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LE PROCES


Blaquière

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Blaquière Membre 19 162 messages
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Le procès

 

Sur le point d’ouvrir la porte du prétoire, l’huissier venait de suspendre son geste. Peut-être avait-il même déjà posé sa main sur la poignée de la porte ? (Certaines portes de prétoires sont ainsi : à poignées ; quand bien même certaines autres sont poussables du pied, sans précaution aucune et simplement comme des portes de saloon.)

Et maintenant, l’Huissier me regardait très suggestivement, d’un regard bourré de sous-entendus. C’était sa façon habituelle à cet huissier de ne parler jamais. Pas un mot ! Mais des regards évocateurs très significatifs. Il savait appuyer son regard juste là où il fallait. Jusqu’à ce que l’on ait compris. Et son regard, il l’appuyait présentement sur mon thorax. Et il y insistait ! Me restait à deviner le sens de ce regard.

Ça y est ! Soudain je comprenais ! C’était mon habit d’avocat qui n’allait pas. Pas du tout ! Ma ploge noire et ma friboise blanche devaient être mal ajustées ? (La ploge, c’est la grande robe noire des avocats et la friboise, le petit plastron blanc comme une bavette, plissé sous le menton.)

 

Ploge, de "toge" et de "plaider", soit littéralement, la contraction de "toge à plaider" ou de "plaider en toge" qui semble faire remonter l’usage de cet habit à l’époque fort reculée des toges latines, ce qui en rend l’usage (de la ploge et du latin) nécessaire et incontournable pour étudier le droit (nec cessarium inconturnablumque drectipluribus latinorum).

Et friboise, de fraise (comme Henri IV) et de framboise (suite sans doute à une confusion), en souvenir de l’étrange faux col dudit Roi qui est encore dans toutes les mémoires d’Epinal.

 

Je rajustais donc mon habit d’avocat.

Mais le regard de l’huissier persistait...

En fait, ma ploge quoi que noire était parfaitement démodée et pour tout dire ridicule : serrée au niveau des pieds (et non flottante comme il sied), elle était de plus, taillée dans un tissus gaufré, épais, matelassé, ce qui au total, me faisait ressembler à un de ces bibendums pneumatiques...

Que ma friboise fût de toile soyeuse et parfaitement plissée aux normes du Barreau d’Aix, à savoir d’un pli central et de deux plis annexes de part et d’autre, inclinés selon l’angle idoine de 67 degrés (méridien de Greenwitch), en souvenir de la date de la dissolution du Parlement de Provence par Bréard de Saltimburg, ne la rendait en rien allégeatoire de ma silhouette1...

Puis je compris : n’étant point advocat, point n’avais-je aucun droit de porter ploge !

L’ôtai-je donc.

L’huissier alors, poussa la porte à deux battants ainsi qu'un soupir de satisfaction...

Et nous entrâmes. Nous nous trouvâmes en haut, sur les tout derniers gradins du prétoire. C’était l’ancien amphithéâtre de la fac de droit, où l’on avait pu suivre, jadis, des cours de droit constitutionnel sur la pièce de cinq nouveaux francs en argent sans argent du Général De Gaulle et certains effets oratoires sur les terminaisons : "Z’est egzact"... du prof de droit, ainsi que le conflit sino-soviétique du monde diplomatique, et le parapluie de science Pô, et cette grande bringue de Fenny Ordont, qui jacassait au dernier rang avec sa copine à cheveux longs-blonds...

L’huissier m’expliqua que l’inculpé qu’il me revenait de défendre n’était pas encore arrivé dans la salle. (En principe, on attendait toujours que l’avocat soit installé, et ce n’est qu’ensuite qu’on l’introduisait. )

Je ne savais d’ailleurs absolument rien de son cas ni n’avais même feuilleté la moindre page de son dossier. Lequel dossier m’attendait en bas, au premier rang, devant Monsieur le Procureur Général.

Mais je ne pouvais pas descendre ainsi vers le prétoire ! Pas plus que je ne pouvais entreprendre ma plaidoirie dès à présent : peut on plaider l’intestin plein ?

Il me fallait avant le vider! L'envie de déféquer n’est pas argumentable. Ce n’est point argutie à mettre sur la table…

(Je l’entends, je le sais : l’histoire est lamentable !)

Je le dis à l’huissier :

Où se situent les toilettes dans un rayon d’au plus, au Palais de justice d’Aix ?

La réponse allait me terrasser :

Il n’y en a pas ! il vous faut aller jusques-au Roi René !

L’Hôtel du Roi René ?

C’était justes en face et mi rendis sur l’heure.

(Une heure pour chier?!!)

Passons !

L’Hôtel du Roi René était très, très, très chic,

Très grand, très colossal, une façade à pic,

Une usine à dormir !... Et il se situait

En face du Palais….

De justice comme me l’avait annoncé l’Huissier sous-entendant. Vaste dès son grand hall où mes pas résonnaient... J’entrais, je m’approchai du bureau réceptif et demandai au réceptionniste où se trouvaient les toilettes, non sans lui préciser, pour m’importiciser,

Que j’étais avocat,

que c’était très pressé, devant plaider sur l’heure.

