Aller au contenu
  • billets
    55
  • commentaires
    25
  • vues
    9 002

2036. Chapitre Quatre : Disparue (6).


Gouderien

741 vues

Histoire de changer de sujet de conversation, Gérald demanda :

  • Vous avez exploré le reste de la cachette ?

  • Oui, répondit-elle. Deux chambres pouilleuses, une salle de prière, un semblant de bath room, un débarras, la pièce où se trouve le générateur et une réserve de carburant.

Il siffla :

  • C’est drôlement grand ! C’est incroyable qu’on ait aménagé un abri pareil à une telle profondeur.

  • J’ai l’impression que ça date de la guerre. Ça devait servir de cachette aux résistants.

  • Sans doute.

  • J’ai aussi trouvé deux fusils-mitrailleurs, des pistolets, des grenades, des couteaux, bref, tout un arsenal.

Constatant qu’on ne s’occupait pas d’elle, Agnès s’était entre-temps levée, et était sortie de sa cellule. Quand elle découvrit le spectacle morbide qui l’attendait dans la pièce principale, elle éclata derechef en sanglots.

  • Oh non, s’écria-t-elle en se mordant le poing, pourquoi vous avez fait ça ?

  • Pour te délivrer, dit son père en la rejoignant.

  • Mais ils ne m’ont fait aucun mal. Ils me disaient tout le temps que tout allait s’arranger, que c’était une simple blague entre eux et toi.

  • Ils m’ont quand même appelé pour me réclamer une rançon d’un million, répliqua Gérald.

     

C’était une piètre justification pour ce massacre, il en était bien conscient, mais il était très surpris par la réaction de sa fille ; il ne s’y attendait vraiment pas. A sa décharge, il ne s’attendait pas non plus à ce que Sophia exécute le trio des ravisseurs en une seconde et demie. C’étaient des choses dont il avait entendu parler, mais dont il n’avait jamais été le témoin, même quand il faisait partie des forces spéciales ; ou alors, uniquement au cinéma. Il repensa à ce qu’elle lui avait raconté, à propos de ses connaissances en arts martiaux coréens. L’« Ange de la mort ». Eh bien, elle n’exagérait pas. C’est sans doute à cet instant qu’il commença à soupçonner que tout cela n’était qu’une machination, car c’était trop énorme. Mais dans quel but ? Il n’eut la réponse que plusieurs mois plus tard, comme nous l’avons déjà vu, et c’est la jeune femme elle-même qui la lui fournit.

  • C’était pour que nous fassions connaissance, dit-elle.

  • Que nous fassions connaissance ? répéta-t-il, abasourdi. Mais pourquoi avoir tué les ravisseurs ? Je suppose que ces malheureux n’avaient pas été prévenus du sort fâcheux qui les attendait !

  • Non, bien sûr. En fait, mes ordres à ce sujet étaient vagues. En les liquidant d’une façon aussi spectaculaire, je poursuivais deux buts. D’abord, il fallait que vous me preniez au sérieux, et pas pour une fofolle pleine de fric qui veut se donner des émotions.

  • Et la seconde raison ?

Elle le considéra d’un air étonné :

  • Vous n’avez pas deviné ? Ça me paraît pourtant évident, et d’une logique totale : il ne fallait pas laisser de témoins vivants, qui risquaient de bavarder.

Elle parlait souvent de la logique, un peu à la manière de Mr Spock, ce héros d’une vieille série américaine, « Star trek » ; mais il songea que le Vulcain aurait certainement trouvé une façon moins définitive de neutraliser ces trois clandestins doublés de petits truands. Il est vrai que Spock, lui, était à moitié humain…

 

  • Je ne savais pas, balbutia Agnès entre deux crise de larmes. Je devais dormir, à ce moment.

Il sortit un paquet de mouchoirs en papier de sa poche, et lui en donna un pour qu’elle sèche ses larmes. Puis il appela Sophie, qui devait toujours être en train de fouiller le repaire des ravisseurs :

  • Vous pouvez m’apporter des draps ou des couvertures pour recouvrir les corps, s’il vous plaît ? Ce n’est pas un spectacle pour ma fille.

  • J’arrive.

  • On est sûr qu’ils sont morts, au moins ? demanda Agnès.

