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Aspects de la littérature

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satinvelours

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satinvelours Membre 3 006 messages
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 Les personnages sont toujours dans un réflexe permanent de défense par rapport à l’agression potentielle d’autrui. C’est l’impossibilité de se passer de l’autre, la recherche de la communication, la recherche d’autrui, en même temps la hantise d’être exclu, d’être le paria, celui qui n’a plus le droit de parler et en même temps l’exclusion de l’autre.

 L’autre est là à la fois toujours invité et toujours éconduit. Cette ambivalence, c’est tout à fait fondamental pour Nathalie Sarraute. Elle thématise le fait d’avoir transformé la sous conversation en conversation théâtrale. 

 Elle thématise  et elle théorise au colloque de Cerisy en renvoyant aux analyses et au travail sur le cerveau de Jacques Monod. Se référant à Monod  elle dit « On constate en effet que la partie du cerveau qui ne peut fabriquer du langage enregistre beaucoup mieux les sensations, les formes, les dimensions ». Elle tente d’établir une communication entre ces deux parties du cerveau, celle qui enregistre les sensations, les formes, les dimensions et celle qui peut se servir du langage de façon que le langage soit mis au service de cette sensation. 

C’est une œuvre d’une très grande liberté, parce qu’elle refuse les formes convenues, les préjugés. Poser la question du terrorisme du goût, qui revient naturellement à poser la question du terrorisme social, est assez courageux. Elle ne prend jamais la position cuite, de celle qui a raison, de celle qui a trouvé. Elle met en scène des drames, des rapports de force, des rapports d’exclusion ou des rapports d’agression, mais elle-même ne détient jamais la vérité absolue.

C’est une œuvre de liberté sur ce plan là, antiterroriste, et c’est aussi une œuvre anti religieuse au sens très large du terme. Elle s’est toujours battue contre toutes les formes de mythifications, et en particulier elle entre en croisade sur la mythologie du bonheur.

 Dans « Tu ne t’aimes pas » elle démonte le non-sens du cliché « nager dans le bonheur ». Elle prend des stéréotypes de langue pour dénoncer une ineptie dans un premier temps, et ensuite une forme de mythification qui nous enferme dans un devoir être heureux et une nouvelle culpabilité. C’est pour cette raison qu’elle ne s’est jamais laissée séduire par la littérature engagée.

Elle avait toutes les raisons de s’engager, de cautionner la littérature engagée mais ne l’a jamais fait précisément en considérant que l’engagement pouvait être aussi une forme de mythification et pouvait ne pas être au service de la liberté.

 « La littérature engagée à délaissé la réalité inconnue qu’elle a choisie pour la morale et a finalement délaissé la découverte du monde invisible qui constitue l’essence de la littérature ».  D’une certaine façon la morale ou la mythologie du bonheur, ou la question du goût, ce sont autant de risques pour la pensée et de risques pour la liberté qu’elle n’a cessé de dénoncer.

 C’est un écrivain anti systématique. Il est clair qu’il y a un système dans son œuvre qui est une œuvre très cohérente, mais un système contre les systèmes de pensée, de représentations, les systèmes de croyance. 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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 Claude Simon est un prix Nobel de littérature obtenu en 1985. Il partage avec ses camarades du nouveau roman un certain nombre de conceptions à l’égard de la réalité de l’histoire, de la subjectivité. Dans « Le miroir qui revient » Robbe-Grillet donne une définition du réel « Le réel est comme du fragmentaire, du fuyant, de l’inutile, si accidentel même et si particulier que tout événement y apparaît à chaque instant comme gratuit, et toute existence privée de la moindre signification unificatrice. L’avènement du roman moderne est précisément lié à cette découverte, le réel discontinu, formé d’éléments juxtaposés sans raison, d’autant plus difficile à saisir qu’ils surgissent de façon sans cesse imprévue, hors de propos, aléatoire ».

On peut d’emblée poser que l’écriture de Claude Simon peut se reconnaître comme une écriture de nouveau romancier précisément parce qu’on voit dans son travail cette décomposition, cette fragmentation, cette discontinuité dont parle Robbe-Grillet, et plus précisément dans son œuvre romanesque des années 60.

L’œuvre actuelle de Claude Simon des années 80 et 90 a dépassé cette fragmentation au profit d’une recomposition. Le premier mouvement d’atomisation et de décomposition des souvenirs, des fragments de réalité qui sont présentés par le roman simonien sont recomposés dans une vision unificatrice. On peut considérer que l’exemple de Proust, c’est-à-dire le travail de décomposition que se livre d’abord Proust avant de recomposer toute une vie et toute une œuvre, peut servir de modèle au trajet de l’œuvre de Simon.

La biographie de Claude Simon est une matière fondamentale de son œuvre. Il naît en 1913 à Madagascar d’un père officier, issu d’une famille rurale, entré à Saint-Cyr et tué en 1914, et d’une mère issue d’un milieu bourgeois. L’alliance voire la mésalliance des parents est un thème qui revient dans son œuvre, bien qu’il ne soit pas traité sur le mode de la mésalliance. Sa mère meurt en 1924 et Claude Simon est à 11 ans un enfant orphelin. Il bénéficie des rentes que lui assurent les propriétés de sa famille du côté maternel, en particulier des vignobles.

Il mène une vie de dandy au cours de sa jeunesse et fréquente en particulier l’atelier d’André Lhote, un peintre cubiste mais figuratif. L’importance du regard chez Claude Simon, donc des descriptions suscitées par ce regard, la décomposition à laquelle sont soumises ces descriptions peut être mise en rapport avec un apprentissage du regard pictural formé par le cubisme.

Dans les années 30 il parcourt l’Europe. Il s’intéresse, mais sans s’engager, à la cause des républicains espagnols à laquelle il est favorable. Le soupçon pèse de la part des nouveaux romanciers sur l’engagement et sur l’abdication  de la liberté que peut impliquer l’engagement. Pour Claude Simon c’est la perception de la lutte fratricide qu’il y a entre les communistes et les anarchistes à Barcelone en 37.

