va transmettre à mon cerveau un courant électrique double correspondant à cette double possibilité, et les cellules concernées de mon cerveau vont elles aussi se mettre dans un état double. Wigner dit alors : pour en finir avec cet état irréel, il faut faire intervenir une entité qui n’obéit pas aux lois de la physique ; cette entité c’est l’esprit conscient, seul capable de réduire les paquets d’ondes.
Cette interprétation, parfaitement contraire aux idées reçues, semble cependant avoir le mérite de la clarté. Mais déjà ce cas simple pose un problème vis-à-vis du temps. Il s’écoule en effet un certain temps entre le moment où l’aiguille indicatrice réagit à l’interaction quanton/appareil de mesure et le moment où l’observateur prend conscience de cette réaction (trajet des photons jusqu’à l’œil, réaction des pigments photosensibles, passage dans le nerf optique, traitement de l’information visuelle dans les cellules cérébrales). Si la réduction du paquet d’ondes n’a lieu qu’au moment de la prise de conscience, comment l’information est-elle retransmise à l’appareil de mesure, de façon que l’aiguille se mette dans la position haute ou basse ? Personne ne pense que la conscience émette alors, en direction de l’appareil, des quantons d’une énergie suffisante pour forcer l’aiguille à prendre sa position. On doit envisager soit la disparition instantanée et sans libération d’énergie de l’une des deux solutions, soit l’émission d’un signal (dont la nature reste à préciser) qui remonterait le cours du temps et fixerait la position de l’aiguille au moment précis où elle réagit à l’interaction quanton/appareil de mesure.
C’est déjà très dur à avaler, mais les idéalistes aboutissent à des positions quasi intenables dans le cas de l’enregistrement automatique. En effet, dans bien des expériences l’observateur peut être remplacé par un dispositif automatique d’enregistrement, et l’enregistrement rester hors de la connaissance de tout observateur pendant un an par exemple. On réalise même, dans certaines expériences de collisions de particules, des dispositifs qui choisissent d’enregistrer ou non la collision selon ses résultats : ces dispositifs n’enregistreront par exemple qu’une collision sur cent en moyenne, et là encore on pourra n’examiner les enregistrements qu’un an après. La solution des idéalistes extrémistes est la suivante : l’esprit peut remonter le cours du temps, et déclencher le phénomène un an avant d’en prendre connaissance (remarquons au passage que ce phénomène n’aurait plus rien à voir avec la conscience, car il serait parfaitement inconscient). On est forcé de dire de ces acrobaties mentales ce que Diderot disait de l’idéalisme absolu, de l’« immatérialisme » développé au début du XVIIIe siècle par le philosophe irlandais George Berkeley : « Système extravagant, système qui, à la honte de l’esprit humain et de la philosophie, est le plus difficile à combattre, quoique le plus absurde de tous. »
Les matérialistes
A l’opposé, la philosophie des « matérialistes quantiques » a été excellemment résumée par Fritz Rohrlich, spécialiste de la théorie quantique relativiste du champ, dans un article publié en septembre 1983 par la revue américaine Science, sous le titre très significatif de « Faire face à la réalité quantique ». Rohrlich écrit : « Quelques-uns tirent de tout cela la conclusion que l’univers n’existe pas indépendamment de tous les actes d’observation, et que la réalité est créée par l’observateur. Mais l’écrasante majorité des physiciens ne partage pas cette vue… Le monde des électrons, protons, et tout le reste existe bien même si nous ne l’observons pas, et il se comporte exactement comme la physique quantique nous dit qu’il le fait. Le point est que la réalité physique au niveau quantique ne peut être définie en termes classiques comme l’avaient essayé Einstein, Podolsky et Rosen… Cela ne rend pas le monde quantique moins réel que le monde classique. Et cela nous apprend que la réalité de l’expérience ordinaire dans le monde classique est seulement une petite partie de ce qui est. »
Bien entendu cette philosophie doit être étayée par une théorie de la mesure cohérente, et il faut voir si, comme le soutient Rohrlich, « la description du processus de mesure a reçu beaucoup d’attention, de clarification et de spécification. Des exemples ont été traités jusqu’au bout explicitement ». Quelle est donc la réponse matérialiste à la question de la réduction du paquet d’ondes ?
