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2036. Chapitre Deux : Vacances interrompues (2).


Gouderien

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(Oups! J'ai bien peur que ce qui suit ne soit pas très politiquement correct. D'un autre côté, quand un parti d'extrême droite est au pouvoir depuis 14 ans, faut bien s'attendre à ce qu'il ait fait des trucs d'extrême droite - de temps en temps.)

 

Pourquoi un gardien ? Dans cette région et à cette époque, ce n’était pas une précaution superflue. Quand Martine Le Bihan, à la tête de la coalition brun-vert, avait été élue présidente de la République en mai 2022 (à sa troisième tentative), cela faisait plus de quarante ans que le Front patriotique avait déclaré la guerre à l’immigration, surtout celle provenant d’Afrique et du Moyen-Orient. Au cours de la campagne électorale, la fille du créateur du Front patriotique (mort quelques années plus tôt d’une crise cardiaque à l’âge de quatre-vingt-sept ans) avait déclaré : « Contrairement à ce que pensent les belles âmes, l’immigration n’est pas un problème économique, ni démographique, et surtout pas humanitaire ; c’est avant tout un problème politique et, éventuellement, militaire. » Elle ne croyait pas si bien dire… Les accords avec les Verts étaient clairs : le Front patriotique s’engageait à démanteler le parc nucléaire français, mais en contrepartie les écologistes soutiendraient le plan anti-immigration de Martine Le Bihan. Cela ne s’était pas fait dans la joie et la bonne humeur, et comme on peut s’en douter certains leaders historiques des Verts avaient démissionné du gouvernement ou claqué la porte du mouvement, plutôt que de cautionner ce qu’ils appelaient une infamie. Il faut bien voir que, dans un autre contexte international, l’application d’un tel plan aurait certainement été impossible. Mais voilà, l’Europe n’existait plus, les USA étaient en pleine décrépitude, l’Allemagne et la Russie très occupées à remodeler l’Est européen à leur façon, la Chine au bord de la guerre civile. L’ONU, quasi moribonde, avait bien protesté, mais tout le monde s’en foutait.

La vieille équipe qui, autour de Jean-Paul Le Bihan, avait formé l’armature du Front patriotique lors de sa naissance, au début des années quatre-vingt, avait depuis longtemps disparu, laissant la place à des gens plus jeunes et, en général, plus modérés. Mais une partie de son influence demeurait. Aussi, une fois la prise du pouvoir accomplie, l’une des premières décisions de la nouvelle présidente - juste après le rétablissement de la préférence nationale - fut la révision des naturalisations. Les membres les plus extrémistes de son équipe voulaient que l’on remonte à août 1944 (fin du régime de Vichy), mais Martine Le Bihan considérait cela comme irréaliste, aussi on choisit finalement la date du 29 avril 1976, qui correspondait à la signature du décret sur le regroupement familial. Ce décret était à l’initiative de Jacques Chirac, que l’on surnommait familièrement au FP l’Antifrance n°2 (l’Antifrance n°1 étant naturellement François Mitterrand). Le Front patriotique avait toujours soutenu que la plupart des problèmes liés à l’immigration en France avaient commencé à cette époque (même si l’immigration maghrébine et africaine elle-même avait débuté plus tôt, pendant la présidence du général de Gaulle, période qui coïncidait avec la fin de l’Empire colonial français, et durant laquelle les patrons français avaient pris la mauvaise habitude d’aller chercher des ouvriers par avions entiers en Afrique du Nord.)

Dans le même temps commencèrent des négociations avec les pays africains. En effet Martine Le Bihan voulait que le « donnant-donnant » devienne la base des relations avec les nations africaines qui constituaient les principaux foyers d’immigration. Un Français devait pouvoir bénéficier à tous points de vue (y compris au niveau religieux) dans ces pays, des mêmes droits et des mêmes garanties qui seraient accordés aux étrangers en France. La nouvelle présidente ne cacha pas que, de l’issue de ces négociations, dépendrait largement le sort qui serait réservé aux immigrés qui se trouvaient déjà sur le territoire français, ou qui seraient amenés à s’y trouver. Comme on pouvait s’y attendre, un accord fut signé assez facilement avec le Maroc, le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Gabon, tous pays qui entretenaient de bonnes relations avec la France. Les choses traînèrent un peu plus longtemps avec la Tunisie et le Mali, qui étaient gouvernés par des islamistes dits « modérés », mais finalement on parvint à s’entendre. D’autres pays, comme la Libye, la Mauritanie ou le Niger, ne voulurent rien savoir. Le cas des ressortissants des pays conciliants fut traité avec bienveillance, et finalement assez peu furent expulsés, essentiellement des délinquants, des polygames et/ou des islamistes. Par contre on fut plus ferme avec les gens originaires des pays qui refusèrent de signer l’accord.