  • Je crois malheureusement qu’il n’y a pas de doute.

Elle soupira, et il crut qu’elle allait à nouveau se mettre à pleurer. La pianiste survint peu après, les bras chargés de deux couvertures marron, qu’elle disposa sur les cadavres.

  • Pourquoi vous avez fait ça ? demanda la jeune fille.

  • Fait quoi ? répliqua Sophia.

  • Tuer ces trois hommes. Il n’y avait pas une façon moins barbare de procéder ?

La pianiste, les mains sur les hanches, la regarda d’un air ironique :

  • C’est facile de dire ça quand tout est fini. Nous ignorions à qui nous avions affaire, ma petite. Et je te signale quand même que tes gars si gentils étaient armés jusqu’aux dents.

  • Mais ils ne m’ont jamais fait de mal !

  • Encore heureux ! Si ça peut te consoler, essaye d’examiner les choses sous un angle positif : d’abord, nous t’avons libérée, ce qui est le principal. Et puis, en les débarrassant de leur défroque de chair, j’ai fait accéder ces trois hommes à un nouvel état de conscience.

De la façon dont elle parlait, Gérald se demanda si elle était sérieuse, ou si elle se moquait tout simplement de la jeune fille. En tous cas, celle-ci ne se posa pas la question :

  • C’est pas vrai ! s’exclama-t-elle. J’hallucine ! Une tueuse new age ! J’ai jamais entendu un pareil tas de conneries !

  • Votre fille a du caractère, Monsieur Jacquet, déclara la pianiste.

  • Ouais. Parfois trop. Bon, assez bavardé. Il faut prévenir les gendarmes. Je vais appeler mon père.

  • J’ai hâte de sortir de là, dit Agnès.

  • Je m’en doute ! Tu as faim ?

  • Non, ça va. Ils me faisaient du couscous, j’ai trop mangé, même. Faudra que je me mette au régime.

  • C’est cela, oui…

Il sortit son portable de la poche de son blouson, et s’aperçut qu’il n’y avait pas de réseau, ce qui ne l’étonna guère.

  • Essaye avec leur téléphone, suggéra sa fille.

  • Leur téléphone ? Il est où ?

  • Je crois qu’ils le rangeaient dans un tiroir.

Ils fouillèrent le mobilier, et il mit rapidement la main dessus. En découvrant l’appareil, modèle ultra-moderne d’une grande marque japonaise, bien plus avancé que le sien, tous ses doutes furent balayés : à sa connaissance, ce genre d’engin n’était même pas encore dans le commerce, il ne voyait donc pas comment trois clandestins auraient pu se le procurer. Il avait bel et bien été victime d’une machination. Mais ce n’était pas le moment de chercher le pourquoi du comment : il fallait d’abord sortir de là. Il composa le numéro du portable de son père ; presque aussitôt, la voix de Philippe Jacquet retentit, tandis que le visage du vieil homme s’affichait sur l’écran intégré :

  • Gérald ?

  • Oui papa.

  • Vous l’avez retrouvée ?

  • Bien sûr. Elle est avec moi.

  • C’est fabuleux. Elle va bien ?

  • Impec, répondit-elle. Et toi papy, ça va ?

  • Je suis avec les gendarmes, nous venons vous chercher. Mais c’est un peu humide pour mes vieux os, par ici.

  • Je vais t’expliquer par où passer, dit Gérald, parce que sinon, dans une semaine, vous serez encore en train de tourner.

  • Je vais te passer les gendarmes. Juste une chose, avant : et les ravisseurs ?

  • Alles Kaputt !

Le père Jacquet fit entendre un sifflement sonore :

  • C’est toi qui…

  • Non, c’est ma charmante coéquipière.

  • Décidément, il n’y a plus de faibles femmes. Fais-moi penser à ne jamais la contrarier.

  • Ça me paraît une bonne idée.

  • J’entends tout ce que vous dites, Messieurs, intervint Sophia, et je peux vous garantir que je n’ai pas pour habitude de taper sur n’importe qui.

  • J’espère bien ! dit Philippe dans l’appareil. Bon, je te passe le capitaine Leclerc.

  • Merci, à tout de suite.

