Les sentiments d'un aristocrate modéré en fin juillet-début août 1789.

Voici quelques extraits des lettres que le marquis de Ferrières, délégué de la noblesse de la sénéchaussée de Saumur, homme modéré, charitable et d'esprit rassis écrivait à sa femme :

""Paris continue d'être tranquille. Une foule de brigands courent les pays... on s'arme partout, les milices bourgeoises veillent à la sûreté des villes. J'espère que ces malheurs ne s'étendront pas jusque dans nos cantons. Au premier bruit, et pour peu que vous ayez d'inquiétude, il faut se retirer à Poitiers." (Lettre du 28 juillet.)

"Il n'y aurait pas de prudence à remettre l'eau dans mes fossés (douves de son château de Marsay). On s'imaginerait que je veux me défendre. Il n'en faudrait pas davantage pour alarmer le canton. C'est une folie générale, un délire frénétique. On donne à chaque instant de fausses alarmes au peuple. On crée des troupes de brigands imaginaires...

Je te conseille de dire que tout est bien, que la Noblesse et les Communes sont parfaitement d'accord, car il ne faut plus prononcer le nom de Tiers... Si tu prends des journaliers, que ce soient des gens connus et du pays. Il y aurait beaucoup de danger dans des jours d'anarchie, à introduire chez soi des hommes sans aveu et de mauvais sujets." (Lettre du 29 juillet).

Au lendemain de la Nuit du 4 août, le marquis conseille plus que jamais la prudence : "Fais cesser tout travail aux réparations... Ce n'est pas le moment de mettre son argent à réparer une maison qui, peut-être, n'existera pas dans un an ou six mois. Malgré ce que tu me dis de l'amitié que l'on me porte, je connais trop le peuple pour ne pas savoir qu'on le mène où l'on veut et que mon château, si des ennemis secrets ou des gens malintentionnés le veulent, sera brûlé...

Tu prendras l'argent dans le Trésor (une cachette). Tu chercheras un aveu de Marsay de 1723 (document officiel indiquant la liste des droits seigneuriaux "Si l'on venait à Marsay je ne crois pas que ce fût pour brûler le château, étant trop aimé dans le pays, mais pour brûler les titres de rente..."), un aveu de Moudon, un aveu de la Tour du Ry ou, à leur défaut, des aveux de 1699; tu y joindras mes deux livres de recettes des rentes; tu prendras le carton où sont les lettres de noblesse des Ferrières...

Quand tout sera prêt, tu diras que tu vas à Poitiers pour affaires... Aies surtout grande attention que l'on ne soupçonne rien de l'argent, des papiers et que l'on ne puisse imaginer qu'il entre, dans ce  que tu fais, la moindre crainte... 

Tu vendras tes moutons, le prix que tu en trouveras mais argent comptant... Tu vendras à mesure que le blé sera battu, mais sans affectation, uniquement comme ayant besoin d'argent." (Lettre du 7 août). 

"Je ne veux plus Massilly (terre que le marquis pensait acheter). Ce n'est pas le moment d'acheter; l'argent est actuellement la seule possession vraiment utile." (Lettre du 12 août).

Marquis de Ferrières, Correspondance inédite, A. Colin.

il y a 18 minutes, Exo7 a dit :

Voici quelques extraits des lettres que le marquis de Ferrières, délégué de la noblesse de la sénéchaussée de Saumur, homme modéré, charitable et d'esprit rassis écrivait à sa femme :

 

""Paris continue d'être tranquille. Une foule de brigands courent les pays... on s'arme partout, les milices bourgeoises veillent à la sûreté des villes. J'espère que ces malheurs ne s'étendront pas jusque dans nos cantons. Au premier bruit, et pour peu que vous ayez d'inquiétude, il faut se retirer à Poitiers." (Lettre du 28 juillet.)

"Il n'y aurait pas de prudence à remettre l'eau dans mes fossés (douves de son château de Marsay). On s'imaginerait que je veux me défendre. Il n'en faudrait pas davantage pour alarmer le canton. C'est une folie générale, un délire frénétique. On donne à chaque instant de fausses alarmes au peuple. On crée des troupes de brigands imaginaires...

