Aller au contenu
  • billets
    110
  • commentaires
    754
  • vues
    446 032

Faiseurs de Mondes


Jedino

692 vues

Titre provenant de :

- Jouons aux dés, veux-tu?

- Oh, je n'en ai pas tellement envie, tu sais.

- Allez! Une petite partie, rien que toi et moi, histoire de me faire plaisir!

- Bon. Va pour une.

Ils étaient heureux de sa naissance. Lui s'inquiétait un peu de ne pas être à la hauteur. Mais le voir ainsi, dans les bras de sa femme, le rassurait, maintenant. Il se sentait l'âme d'un père. Dans une heure, il irait l'apprendre à ses parents qui, à leur tour, seraient ravis d'apprendre qu'ils étaient grands-parents. Avant cela, il devait toucher l'être qu'il avait aidé à créer et qu'il devrait, à partir de cet instant, aider à construire. Son inquiétude ne le prenait pas encore. Plus depuis l'accouchement, et plus avant quelques années. La genèse des hommes bons est la même que pour les monstres.

Il fît un six.

Hector, son fils, avait bien grandi depuis. Le voir prendre forme lui procurait un réel plaisir. Assurément, il deviendrait quelqu'un de grand. De bon, aussi. Son destin sera des plus dignes. Quoi d'étrange à cela! N'est-il pas le fils d'un honnête commerçant? Le fils d'une femme idéale? Le petit se débrouille à l'école. Il s'entend avec tout le monde. Il finira avocat. Ou commerçant, comme son père. Ce serait alors parfait. Il pourrait poursuivre son oeuvre. Mais il choisira. Il le laissera choisir. Il ne peut que faire le choix qu'il lui faut. Son éducation suffira à cela.

Il fît un cinq.

Ses études arrivent à terme. Au final, son bonheur fera le bien dans les hôpitaux. Il soulagera les maux à sa façon. A coup de bistouri et d'attention. Tous trois sont si unis. Il ne rêvait pas de mieux. Il craignait le pire, au contraire. Quel naïf faisait-il, à l'époque! Il n'aura pas changé le monde, mais il aura au moins marqué son quartier et sa famille. Le roc naît forcément de la poussière.

Il fît un quatre.

Tout était parfait. Si parfait. Cela ne pouvait durer. Il fallait un cancer chez sa femme. Il fallait cette marche pour qu'il finisse par trébucher, lui, l'homme qui cherchait inlassablement à être là pour chacun. Aujourd'hui, elle paraissait sombre, ailleurs. Déjà morte. Les médecins lui accordaient un sursis de deux mois. Ce fût un véritable coup de revolver dans la sérénité de notre monde. Un tir à l'aveugle qui frappa tous ses membres. L'une en pleine poitrine, les autres en pleins cœurs.

Il fît un trois.

De trois, ils n'en restaient que deux. Et, comme si cela n'avait pas suffit, l'enfer se découvrit encore un peu davantage à l'horizon de sa vie. Il apprit, par le biais des médias, que son fils était en prison. La folie meurtrière l'avait empoisonnée. Ils ne s'étaient plus parlés depuis dix ans, depuis la mort de la seule femme qui les réunissait. Le travail, la mélancolie. Deux ingrédients de la distance et du désespoir. Ils s'aimaient à travers elle. Pas assez pour s'aimer entre eux. Cela, il avait fini par le comprendre. Le journaliste parlait d'une dizaine de personnes.

Il fît un deux.

Ce matin, quand il était allé péniblement ouvrir la porte de son appartement, il était loin d'imaginer y trouver l'aura d'un policier. Ce bonhomme venait lui annoncer, faussement peiné, l'assassinat de sa famille. Un autre détenu l'avait battu à mort pour une question sans importance, qu'il disait. Pour sûr qu'il pensait que cela, il le méritait. Mais lui, pourquoi avait-il à le supporter? Pourquoi ce qu'il bâtissait autrefois avec tant de plaisir s'effondrait-il complètement à présent? Qu'est-ce qui justifiait cette histoire?

Il fît un un.

Il se sentait vieux. Fatigué. En réalité, il l'était. L'heureux présent avait déjà trop longtemps cédé sa place à la noirceur des souvenirs. Son vécu lui semblait si lointain. Hier. Il ignorait toujours les raisons qui expliquaient son échec. Il l'ignorera à jamais. Sans trouver les mots pour l'exprimer, il ressentait le besoin de clore ce chapitre raté.

Il fût un zéro.

- Veinard! Tu as encore gagné!

- Eh oui! On ne me bat pas comme ça, tu vas finir par l'accepter!

- Cause toujours! Demain, je vais te mettre la pâté!

- Hahaha! La chance raisonne forcément avec son contraire, mon ami. Toi et moi, nous le savons.

5 Commentaires


Commentaires recommandés

J'aime beaucoup le "Il fut un zéro" et le lien entre les résultats des lancers de dé et le nombre de gugus dans la famille. En revanche, je ne comprends pas le rapport entre les 6, 5 puis 4 et les paragraphes qui correspondent.

(Plus que dix-neuf.)

Lien vers le commentaire

Parce que les liens que je voulais faire au départ n'existent pas au départ, donc. C'est juste les numéros du dé qui fait compte à rebours. Pourquoi? J'en sais rien. Me passait par la tête à ce moment-là.

Et j'aime bien aussi le "il fût un zéro". A croire que je m'inspire :p

Lien vers le commentaire

La transcendance de nos vies appuie aussi du même coup le fait que nos vies soient en complètes interactions. Nous sommes dans le jeu, nous en faisons partie et nous le fabriquons ensemble, chacun en un tous... Ce Tous qui ne défini pas pourtant le sens du jeu. Le sens du jeu serait transcendantal. C'est ponctuellement mon avis.

Lien vers le commentaire
Invité
Ajouter un commentaire…

×   Collé en tant que texte enrichi.   Coller en tant que texte brut à la place

  Seulement 75 émoticônes maximum sont autorisées.

×   Votre lien a été automatiquement intégré.   Afficher plutôt comme un lien

×   Votre contenu précédent a été rétabli.   Vider l’éditeur

×   Vous ne pouvez pas directement coller des images. Envoyez-les depuis votre ordinateur ou insérez-les depuis une URL.

Chargement
×