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Un truc qui trainait


Pheldwyn

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Membre, Explorateur de Nuages, 47ans Posté(e)
Pheldwyn Membre 25 239 messages
47ans‚ Explorateur de Nuages,
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Le « vieux » n’était pas véritablement coopératif. Pour chaque nouvelle indication que le député Brenvald parvenait à lui arracher, l’escouade devait supporter une nouvelle salve de palabres acerbes, d’insultes, et autres diatribes absconses. Le reste du temps, il maugréait et ronchonnait dans sa barbe hirsute, une touffe blanchâtre – oui, blanche ! - absolument malvenue et grotesque, mais  qui présentait  au moins l’avantage de masquer sa bouche édentée. 

Les yeux noirs de l’homme étaient cernés, et son visage était parsemé de saillies de peau flasque, criblée de plis : des rides. 

L’ancêtre n’avait certainement jamais profité de la plus élémentaire science esthétique ; pas la moindre injection de Vitabiol, pas le moindre traitement dermique ou cellulaire, pas la moindre opération chirurgicale, dispensés pourtant régulièrement à n’importe quel membre de la Cité depuis sa plus tendre enfance, bien évidemment selon les altérations génétiques de chacun.

 

Même pour un Disgracieux, c’était à peine concevable : sans aucun doute, Simon  savait qu’il observait là l’un des plus pitoyables spectacles de son existence ;  jamais être humain n’avait semblé aussi vieux et laid. Simon n’était pas habitué à devoir surmonter un tel dégoût ; mais il se doutait bien de ce qui l’attendrait, lorsqu’il avait signé son contrat d’agent régulateur.

Et puis, pour être honnête, il fallait bien reconnaître que l’individu ne dépareillait nullement avec le décor dans lequel le groupe évoluait depuis quelques heures ; labyrinthe lugubre, désolé et puant, le secteur des Taudis portait bien son nom.
 

Des individus traînaient le long des murs ; la majorité des hommes n’avaient pas le menton épilé comme le De Virilita le recommandait ; pire, la plupart des femmes n’étaient ni maquillées, ni même fardées, ni encore décemment coiffées. Et c'était sans parlé de leurs frusques.
La loi de la Cité aurait largement autorisé les hommes de Simon à verbaliser. Mais ce n’était ni le lieu – l’autorité de la Cité n’avait guère d’emprise sur les Taudis -  ni le moment, car ce soir Simon et son unité menaient une opération sous couvert, officieuse.

 

Une manœuvre politique, pour le compte du député Brenvald, l’une des têtes pensantes des Modérés ; et, accessoirement, le parrain de Susan, la femme de Simon. Bref, le jeune homme blond, d’ordinaire si peu enclin à se préoccuper des affaires politiques, n’avait cependant pas refusé ce service lorsque l’influent politicien le lui avait demandé.

Même s’il n’appréciait nullement l’instant présent, Simon tentait de conserver résolument son bien-être mental, comme on le lui avait enseigné durant sa formation de jeune Citoyen. 
Au moins, ils approchaient de la cible. 

A la traîne, le vieux éructait toujours :
 « … qu’une resucée des idées nazies ! Voilà quelles sont les valeurs de votre société, des ariens, voilà ce que vous êtes dev … 
- Vous voulez parlez de cet Alfonse Hilter ? Ce dictateur d’un autre siècle ?
Le député Brenvald ne se déparait pas de son calme, bien au contraire : il arrivait même à entretenir la conversation avec le vieux, avec une décontraction, un amusement apparent. Il passait fréquemment la main dans sa courte chevelure blonde ; bien que sans doute aussi agé que son interlocuteur, il ne présentait aucune ridule et n’aurait jamais toléré ne serait-ce qu’un cil blanc sur son visage doux, reposé, lisse. 
Ses yeux bleus pétillaient d’une certaine malice : Simon avait toujours trouvé étrange de voir comme le regard de ce personnage toujours serein semblait habité, différent de celui-des autres. Aussi inconcevable que cela soit, ses yeux exprimaient parfois davantage que sa voix.