En fait cette réponse n’est pas unique. Elle existe avec deux variantes principales, et nous allons examiner d’abord celle qui, apparue plus tard, connaît actuellement une certaine vogue parmi les spécialistes. Elle s’articule autour des propositions suivantes :
La description quantique des éléments de la réalité par des fonctions d’onde obéissant à l’équation de Schrödinger est exacte (il n’est pas fait appel à des variables cachées, même non locales).
En revanche, la « réduction du paquet d’ondes » n’est qu’une approximation, due au fait que, lors d’une mesure, l’équation de Schrödinger de l’ensemble quanton + appareil de mesure donne lieu à une évolution très rapide, qui ne laisse place qu’à une des possibilités contenues dans la fonction d’onde.
Cette évolution très rapide vient de ce que l’appareil de mesure est macroscopique et non microscopique, et du fait qu’il a été spécifiquement conçu pour mesurer telle ou telle propriété du quanton.
Contrairement à l’hypothèse de Wigner, cette variante matérialiste (ainsi que les autres) fait appel à des mathématiques élaborées, et il est difficile d’en donner les détails, d’autant plus que différents modèles ont été proposés, adaptés à telle ou telle expérience. Sa qualité première est de sembler extrêmement raisonnable : on ne peut certes pas lui faire les reproches adressés à la solution idéaliste. Cependant, elle aussi est sujette à des critiques. D’abord, elle manque de généralité pour le moment, puisqu’il faut élaborer un modèle pour chaque type d’expérience — et de plus certains au moins de ces modèles prêtent à discussion. Ensuite, si l’on veut que toutes les possibilités contenues dans la fonction d’onde disparaissent à l’exception d’une seule, un calcul appliquant rigoureusement la théorie quantique montre que l’appareil de mesure doit théoriquement être infini (cependant, s’il n’est pas infini mais simplement de taille normale, l’hypothèse de la survivance d’une seule possibilité est une excellente approximation, dans le cadre des modèles considérés). Enfin et surtout, dans le cas d’expériences comme celle d’Aspect, l’évolution rapide de la fonction d’onde de l’ensemble quanton mesuré + appareil aboutit à fixer une valeur à la polarisation (ou au spin) non seulement du quanton mesuré, mais aussi de l’autre quanton qui peut s’en trouver, en théorie, à des milliards de kilomètres. Cette évolution rapide mais de durée non nulle devrait donc avoir, en ce cas, sa contrepartie à des milliards de kilomètres. En un certain sens, il est plus difficile d’attribuer une possibilité d’action aussi extravagante à un appareil de mesure, objet matériel dont on connaît les limitations, qu’à une entité non matérielle hypothétique dont on peut dire n’importe quoi.
L’autre variante matérialiste principale consiste à admettre la réduction du paquet d’ondes par l’appareil de mesure, réduction effective s’entend et non pas pseudo-réduction comme dans la première variante présentée ci-dessus, et à l’attribuer au caractère macroscopique de l’appareil, qui introduirait quelque part une disparition des effets proprement quantiques. Diverses tentatives, faisant souvent intervenir la notion d’irréversibilité, ont été faites pour essayer de préciser cette idée, sans résultat vraiment concluant. Cette variante se heurte par ailleurs aux mêmes objections que la précédente. Cependant, le caractère instantané de la réduction cadre peut-être un petit peu mieux avec l’expérience d’Aspect, l’interaction quanton mesuré/appareil ne violant la notion d’espace que pendant une durée nulle.
D’autres variantes moins courantes existent. L’une par exemple suppose que l’interaction d’un petit nombre de quantons peut aboutir à la réduction du paquet d’ondes dans certaines circonstances : le caractère macroscopique de l’appareil de mesure n’intervient alors que pour amplifier le phénomène. Une autre consiste à dire que, lors de chaque mesure, l’univers se sépare en autant de branches qu’il y a de résultats possibles : par exemple, dans le cas d’une aiguille indicatrice à deux positions, il y aura une branche d’univers où les observateurs (qui se dédoublent eux aussi) la verront levée, et une branche où ils la verront baissée. Nous reviendrons là-dessus plus loin.
