Loup et les moutons markII
Loup gambadait dans de verts pâturages. Vastes plaines à l'herbe verte étincelante dansant au gré du vent. Des arbres poussaient de-ci delà, le feuillage dense, lourd, le tronc large à l'écorce craquelée par le poids des siècles. Plusieurs forêts se profilaient à l'horizon, laissant apercevoir des masses sombres, frémissantes sous les bourrasques. L'orage de la plaine brune l'avait apparemment suivit jusqu'ici, il était encore loin, le soleil restait haut dans le ciel plombant le sol de sa chaleur et de sa lumière. Mais à chaque fois qu'il se retournait, la vision le rendait craintif, la lumière du soleil tapait contre les énormes cumulonimbus démultipliant le contraste, donnant une impression de toute puissance, les tumulus formant des formes improbables, comme des bêtes sorties de l'imagination la plus folle.
Les pâturages étaient entrecoupés de clôtures de barbelés. Le fer dominant la terre, agressif par ses piques lacérant la chair, entrelacées autour de rondins de bois morts, laids par tout ce qui les composait, par ce qu'elles formaient dans le paysage, par leur utilité. Elles coupaient la plaine en parcelles de tailles différentes. Elles gâchaient le paysage par la froideur de leurs lignes et de leur métal. Comme des frontières impénétrables. Un fleuve coulait à la droite de Loup, délimitant pour l'occasion à la place du barbelé, allant droit au nord; c'était celui qui lui avait sauvé la vie. Quelques rivières sortaient de leur affluent pour se perdre plus loin a l'est et a l'ouest elles faisaient fi parfois des clôtures comme se moquant des délimitations imposées par quelque personne folle.
Loup s'engagea tout de même. Il errerait en espérant trouver des points faibles à ces démarcations contre nature. A des endroits l'espace entre le barbelé et le sol était suffisant pour passer en planquant son ventre. Dans d'autres cas il fallait creuser. C'était laborieux et énervant. Le soleil était toujours aussi haut dans le ciel. La chaleur était étouffante, loup commençait à fatiguer, il avait soif. Il décida de se mettre à l'ombre d'un arbre à quelques dizaines de mètres de lui.
Allongé au frais, rafraichi par la brise. Loup se demandait qui avait bien pu délimiter un si bel endroit par de si horribles fils de fer. Et pourquoi ? Une rivière coulait non loin. Il s'en approcha pour se désaltérer; c'est-à-dire que se frayer un chemin dans un endroit ressemblant comme à une terrible toile d'araignée, et ce sous un soleil de plomb, devenait petit à petit supplice. L'eau rafraichissante coulait dans sa gorge et l'emplissait de bien-être comme le fleuve coulant au milieu d'une forêt et nourrissant les arbres. Les forces lui revenaient. Il regarda devant lui, tentant de trouver le chemin le moins contraignant. Il n'en trouva pas. Le barbelé était partout. Partout. Brusquement, il entendit un bruit.
Un mouton se trouvait à quelques mètres de lui, sur sa droite. La bête au lainage blanc immaculé par la lumière du soleil, le regardait curieux. Son regard, démontrait une très faible intelligence. Voir même un retard¿.. Ce qui expliquait pourquoi là où l'instinct de survie aurait poussé ce mouton à fuir face à un loup ; pourquoi dans notre situation, le mouton resta planté devant lui. Comme un gros buisson blanc touffu, l'air stupide. Loup n'avait pas particulièrement envie de le dévorer. Il n'avait pas faim, et ne se sentait pas particulièrement en danger. Il l'ignora donc, et pris une dernière gorgée. Il releva la tête, de l'eau coulait de ses babines maintenant fraiches, des gouttelettes perlaient sur ses moustaches, il était frais et prêt à repartir. Il longea donc la rivière en partant sur sa gauche pour éviter le mouton, pour ne pas effrayer ce « brave ». Mais il n'avait pas remarqué que d'autres moutons s'étaient joints à leur congénère.
Il n'y avait pas un mouton, dix moutons, mais bien une centaine regroupés autour de lui. Ce troupeau uniforme dans l'apparence, l'était aussi dans l'attitude. Le même regard d'imbécilité la plus simple transpirait chez chacun d'eux. C'était époustouflant. L'ensemble de l'intelligence ici réunie n'aurait pas suffit à atteindre celle de Loup. Ce dernier commençait à s'inquiéter. Le nombre fait la force et s'ils l'avaient voulu, Loup serait en fâcheuse posture. Même s'il savait le mouton lâche, bête, rechignant à la bagarre, Loup savait aussi que la nature faisait qu'en compagnie de congénères, l'on pouvait s'enhardir. A force de mésaventures, Loup avait compris que le plus insignifiant et innocent animal pouvait être en réalité le plus terrible des prédateurs. Il commença à grogner en laissant apparaitre ses crocs. Une posture d'intimidation classique. Loup bluffait, si cela ne marchait pas il serait mort. Les moutons le regardaient, sans aucune expression palpable à ses yeux. Ils se regardèrent en bêlant. Toujours ce même air de stupidité. Loup, agacé par l'immobilisme de cette armée laineuse statique, s'apprêta à bondir. Mais un sifflement se fit entendre.