En 39 sa vie de dandy cesse puisqu’il est engagé dans un régiment de dragons et mêlé à la cacophonie et au chaos de la guerre où il se bat à cheval contre les blindés allemands. C’est le moteur, cette image de l’incongruité de la stratégie française, du roman « La route des Flandres » en 60. 

Il est fait prisonnier, s’évade et à la fin de la guerre commence sa carrière d’écrivain avec en 45 un premier roman, qui est encore relativement classique dans le sens où la chronologie est respectée, « Le tricheur ». À partir de 51 Claude Simon doit rester alité, il fait une expérience d’ordre physique, assez proche de l’expérience proustienne.

 Il découvre l’importance de la vision et du regard que l’on porte sur les choses, l’importance du souvenir et de la tentative de reconstitution d’un souvenir. Le noeud sans doute de l’œuvre de Claude Simon étant la tentative de restitution de l’image du père qu’il n’a jamais connu. 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Cette entrée en littérature s’associe à une immobilité contemplative et méditative, contemplation et regard sur le réel et méditation d’ordre mémoriel. À partir du « Sacre du printemps », 54, très vite le classicisme encore observable dans Le tricheur s’estompe. La phrase s’amplifie, s’allonge et devient tout à fait démesurée. Dans certains romans comme « Histoire » il n’y a même plus de ponctuation. Dans La route des Flandres il y a quelques points assez rares.

Pour définir l’œuvre de Simon il faut voir la question –de l’écriture de la mémoire puisque toute l’œuvre peut être lue comme une quête mémorielle, –un travail sur la façon de dire ( Sarraute empruntait à  Stendhal son idée sur le génie du soupçon « le génie du soupçon est venu au monde », Simon emprunte à Stendhal une phrase qui est « le sujet surpasse le disant » c’est-à-dire le moyen de dire, il y a un effort et une recherche sur le moyen de dire) – et enfin l’importance de la description.

 Pour entrer dans l’œuvre de Claude Simon qui est difficile il vaut mieux commencer par la fin de l’œuvre et remonter dans le temps. « L’acacia »  publié en 89 aux éditions de minuit–collection minuit double–est un roman magnifique, structuré en séquences. Le roman est totalement acrologique mais il y a des chapitres qui correspondent à des moments datés de l’histoire. On comprend tout le travail sur la mémoire par l’écriture de Claude Simon.

Cela permettra ensuite de lire des textes plus difficilement lisibles comme « Histoire », alors que la matière du roman est la même : cette réflexion sur l’origine et en particulier l’origine familiale. 

Ce qui caractérise, même lorsque le roman est construit, comme dans le cas de L’acacia, en chapitres, avec des dates, une datation très précise qui permet de savoir s’il est question de la première guerre, de la deuxième guerre –première guerre faite par le père – deuxième guerre faite par le fils–, ce qui caractérise même dans ce cas là l’écriture de Claude Simon, c’est la traversée du temps, la dimension achronique.

 Les scènes s’emboîtent, elles n’épousent pas la linéarité successive de l’histoire ou du temps. Les enchaînements se font davantage soit par emboîtement d’images et sur un fonctionnement analogique, une image suscite une autre image, soit par résonance c’est-à-dire par effet de sonorités. C’est la dimension poétique de l’oeuvre.

Dans le discours de Stockholm en 86, Claude Simon dit que le mot est un carrefour de sens mais c’est aussi un carrefour de sons. Dans cette perspective l’écriture est une écriture de la signifiance, de la sonorité des mots et de la musicalité de la langue. Ce fonctionnement, soit par résonance sonore, soit par emboîtement d’images, perturbe la construction linéaire du récit qui cesse d’être linéaire.La perturbation correspond à la définition que lui-même donne du réel : le réel  est un magma confus.

Il y a une métaphore envahissante, la boue. L’image de la boue, et pas seulement dans les Flandres dans laquelle s’est enlisée l’armée française, la boue qu’est la vie, l’existence en général, est tout à fait récurrente. Ce caractère informe de la boue est suggéré par le caractère non linéaire et non organisé d’un point de vue logique du réel. On retrouve cette idée que tout est chaotique et que ce chaos est un désastre, un charnier, dans toute l’œuvre de Simon.

 

 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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« La route des Flandres » est un roman de 1960 dans lequel Claude Simon réutilise une interrogation sur le réel, sur l’histoire, sur le rapport du sujet à l’histoire telle que cette interrogation a pu l’habiter lui-même en 39 « Qu’est-ce qu’on fait là ? ». L’histoire, l’intrigue mobilise aussi, en dehors de la débâcle de l’armée française, un personnage d’un capitaine qui s’est suicidé avec toute une interrogation sur les motivations de ce suicide. 

Dans l’œuvre de Claude Simon l’instinct de vie et l’instinct de mort se répondent. Il y a une très grande importance accordée à la morbidité, à la tentation de la mort et en même temps une très grande importance accordée à la sexualité comme instinct de résistance à l’instinct de mort.

 Il y a un personnage, Georges, qui est en partie responsable de l’histoire, en partie narrateur. Puis à d’autres moments du récit il y a un narrateur extérieur au personnage, ce qui est extrêmement déroutant. On passe de la première à la troisième personne et de la troisième à la première personne.

Les repères sont très difficiles à trouver sur la source de l’histoire et la source de l’énonciation de cette histoire. Qui raconte cette histoire ? L’idée qu’il y a derrière étant justement que cette source est indécidable. La voix est inassignable à une origine qui puisse être définitivement repérable. Il y a une lecture lacanienne du nom Georges choisi pour son personnage « je hors je ».  Un personnage dans l’intériorité, donc la narration à la première personne d’un épisode historique qui peut être suggéré par le choix de la première personne, et en même temps cette intériorité est l’objet de la narration d’un autre, on est hors de cette intériorité. Cela rend compte de la difficulté de lecture liée à ce flottement énonciatif.

La mémoire de cette histoire qui est en même temps collective interroge aussi l’énigme d’un retour du même. Cette débâcle rappelle la première guerre mondiale et donc les différentes figures d’officiers se juxtaposent les unes aux autres. L’histoire est éminemment énigmatique puisqu’elle est à la fois nouvelle, c’est une nouvelle de guerre, et le retour éternel d’un désordre déjà connu.

