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2036. Chapitre Cinq : Rendez-vous à l'hôtel Crillon (7).


Gouderien

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  • Comment ça, ma cible ? demanda Gérald.

  • Eh bien, en d’autres mots, l’homme qu’il vous faudra tuer. Mais rassurez-vous, ce ne sera pas à vous de faire ça.

  • Qu’a-t-il fait pour mériter la mort ?

  • Nous allons y venir. Terminez, Mathieu.

  • A vos ordres.

Le film reprit son cours ; de toute façon, il était bientôt terminé. Il s’acheva par une proclamation à la gloire de la science russe, sur fond d’hymne national. Une nouvelle fois, les lumières se rallumèrent.

  • Et de deux ! s’exclama Geffrier. Nous avons fait le plus dur. Vous verrez, le troisième film est bien plus court. D’ailleurs vous le connaissez peut-être déjà.

  • Encore une histoire d’accélérateur de particules ? demanda Gérald.

  • Si l’on veut, oui.

  • C’est un film anglais qui s’appelle « Quatre scénarios pour la fin du monde », précisa Serreules. Vous l’avez peut-être déjà vu, ça date de 2008, et on le trouve facilement sur « Youtube ».

  • Oui, dit Gérald, ça me dit quelque chose.

  • En fait, poursuivit Serreules, c’est juste le quatrième épisode qui nous intéresse. Ça raconte une expérience scientifique qui tourne mal. Très mal, même.

  • Je vois ce que vous voulez dire.

  • Mathieu, c’est à vous.

Et pour la troisième fois, les lumières s’éteignirent.

 

Pour ceux qui, par hasard, ne connaîtraient pas ce film (que l’on peut effectivement visionner sur « Youtube »), en voici un bref résumé : un scientifique, britannique on peut le supposer, qui vient par ailleurs de regarder les trois premiers « scénarios » sur son écran, rejoint son laboratoire, devant lequel des gens manifestent pour protester contre le danger représenté par une prochaine expérience. Ledit laboratoire est en fait un accélérateur de particules. Un reportage à la télévision explique les craintes de certains physiciens à propos de l’expérience, qui pourrait faire surgir des particules de « matière étrange », (« Killer strangelets » en VO), un agglomérat qui présente la particularité terrifiante d’attirer tous les atomes environnants et de les convertir en matière étrange, et qui donc pourrait entraîner la destruction de la Terre.  L’expérience se déroule… et comme on le redoutait fait surgir une sorte de boule de matière inconnue, qui dévore tout autour d’elle et grossit au fur et à mesure, provoquant l’apocalypse redoutée. C’est un film court mais très bien fait et angoissant. 

On ralluma les lumières, et il y eut un instant de silence.

  • Je suppose que vous ne m’avez pas montré ce film sans raison ? interrogea le journaliste.

  • Bien entendu, déclara le commandant Trifaigne. Ce que vous venez de voir s’est effectivement produit à l’accélérateur « Lomonossov », dans la nuit du 17 au 18 juillet de cette année.

Gérald réalisa soudain :

  • C’était la nuit de la panne, et de la collision de Roissy ?

  • Je vois que vous commencez à comprendre, remarqua Serreules.

  • Mais, une question idiote : si ça… cette catastrophe, s’est produite, comment se fait-il que nous soyons encore ici pour en parler ?

  • Parce que, intervint Emma Courson, pour quelque raison inconnue, le phénomène s’est interrompu au bout de quatre secondes – ce qui a suffi pour provoquer la mort de huit savants ou techniciens russes, ainsi que des dégâts considérables aux installations.

  • Mathieu, reprit Serreules, vous allez rediffuser ce film, mais en vous arrêtant exactement à 4 minutes 47.

  • A vos ordres, dit l’opérateur.

Une fois de plus on fit l’obscurité, puis le film fut projeté à nouveau, mais Mathieu l’arrêta pile au moment demandé, c’est-à-dire quand le visage d’un technicien paniqué apparaissait sur un écran, criant : « Coupez le jus, vite, l’expérience a échoué ».