Les moutons se retournèrent tous. En bêlants de plus en plus et de façon tout à fait sotte. Loup ne put voir ce qui attirait leurs regards. Puis après un autre sifflement. Les moutons se dirigèrent tous vers l'est. Le troupeau d'une seule voix marchait vers quelques buts qui restaient pour Loup, inconnus. Il les suivit. L'armée blanche s'arrêta juste en face de barbelés. Ils restaient plantés devant la prairie voisine dans l'attente d'un événement quelconque. Le soleil commençait à décliner, l'orage lui, continuait sa route. Sa noirceur était atténuée par des reflets rose tirant sur le rouge à certains endroits. Une légère brise faisait frémir le lainage, donnant une impression de vagues sur un océan blanc. Les moutons poussaient des cris parfois, comme pour prouver qu'ils étaient bel et bien en vie. Le tonnerre se faisait légèrement entendre, des éclairs les précédant plusieurs minutes avant. L'atmosphère devenait lourde pour Loup.
Le bruit d'un troupeau en marche provînt de plus à l'est encore. Des moutons apparurent en grand nombre. Ils se dirigèrent vers le troupeau de Loup. En beuglant de façon tout aussi stupide. La même masse blanche avançant vers les barbelés. Face à face, les deux troupeaux s'observaient. Comme un miroir en face de chacun, ils contemplaient de l'autre coté de la clôture le troupeau. Deux boules blanches se mettant à crier l'un sur l'autre. Un boucan s'éleva de milles voix. La dispute faisait rage entre les deux groupes. Pour quelle raison. Pour quel but. Loup l'ignorait, il ne comprenait même pas ce qu'ils se disaient. C'est en plein milieu de cette discorde que deux sifflements se firent entendre, l'un après l'autre. A ce moment précis, les moutons se turent, se regardant les yeux ronds, grand ouverts, comme dans un moment d'hésitation. Puis les moutons de l'Est commencèrent à sauter par-dessus la clôture lacérée, tandis que d'autres passèrent par dessous en grattant le sol. Sitôt la première vague ayant franchi la frontière, un combat commença.
Les moutons se jetèrent les uns contre les autres, ceux de gauche repoussés par ceux de droite. La cohue atteignit des barbelés. Terrible barbelés, monstrueux barbelés, lacérant la peau de moutons poussés par d'autres. La masse blanche recouvrit la ligne de fer. Elle l'écrasa. Les pattes des moutons marchant sur les barbelés, ensanglantés. Des monticules de laine accrochés aux piques. Du sang, encore du sang. Et les cris des moutons s'entretuant dans une rage folle. Se jetant sur les autres. Se griffant. Se mordant. Se piétinants. S'étouffant en nombre. Mourant ensemble. Liés au sol, au sang, au fer, le tout macéré dans un lainage maintenant boueux. La grosse boule de laine blanche était maintenant marron. Le sol sous leurs pattes autrefois vert de fertilité, était brun, labouré par le combat. Avant régulier et presque parfait, il était rempli de trous à présent. Les barbelés se dressant autrefois comme des remparts infranchissables, comme des frontières interdisant tout accès était maintenant abattu. Puis un sifflement.
Loup éberlué par un tel déluge de violence irrationnelle, sans raison évidente, suivit du regard le troupeau qui semblait victorieux. Laissant derrière eux un ilot de corps ensanglantés, de cadavres amoncelés les uns sur les autres, témoignant de par leurs blessure béantes pissant le sang, leurs visages méconnaissables, leurs membres écrasés ou même arrachés, le tout dans une marre de sang vermillon sur laquelle flottait des nuages de laines rougies par le nectar fraichement recueilli des morts, de la violence de leurs combats. Il n'avait pas vu qui avait sifflé précédemment, celui qui semblait décider de leur vie et de leur mort, par ce que nous venons d'être les témoins. Il s'agissait d'un homme. Avec un long bâton, de la laine sur le dos, sifflet autour du cou. Ce n'était pas la première fois que Loup en voyait un. Il en avait bien assez vus pour comprendre que ces êtres étaient mauvais. Très mauvais. Ils étaient parmi les bêtes les plus dangereuses de la terre. Lion lui avait parlé une fois de comment les hommes avaient massacrés son clan, tuant ses femmes et plusieurs de ses enfants, capturant d'autres pour les emmener il ne savait où. Pour sûr, il fallait s'en méfier comme de la maladie la plus infectieuse. Les moutons ne comprenaient pas ça. Ils le suivaient docilement, sans émettre la moindre protestation ou la moindre explication sur le pourquoi de cette tuerie. Plusieurs semblaient même ¿ et c'était bien la première fois que Loup décelait une expression dans le regard d'un de ces animaux laineux ¿ heureux de l'action commise. Fiers d'avoir combattu les autres, les autres qui étaient forcement mauvais puisque le berger ¿ c'est ainsi qu'ils nommaient l'homme devant eux- leur avait dit qu'ils étaient mauvais. Eux étaient bien sur bons. Pas un seul ne pensait différemment. Pas un seul ne pointa la bribe d'un avis contraire. Et cela devait être la même chose chez les vaincus. Ils étaient des troupeaux. Ils étaient un troupeau. Des moutons parmi les moutons.
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