 C’est très sensible et plus visible dans l’Acacia parce qu’il y a juxtaposition de la guerre de 14, la guerre du père, et la guerre de 39 la guerre du fils. Il n’y a toujours pas de linéarité, on jongle avec les dates mais on sait quelle est la guerre dont il est question. 

Ce sur quoi insiste l’œuvre c’est précisément sur la répétition du même, c’est-à-dire une dimension préhistorique de l’histoire. Il n’y a aucune progressivité du temps, aucune construction au fil du temps. Même si globalement les nouveaux romanciers font chorus pour ne pas se charger de l’histoire, Claude Simon fait néanmoins exception. Les deux guerres sont très présentes dans son œuvre mais aussi la guerre d’Espagne (Le palace).

 L’inscription de l’histoire contemporaine dans le roman de Claude Simon est avérée, mais cette histoire qui se répète donne l’impression d’un enlisement, d’un piétinement toujours dans la boue. Cette histoire est collective, déclinée en deux temps 14 et 39, et donne l’occasion à l’écrivain de travailler à une sorte de roman familial.  Ce roman familial c’est-à-dire la quête d’une origine a laquelle Claude Simon ne cesse d’entreprendre mais qui est inachevable, puisqu’aucune réponse sur le couple qu’était ses parents ne pourra jamais lui être donnée, cette quête est permanente.

 Dans « Histoire » à travers l’image du têtard, le roman s’interroge sur ce « moi » qui est le dernier mot du texte. Et toute l’histoire du roman cherche à reconstituer une image de ce père absent et surtout de ce père volé. Le père a été dérobé au fils et l’envoi du fils en 39 fait revivre un scénario de la vie du père et, d’une certaine façon les deux figures se confondent. Le père est par définition absent, et la figure d’adulte est par exemple l’oncle qui est le plus proche du père dans La toute des Flandres.

(Je souligne les très belles pages de description de chevaux pataugeant et s’enlisant dans la boue ).

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  • 2 semaines après...
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satinvelours Membre 3 006 messages
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 Le père, et c’est vrai dans tout le nouveau roman, n’est plus une figure d’autorité, n’est plus garant de quelque système de valeurs. Toutes les figures d’autorité emblématisées par le père se trouvent réduites à des figures de victimes. L’œuvre n’est pas pathétique car la rhétorique de Claude Simon n’est pas une rhétorique pathétique, mais il y a une dimension compassionnelle sur cette histoire qui broie des générations les une après les autres. 

 La fragmentation, la décomposition, l’atomisation sont relatives à cette expérience de la boue, la répétition du même, du piétinement du temps. La matière de l’œuvre de Claude Simon est profondément biographique. Bien sûr ce n’est pas assumé comme tel. On finit par comprendre que la matière biographique est nodale dans l’écriture du roman mais elle est recouverte par la mise à distance que représentent les descriptions des cartes postales. 

 On voit aussi un autre trait de l’écriture, cette tendance paroxystique à la description, à une permanente continuité. On ne peut jamais donner un compte rendu précis, exact et définitif d’une image. La matière personnelle ou biographique, Claude Simon  ne l’exhibe pas, mais elle est là, à la fin de l’œuvre. Dans le début ce qui est essentiellement lisible c’est la quête, l’effort vers une origine de soi-même, et dans les derniers romans « L’Acacia, le Jardin des Plantes et Le Tramway » la dimension autobiographique est de plus en plus évidente.

 Tous ces nouveaux romanciers on fini par écrire leur autobiographie. Robbe-Grillet «Les Romanesques » 85, Nathalie Sarraute « Enfance » 83, et Claude Simon « L’Acacia » 89.

La mise entre parenthèses du sujet et la vie personnelle qui allaient de pair avec une méfiance à l’égard de la psychologie, correspondaient à un refoulement et ce refoulement à un moment est levé par tous ces auteurs qui, bien sûr inventent un geste d’écriture autobiographique nouveau, mais néanmoins prennent en charge la dimension personnelle de chacune de leurs existences. 

Ce qui est nouveau dans le geste, c’est précisément que l’autobiographie se présente toujours comme une auto fiction ( Doubrovsky). Tout ce qui a  rapport au moi, à la famille est là, mais toujours présenté soit sous le titre de Romanesques, soit sous l’appellation de roman chez Simon. L’idée est de présenter la mémoire comme grevée par l’oubli donc forcément suspectée puisque se souvenir c’est inventer.

Le terme d’autofiction peut assez bien correspondre à ce geste autobiographique des nouveaux romanciers, geste auquel a priori ils n’étaient pas destinés (si l’on en croit leurs déclarations de principe des années 50).

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satinvelours Membre 3 006 messages
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 Il y a à la fois une reconnaissance de centrage sur soi et l’impossibilité d’échapper à soi qui nous caractérise tous, et d’autre part l’impossibilité de dire quelque chose qui soit absolument vrai. La part de fiction, y compris dans un travail autobiographique, est incontournable. 

[ Je reviens sur le soupçon.

 A propos du soupçon qui pèse sur la mémoire et à propos de ce que se souvenir veut dire.

 Est-ce que cela veut dire avoir stocké des images emmagasinées telles qu’en elles-mêmes et que l’éternité ne changera pas, ou bien être travaillé de l’intérieur par des images ou des scénarios  qui finalement sont réélaborés par le sujet à travers la distance qui sépare un mouvement vécu du moment tel qu’il est remémoré ? 

 Toute cette réflexion sur la part d’imagination qui serait consubstantielle à la mémoire est menée par Pinget. J’ai évoqué Pinget et L’Inquisitoire dans la première partie du nouveau roman.

 L’Inquisitoire n’est pas du tout un roman autobiographique mais il offre une réflexion sur ce qu’est l’invention, l’imagination et la mémoire. C’est un roman entièrement dialogué. Il met en scène un personnage d’un vieux domestique sourd qui n’entend pas ce qu’on lui demande et un groupe de personnages, des messieurs qui restent toujours anonymes, qui l’interrogent sur le mode d’un interrogatoire inquisitorial, d’où le terme que Pinget est allé rechercher dans la langue médiévale. Pinget a une formation d’avocat. 