Gérald expliqua au gendarme comment parvenir jusqu’à la cachette des ravisseurs.

  • Nous allons remonter, conclut-il. Je pense que nous nous rencontrerons en chemin.

  • Alors à tout de suite, dit le capitaine Leclerc avant de raccrocher.

  • Prends toutes tes affaires, dit Gérald à Agnès. J’imagine que tu ne seras pas fâchée de quitter cet endroit.

  • Ça c’est sûr, confirma-t-elle.

En fait elle n’avait pas grand-chose à emporter. Les vêtements qu’elle portait le jour de son enlèvement étaient dans une pochette en plastique ; elle y joignit son sac à mains et la console Nintendo, cadeau des ravisseurs pour la faire tenir tranquille. Cependant, avant de partir, le journaliste voulait quand même découvrir les lieux par lui-même… et aussi faire quelques photos.

  • Attendez-moi, dit-il, je n’en ai que pour quelques minutes.

  • Pendant ce temps, moi je vais fouiller ces tristes individus, dit Sophia.

  • Excellente idée.

Il retourna dans le couloir. La première porte à droite ouvrait sur la chambre des ravisseurs. Elle était petite et miteuse, avec des lits superposés. Du linge sale traînait par terre. Il prit quelques clichés, en vue de l’article qu’il ne manquerait pas d’écrire – et qui, il en était sûr, connaîtrait un grand succès. Juste à côté se trouvait une autre chambre, plus confortable, avec un seul lit. La chambre du chef ? Était-ce l’homme qu’il avait eu au téléphone ? Probablement. En plus du lit, la pièce ne comprenait qu’une petite commode et une table de nuit. Il ouvrit tous les tiroirs, mais ne trouva que des objets d’usage courant : cigarettes, peigne, vêtements, affaires de toilette etc. Là encore, il mitrailla consciencieusement. Sur la gauche, à côté de la cellule où avait été enfermée Agnès, se trouvait la salle d’eau, plutôt spartiate, avec un évier, une douche sommaire et des WC électriques. Plus loin encore il entra dans ce qui devait être une salle de prière, avec un tapis comportant une boussole indiquant la direction de La Mecque. Sur une petite table il trouva deux Coran, un en français et l'autre en arabe. Tout au fond du local il découvrit la pièce du générateur, un vieil engin mais qui semblait fonctionner parfaitement ; une lourde odeur d’essence régnait ici, et plusieurs jerrycans, les uns vides, les autres pleins, étaient entreposés dans un coin. Il y avait aussi un débarras, avec une armoire où étaient rangées les armes. Il se demanda si elles avaient servi ; nul doute que les spécialistes se pencheraient sur la question. Enfin, il jeta un coup d’œil à l’installation de ventilation, assez moderne, et qui diffusait dans tout l’abri un air étonnamment frais. Tout cela était très étonnant. Par quels efforts surhumains avait-on amené ces meubles et ce matériel au fond de ce souterrain, enfoui à des centaines de mètres sous la surface de la terre ? Si cela avait été fait par le chemin qu’ils avaient emprunté, Sophia et lui, pour venir jusqu’ici, cela tenait de l’exploit. Ou alors existait-il une autre voie d’accès, plus aisée ? C’était possible aussi.

Il retourna dans la pièce principale. Il était temps qu’ils partent, car sa fille faisait la tronche.

  • Ça y est ? T’as fini ? demanda-t-elle. On peut s’en aller ?

  • On y va ! dit-il.

Tandis qu’ils sortaient du repaire, il demanda à Sophia :

  • Et vous ? Vous avez trouvé quelque chose ?

  • Leurs papiers, répondit-elle. Ainsi que nous le pensions, nous avons eu affaire à trois clandestins : Mohamed, un Algérien, Samir, un Mauritanien, et Patrick, un Camerounais.

  • Et à part ça ? Quelque chose qui nous renseigne sur leurs motivations ?

  • Pas vraiment. J’ai aperçu tout un tas de paperasses qui traînaient dans un tiroir, mais je n’ai pas eu le temps de tout examiner. Mais j’ai vu des lettres. Ces gens avaient l’air d’être en relation avec une organisation terroriste.

  • Oui, ce n’est pas étonnant. Bah, il faut bien laisser un peu de boulot aux gendarmes !