Remarque incidente : quelle que soit la variante matérialiste, il peut arriver que des objets macroscopiques naturels fonctionnent comme des appareils de mesure, si le hasard les fait ressembler à de tels appareils. En effet, comme selon cette réponse matérialiste c’est l’appareil de mesure qui réduit le paquet d’ondes, indépendamment de la présence de l’observateur, tout agrégat de matière présentant les mêmes caractéristiques aura cette même propriété de pouvoir réduire le paquet d’ondes.
Autre remarque plus importante, valable aussi bien pour la solution idéaliste que pour la solution matérialiste : l’expérience d’Aspect montre que deux systèmes quantiques qui ont interagi sont représentés par une fonction d’onde globale, et que chaque système considéré indépendamment ne peut être représenté par une fonction d’onde. Or un appareil de mesure est constitué de quantons, qui ont déjà subi des interactions lors de leur existence (par exemple au moment du Big Bang). En théorie, on ne peut donc le considérer comme isolé et le représenter par une fonction d’onde (à la différence des quantons à mesurer, que l’on sait « préparer » de façon à pouvoir les représenter par une fonction d’onde). Certains physiciens ont essayé de tenir compte de cela dans l’élaboration d’une théorie de la mesure ; mais ils ont à nouveau rencontré les difficultés évoquées ci-dessus.
Les autres
Comme nous l’avons déjà indiqué, on n’est pas condamné au choix entre matérialisme et idéalisme, et en fait l’interprétation la plus répandue de la physique quantique ne choisit pas. Cette interprétation est celle de Bohr et Heisenberg, appelée aussi interprétation de l’Ecole de Copenhague. Les philosophes la désignent comme positiviste, ou empiriste, ou opérationaliste. Selon cette interprétation, la physique quantique porte non pas sur la réalité, mais sur la connaissance que nous en avons ; cette connaissance est décrite par la fonction d’onde, et il est normal que cette fonction d’onde soit perturbée (réduite) lors d’une mesure, puisque dans ce cas précisément nous modifions notre connaissance de la réalité. La physique quantique permet simplement à des observateurs disposant d’appareils de mesure de représenter correctement les observations. Il est vain et sans signification de chercher à expliquer pourquoi elle marche, il suffit de constater qu’elle marche et d’appliquer son formalisme.
Cette interprétation a eu le grand mérite de permettre à la physique d’avancer sans se poser de questions pendant plusieurs décennies. Mais les curieux ont refait surface, notamment à l’occasion des expériences sur le paradoxe EPR. L’interprétation de l’Ecole de Copenhague ne les satisfait pas, ils espèrent parvenir à la réalité sous-jacente à ce formalisme, au cas où il y en aurait une. Nombre d’entre eux reprochent à cette interprétation de n’être qu’un idéalisme déguisé.
On peut aussi éviter le choix entre matérialisme et idéalisme en supposant l’existence d’une réalité mystérieuse dont matière et esprit ne seraient que deux manifestations. C’est dans cette direction que vont aussi bien David Bohm, partisan d’une théorie à « variables cachées non locales », que d’autres physiciens qui s’en tiennent strictement à la théorie quantique, tels Fritjof Capra aux Etats-Unis et Bernard d’Espagnat en France, ce dernier étant cependant très proche de l’idéalisme. On peut désigner par « syncrétisme quantique » cette tentative de synthèse : en effet ce mot désigne à la fois une doctrine qui essaie de combiner des religions apparemment incompatibles, et l’appréhension globale mais confuse d’un tout.
Un peu de philosophie
Ainsi la physique la plus élaborée, la pointe extrême de la science, rejoint-elle les interrogations traditionnelles de la philosophie, que l’on avait crues abolies par le développement même de la science et le triomphe apparent du matérialisme le plus simple, c’est-à-dire local et déterministe. Le « problème de la mesure » n’est que la résurgence d’un vieux débat qui a opposé les philosophes au cours des siècles. Ce débat est sans doute inhérent à la nature humaine elle-même : le développement de la personnalité au cours de la petite enfance, par interaction avec l’environnement matériel et humain et grâce à l’acquisition du langage, aboutit à la constitution — ou à la révélation — d’un « moi » qui inévitablement essaiera de se définir par rapport au monde extérieur. D’où l’apparition des grands problèmes métaphysiques, et l’élaboration des diverses conceptions philosophiques du monde.