On soupçonne que quelque chose s’est passé dans cette maison et le domestique est sommé de se souvenir. Il ne peut pas se souvenir : soit il couvre ses patrons, soit il est sourd et n’entend pas ce qu’on lui demande.

Pinget propose une approche du souvenir, de ce que souvenir veut dire, qui est assez proche de la conception que s’en font les auteurs d’autobiographies nouvelles. Ce qu’on se rappelle n’est jamais que de la fiction, du bricolage qui a été élaboré dans notre tête, qui s’appelle le souvenir, mais qui est en fait un fantasme. Toute cette incongruité des autobiographies néoromanesques est relative à ce soupçon qui porte sur la mémoire et au soupçon en général qui porte sur la subjectivité. ]

 L’œuvre de Simon est une œuvre très difficile.

 Dans la manière simonienne il y a d’une part l’absence de ponctuation, c’est-à-dire la volonté d’épouser un flux, le flux du temps quand bien même l’œuvre reste achronique.

 Cette absence de ponctuation il ne l’invente pas, il renvoie régulièrement à Faulkner. Il s’agit de mettre sur le même plan, sans rupture et sans hiérarchisation, des phénomènes qui sont des objets, soient des descriptions, soient des narrations.

 Puis il y a quelque chose qui s’est considérablement raréfié qui était symptomatique dans la manière des années 60, c’est la pratique du participe présent en particulier dans La route des Flandres. Cet usage est extrêmement intéressant de la part de Claude Simon car le participe est un mode impersonnel. Or comme on ne sait jamais dans ses romans qui parle, qui se souvient, Georges ou un narrateur extérieur à l’histoire, le participe comme mode permet à Claude Simon d’évacuer la question de la voix qui est une question centrale du roman et une des questions affrontées par le nouveau roman.

Il utilise très symptomatiquement le participe présent. Le temps présent permet d’évacuer une construction chronologique de la reconstruction historique et de rendre une forme de simultanéisme de la conscience.

Même lorsque un texte est au passé, même lorsqu’un récit est au passé, ce qui est le cas de La route des Flandres, le passé de la narration permet de renvoyer à une antériorité par rapport au geste d’écriture, ce qui est raconté, et en même temps ce passé est actualisé par le participe présent. Comme si au moment même de la narration, au moment même où le geste d’écriture accouche de l’histoire, l’actualisation à la conscience était rendue par le participe présent.

 

 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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 Le dépassement de la chronologie, le contournement de la chronologie est rendu de façon privilégiée par le participe présent qui permet d’évacuer la question de la personne et d’évacuer la temporalité, c’est-à-dire de contourner les contraintes majeures de l’écriture du roman. Il renvoie toujours à cette indécidabilité de la source du sens puisque le mode est impersonnel donc la subjectivité est toujours associée à la méconnaissance et la temporalité.

 D’une certaine façon la béance de la temporalité et de la subjectivité est mise en histoire, en récit, au centre même de La route des Flandres, au centre même du roman, alors que précisément dans un roman traditionnel, au moment de l’attaque allemande que Georges subit on s’attendrait à un récit de cette attaque, là, le personnage s’évanouit. Dans la narration il y a un blanc, un vide qui reste au cœur du texte.

 Il y a de la part de Claude Simon une reconnaissance très humble de son incompétence romanesque.

Claude Simon a toujours dit qu’il était un capable d’inventer, ce qui explique aussi que le matériau soit définitivement repris, retravaillé  et réélaboré, un matériau biographique et personnel. L’incompétence de l’invention, l’incapacité à inventer une histoire, pouvait diriger Claude Simon vers la peinture d’abord, et ensuite diriger le roman simonien vers la description. 

C’est la raison pour laquelle dans le texte simonien on trouve infiniment de descriptions et en particulier une œuvre assez intéressante à cet égard  qui s’appelle « Tentative de restitution d’un retable baroque » qui bien sûr peut difficilement se faire par la narration.

C’est davantage un geste descriptif qui pourrait en rendre compte, et en même temps ce geste descriptif est toujours voué à l’échec ou en tout cas à l’insuffisance d’une tentative de restitution de retable baroque.

L’adjectif baroque, sans doute, caractérise l’écriture de Claude Simon et de Nathalie Sarraute même si elles sont évidemment différentes. Il s’agit toujours d’une écriture qui évolue en boucle et même en spirale, toujours ouverte et toujours inachevée. Cette restitution cette tentative de restitution de retable baroque ou d’un roman familial est toujours ouverte est toujours inachevée.

Il y a dans l’œuvre de Simon des traits communs à  un certain nombre de nouveaux romanciers. Il y a des soupçons et des interrogations,  une matière très personnelle, extrêmement intime, beaucoup plus que dans les autres œuvres des nouveaux romanciers, et en même temps une interrogation sur l’histoire et sur le rapport du sujet à l’histoire.

 Claude Simon est sans doute, à sa façon bien sûr, pas sur le mode sartrien, le plus engagé des nouveaux romanciers par rapport à l’histoire, mais cette histoire croisant un destin individuel et un destin collectif .

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satinvelours Membre 3 006 messages
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L’OuLiPo

Queneau–Pérec.

 Cette incapacité à inventer, à produire du roman qui nous fasse participer à une histoire, qui finalement satisfasse un désir d’histoire, est revendiquée par un autre groupe, le groupe des oulipiens.

Comment le nouveau roman et le roman oulipien sont des propositions de créations différentes à des questions communes ?

 On peut considérer que l’œuvre de Raymond Queneau, et l’œuvre de Georges Perec ensuite, se détournent des mêmes choses que celles qu’avaient refusé et dont s’étaient éloignés les nouveaux romanciers : du sérieux et en particulier du sérieux de l’engagement de l’humanisme, d’une littérature à idées pour ne pas dire d’une littérature à thèses.  Ils se détournent du réalisme, de l’intérêt qu’il y aurait à rendre compte de la réalité, d’un référent extérieur au texte et se détournent aussi de l’idée que la création puisse être le produit d’une inspiration ou d’une génialité, c’est-à-dire le produit ou le fruit d’un sujet intéressant du point de vue de ses émotions, de ses sentiments et de ce qui nourrirait son œuvre.