  • Ils auront de quoi faire.

Il ramassa le téléphone, dont l’examen se révélerait certainement très révélateur. Et puis ils regagnèrent le tunnel principal, et se dirigèrent vers la sortie.

  • Vous pensez que vous aurez des ennuis, pour avoir liquidé ces trois malfrats ? demanda Gérald à Sophia.

  • Ça m’étonnerait. Dans une société bien faite, on me donnerait une médaille.

  • Vous êtes gonflée ! s’indigna Agnès.

  • Ma chère amie, répliqua la pianiste, si on ne veut pas avoir d’ennuis, il ne faut pas sortir du droit chemin.

  • Vous êtes un peu facho sur les bords, non ? Remarquez, ça correspond assez au climat actuel. N’oubliez pas que ce sont des gens qu’on a forcés à vivre dans la clandestinité, pour éviter l’expulsion.

  • Je ne te demande pas de sauter au cou de notre amie Sophia, intervint Gérald, mais enfin tu pourrais quand même avoir un peu de reconnaissance envers elle. C’est quand même grâce à elle que tu vas revoir la lumière du jour.

  • Tu l’as dit bouffi !

Pendant un moment, la jeune fille se mura dans un silence boudeur ; mais cela ne dura pas. Sur le chemin, elle ouvrait de grands yeux étonnés ; elle expliqua que quand elle avait été enlevée, on lui avait tout de suite mis un bandeau sur les yeux, et donc qu’elle n’avait rien vu du trajet qu’ils avaient parcouru. Elle se souvenait juste que c’était très long. Comme ils longeaient quelques-uns des grands passages qui s’ouvraient dans la paroi du tunnel, Gérald s’aperçut qu’Agnès n’était pas rassurée du tout.

  • Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il.

  • Rien.

Bien plus tard, elle lui avoua que ses ravisseurs eux-mêmes n’étaient pas ravis de devoir se cacher dans cet abri, et ils ne l’avaient fait que parce qu’on leur avait promis une régularisation de leur situation, doublée d'une récompense financière appréciable (sans même parler de la rançon réclamée, mais au sujet de laquelle ils semblaient ne pas nourrir trop d’illusions) - à propos de ce « on », elle ne pouvait pas donner plus de détails, car ses kidnappeurs étaient très discrets à ce sujet. Ce réseau souterrain avait, paraît-il, la réputation d’être hanté par des créatures meurtrières, ce qui ne l’empêchait pas toutefois d'héberger toute une faune de marginaux, qui s'y planquaient dans des niveaux encore plus profonds que celui où on l’avait retenue. C’était d’ailleurs la justification de leur armement, et non pas l’intention de commettre un attentat.

Peu après, ils tombèrent sur les gendarmes, conduits par le capitaine Leclerc. Son père, Irène et Sandra étaient là aussi, ainsi que tout un groupe appartenant au GIGN. Ce furent de grandes embrassades, et aussi de nouvelles crises de larmes, de joie cette fois.

  • Où sont les ravisseurs ? demanda l’officier qui commandait le détachement du GIGN, le capitaine Rénier.

L’homme était chauve et moustachu ; tout comme ses hommes, il était protégé par tout un harnachement bleu foncé mêlant cuir et métal impénétrable aux balles, et portait un pistolet mitrailleur avec visée laser – ce qui se faisait de mieux en la matière.

  • Toujours dans leur repaire, répondit Sophia. Morts. Vous voyez, on a fait votre job, finalement.

  • Je vois, fit le capitaine en lui jetant un regard noir.

Il ne devait pas apprécier que des amateurs se mêlent de ses missions, et accomplissent le travail à sa place.

0 Commentaire


Commentaires recommandés

Il n’y a aucun commentaire à afficher.

Invité
Ajouter un commentaire…

×   Collé en tant que texte enrichi.   Coller en tant que texte brut à la place

  Seulement 75 émoticônes maximum sont autorisées.

×   Votre lien a été automatiquement intégré.   Afficher plutôt comme un lien

×   Votre contenu précédent a été rétabli.   Vider l’éditeur

×   Vous ne pouvez pas directement coller des images. Envoyez-les depuis votre ordinateur ou insérez-les depuis une URL.

Chargement
×