Au cours de cette élaboration est apparu un vocabulaire spécialisé, et il s’est constitué, du moins en France, une sorte de langage normatif dominant que nous allons exposer avant de dire pourquoi nous ne l’avons pas respecté. Dans ce langage, explicité dans la plupart des manuels scolaires et des encyclopédies, matérialisme s’oppose à spiritualisme, réalisme à idéalisme, et monisme à dualisme.
Selon le matérialisme, rien n’existe en dehors de la matière. En particulier, l’esprit n’est qu’un épiphénomène, une propriété de la matière parvenue à un certain degré de complexité. (Nous supposons ici qu’il existe un accord d’usage courant sur la signification des mots esprit et matière, et nous ne chercherons pas à en donner une définition précise — tâche qui serait au-dessus de nos moyens.) La forme la plus extrême du matérialisme aboutit à des propositions du genre : « La pensée est au cerveau ce que l’urine est au rein. » Pour le spiritualisme au contraire, l’esprit existe indépendamment de la matière, et lui est supérieur ; c’est lui qui gouverne le monde.
Selon le réalisme, en donnant à ce terme le sens qu’il a acquis au XIXe siècle, le monde existerait tel que nous le voyons même si nous n’étions pas là pour le voir. Les planètes continueraient de tourner autour du soleil, les fleuves d’aller à la mer et les petits oiseaux de chanter (à supposer que notre disparition éventuelle ne s’accompagne pas de celle des oiseaux). L’idéalisme au contraire ne tient pour assurée que l’existence de nos pensées et de nos sensations et peut soit rejeter carrément l’existence d’un monde matériel qui nous serait extérieur (c’est la thèse de George Berkeley), soit être assimilé au spiritualisme tel que nous l’avons défini (« idéalisme transcendantal » d’Emmanuel Kant).
Le monisme suppose l’existence d’une seule variété d’être, qu’il s’agisse de la matière (matérialisme) ou de l’esprit (idéalisme de Berkeley). Le dualisme par contre croit à l’existence et de la matière et de l’esprit. Signalons que le mot dualisme a d’autres sens, par exemple l’opposition du bien et du mal dans le manichéisme.
Ces définitions semblent claires ; pourtant elles ne manquent pas d’ambiguïté, et à notre avis peuvent être remplacées par une simple alternative.
D’un point de vue historique d’abord, les six termes en question sont apparus assez tardivement, alors que les idées qu’ils expriment existaient depuis longtemps. Le mot matérialisme n’est apparu qu’en 1675 sous la plume du physicien anglo-irlandais Robert Boyle ; et pourtant cette théorie remonte au philosophe grec Leucippe (Ve siècle avant notre ère) ; le matérialisme des anciens était connu sous le nom d’atomisme. Quant à Boyle lui-même, il était croyant, et c’est son contemporain Thomas Hobbes qui, sans utiliser le mot, avait développé les thèses du matérialisme moderne. Le terme spiritualisme désignait au début du XVIIIe siècle une variété de mysticisme, puis on a qualifié de « spiritualiste » l’idéalisme de Berkeley, et ce n’est qu’en 1831 que « spiritualisme » a été utilisé en philosophie avec son sens actuel. Au début du XVIIIe siècle d’ailleurs, les philosophes qui s’opposaient au développement du matérialisme moderne se désignaient comme idéalistes (le terme date de cette époque) et non pas spiritualistes.
Le terme réalisme a revêtu depuis son apparition au XVIe siècle plusieurs significations parfois contradictoires. Au XVIe siècle en effet, ce mot a été inventé pour désigner la philosophie de Platon, qui peut être considéré comme le premier des idéalistes ou des spiritualistes. Au XIXe siècle au contraire, le terme a pris un sens pratiquement identique à matérialisme, et est opposé à idéalisme qui, comme nous l’avons vu, avait été forgé vers 1700 pour s’affronter à matérialisme.
Le vocable monisme a été créé par le philosophe allemand Christian von Wolff au début du XVIIIe siècle, mais n’a été largement utilisé qu’à partir de la fin du XIXe. L’introduction du mot dualisme en philosophie est également due à von Wolff.
Ayant passé en revue ces questions de signification et d’histoire, on peut faire les remarques suivantes :
Le spiritualisme, censé s’opposer au matérialisme, est apparu bien après l’idéalisme qui avait le même but, et n’en est en fait qu’une variété. De plus, le mot anglais « spiritualism » signifie à la fois spiritualisme et spiritisme, c’est-à-dire croyance en la possibilité d’une communication avec les esprits des morts : d’où une confusion possible.