 Loin du sérieux du nouveau roman choisi par Robbe-Grillet, les oulipiens choisissent la fantaisie, c’est-à-dire une certaine forme d’arbitraire.  Robbe-Grillet, Ricardou, Queneau ou Pérec choisissent aussi de considérer que l’écriture est une aventure c’est-à-dire un exercice, un jeu et que l’espace littéraire est un espace autonome par rapport à la réalité. 

 Il y a une filiation certaine entre l’esprit du surréalisme, la volonté de ludisme du surréalisme, de liberté du surréalisme et le jeu sur la matérialité du langage, et non pas la référence à une réalité intratextuelle, il y a une filiation certaine entre le surréalisme, la revendication des nouveaux romanciers et les revendications des oulipiens en particulier. Cette filiation est tout à fait vérifiable par la fréquentation et la familiarité que Queneau entretient jusqu’en 1929 avec André Breton. 

Dans les années où l’oulipo est créé, dans les années 60, cela fait déjà un certain temps que Queneau s’est éloigné du surréalisme. Mais sa première curiosité va au surréalisme, c’est-à-dire une aventure littéraire qui n’est pas une aventure narrative mais une aventure poétique.

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Invité Barbara lebol
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Invité Barbara lebol
Invité Barbara lebol Invités 0 message
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Bonjour Satinvelours, je me permets d'intervenir dans votre fil. 

J'avais lu des ouvrages d'un membre de l'Oulipo ; il s'agit entre autres, de Sphinx d'Anne Garréta. Le challenge consistait à ne pas dévoiler le sexe des héros du roman ; donc pas de marque grammaticale au féminin, pas de pronom personnel (il ou elle ) indiquant le genre des personnages.

Ce livre m'est apparu comme étant davantage un exercice de style qu'un roman classique.

Non découragée, j'ai compulsé ensuite "Ciels liquides" ; une grande partie de l'action se passe dans un cimetière. Le personnage très tourmenté, sombre progressivement dans une espèce de folie.

Avez-vous lu Anne Garréta ? Qu'en pensez-vous ?

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Il y a 21 heures, Barbara lebol a dit :

Bonjour Satinvelours, je me permets d'intervenir dans votre fil. 

J'avais lu des ouvrages d'un membre de l'Oulipo ; il s'agit entre autres, de Sphinx d'Anne Garréta. Le challenge consistait à ne pas dévoiler le sexe des héros du roman ; donc pas de marque grammaticale au féminin, pas de pronom personnel (il ou elle ) indiquant le genre des personnages.

Ce livre m'est apparu comme étant davantage un exercice de style qu'un roman classique.

Non découragée, j'ai compulsé ensuite "Ciels liquides" ; une grande partie de l'action se passe dans un cimetière. Le personnage très tourmenté, sombre progressivement dans une espèce de folie.

Avez-vous lu Anne Garréta ? Qu'en pensez-vous ?

Bonjour Barbara lebol 

Je n’ai lu d’Anne Garréta que Sphinx. Le succès à sa sortie fut immédiat.

Anne Garréta ne pouvait que séduire les oulipiens dont le travail cherche à expérimenter toutes contraintes littéraires nouvelles.

 La contrainte dans le roman Sphinx est très subtile. En effet il est impossible de connaître le sexe des héros. L’énigme reste irrésolue le livre refermé.

Anne Garréta se détourne du réalisme, son roman n’est pas un roman traditionnel. L’atout majeur de ce livre est un style brillant au vocabulaire recherché, éminemment riche. C’est le travail de style qui porte et soutient le livre,  c’est ce que je perçois tout au long du roman.

Je vous suis tout à fait dans votre réflexion. Ce roman, comme dans l’ensemble des romans Oulipiens, est un exercice de style. Votre ntervention m’encourage à lire d’autres ouvrages d’Anne Garréta  à laquelle je ne m’étais pas attachée lors de la sortie de Sphinx.

Dans l’étude que je propose j’ai porté mon choix sur Queneau  et Pérec parce qu’ils sont les représentants les plus éminents du groupe. 

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satinvelours Membre 3 006 messages
Forumeur vétéran‚
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Autre point commun à l’ensemble Breton, Robbe-Grillet et Queneau, l’admiration pour Raymond Roussel.

Raymond Roussel est un auteur du début du siècle que Breton a découvert et porté aux nues en le comparant à Lautréamont, ce qui est une référence majeure pour le surréalisme. Il est connu pour deux textes qui datent l’un de 1909 « Impressions d’Afrique » dans lequel Roussel joue à réécrire Jules Verne, et joue avec les stéréotypes et les idées reçus sur l’Afrique, puis « Locus Solus » 1914, où un savant fou expose ses inventions plus délirantes les unes que les autres : une demoiselle volante, un diamant dans lequel évolue une danseuse qui, avec ses cheveux, fait de la musique et une vitrine dans laquelle des morts qui sont conservés dans la résurrectine, rejouent, dit  Roussel, la scène majeure de leur vie. 

 L’écriture devient un travail de rhétorique. L’idée est commune, aussi bien lorsque Ricardou dit que l’écriture ne raconte plus une aventure mais elle est elle-même une aventure, que lorsque Queneau créera en 60 l’Oulipo, l’idée que l’écriture est de la rhétorique, c’est-à-dire un exercice qui obéit à des procédés et qui connaît des techniques. 

 À partir de cet engouement pour des procédés, des savoir-faire ou des exercices on peut comprendre que Queneau, qui est d’abord intéressé par la philosophie et les mathématiques, se mette à écrire des textes qui sont justement des variations rhétoriques

Il est d’abord l’auteur de romans-poèmes « Le Chiendent » et a pour spécificité secondaire d’être démarqué du discours de la méthode de Descartes. L’idée est que ce roman refusera le romanesque. Il se choisit des contraintes, celle de Descartes, par exemple, d’un traité qui serait la matrice du chiendent. Et ensuite aussi bien dans « Loin de Rueil » en 45, que dans un livre de 65 « Les fleurs bleues » Queneau travaille sur des possibles narratifs à partir d’une même origine. Ce qui l’interesse vraiment c’est la variation rhétorique  à partir d’une donnée originelle de la fiction, « Les exercices de style ».