 - Hitler. Adolf Hitler. L’un des plus grands monstres du XXième siècle, mais certainement pas le seul … 
Simon fut surpris de voir que les yeux pourtant frippés et ternes de l’ancêtre exprimaient eux-aussi une certaine vigueur, comme une émotion, une forme de passion.

 - Mais ce Hil … Hitler, il en avait surtout après des religieux, je crois. Les jufs, quelque chose comme cela. Le professeur Rikland parlait toujours avec rectitude. Il semblait bien moins patient que le député, et s’il se passait la main dans ses boucles dorées, c’était surtout par nervosité. Son regard bleu était aussi froid et éteint que celui de l’ancêtre paraissait désormais profond à Simon :
- Les juifs ? Oui, essentiellement. Mais pas seulement … Il en avait après les handicapés …
- La sélection prénatale nous permet d’éviter les cas pathologiques, et la bio-technologie se charge des accidents … certes, beaucoup trop encore finissent par se retrouver dans les Taudis, mais nous faisons chaque jour de nouveaux progrès …

 

- … les homosexuels …
- Cela fait des siècles que les parents peuvent choisir les orientations sexuelles de leurs enfants avec le traitement de pillules adéquat … 
Le vieil homme lança un regard plein de dégoût - Simon en avait la conviction ! - sur l’éminent professeur qui continuait sur un ton désabusé, le même qu’adopterait un adulte pour expliquer à un enfant que l’eau mouille, que le feu brûle et qu’une implantation de bioderme est indolore :
- Non, vraiment, je ne vois pas ce qu’il y a de comparable entre votre Hi.. Hillert et les valeurs de la Cité.
- Hitler pensait que les humains étaient classifiables en races. Que l’on pouvait les trier, les hiérarchiser ...
- Inepties, les races n’existent pas ! La barrière génét …
- Il rêvait d’une race unique, supérieure selon lui : la race arienne. Des individus …
- Ah ! C’est donc cela qui vous gêne. Vous et les vôtres !! Que l’on essaie de parfaire l’homme ? Le désir d’évoluer, de ….
- L’homme n’existe pas QUE par ses gênes bon sang, ou que par son physique ! Notre évolution n’est pas qu’animale …
- C’est pourtant son physique qui lui garantit sa santé, sa vigueur ! C’est pourtant son esthétisme qui favorise sa reproduction, sa réussite sociale … Le professeur s’autorisa alors un sourire, ce dont ses lèvres étaient d’habitudes peu friandes : « oseriez-vous dire que les femmes de la Cité ne vous attirent pas, vieil homme ? 

- Des clones qui n’ont pas …

- Hé ! Pas dit qu’il les trouve à son goût ! Sans doute pas assez ridées pour lui !!!, lança l’un des agents, Perkins sans doute.

- Oui, et puis flasque comme doit être son engin, sans doute qu’il ne lui serait pas d’une grande utilité !
 

Eclat de rire général. Drigger n’était certes pas le plus fin de ses hommes, mais la réplique fit sourire Simon. Surtout, il savait qu’un peu de détente ne ferait pas de mal au bien être mental de l’escouade. Perkins, car c’était bien lui, relança :
- De toutes façons, elles l’auraient déjà fui bien avant … c’est pour ça que les Disgracieux vénèrent leur …

 

Voilà. On l’avait finalement évoquée. L’objectif de ce soir. La raison pour laquelle ils avaient traîné le vieux avec eux et déambulaient dans les Taudis : le député Brunvald voulait s’entretenir, en secret, avec celle qui faisait trembloter depuis quelques semaines le pouvoir de la Cité. Celle, qui par ses actions musclées, renforçait paradoxalement la position des ultras au Conseil de la Cité. Celle dont le combat, selon les termes de Brunvald, mettait en péril les derniers remparts de l’humanité.

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