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casper2 Blog

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zwijgen 7


casper2

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Je vois bien dans ses yeux qu'il ne comprend pas. Il hésite un instant. Et en une fraction de seconde, je me rappelle tout ce qui m'a amené jusqu'ici. Tout ce chemin parcouru. Et je me retrouve comme autrefois là-bas, au bout du chemin. Je me souviens...

La fatigue me gagne. Je commence à croire que je n'arriverais pas à destination dès ce soir. La nuit tombe doucement sur ma route. Il va falloir envisager de faire une ultime halte et trouver un endroit pour y passer la nuit. Une nouvelle mais une dernière nuit dehors car demain sera le grand jour tant attendu depuis si longtemps. Je serais enfin de retour chez moi...

Je finis par trouver et j'opte pour un petit bosquet d'arbres isolés. Ces quelques chênes verts poussent à l'abri du vent sous le flanc pentu d'une colline squelettique parsemée autant de caillasses que de buissons épineux. Un paysage que je ne reconnais pas encore mais qui ressemble déjà bien à ce que je connais de mon rude pays qui m'est pourtant si cher. C'est celui où je suis né et que je n'avais jusqu'alors jamais quitté...

L'herbe un peu rare sera tout juste assez grasse pour repaître mon cheval qui semble tout aussi épuisé que moi par ce très long voyage de retour. Mais quel plaisir je ressens en m'allongeant sur le dos malgré le sol si dur dont chaque irrégularité me transperce la chair. Je savoure pourtant ce moment en imaginant mon arrivée à la maison, maintenant si proche. J'imagine simplement l'émotion tellement forte qui va nous envahir tous ensemble. Un instant de bonheur partagé dans une même communion de surprise et de joie qui sera si intense qu'il fera couler à flots des larmes sur les joues de tout ceux que j'aime. Je vais enfin retrouver ma femme et mes trois merveilleux enfants qui seront déjà si grands. J'espère qu'ils sauront reconnaître en moi ce père parti depuis bien trop longtemps. Je suis sûr qu'ils se souviendront alors de ma promesse de retour que je leur avais faite à mon départ, il y a presque quatre ans déjà...

Ma grande Lucie, l'aînée, qui était encore qu'une gamine espiègle de 12 ans, doit être devenue une si jolie jeune femme qui affolera bientôt tout les jeunots qu'elle croisera sur son chemin. Il était temps que je revienne pour pouvoir profiter encore un peu d'elle avant que le bel oiseau ne s'envole du nid. Et mon petit Paul, qui aura sans doute voulu jouer à l'homme de la maison malgré ses épaules si frêles de 10 ans, sera soulagé de me retrouver pour que je lui apprenne la dure vie qui l'attend. Et enfin ma petiote de Magali, 6 ans, le portrait en miniature de ma Mathilde bien aimée, se souviendra-t-elle seulement de moi? Elle était si jeune. Et toi, Mathilde, je vais pouvoir enfin te serrer si fort dans mes bras, et retrouver ton odeur, ta voix, le goût de tes lèvres et de ta peau blanche si douce...

Je lutte contre le sommeil pour pouvoir me délecter de ses rêves de merveilleuses retrouvailles qui se bousculent dans ma tête. Mais la fatigue finira toujours par être la plus forte. Je sais aussi qu'à mon réveil, il ne restera plus que quelques heures de marche vers ce bonheur absolu. Alors je me laisse aller et emporter sans regrets. Douce nuit...

Dès que le jour se lève, je reprend aussitôt la route plein d'entrain. J'arrive enfin sur des terres qui me sont maintenant tellement familières. Le moindre arbre, rocher ou champs que je croise est bien à sa place et me réconforte dans l'idée que rien n'a vraiment bougé depuis que je suis parti. Pourtant ces quatre années m'ont paru si longues. Je suis dans un état étrange, partagé entre l'envie de mettre au galop mon cheval pour rentrer au plus vite et celle de savourer et profiter de chaque seconde qui s'écoule vers mon bonheur qui grandit. Toutes ces odeurs que j'avais oubliées et qui emplissent à nouveau mes narines, tout ces bruits si insignifiants qu'autrefois je ne les remarquais même plus, ils raisonnent si clairement à mes oreilles à chaque foulée franchie. Le vent qui siffle dans les herbes hautes, les insectes qui stridulent, les piaillements d'oiseaux en pleine effervescence, sous le soleil qui commence à briller haut dans le ciel, tout évoque et réveille les merveilleux souvenirs de mon passé...