Cependant le gros morceau était l’Algérie, à la fois parce que le nombre des Algériens en France et des Français d’origine algérienne était très important, et aussi parce que les relations avec ce pays, depuis son indépendance, avaient toujours été très compliquées. Dès le début les autorités algériennes firent preuve de mauvaise volonté, mettant comme condition préalable à toute négociation ce qu’elles réclamaient depuis longtemps, à savoir des excuses de la France pour la colonisation et la répression durant la guerre d’Algérie. Au cours d’un grand discours prononcé à Marseille, Martine Le Bihan régla leur sort à ces prétentions :

« Si le gouvernement de la France à des excuses à faire, déclara-t-elle, c’est bien au peuple français, pour avoir jamais mis les pieds dans ce pays qu’un écrivain a décrit comme « L’appartement témoin de l’Enfer sur terre ».

Inutile de dire qu’à Alger on n’apprécia pas vraiment ces paroles. A titre de représailles, on rejeta le principe même des négociations. La présidente française ordonna alors de traiter le dossier des Algériens avec la plus grande sévérité, en faisant une exception toutefois pour ceux originaires de Kabylie. La naturalisation de plus de 400.000 français d’origine algérienne fut annulée. Au total, c’est près d’un million de personnes qui devaient être renvoyées dans leur pays d’origine. Naturellement les familles des anciens harkis n’étaient pas visées. De même, afin de minimiser autant que possible l’impact économique de telles mesures, on sélectionna les gens expulsables essentiellement parmi les chômeurs, délinquants, prosélytes religieux etc. Cela restait néanmoins une opération très compliquée à réaliser, d’autant qu’il était hors de question de créer des camps de transit, comme cela avait été fait sous le régime de Vichy. Naturellement, l’Algérie ne fit rien pour faciliter la tâche de la France. On n’imaginait cependant pas comment les choses allaient évoluer…

 

