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scène 1


lalibulle

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Pierre, Nicolas, et Ambre. Une cave sombre, presque vide, éclairée par de rares rayons de soleil venus de dehors. Nicolas et Ambre se font face, assis à une table. Ils se scrutent, impassibles. Pierre fait les cent pas.

Pierre, soudainement: Ils devraient être là.

Nicolas : Ils n’ont rien promis.

Ambre: Ils ne savent pas.

P. : Non, mais ils devinent. C’est le genre de chose que l’on devine.

A. : On ne devine que ce que l’on veut. Ils ne veulent pas. Ils ne viendront pas.

P., le front contre le mur, très bas : Leurs yeux disaient le contraire.

N. : Que dis-tu ?

P., plus haut : Ils viendront.

Ambre et Nicolas s’échangent un regard entendu. Pierre se retourne et se laisse glisser au sol, le dos collé contre le mur.

P. : Hier j’étais heureux, très heureux. C’était très beau.

A. : Oui, c’était beau.

N. : Ça l’est encore.

P., sourdement : Non.

N. : Tu es un fou Pierre ; Tu ne vois que ce que tu penses, et tu ne vis que ce que tu te dictes.

P. : Je pense que c’était beau ; et que maintenant cela ne l’est plus. Je pense toujours que la fin n’a plus qu’une seule issue. Mais elle n’est plus si sublime. Elle était superbe, et maintenant elle est grotesque. Elle avait un sens, et elle n’a plus que celui de s’obéir. Une fin qui arrive par ce qu’on l’a décidé n’en est plus une ; c’est un complot.

A., se levant : Alors, le concert était un complot. Mais cela reste très beau.

P. : Ce qui était beau, c’était eux.

A. : Ce qui est beau c’est qu’ils existent. Et même avant cela, c’était un complot. Tu complotes contre toi-même Pierre.

N. : Ils ne viendront pas, partons.

P. : Ils viendront. Quand je jouais j’avais l’impression de vivre. Je pensais vivre en donnant la vie. Les notes s’enchaînaient sous mes doigts et je les voyais, exaltées, derrière mes paupières closes. Mais je me mentais. Le piano m’échappe.

N. : Il nous échappe à tous. C’est seulement quand on commence à le posséder qu’on s’aperçoit qu’il nous échappe. C’est toi qui étais exalté. La musique s’en fiche.

A., doucement : Tu as été très applaudit, hier.

P., d’une voix blanche, les yeux fermés : Vous ne comprenez pas. Vous vous aimez ?

N. : Nous nous aimons. Nous t’aimons aussi. Partons, Pierre.

P., ouvrant les yeux : Je croyais être pianiste. Je le suis pour le commun des mortels. Hier, j’ai joué, comme jamais. Mais je me suis menti. Hier c’était beau. Aujourd’hui il n’y a plus rien. C’est laid. Vous vous aimez ?

A. : Ils ne viendront pas. Partons, Pierre.

P. : Vous savez, c’est brutal. De réaliser que l’on vit toute sa vie à côté. On pense vivre, mais on ne fait que subir. On croit tenir quand on ne fait qu’effleurer. Et notre plus grande misère c’est de le savoir. Vous vous aimez ?

N. : Tu tenais, hier. Si bien que tu ne leur prêtais pas. C’est pour ça qu’ils ne viendront pas.

P. : Tu m’as qualifié de fou Nicolas. Ils viendront.

N. : Moi j’ai dit ça ?

P. : Oui. Être artiste c’est être fou. Être un artiste raté c’est sombrer dans une tout autre folie. Je ne suis pas encore totalement fou. Je suis conscient. Vous vous aimez ?

A., s’approchant de Nicolas : Nous en veux-tu ?

P. : Non. Je le savais. Ils devraient être là. Vous êtes stupides de vous aimer, les sens trompent l’inspiration et vous illusionnent.

N. piqué : Les sens donnent à la musique ce qui lui manque, l’aident et l’animent, et toi tu t’épuises à les chercher par ce que tu es vide, Pierre. Ils ne viendront pas. Partons Ambre.

Ambre s’approche de Pierre, lui touche l’épaule. Il lui jette un regard vide. Nicolas entraîne Ambre vers la porte. Ils sortent.

P., seul, sourdement : Je ne suis pas vide, je suis fatigué, on m’a pris ma fougue, mon talent et mon amour. Il ne me reste que la rage pour jouer. Criant ; Venez, je vous en supplie.

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