Il y a de la part d’Italo Calvino qui a fait partie du groupe de l’Oulipo un travail de ce type dans son roman « Si par une nuit d’hiver un voyageur ». C’est une succession de possibles narratifs à partir d’un même début, un jeu de constructions et de variations.

 Queneau dirige la bibliothèque de la Pléiade chez Gallimard, il entre à l’académie Goncourt et entre au collège de pataphysique qui rend hommage à la mémoire d’Alfred Jarry, Alfred Jarry ayant créé le mot pataphysique pour se moquer des institutions et des académies.

Cette ambivalence de Queneau et le sérieux qu’il accorde à cette fantaisie à laquelle il travaille est intéressante. Il y a de sa part la volonté anti académique de rendre, d’accueillir la langue orale, héritage de Céline, la langue parlée, dans l’écriture et la littérature. C’est très sensible dans « Zazie dans le métro » et Queneau écrit beaucoup sur la volonté de rendre la langue réellement parlée et lui laisser une place dans la littérature parce que cette langue réellement parlée lui paraît aussi, du point de vue des inventions verbales, des enchaînements de sonorités, plus foisonnante que la langue académique.

Par ailleurs, c’est un auteur de dialogues, de scénarios de films. Il a écrit un roman dialogué « Le vol d’Icare » 68, plein d’humour sur un romancier qui crée un personnage qui sort de son texte et qui lui est donc volé. Toute la fantaisie poétique, assez onirique dans certains de ses textes s’associe à une très grande rigueur et à une très grande contrainte du point de vue formel et du point de vue rhétorique. Cet art oulipien s’apparente à l’art des grands rhétoriqueurs du XVIe siècle qui opposent au lyrisme un travail formel rigoureux.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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 L’ouvroir de littérature potentielle qui donne à l’Oulipo ses premières syllabes est créé en 60, avec l’idée de former un groupe qui partage cet engouement pour la rhétorique, et qui propose des procédés de production textuels. Il ne s’agit pas d’invention encore moins d’inspiration. L’inspiration est contestée, l’inconscient aussi. 

De la part de ce groupe et de la part d’écrivains formalistes, il y a la volonté de ne pas accueillir ce qui, du point de vue de la subjectivité et des réflexions contemporaines sur la subjectivité, pourrait faire dérailler le roman. Donc la technique, les contraintes et les procédés de production textuels permettent de laisser le champ libre à l’abri de l’imaginaire, du fantasme et de l’inconscient.

 Ce qui est important c’est la gratuité de la règle qui est arbitraire, qui n’a pas besoin d’être motivée autrement que par la démurgie de l’auteur, mais qui ensuite est impérative.

 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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 Pérec a rendu hommage à Queneau mais ses textes ont une dimensions de volume et une dimension romanesque plus amples que l’oeuvre de Queneau. Il est très intéressant.

Les textes de Queneau et des oulipiens en général, restent des textes brefs, courts, du fait de ce jeu de contraintes. Pérec a réussi à combiner dans le respect de l’oulipo le respect des contraintes et en même temps à donner à son œuvre une dimension romanesque et une dimension sociologique. 

La contrainte majeure que l’on connaisse qui donne lieu à un roman, dont le volume ait un volume de roman, est celle qui a produit « La Disparition » qui est écrite sans qu’une seule fois soit utilisée la lettre « e ».  La contrainte qu’avait choisi Pérec, qui pour le français est une contrainte éminemment difficile, était d’éliminer le e. A ce livre fait pendant un autre « Les Revenentes », un clin d’œil, la réponse sous la forme d’une autre contrainte qui est le retour du e.

Le talent de Pérec est tel qu’on peut lire  La Disparition sans jamais s’apercevoir du poids de cette contrainte, sans jamais noter qu’il n’y a aucun e dans le récit, ce qui tient du prodige.

 Pérec a un intérêt marqué pour le classement. Cet intérêt pour le classement manifeste de la proximité entre les ouvrages de création, aussi bien des nouveaux romanciers que des oulipiens, et l’importance, comme l’appréhension du réel et de l’art, du structuralisme dans les sciences humaines.  Cette manie du classement c’est-à-dire de la présentation du réel en système, système à l’intérieur duquel des objets prennent place et ne peuvent signifier que par la place qu’ils occupent à l’intérieur du système, ne peut pas se comprendre en dehors du structuralisme et du mode de pensée instauré par le structuralisme.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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 Je reviens sur l’oulipo constitué des initiales première des trois mots, ouvroir de littérature potentielle. Le choix du mot ouvroir qui lance l’expression en 60, c’est le meuble utilisé par les couturières pour ranger leur matériel de couture. Il y a d’une part la dimension artisanale de l’écriture par rapport au génie, amplifiée par ce mot-là, et d’autre part le caractère de bâti que peut être chaque écriture. L’écriture étant un travail de variations, de combinaisons, de permutations c’est-à-dire de constructions. 

Le groupe est créé parce Queneau et François Le Lionnais. Dans ce groupe entre en 70 Pérec qui appartient à une autre génération. Il est né un 36 et meurt en 1982. C’est un écrivain, je l’ai dit, intéressant car son œuvre est variée, évolutive. 

Progressivement il évolue vers une sorte de somme romanesque avec « La vie mode d’emploi » dont le titre présente une ambition totalisante assez marquée, puis vers l’écriture autobiographique qui est, par définition, aux antithèses des choix et des options prises par les oulipiens.

C’est une œuvre singulière mais c’est aussi un maillon dans la chaîne des générations. Pérec commence en littérature en écrivant un premier roman « Les choses », 65, reçu comme un roman de type sociologique qui présentait un inventaire des choses désirables pour un jeune couple d’enseignants dans les années 60 rêvant de partir en coopération.

C’est un roman très flaubertien par le ton, très ironique avec beaucoup de style indirect libre. Pérec dénonce les désirs  en ce qu’ils sont conformes et conventionnels et dénonce la facticité  mimétique de ces désirs. Il dénonce une forme de facticité et surtout le fait que la chose n’est envisagée dans cette société que comme un signe d’appartenance sociale, et un signe de la situation du sujet dans le monde. L’idée étant que le désir des personnages est à la fois ce qui est censé correspondre à leur intimité et en même temps le signe de tout ce qui est conventionnellement désirable dans notre société.