Je te conseille de dire que tout est bien, que la Noblesse et les Communes sont parfaitement d'accord, car il ne faut plus prononcer le nom de Tiers... Si tu prends des journaliers, que ce soient des gens connus et du pays. Il y aurait beaucoup de danger dans des jours d'anarchie, à introduire chez soi des hommes sans aveu et de mauvais sujets." (Lettre du 29 juillet).

Au lendemain de la Nuit du 4 août, le marquis conseille plus que jamais la prudence : "Fais cesser tout travail aux réparations... Ce n'est pas le moment de mettre son argent à réparer une maison qui, peut-être, n'existera pas dans un an ou six mois. Malgré ce que tu me dis de l'amitié que l'on me porte, je connais trop le peuple pour ne pas savoir qu'on le mène où l'on veut et que mon château, si des ennemis secrets ou des gens malintentionnés le veulent, sera brûlé...

Tu prendras l'argent dans le Trésor (une cachette). Tu chercheras un aveu de Marsay de 1723 (document officiel indiquant la liste des droits seigneuriaux "Si l'on venait à Marsay je ne crois pas que ce fût pour brûler le château, étant trop aimé dans le pays, mais pour brûler les titres de rente..."), un aveu de Moudon, un aveu de la Tour du Ry ou, à leur défaut, des aveux de 1699; tu y joindras mes deux livres de recettes des rentes; tu prendras le carton où sont les lettres de noblesse des Ferrières...

Quand tout sera prêt, tu diras que tu vas à Poitiers pour affaires... Aies surtout grande attention que l'on ne soupçonne rien de l'argent, des papiers et que l'on ne puisse imaginer qu'il entre, dans ce  que tu fais, la moindre crainte... 

Tu vendras tes moutons, le prix que tu en trouveras mais argent comptant... Tu vendras à mesure que le blé sera battu, mais sans affectation, uniquement comme ayant besoin d'argent." (Lettre du 7 août). 

"Je ne veux plus Massilly (terre que le marquis pensait acheter). Ce n'est pas le moment d'acheter; l'argent est actuellement la seule possession vraiment utile." (Lettre du 12 août).

 

Marquis de Ferrières, Correspondance inédite, A. Colin.

On dirait 2023.

L'histoire est souvent d'actualité.

Lettre du Marquis de Ferrière à sa femme, le 22 juin 1790.

"Mathieu de Montmorency, La Fayette, Lepelletier de Saint-Fargeau, Sillery, Charles de Lameth montent successivement à la tribune (1)... Le tumulte et la confusion règnent dans l'Assemblée; chacun se lève, crie, hurle, proteste... Enfin sort un dernier décret que personne n'entend mettre aux voix; il prononce que la Noblesse héréditaire est abolie, que personne ne pourra prendre, dans aucun acte, le titre de prince, de duc, de marquis, de comte, de vicomte, de baron, de messire, de chevalier, de noble, d'écuyer, ni se servir d'armoiries et porter ou faire porter la livrée...

Il est certain que si la noblesse de province oppose une résistance trop marquée à ce décret, elle court le risque de se voir l'objet de la rage du peuple; les hommes qui le manient le lâchent contre elle, comme on lâche un animal féroce sur sa proie...

D'ailleurs ce décret n'est pas aussi important que l'on pense, car la Noblesse était déjà anéantie dans le fait. L'abolition des droits féodaux des justices (seigneuriales), l'égalité des partages lui avaient porté un coup mortel . Quoi qu'il en soit, sauve nos titres de famille et mets-les dans un endroit sûr..., fais effacer les armes qui sont dans la chapelle de Marsay; il suffira d'y passer de la chaux. Ote le tableau généalogique qui est dans la petite anti-chambre de la salle.

"L'essentiel est de dépêcher la récolte..., bats et vends à mesure. Il faut vivre au jour le jour, surtout se munir d'argent."

(1) Comme l'écrivait le marquis quelques jours plus tard : "Ainsi c'est de la noblesse même que sont sortis ses plus grands ennemis."

Le marquis est en marche.

Chutt... si tu te réfères à l'auteur du sujet, il a égaré son titre de noblesse, il est juste en mode VIP, pas lanceur d'alerte, juste faire partager un peu l'histoire, matière qu'il aime beaucoup. bien à toi.