J'accélère le pas. Mon cheval rechigne un peu. Les derniers lacets sont les plus rudes. Derrière et sous le sommet se cache ma demeure où vie toute ma jolie petite famille. J'ai hâte de les apercevoir même de loin. Mais je suis un peu déçu quand je me rend compte que les arbres du petit bois cachent quasiment la totalité de la vue et même pas un seul pan de mur ou de toit ne se détache vaguement derrière. Comme sans doute mes enfants, tout les arbres ont donc bien grandi depuis. Une pointe de frustration amère traverse mon esprit. Plus de temps à perdre, je n'y tiens plus, j'élance mon cheval au galop. Cette courte chevauchée à travers le bois est agréable. Une légère odeur d'humus et de champignons flotte dans la fraîcheur du matin. La vie grouille dans le sous-bois. La nature est si belle en ce jour béni. Ils seront bientôt là au bout du chemin. Au bout du chemin...

La clarté éblouissante du jour réapparaît à la sortie du bois et je déboule droit dedans, dans le bruit si caractéristique de l'assaut mêlant la cadence des sabots frappant le sol et le souffle fort du cheval éprouvé par l'effort. Il ne manque que les hurlements des assaillants. Sortant brutalement de l'ombre à la lumière, je suis aveuglé l'espace de quelques secondes, jusqu'à cette vision stupéfiante qui me heurte si violemment que je tire tellement fort sur les brides de mon cheval qu'il se cabre en hennissant de douleur. Sans avoir eu le temps de comprendre comment, je tombe sèchement sur le chemin dans un gros mais bref bruit sourd. Une fulgurante douleur irradie aussitôt mon épaule. Je ne sais plus si j'ai les yeux ouverts tant ma vue est trouble. Mais en fait ce n'est qu'un épais nuage de poussière soulevé par ma chute qui se dissipera peu à peu laissant d'abords ressurgir le bleu du ciel au dessus de moi. Pivotant la tête, je dirige mon regard vers la cause de ma déconvenue. Elle est toujours là. Cette même vision se redessine derrière la poussière qui s'estompe doucement. Elle est si brutale que je n'en crois toujours pas mes yeux. Je suis anéanti par ce que je vois...

Je croyais avoir vu les pires choses sur tout ces champs de bataille, dans le chaos mêlant le sang, le feu, les morts, les blessés qui gémissent, les hurlements de rage des combattants encore vivants, leurs yeux injectés de fureur et de peur. C'était l'enfer tout simplement, pendant ces quatre ans et dont j'avais réchappé. Malheureusement. Car j'avais tord puisque le pire était là, juste là sous mes yeux. Cette vision terrible et inimaginable...

Des ruines, je ne vois que des ruines, là où devrait se trouver ma maison. De ma demeure il ne reste que quelques pierres éparpillées, des morceaux calcinés de ce qui étaient sans doute des poutres, au milieu d'une végétation qui reprend déjà ses droits. De l'herbe folle, des ronces et des genêts poussent au milieu de ce qui était les pièces que l'on devine difficilement maintenant. Il ne reste rien ou quasiment rien. Tout a été ravagé et dévasté sous le feu visiblement. J'ignorais que ces terribles barbares avaient pu parvenir jusqu'ici. Il n'y a qu'eux pour semer un tel désastre sur leur passage. Le feu et la mort...

Ils massacrent et détruisent tout et tous. Les chances que l'un des membres de ma famille ai put en réchapper sont quasiment nulles. Ils sèment la terreur et la mort partout où ils passent. il n'y a aucun espoir. C'est horrible. Comme après un coup de massue sur le tête, je suis totalement désemparé. Je reste là, allongé sur le chemin et regarde ce qu'il reste de ma vie passée. C'est à dire rien, plus rien, que des souvenirs...

J'ignore combien de temps je suis resté ainsi le nez dans la poussière sur ce chemin, meurtri par la chute et à demi-inconscient. J'aurais préféré mourir ici et ne jamais me relever. Mais je ne me suis brisé que quelques os dont la douleur pourtant si forte ne sera jamais rien comparé à celle que m'auront infligé mes yeux. J'ai tant de peine à me redresser mais il le faut absolument. Car dès l'instant où mon esprit a retrouvé toutes ses facultés, je n'ai plus qu'une idée en tête...

Je me souviens, car c'est cette idée qui m'a ramené ici maintenant. Je suis au bout du chemin, mais le mien cette fois, le nez dans la poussière aussi. Il me tient à la gorge au bout de son glaive maculé de sang. Il n'a plu qu'à l'enfoncer d'un coup sec et ce sera la fin pour moi. Enfin. Mais je vois bien dans ses yeux, il ne comprend pas. Mon regard le perturbe. Du coup il hésitera un court instant. Il aurait voulu y voir de la peur ou au moins de la haine. Mais en fait, je lui suis tellement reconnaissant que j'esquisse même un sourire. A cet instant précis je vois dans ses yeux haineux de barbare qu'il croit que je le nargue...

1 Commentaire


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Le "au bout du chemin" au début m'a marqué, notamment parce qu'il me rappelle les paroles d'une chanson dont je n'ai pas le titre en tête là...

Sinon, la description des choses que tu nous fais est toujours aussi géniale et prenante ;)

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