On trouve dans Les choses la panoplie de ce que Barthes énumère dans « Mythologies » et l’idée qui est théorisée à peu près en même temps par René Girard, en particulier dans un essai qui s’appelle « Mensonge romantique et Vérité romanesque » selon laquelle René Girard élabore sa théorie du désir triangulaire. 

Il propose l’idée, c’est un anthropologue, que le sujet humain n’a jamais de rapport immédiat avec l’objet de son désir. Le rapport à l’objet du désir est toujours médiatisé par un autre situé dans le ciel quand on vit dans une société qui croit encore au ciel, ou qui peut être l’ensemble des citoyens et l’ensemble des congénères d’une société laïque. Le désir humain est fondamentalement inauthentique, mimétique. 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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 Les choses est reçu comme un roman sociologique car il fait un état des lieux des choses dans la société de consommation juste avant 68. On peut y voir une illustration, par le biais du roman, de cette théorie qui apparaît en sciences humaines et de la thèse que René Girard ne cessera ensuite de défendre. 

Le désir est impersonnel, il ne renvoie pas du tout à la subjectivité de celui qui l’éprouve, il renvoie bien davantage à l’ensemble des médiateurs qui se trouve entre le sujet et l’objet de son désir. Pérec a passé beaucoup d’écritures à dénoncer le conformisme. Dans deux autres textes « Espèces d’espaces et Tentative de description de quelques lieux parisiens » on trouve en dehors de la description ironique, du mimétisme, de l’inauthenticité, l’influence du structuralisme. 

 Le structuralisme c’est le mode de pensée qui naît de la linguistique. C’est au moment de la première  guerre mondiale que la linguistique se développe avec Saussure.  Il pose, plutôt que de continuer à analyser la langue en termes de morphologie, de syntaxe et de sémantique, que la langue ait un système et une structure, et qu’à l’intérieur de cette structure des éléments fonctionnent, qui sont des faits linguistiques, et prennent sens par les relations qu’ils entretiennent entre eux.

 Le structuralisme naît de la linguistique, se développe avec l’ethnologie, et en particulier la pensée de Lévi-Strauss, et avec la psychanalyse lacanienne. Il est évident que le discrédit du roman est relayé par le discours des sciences humaines et par la mode du structuralisme qui consiste finalement, en ce qui concerne la littérature, à considérer le texte comme un système linguistique et littéraire, c’est-à-dire à remplacer, à éliminer la notion d’œuvre et la notion d’auteur et toute une critique que la Sorbonne incarnait.

 En linguistique pure pour Saussure la combinaison c’est l’acte de la phrase, l’acte syntaxique et l’acte de substitution, c’est ce qu’il appelle l’acte du paradigme, c’est-à-dire où l’on substitue un mot à un autre quand par exemple on élit un synonyme plutôt qu’un autre.  Ce mode de pensée fait fureur dans les sciences humaines et dans la théorie littéraire . Il élimine une partie du romanesque, accrédite la thèse selon laquelle le roman ne doit plus être ce qu’il était et la mode du classement, qui se vérifie dans les textes de Pérec cités  Espèces d’espaces et Tentative…, correspond à une mode intellectuelle contemporaine. 

 Parallèlement au moment où les sciences humaines dans le champ intellectuel veulent se mesurer aux sciences exactes, c’est-à-dire veulent se soustraire à l’accusation qui pèse toujours sur elles, et a fortiori sur la littérature et le littéraire, accusation d’impressionnisme, le structuralisme paraît être une façon excellente de montrer la scientificité de l’écriture ou des analyses menées sur une écriture. Toute la modélisation qui existe en mathématiques, les mathématiques modernes, sert de modèle pour les sciences humaines et pour le structuralisme.

 

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satinvelours Membre 3 006 messages
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 L’écriture de Pérec illustre un peu cette dimension-là et en même temps son œuvre excède cette dimension, c’est-à-dire qu’elle n’est pas réductible à un moment contemporain de la pensée. L’exercice le plus brillant de la littérature oulipienne est, je l’ai déjà mentionné, La Disparition, roman à contraintes. C’est un exercice brillant d’une très grande virtuosité.

Mais il y a une autre partie de l’œuvre tournée vers soi, vers le sujet Pérec et vers la mémoire de Pérec qui annonce qu’il quitte le terrain privilégié de l’oulipo, de la littérature à contraintes et d’une conception de la littérature comme travail artisanal de combinaison, de classement, de permutation, vers un travail sur soi.

 À la fin des années 70 et au début des années 80 il ressuscite le souvenir de sa famille morte en déportation donc consacre plusieurs œuvres à se souvenir. Ce sont des œuvres d’orientation autobiographique mais qui sont travaillées depuis les origines littéraires de Pérec.

 Dans « Je me souviens » Pérec énumère l’ensemble des éléments culturels de son enfance, c’est-à-dire les panneaux publicitaires, les slogans, les objets, les vedettes connues au moment de son enfance, les produits nouveaux, les discours politiques : c’est toujours une application littéraire des Mythologies de Barthes. C’est un ouvrage de mémoire subjective: je me souviens mais en même temps cette mémoire subjective renvoie au monde des choses et des objets qui entourait cette enfance. Le souvenir de l’enfance avec ce qu’il peut avoir de tragique est exclu de Je me souviens. 

 En revanche il revient sur ce souvenir dans « W ou le souvenir d’enfance ». C’est un livre qui est une combinaison d’un roman intitulé W qu’aurait écrit l’enfant et un souvenir d’un récit rapporté à l’enfant de ses parents disparus. Un souvenir indirect de ses parents disparus. Le malaise que suscite l’œuvre est qu’un roman écrit par un enfant mettrait en première place l’aventure physique et le récit des souvenirs fragmentaires des parents disparus. Tout ce que contient la partie W du souvenir d’enfance rappelle de façon évidente le discours nazi sur le corps, le culte du corps et ce qui manque c’est la figure des parents disparus  qui ne réapparaîtra jamais.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Pérec s’explique de cette disparition en disant que le souvenir d’enfance ne pourra restituer l’image des parents morts « Une autre histoire, la Grande, l’Histoire avec sa grande hache avait déjà répondu à ma place : la guerre, les camps ». Et finalement dans cette impossibilité de remonter à une figure des parents disparus Pérec lie le destin collectif de la communauté européenne.

