Je ne vois toujours pas où Bourdieu affirme que la philosophie est terminée...
Mais en relisant l'ouverture du sujet, j'ai cette fois eu le sentiment que vous confondez l'influence d'une lecture d'un philosophe par un autre, aussi grande est-elle, avec le remodelage moderne d'une philosophie ancienne. Prenons un cas : Nietzsche. A ma connaissance, il est marqué par les philosophies et pensées de Wagner et Schopenhauer, ce qu'il dit et explique lui-même. Il fait à côté de cela l'éloge de Montaigne. Montaigne est à son tour influencé par les auteurs antiques, notamment, Schopenhauer par sa lecture de Kant. Etc.
Nous pouvons retrouver des espèces de filiation par la lecture. Il ne faut cependant pas extrapoler en affirmant que ce que fait le second est une pâle copie de ce que fait le premier. Schopenhauer admet une partie de Kant, mais il critique vivement une autre et développe sa propre pensée. Nietzsche critique globalement tout ce qui passe pour recadrer, effectivement, les choses.
Pour l'illustrer par métaphore, cela reviendrait à dire que les écrivains actuels sont les soupes des écrivains d'autrefois, ce qui est tout à fait faux dans la mesure où ils ont tous des particularités et originalités.
Il y a effectivement des débats, parfois millénaires, qui ne semblent pas avancer. D'où ce possible sentiment, oui, que tout tourne en rond. Mais la philosophie n'est pas que métaphysique, et vous le savez. Quand Kant parle d'une association des hommes dans une société internationale ayant instauré un droit international, c'est à la fois concret et nouveau, bien que vous puissiez trouver des hommes qui pensaient déjà des réunions entre pays (l'idée d'Europe) ou le monde comme un tout indivisible (comme Diogène qui s'affirmait citoyen du monde déjà dans l'Antiquité).
Prenez Freud et son inconscient. Si vous trouvez des bribes d'inconscient chez d'autres auparavant (Leibniz et ses petites perceptions, par exemple), et même s'il n'a pas créé cette notion seul, le sens qu'il lui donne avec d'autres à ce moment-là est très nettement inédit, au point d'en créer une science.
Encore un : Alain (qui n'est ici pas, et de loin, le seul). Vous trouverez sans mal l'influence des philosophies passées, mais dès lors qu'il parle de ce qui le touche directement, à savoir le contexte qu'est le XXème siècle, il se détache de tout cela car s'il peut utiliser de mêmes concepts et idées, il ne parle pas des mêmes choses. Je vais essayer d'être plus clair : prenez le concept d'esprit. Ce mot, très commun aujourd'hui, a largement changé de sens. L'esprit chez les grecs n'est pas l'Esprit de la chrétienté et est encore moins l'esprit très matérialiste de nos jours, plus ou moins défait de toute sa métaphysique. Les mots persistent, les concepts évoluent. D'où une impression d'un même discours quand ils sont profondément différents.