  • Merci Mathieu, dit Trifaigne. Ce sera tout pour ce soir. Vous pouvez éteindre votre ordinateur et sortir.

  • Merci commandant.

Les lumières se rallumèrent. Le grand écran mural s’éteignit, puis le nommé Mathieu sortit de la salle.

  • Voilà, dit Serreules, les choses en sont restées là.

  • Apparemment, remarqua Gérald, quelqu’un a « coupé le jus », pour reprendre l’expression employée dans le film.

  • Oui, approuva Emma Courson, on peut le supposer, même s’il y a d’autres explications possibles. Il n’est pas inimaginable que le phénomène se soit arrêté de lui-même. Malgré sa brève durée, les dommages ont tout de même été très importants, enfin pour ce qu’on en sait : parce que bien évidemment, les autorités russes ne s’en sont pas vantées. D’après nos informateurs, les trois accélérateurs du site « Lomonossov » ont subi des dégâts considérables, qui nécessiteront de trois à six mois de réparation.

  • Et ce n’est pas tout, ajouta Trifaigne. Dans une certaine mesure, l’« incident » a eu des effets comparables à ceux d’une éruption solaire de grande ampleur, sur une large partie du réseau électrique européen. Dans la région de Smolensk et en Biélorussie, des transformateurs ont été détruits, des lignes électriques ont grillé. Et il y a eu une panne générale de tout ce qui fonctionne à l’électricité, qui a duré d’un quart d’heure à 30 secondes, suivant l’éloignement du site. Je vous laisse imaginer tous les accidents que cela a pu entraîner, dans les trains, les voitures, et aussi les avions, bien entendu.

  • D’où la collision des deux appareils, conclut Gérald.

  • Voilà.

Il y eut un instant de silence.

  • Et cette « matière étrange » dont il était question dans le film, elle existe ? demanda le journaliste. Je présume que depuis que ce film a été réalisé, on en sait un peu plus à ce sujet ?

  • Elle existe… peut-être, répondit la physicienne sans se mouiller. Comprenez-bien, nous sommes là dans un domaine qui, jusque récemment, n’avait pas dépassé le stade de la théorie. Un strangelet est un état hypothétique de la matière nucléaire.

  • Hypothétique ? Donc nous ne sommes même pas certains que ça existe ?

  • La matière étrange pourrait – je dis bien pourrait - constituer une des composantes des étoiles à neutrons, à l'intérieur desquelles la pression due à l'attraction gravitationnelle est très importante. La physique actuelle ne permet pas de trancher avec certitude sur cette question.

  • A moins que les Russes n’aient réussi une percée fulgurante dans ce domaine ?

L’inconnu assis au fond de la salle, et dont Gérald avait quasiment oublié la présence, toussota discrètement.

  • That’s the question ! lança Serreules. En fait nous n’en savons rien. Nous ne sommes même pas sûrs de l’origine du problème rencontré par les scientifiques russes. Il n’y a que deux choses dont nous soyons certains, et croyez-moi la seconde est diablement inquiétante.

  • Je crois que je peux deviner quelle est la première, dit Gérald : ça s’est produit.

  • Tout juste. Et l’autre point, c’est que malgré les pertes en vies humaines et les destructions, l’expérience a été considérée comme un succès !

  • Comment ça, un succès ? demanda Gérald.

  • Oui, dans la mesure où elle a confirmé les théories des physiciens russes. Et comprenez bien que cette « matière étrange », ou quelque nom qu’on lui donne, malgré sa dangerosité, pourrait représenter, si l’on parvenait à la domestiquer, une source d’énergie infinie, ou bien l’explosif de nouvelles armes auprès desquelles la bombe nucléaire serait aussi désuète que l’arbalète.

  • Ça paraît fou. Comment pourrait-on « domestiquer », comme vous dites, une matière qui attire à elle et transforme tous les atomes environnants ?

  • Sur le plan théorique, ce n’est pas impossible, intervint le professeur Courson. Par exemple, en la confinant à l’aide d’un champ magnétique dans un conteneur où on aurait auparavant fait le vide intégral. C’est ainsi qu’on procède avec l’antimatière.