Je vais vous y mener me répondait aimablement le réceptionniste.

Et nous partîmes dans de grands couloirs, montâmes des étages, suivîmes d’autres couloirs, tournâmes et contournâmes, et coetera. En cours de route, j’expliquai au réceptionniste, cela pour le convaincre que bien que n’étant pas actuellement client de l’hôtel, j’avais malgré tout le droit d’utiliser les toilettes, car j’y étais venu, autrefois, avant sa réfection. Ce qui, las, était faux, mais j’y croyais vraiment. En outre, lors des terrassements de ce nouvel hôtel, dans le sous-sol, une amphore gauloise, à fond plat, grise de sa couleur avait été trouvée que le terrassier m’avait apportée. Laquelle, religieusement, je conservais chez-moi depuis ce temps passé : autant dire que j’étais un peu de la maison, voire de la famille...

Si je me souviens bien, d’ailleurs ce terrassier nommé Cagnis ou Dagagnis. Était un mien voisin d’un village tout proche Nazaugues étant son nom.

Le réceptionniste me montrait enfin un couloir et m’expliquait :

c’est juste au bout : continuez tout droit, puis à gauche !

Or, donc, mais, où, car : peut-on aller tout droit dans un colimaçon ? Un escalier tournant ? Je continuais donc, pas tout droit mais à droite et tombais sur un demi palier. Les toilettes n’étaient pas là ! Je reprenais d’autres couloirs, je montais, descendais me retrouvais bien tôt à mon point de départ, dans le grand hall d’entrée, très haut de son plafond où naguère mes pas avaient pu résonner.

Impossible de trouver ces toilettes expliquais-je au réceptionniste. Alors, nous repartîmes et il me conduisit cette fois-ci tout devant les toilettes.

Toilettes de l’hôtel Roi René, en Provence.

Et voilà que devant ces toilettes, au moins trois personnes faisaient déjà la queue ! Je m’exclamai :

Mais ça n’est pas possible : tout la-haut, au Palais (et il était donc vrai que du Palais à l’Hôtel j’avais bien dû descendre), tout le monde m’attend ! Attend ma plaidoirie ! Et je n’attendrai point que trois personnes au moins (plus celle ci-céans) soient allées une à une. Cela me ferait bien vingt minutes d’attente ! En étant optimiste.

Ne me restait dès lors plus qu’à remonter au Palais sans y être allé. (Aux toilettes). D’ailleurs, j’y pensais moins. Le destin n’attend pas si l’intestin le peut.

Il fut alors question de faire les boutiques pour m’habiller de neuf et convenablement pour plaider. M’habiller sobrement, sombrement, comme un avocat doit. (Caca d’oie !) Car à n’en pas douter ma plaidoirie serait un vrai feu d’artifice, un geyser… d’arguments, un tsunami de mimes, une avalanche de manche et de mots bien tournés, tout comme au cinéma.

Tant et si bien qu’au bout d’un certain temps, je me retrouvais dans le prétoire en bois, pour plaidoyer. Oui, car le prétoire est d'un vieux bois qui fait foi en la loi.

On m’apporta le dossier de l’inculpé. Puis on l’introduisit par la gauche. Son visage ne m’était pas inconnu...

Le Juge se leva et annonça :

Monsieur Dagagnis, vous êtes inculpé du vol de l’amphore gauloise à fond plat, grise de sa couleur dérobée à l’hôtel du Roi René !

Mon Dieu ! L’amphore dérobée, c’était moi qui l’avais ! Pouvais-je décemment défendre un inculpé d’un vol dont j’étais moi, son unique avocat, l’unique receleur ?

Je fus donc débouté. Et dépité !

Le destin vous joue parfois de ces tours pendables…

C’est d’ailleurs ce qu’il advint de Dagagnis. Lequel n’ayant pu restituer l’amphore , fut jugé coupable et pendu haut et court pour l’exemple dans le hall du Roi René.

Il faut vous dire que la Justice, en ce « présent pays de Provence » est un authentique rouleau compresseur, un authentique bulldozer. Que dis-je un bulldozer, c’est une pelleteuse ! (De quoi sert une amphore « gauleuse » ? Au prétoire Monsieur, c’est la boîte à barreau !)

Résultat immédiat, l’amphore fut pulvérisée et Dagagnis, pendu ! Moi-même ? Suspendu ! Mais du Barreau de Zaïs (2) uniquement : Oui, je m’en tirais bien !

Comme le soir, la chasse, en rentrant par chez moi.

Et que quelqu’un s’il ose, vienne médire :

Je fus meilleur que cet avocat-là !

 

 

1 (1) Nous tenons à faire remarquer au lecteur, l’immense travail d’enquête, et le colossal effort de recherche en archives, alliant à d’importantes connaissances paléographiques, un sens inné du détail original qui tue et fait mouche, (ou qui tue les mouches) ceci, bien sûr, en amont du travail d’écriture proprement dit. Sans parler de l’imparfait du subjonctif ni du participe futur...

(2) Zaïs = Aix en provençal.

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