Le dualisme, conçu comme opposition de l’esprit et de la matière, admet toujours, au moins implicitement, la supériorité de l’esprit : le terme fait double emploi avec spiritualisme.
Le monisme a l’inconvénient de recouvrir deux théories parfaitement contradictoires : l’idéalisme à la Berkeley et le matérialisme.
Physiciens et philosophes
C’est pourquoi nous avons choisi de ne retenir que les termes matérialisme et idéalisme. En préférant matérialisme à réalisme, nous avons refusé de sacrifier à une mode prévalant actuellement chez ceux des physiciens qui se mêlent de philosophie. En effet, lorsqu’ils sont matérialistes, ces physiciens préfèrent se dire réalistes. Cela vient peut-être de ce que la matière elle-même semble de moins en moins matérialiste. La matière des physiciens quantiques, qu’ils soient matérialistes ou idéalistes, ne correspond guère en effet au sens commun, ainsi qu’on a pu le voir dans tout ce qui précède. Le matérialisme quantique paraît atténué et quelque peu fantasmagorique, comparé au matérialisme pur et dur de la fin du XIXe siècle. Par ailleurs, l’ambiguïté de la notion de réalisme permet à un physicien indiscutablement anti-matérialiste, Bernard d’Espagnat, de se présenter comme le véritable réaliste, par le biais d’un « réalisme lointain » qui s’opposerait au « réalisme proche » des matérialistes. On peut bien sûr envisager un découpage idéalisme/réalisme, en désignant par idéalistes ceux qui croient à l’existence de l’esprit et de lui seul (définition différente de celle que nous avons adoptée), et par réalistes ceux qui croient à l’existence de la matière, quelle que soit leur opinion relativement à l’esprit. Mais ce découpage n’a aucun intérêt, car en ce sens Wigner lui-même, qui propose une solution dualiste, est un réaliste.
Outre qu’elle évite certaines subtilités ambiguës ou superflues, la terminologie classificatrice que nous avons adoptée permet de regrouper philosophes et physiciens en quatre grandes familles, dont nous allons citer quelques représentants en indiquant en italiques le nom des physiciens :
Les matérialistes : Cini, Démocrite, Diderot, Feuerbach, Hobbes, Paty, Rohrlich, Selleri, Vigier (notons à ce sujet que certains physiciens parviennent à concilier leur matérialisme avec une croyance religieuse, ce qui est un bel exemple de syncrétisme) ;
les idéalistes : Bauer, Bergson, Berkeley, Hegel, Heitler, Kant, London, Platon, Wigner ;
ceux qui disent qu’il s’agit d’un faux problème : Bohr, Carnap, Heisenberg, Hume (en fait Heisenberg est presque idéaliste) ;
ceux enfin qui tentent une synthèse : Bohm, Capra, d’Espagnat, Lao-tseu, Spinoza.
Est-ce à dire qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil ? Non, des percées décisives ont été réalisées, et par exemple le matérialisme « quantique » n’a pas grand-chose de commun avec celui des siècles qui ont précédé le nôtre. Les notions de déterminisme et d’espace ont pris un sérieux coup de vieux. A ce propos, on retrouve dans le Court traité de métaphysique de Denis Huisman et André Vergez, qui date de 1961, ces phrases un peu trop assurées : « Il n’est pas question de renoncer à l’exigence constituante du déterminisme. Si dans l’état actuel de nos techniques la position de l’électron est dans certains cas indéterminable, elle n’est pas nécessairement indéterminée, en elle-même, ni indéterminable par les méthodes que la science peut découvrir à l’avenir. » Les philosophes devront apprendre à réfléchir en tenant compte des acquis de la science, et cesser de poser des a priori douteux. Quant à l’objectivité de la notion d’espace (ou peut-être de l’écoulement du temps), elle a été fortement remise en question par les expériences sur le paradoxe d’Einstein-Podolsky-Rosen. Si le débat philosophique traditionnel se poursuit à travers la physique quantique, il est complètement renouvelé, et la variante couramment dite « rationnelle » du matérialisme, c’est-à-dire la variante locale et déterministe, a été radicalement éliminée.