Une trentaine de milliers de ressortissants algériens avaient déjà regagné leur pays, par bateau ou par avion, quand le 25 mars 2023, un Boeing 777 d’Air France transportant 450 personnes d’origine algérienne disparut des radars, alors qu’il approchait d’Alger. Il n’y eut aucun survivant. Bientôt la vérité se fit jour : l’appareil avait été abattu par la chasse algérienne. Quelques jours plus tard, un ferry fut mitraillé par des vedettes rapides de la marine algérienne ; il dut faire demi-tour. La marine française escorta alors les bâtiments suivants, et plusieurs accrochages l’opposèrent à des unités algériennes. Un destroyer et deux vedettes rapides algériennes furent envoyés par le fond. Certes, on pouvait accompagner ferries et paquebots jusqu’aux ports, mais on ne pouvait pas forcer les gens à débarquer, alors que les attendaient sur les quais des soldats armés jusqu’aux dents et ayant reçu l’ordre de s’opposer par la force à ce qu’Alger appelait « l’invasion française ». A Paris, on fut éberlué par la réaction algérienne. Jamais on n’aurait supposé que les Algériens fassent tirer sur leurs propres compatriotes. Il semble pourtant qu’il existe une règle non écrite dans le Coran, comme quoi tout État musulman a le droit de massacrer ses citoyens comme bon lui semble et sans que cela regarde qui que ce soit, et surtout pas les infidèles. L’Algérie était déjà dans une situation économique désastreuse. Ce pays, qui aurait dû être très riche eu égard à ses ressources naturelles, avait été ruiné de longue date par l’incompétence et la corruption de ses dirigeants. Ces derniers ne se sentaient pas capables d’intégrer un million de personnes de plus, et donc ils avaient préféré faire massacrer des civils innocents. Les relations diplomatiques entre les deux pays furent rompues, et on passa à deux doigts de la guerre. Martine Le Bihan ordonna d’arrêter immédiatement toute opération de transfert vers l’Algérie. Ce fut le plus grand échec de son quinquennat. Dans un grand discours, elle reconnut qu’elle avait sous-estimé la folie sanguinaire des dirigeants d’Alger, et souhaita que tous les Algériens de France sachent dorénavant quelle était leur véritable patrie. Cependant, plus de 120.000 personnes, qui avaient déjà vendu appartement ou maison ou résilié leur bail, et qui n’avaient plus nulle part où aller, préférèrent émigrer vers d’autres pays d’Europe. Au total, on estime qu’environ 500.000 immigrés furent renvoyés vers leur pays d’origine, sans compter ceux qui, impliqués dans des trafics louches, préférèrent prendre le large, après la véritable « guerre aux drogues dures » décrétée par Martine Le Bihan fin juin 2022. Mais d’autres refusèrent de partir, entrèrent dans la clandestinité ou « prirent le maquis », comme durant l’occupation allemande. Voilà pourquoi certaines campagnes de la France profonde n’étaient pas très sûres… Notons en passant qu’au cours des années suivantes, on constata une forte baisse de l’immigration africaine et maghrébine vers la France, d’autant que les critères d’entrée dans le pays étaient désormais plus sévères. Sans compter que, comme le disait Martine Le Bihan, « la France n’avait pas à financer sa propre invasion », et donc certaines mesures dissuasives furent adoptées : par exemple, si le taux des allocations familiales allait croissant, suivant le nombre d’enfants, pour les familles européennes, il décroissait en fonction de ce même critère, pour les familles africaines ou arabes. En d’autres temps SOS Racisme ou la LICRA auraient crié au fascisme, mais ces associations avaient été dissoutes depuis longtemps.

 

Ils sortirent de la voiture.

  • Ça va Papa ? dit Gérald en embrassant son père.

  • Ça va comme à soixante-quatorze ans, répondit le vieillard, avec de l’arthrose et la vue qui baisse ! Et toi ?

  • Ça va.

  • Alors c’est le principal.

Le journaliste serra la main d’Irène et du garde. Agnès embrassa son grand-père et salua les autres. Éric vivait dans une petite villa qui jouxtait la grille. Une allée bordée d’arbres conduisait à l’habitation principale, une grande maison à un étage partiellement recouverte de lierre, et qui comportait une dizaine de pièces. La moitié des tuiles du toit avaient été remplacées par des panneaux solaires. Ils sortirent leurs valises du coffre, et Agnès ouvrit la sienne tout de suite pour y prendre un pull, car il ne faisait pas chaud : en descendant vers le sud, ils avaient perdu une bonne dizaine de degrés. Tandis qu’ils se dirigeaient vers la demeure, la jeune fille demanda :

  • Tu as vraiment besoin d’un gardien ?

  • Oui, dit Philippe. Et je vais même certainement en embaucher un autre.

Il s’adressa à son fils :

  • Avec les conneries de ta chère Martine, la région n’est plus sûre.

  • Ce n’était pas « ma chère Martine », protesta Gérald. Et puis un peu de respect pour elle, s’il te plaît : je te rappelle qu’elle a été assassinée par un fanatique.

Il était habitué depuis longtemps à entendre son père émettre, suivant les années et les gouvernements, des opinions de droite ou de gauche. Mais en général, Philippe Jacquet était comme le « Canard enchaîné » : toujours opposé au pouvoir en place.

  • Tu travailles bien au « Figaro », non ? répliqua le vieillard. Ce journal qui a toujours été à la botte du Front patriotique ! D’ailleurs, tu fais partie de ce mouvement !

  • Pitié, s’insurgea Agnès, ne commencez pas à vous engueuler pour la politique !

