Les affairés.
Dans la rue d'un soir d'été, des marcheurs égarés n'ont d'yeux que dans la lumière bleuâtre de leurs écrans scintillants. Ils ne voient ni visages ni l'ombre naissante, prélude de la nuit, seule la fraicheur les maintient en vie. Les pas pressés résonnent sur le pavé et se coupent nettement au sons des cloches ou à l'aigreur des vibrations qui rythmes la cadence des passants. Le temps leur est indifférent, il n'existe pas là où ils sont. Et comme les chiens de Pavlov, au tintement cuivré, ils se mettent à tapoter, à sourire, à minauder toutes sortes de plis avec un regard toujours le même, bas, celui du soumis. A les voir rire, seuls ou en groupes, on ne peut s’empêcher de penser à un Poprichtchine croyant qu'une bête lui a écrit des lettres. C'est l'objet qui devient maitre de toutes les attentions. Enlevez leur, et les voilà qui crient à la douleur que le monde réel exerce sur l'âme. Cette drogue numérique, offre ainsi l'échappatoire artificiel d'un paradis que le pavot ne peut qu'à coup de fortes doses concurrencer. Car là-bas tout vous est permis même le meurtre. Et c'est parce qu'elle vous déracine de la terre en absorbant tout entier votre regard jusqu'à la moelle, que votre miroir se déchire dans votre reflet éventré. Par là, elle y pénètre, en salves successives d'images bruyantes, de textes choquants, et de sons enivrants. Elle finit par vous coloniser de réflexes lumineux et vos rêves sont à l'image de ses voeux. Vous ne répondez plus par le oui ou le non, vous faites seulement au son ou à la vibration ce pourquoi vous devez faire car il n'y a plus de temps, plus d'espace, seules les stimuli vous animent. C'est le sens du devoir. Aimez, détestez, agitez-vous, mais dans le silence mécanique de la parole sémiotique. Vous n’êtes plus. Somnambules, vous allez et venez sans connaitre votre finalité. Vous vous calcifiez jusqu'à devenir un élément du décor virtuel. Votre existence se transfère dans une masses fluviales de données diffusent dans les airs. Vous disparaissez au coin d'une rue avec l'entrain des affairés. Tous vous connaissent sous un pseudonyme qui devient votre épitaphe où s'est étiolé votre nom. Le server sait tout de vous jusqu'à vous apprendre que vous est un autre. Courez donc morts-vivants car il ne reste de vous que l'image fluorescente de votre passage. Une chose qui clignote.
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