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casper2 Blog

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zwijgen 4


casper2

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C'est seulement maintenant que je réalise vraiment la portée de ses quelques mots. Ils lui ont fait si mal, si profondément mal. Je marche lentement à ses cotés lorsqu'elle les évoque à nouveau. C'est si difficile pour elle de les encaisser. Ils lui restent en travers de la gorge. Elle ne parvient pas à les comprendre. Je ne sais pas comment la réconforter. C'est aussi pour moi un moment tellement difficile à vivre. Je me sens si mal à cet instant. Je ne dis rien, la gorge nouée, ébranlé par cette visite. Nous marchons doucement pour rejoindre la voiture sur le parking de la clinique...

Comment quelques mots si anodins d'ordinaire peuvent-ils faire si mal soudainement? En quelques secondes, ils deviennent si lourds, si forts, qu'ils ravagent notre esprit comme un puissant séisme qui balaye tout. Ces quelques petits mots, si rares, qu'il a lâché dans un souffle...

Moi, ils m'ont d'abords fait un peu sourire, surpris et amusé par la première de ses réponses. Mais la réaction spontanée et affligée de ma mère, provoquée par le choc lors de la suivante m'a consterné. Un de ces moments que l'on subit comme anesthésié par un coup brutal et inattendu qui vous laisse k-o debout. Cela ne dure que quelques secondes mais on a du mal à s'en remettre. J'ai l'impression de vivre de l'extérieur une scène pourtant au combien cruciale de ma vie sans y participer totalement. A cet instant précis, je ne sais plus si je suis acteur ou spectateur...

Assis à coté d'elle, nous faisons face à mon père à moitié effondré dans son fauteuil roulant. Nous l'avons retrouvé là, installé dans ce petit salon et devant cet écran de télévision qui diffuse une de ces séries sans intérêt. Il ne regardait jamais ce genre de programme auparavant mais il est là devant maintenant, un peu comme un animal familier ou un bébé devant un écran qui y découvre des bruits, des formes et des couleurs qui changent sans cesse devant ses yeux sans qu'il n'y comprenne rien. Cela m'a fait tant de peine de le retrouver ainsi. C'est tout juste s'il a levé les yeux vers nous lorsque nous lui avons dit bonjour. Pas l'esquisse d'un quelconque sourire sur son visage, ni le moindre éclair dans ses yeux, des yeux tristes et vides car il semble totalement ailleurs. Si seulement cela pouvait être vrai, que son esprit puisse être simplement ailleurs...

C'est si dur pour moi de voir mon père dans un tel état végétatif, un véritable légume ou comme une plante verte que l'on pose sur une table ou un meuble du salon. Il reste là quasi-immobile car à moitié paralysé, en silence et cela pendant des heures. Il attend qu'on veuille bien lui donner la becquée pour manger. Cette attaque cérébrale ne fait que précipiter sa lente agonie vers une si bien triste fin. Mais s'en rend-il seulement compte? Que lui reste-t-il de son esprit?

Je ne sais pas. Mais moi, je n'y crois plus contrairement à ma mère qui continu à lui parler comme s'il avait toute sa tête, et à laquelle il répond parfois par un simple oui ou non, lorsqu'elle insiste lourdement. Pour moi, c'est un vieillard usé par les ans, très amoindri physiquement par une grave attaque cérébrale qui lui a ôté ses dernières facultés mentales déjà bien fragilisé par sa longue et insidieuse maladie d'Alzheimer. Un vieillard paralysé et sénile, et c'est mon père...

Voilà ce qui m'affecte et m'accable tant, alors que pour ma mère, ce sont ses quelques mots...

C'est lorsque cette infirmière est venue au moment du goûté. Elle lui parle très fort à l'oreille et lui dit ceci:

_ Ah, monsieur a de la visite. Qui sont ces personnes qui viennent vous voir? Je ne les connais pas. Pouvez- vous me dire qui est ce monsieur qui vient vous voir?

Il ne répond pas, alors elle insiste et il lâche enfin:

_ Mon beau-frère.

_ Et la dame à ses cotés, qui est-ce?

_ Ma soeur.

Son beau- frère et sa soeur...

Il ne nous reconnaît pas. Nos visages lui sont familiers et il devine qu'il nous connait, que nous sommes des proches mais il ne sait plus exactement qui nous sommes. Alzheimer, dans toute sa splendeur, c'est terriblement triste mais c'est comme ça. Il faut l'accepter. Moi, j'en souris. Mais ma mère dans un cri du coeur s'exclame aussitôt en s'adressant tout autant à moi, à mon père qu'à l'infirmière:

_ Sa soeur, moi, sa soeur!!! Je suis sa femme!!! Vous vous rendez compte, il ne reconnaît même pas sa femme!!!

Quand je pense que le mois prochain ce sera le 59ème anniversaire de notre mariage!!! 59 ans de vie commune et il ne me reconnaît même pas!!!

Elle est à la fois outrée et abattue. Blessée comme par une flèche empoisonnée, ses mots se sont fichés très profondément en plein coeur. L'amour de sa vie, de toute sa très longue vie, lui brise subitement le coeur. Elle rumine et répète ses propres paroles comme pour se persuader qu'elle ne rêve pas. Sa femme, 59 ans déjà...

Je ne souris plus. L'infirmière non plus, car elle sent bien qu'elle a fait une belle gaffe mais c'est elle qui réagira la première pour nous sortir de cette scène si pesante. De mon coté, je suis incapable de réagir, consterné par ce que je vis là. C'est si dur...

Mais l'infirmière n'est désormais plus là sur ce parking. Ma mère a si mal. Elle marmonne et rumine ses mots encore: sa soeur , tu te rends compte, bientôt 59 ans. Je réalise seulement à quel point elle peut avoir mal. Et je me dis que je préférerais mourir plutôt que d'oublier celle que j'aime. Oui, car une fois de plus je pense à nouveau à elle. J'y pense sans arrêt. Je ne pourrais jamais l'oublier. Non, ne jamais l'oublier. Plutôt mourir. J'ai plus peur de vieillir. J'ai moins peur de mourir. Oui, plutôt mourir...

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