  • Car il existe de l’antimatière ? s’étonna Gérald.

  • Bien entendu. Pour l’instant on ne la produit qu’en quantités infimes et à grands frais, mais on a bon espoir d’améliorer le rendement dans les années à venir.

  • Mon cher Jacquet, vous devriez lire plus souvent les pages scientifiques de votre propre journal, commenta Geffrier en rigolant.

  • S’il vous plaît, revenons à nos moutons, déclara le commandant Trifaigne en fronçant les sourcils. Vous comprenez maintenant que nos bons amis russes, et en particulier ce cher professeur Diavol dont vous avez vu la photo tout à l’heure, n’ont qu’une hâte, c’est de réparer leurs petites machines et de recommencer.

  • Et la prochaine fois, vous craignez qu’on n’arrive pas à « couper le jus » à temps, supposa le journaliste.

  • Voilà. C’est ici que vous intervenez.

  • Sauf que je me demande bien en quoi je pourrais vous être utile.

  • Ces messieurs vont vous expliquer tout ça, répliqua Serreules, et en particulier notre invité, qui commence à s’impatienter dans son coin. Moi je vais vous laisser, les modalités pratiques de la mission ne me concernent pas.

Mouais, songea le journaliste, sceptique. En fait, cette sortie de Serreules signifiait plutôt qu’il voulait pouvoir dire qu’il n’était pas au courant – et donc le Premier ministre non plus -, si jamais les choses tournaient mal.

L’homme prit la veste qui reposait sur le dossier de sa chaise, l’enfila, puis il ramassa sa serviette et, avec un grand sourire, serra la main de Gérald.

  • Bonne chance mon garçon, dit-il en partant.

  • Oui, j’en aurai besoin.

Le conseiller, qui s’apprêtait à ouvrir la porte, se retourna :

  • Nous en aurons tous besoin !

Puis il sortit. Emma Courson l’imita, après avoir dit aurevoir à Gérald. Le troufion qui montait la garde près de la porte sortit lui aussi. Ne restaient plus que Geffrier, de la DGSE, et Trifaigne, de la DCR. Et aussi l’énigmatique personnage dissimulé dans l’ombre au fond de la salle.

  • Bien, dit Trifaigne. Maintenant que les civils sont partis, nous allons pouvoir parler sérieusement. On vous a expliqué le « Pourquoi ? », maintenant nous allons évoquer le « Quoi ? », le « Quand ? » et le « Comment ? »

  • Avez-vous soif ? demanda Geffrier.

  • Pourquoi pas ? dit Gérald. Je dois dire qu’après tout ce que je viens d’apprendre, je prendrais bien quelque chose de fort.

  • C’est prévu.

L’officier s’approcha d’un petit frigo mural que Gérald n’avait pas remarqué jusque-là, et en sortit une bouteille de whisky et une de porto, ainsi que des glaçons. Puis il prit dans un placard quatre verres, des cacahuètes salées et des olives. Gérald était en train de se faire la réflexion qu’ils n’étaient que trois, quand la voix du personnage dissimulé dans l’ombre retentit pour la première fois :

  • Si c’est l’heure du whisky, alors que je crois qu’il est temps que je vous rejoigne.

L’homme, qui parlait avec un fort accent anglais, se leva, fit quelques pas dans leur direction et apparut enfin en pleine lumière. Il n’était pas très grand, presque chauve avec des favoris blancs, et portait malgré la chaleur un costume trois pièces en tweed d’une étrange couleur tirant sur le rose, avec une cravate vert pâle nouée autour du cou. Il s’approcha du journaliste, et lui tendit la main :

  • How do you do, my friend ? Ces Messieurs-dame ne vous ont pas trop assommé ?

  • Non, balbutia Gérald, impressionné par le nouveau venu. Enchanté de vous rencontrer.

  • Voici sir Irving Butler, déclara sentencieusement le commandant Trifaigne.