  • Enfin pour répondre à ta question, ma petite fille, oui j’ai besoin d’un gardien. Et j’ai même fait poser une clôture électrique tout autour de la propriété. On dit qu’une bande de clandestins s’est installée dans les ruines de Charlagnac, qui se trouvent pas loin d’ici. Soit dit en passant ça m’étonne un peu, car ces gens-là sont superstitieux, et Charlagnac a très mauvaise réputation dans la région. Il faut croire qu’ils n’avaient vraiment nulle part où aller. Il y en a aussi un autre groupe dans la forêt de La Faye, un peu plus au nord. On se demande ce que fait la police !

  • Son travail, dit Gérald, son travail !

  • Ouais, ben je demande à voir. Emmerder les honnêtes gens, ça ils savent faire ! Mais pour ce qui est de nous protéger, c’est une autre histoire. Alors je préfère prendre mes précautions.

  • La milice du Parti ne fait pas des rondes ?

  • Si, bien sûr ! Ils sont pleins de bonne volonté. Mais pour l’instant, à part descendre des bières, je n’ai pas encore bien vu à quoi ils étaient bons.

Ils entrèrent dans la maison. Elle datait du début du XIXe siècle, et les murs avaient un mètre d’épaisseur : l’idéal en période de canicule. Il y régnait une bonne odeur, une odeur de campagne, et cela rappelait à Gérald les vacances de son enfance. Ils posèrent leurs bagages et gagnèrent l’immense cuisine, où Irène leur prépara une soupe épaisse et fumante. Assis à califourchon sur une chaise, une cigarette aux lèvres, Philippe les regardait manger.

  • Tu fumes, maintenant ? s’étonna son fils.

  • Et oui, je m’y suis mis sur le tard. C’est juste pour emmerder tous les bobos de Parisiens qui viennent visiter mon atelier. Et puis ça fait « artiste bohème ».

  • C’est pas bien de fumer, Papy, dit Agnès d’un ton sentencieux. C’est mauvais pour la santé.

  • Vous plaignez pas, répliqua le vieillard, j’aurais pu me mettre au cigare. J’y ai songé, d’ailleurs.

  • Merci bien ! s’exclama Gérald.

Soudain les lumières du plafond vacillèrent puis s’éteignirent. Mais elles se rallumèrent presque aussitôt.

  • Encore une coupure de courant, constata Philippe. Heureusement qu’on a le générateur !

 

Ils dégustèrent du fromage, et une tarte aux pommes faite maison en guise de dessert, puis dirent bonsoir au vieillard. Irène leur montra leurs chambres. Elles embaumaient la lavande.

  • Ça va ? demanda Gérald à sa fille. Tu vas te plaire, ici ?

  • Bien sûr ! Je suis déjà venue, quand même ! Et puis au moins il fait moins chaud qu’à Paris. Dis donc Papa…

  • Oui ?

  • C’est vrai, ce qu’a dit Papy à propos des immigrés qui se cachent dans la région ?

  • Je suppose, oui. Tu sais, on dit même que certains se sont réfugiés dans la zone interdite qui entoure la centrale du Blayais.

  • Vrai de vrai ? demanda-t-elle, des étincelles dans les yeux.

  • On le raconte, en tous cas.

  • Tu crois qu’ils vont devenir des mutants ?

Il rit.

  • Toi, tu lis trop de mangas ! dit-il en lui passant la main dans les cheveux.

Il l’embrassa et lui souhaita bonne nuit, et gagna sa chambre. Il se sentait plus énervé que fatigué par cette journée de route, et il eut du mal à trouver le sommeil. D’ailleurs le silence profond de la campagne, à peine rompu parfois par le hurlement d’une chouette, le troublait : à Paris, quelle que soit la qualité de l’isolation ou du vitrage, il subsiste toujours un fond sonore permanent, un murmure de la ville qui ne s’arrête jamais, même la nuit. Finalement il trouva le sommeil vers 1 heure du matin, et dormit comme un loir jusqu’au lever du jour.

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2 Commentaires


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J'espère, c'est fait pour! Quand j'ai commencé à écrire ce roman - il y a déjà quelques années, et c'était avant les élections de mai 2017 - je voulais faire quelque chose d'aussi peu politiquement correct que possible. Ensuite, ça m'a passé.

Je ne sais plus qui a ajouté ces photos, qui n'ont aucun rapport avec le texte.

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