 Il fait de l’impossibilité de faire revenir à la surface ce souvenir des parents disparus, le souvenir d’un devenir collectif, c’est-à-dire une extinction que l’Europe a portée. Et toute notre culture selon Pérec est consacrée à porter un culte aux choses faute de sujets.

« Je ne sais pas si je n’ai rien à dire, je sais que je ne dis rien; je ne sais pas si ce que j’aurais à dire n’est pas dit parce qu’il est indicible (l’indicible n’est pas tapi dans l’écriture il est ce qui bien avant l’a déclencée); je sais que ce que je dis est blanc, est neutre, est signe une fois pour toutes d’un anéantissement une fois pour toutes ».

Cette neutralité, cette blancheur ce sont des mots qui sont dans la mémoire littéraire de ces années-là attachés à la figure de Blanchot.

« La vie mode d’emploi » en 78 est un roman à contraintes avec un jeu de constructions et de citations. C’est une totalisation de différents petits romans :  sentimental, policier, sociologique qui se se passerait à l’intérieur d’un immeuble. L’unité du roman vient de l’unité de lieu. Il y a toujours un certain classicisme dans l’oulipo. Le prétexte de l’intrigue est qu’un peintre veut peindre la vie d’un immeuble parisien. Chaque pièce de l’immeuble est une case dans un système de correspondance.

 Voilà la contrainte : « 21 fois 2 séries de 10 éléments qui sont ainsi permutées et qui déterminent les éléments constitutifs de chaque chapitre » .  On retrouve l’obsession de la construction, de la combinaison, de la permutation mais en même temps cette permutation accueille un matériau romanesque. L’ensemble du roman représente une sorte de somme romanesque possible sur le contemporain.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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L’idée de Pérec est d’établir une sorte d’encyclopédie par le roman, d’encyclopédie du contemporain. Il y a une volonté qui renoue avec le réalisme, au roman, au personnage, à la totalisation romanesque mais en étant passée par la construction, la permutation, la combinaison.

Cette œuvre là est symptomatique d’une déconstruction du roman consécutive à l’oulipo et à toutes les critiques qui ont pesé sur le roman d’une construction, d’une refondation, ou d’une relégitimation du roman sur les ruines qu’avait laissé l’oulipo ou le nouveau roman.

Encyclopédie du contemporain toujours avec l’idée que le réel est un ensemble de signes ou de symptômes, symboles ou rites. On retrouve là toute la pensée et tout l’arrière plan des sciences humaines derrière Pérec. 

 Dans  un dernier récit de 80 « Récits d’Ellis Island » Pérec interroge, dit-il, l’errance, la dispersion, la diaspora. On retrouve à la fois l’effacement, la dispersion et la méditation sur le simulacre, sur le signe comme simulacre et sur l’intertextualité. L’appartenance à la littérature et l’hommage à la littérature deviennent des données de l’écriture du roman. 

Avec Pérec on peut donc observer un glissement des années 60 aux années 80 qui est tout à fait représentatif du glissement qui se confirmera dans les années 80 et 2000. Ce déplacement renvoie bien à une sorte de retour au réel, de retour au sujet mais mis à distance et filtré par le discours des sciences humaines dénonçant la part de simulation propre au roman et aux œuvres de fiction dans le fonctionnement social.

 Pérec rend hommage à un art du roman comme construction et à un désir de roman : écrire pour l’auteur, lire pour le lecteur.

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satinvelours Membre 3 006 messages
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Du roman au récit 

Blanchot–Des Forêts.

Maurice Blanchot est mort en 2003 et son décès a suscité une émotion certaine parmi un petit nombre de ses lecteurs peu nombreux et très religieux.

Le nom de Blanchot est peu connu puisqu’il a choisi délibérément de se retrancher de la scène sociale, mais son nom dans les années 60 a marqué toute la littérature et a eu autant d’impact sur l’écriture, la production littéraire que le structuralisme a pu en avoir. La pensée de Blanchot n’est pas réductible au structuralisme mais les deux conjugués on fait que pour que Le Clézio, Modiano et autres puissent écrire du roman il fallait vraiment en avoir envie. Le soupçon ou le dogme, aussi bien du structuralisme que de la pensée neutre, était très puissant. 

 Blanchot écrit des récits déjà dans les années 40 dont la pensée sera importante à travers les essais sur la littérature qu’il publie, beaucoup plus qu’à travers les récits. Ses romans ou ses récits ont moins d’impact sur la production littéraire que sa pensée critique. Ce qui se dit dans sa pensée critique se lit dans les récits qui sont déjà marqués dès 42, (« Thomas l’obscur ») par l’obsession de la mort, de la dispersion, du silence, de l’incommunicabilité, du vide. C’est un trait de la littérature blanchotienne.

 Les personnages sont évanescents. Ils apparaissent et disparaissent ipso facto et le roman se consacre plutôt à l’absence, au vide et à l’énergie d’être. La pensée critique de Blanchot a élu un certain nombre d’écrivains sur lesquels ses textes font autorité parmi lesquels il y a Kafka mais avant il y eut Mallarmé, Dostoïevski, Proust et Beckett, et le travail de Blanchot sur Beckett est tout à fait conséquent. Donc des écrivains pour lesquels l’incommunicabilité, le caractère énigmatique du monde ou de l’être, l’obsession de l’isolement et de la solitude, l’obsession de la mort, toutes ces obsessions sont communes.

 Il y a un thème de Blanchot qui est récurrent, c’est l’accompagnement. Il y a toute une réflexion sur ce qu’est communiquer, ce que communiquer veut dire, ce qui n’empêche pas l’obsession de la solitude. Ce qui caractérise la figure et l’impact de Blanchot c’est ce qu’il retient de Mallarmé, c’est-à-dire l’idée selon laquelle toute nomination est une mise à mort. Le signe se fonde sur l’absence de référent, sur l’absence de la chose et toute apparition par la parole est une disparition de l’objet. 

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