  • Et j’exerce le coupable métier de directeur du MI6, les Services secrets de Sa Majesté, termina l'intéressé. Et si nous goûtions ce fameux whisky ?

Le commandant Trifaigne déboucha la bouteille, et commença à remplir les verres.

  • Merci, mais je préfère le porto, dit Gérald en se servant un verre de Ramos Pinto Vintage.

  • Qu’est-ce que c’est ? demanda avec curiosité sir Irving Butler en examinant la bouteille que tenait le commandant. Hibiki ? What kind of shit is this ?

  • Du whisky japonais, répondit Trifaigne. Vous verrez, il est excellent.

  • My goodness ! s’exclama le directeur du MI6. L’Angleterre a déclaré des guerres pour moins que ça !

  • N’exagérez pas, dit Geffrier. Et si nous trinquions, plutôt ?

  • A quoi allons-nous trinquer ? demanda Trifaigne.

  • Au succès de la mission, je présume, répondit Gérald. Mais il manque encore mon coéquipier. Étant donné la présence de sir Irving, je suppose qu’il sera anglais?

  • Vous supposez bien, admit Geffrier. Sauf que ce sera une coéquipière.

A cet instant, en entendant les paroles du colonel, le journaliste sut avec certitude de qui il parlait – même si cela lui semblait totalement délirant. Et alors, il s’entendit prononcer cette phrase :

  • Dans ce cas, qu’est-ce que vous attendez pour la faire entrer ?

  • Ça me paraît une bonne idée, dit Geffrier en se dirigeant vers la porte, tandis que Trifaigne sortait un nouveau verre du placard. Le colonel ouvrit la lourde porte, et dit :

  • Please come in, Sophia.

Et la belle entra. Sans doute pour passer inaperçue, elle était vêtue d’une robe jaune informe, coiffée d’un bob vert, et chaussée de tongs ; elle portait de grosses lunettes de soleil.

  • Hello everybody, lança-t-elle à la cantonade.

  • Nice to see you again, dit sir Irving Butler. Vous arrivez juste à temps pour trinquer avec nous. Je vous conseille le porto, à moins que vous n’aimiez les boissons exotiques.

Elle serra la main des trois Français. En tendant la main à Gérald, elle dit :

  • Vraiment, le monde est petit !

  • Comme vous dites ! répliqua le journaliste. Ainsi, en plus d’être pianiste, chanteuse lyrique et adepte des arts martiaux, vous êtes aussi agent secret ?

  • Et bien d’autres choses encore ! répondit sir Irving à la place de la jeune femme. Mais vous le découvrirez petit à petit. Notre amie Sophia est une surdouée.

  • Nous avons un terme en français pour définir ce genre de personne, déclara Geffrier : polymathe.

  • Oui, le mot est le même en anglais. Le plus connu des polymathes est Leonardo da Vinci, naturellement.

  • Vous peignez, aussi ? demanda Gérald.

Elle fit la moue :

  • Jusqu’à présent, je n’ai guère eu le loisir d’essayer. Mais je dessine pas trop mal.

  • Eh bien, je serai content de faire équipe avec une surdouée. Vous vous y connaissez en physique ?

  • Je possède un ou deux diplômes dans ce domaine.

  • Ne faites pas la modeste, dit sir Irving. Sophia est docteur en physique nucléaire. Mais ses connaissances scientifiques ne seront sans doute qu’un atout accessoire, au cours de cette mission. Nous comptons plus sur son charme, et sur ses talents de musicienne.

  • Il faut expliquer, intervint Trifaigne, que le professeur Diavol, que l’on surnomme déjà l’« Einstein russe », bien qu’il n’ait que 37 ans, est lui aussi un surdoué. Nous pensons que les récentes percées de la science russe peuvent lui être en grande partie imputées. Mais cet homme, en plus de la physique, a deux passions, dont nous espérons bien pouvoir tirer profit : les femmes, et la musique. 

  • Et moi, demanda Gérald, qu'Est-ce que je viens faire là-dedans?

  • Nous allons y venir, répondit Geffrier. Mais d'abord, si nous trinquions?

 

 

 

 

 

 

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