Journal - Kurt Cobain

J'ai vraiment essayé de comprendre. J'ai lu ce livre et j'ai regardé des tonnes de vidéos, j'ai regardé Montage of Heck, j'ai regardé Soaked in Bleach, et des tas de vidéos de ses concerts, interviews, et définitivement, même disparu, Kurt Cobain est nié. Sa personne, lui, n'existe pas, il n'y a que l'icône et le mec qui fait vendre et rapporte encore (soaked in bleach). Et moi je me dis, ce qu'on en fait encore maintenant, c'est tout ce qu'il ne voulait pas. Je voudrais vraiment rendre un hommage ici. Parce qu'il était génial, oui, du talent ok, mais le talent sans le génie c'est rien du tout, il avait les deux. Incompris. Définitivement incompris, dans toutes ses dérives et dans tous ses succès. Quand on regarde et qu'on lit tout, on se dit "c'est comme ça que c'était destiné à finir", mais je ne veux pas, qu'on se souvienne de lui comme du type cintré et camé au dernier degré qui a fini par se faire sauter le caisson, je ne sais pas, je n'y arrive pas. 

Pour je ne sais quelle raison, il m’est arrivé plein de trucs vraiment cool depuis un an […] l’idole internationalement adorée des teenagers, le chanteur blond semi-divin, honnête jusqu’à l’os, qui bégaye mais ne mâche pas ses mots, affecté d’un défaut d’élocution mais capable d’un discours cohérent quand on lui remet un award, le golden boy, la rock-star qui a enfin, enfin, avoué son abominable toxicomanie de deux mois, inondant le monde entier du classique « je ne peux pas garder le secret plus longtemps parce que ça me fait mal de dissimuler la moindre parcelle de ma vie privée à mes fans fervents qui se font du souci », ceux qui pensent qu’on leur appartient et qu’on est des caricatures, mais qui nous aiment quand même, allez. […]

Eeeh ouais, la nouvelle incarnation amère et geignarde, le roi de rechange du rock s’est égaré après des débuts prometteurs. […]

Je ferais mieux de me la fermer.

[…] Ouais, je me suis défoncé pendant trois semaines et maintenant on me considère comme un infâme toxico émacié à peau jaune, zombie, junkie, cause perdue, à deux doigts de la mort, autodestructeur, porc égoïste, un loser qui se pique dans les coulisses quelques secondes avant de monter sur scène.

Kurt Cobain et l’héroïne…

Le récit à ce moment du livre est le parcours de Kurt Cobain avec l’héroïne. Il explique qu’il en a consommé la première fois à Aberdeen en 1987 et environ dix autres fois de 87 à 90. Quand il est rentré d’europe il s’est mis à consommé quotidiennement pour soulager son affection gastrique qui l’avait amené au bord du suicide. Il revient sur cette affection et explique tous les examens subis, tous les traitements tentés, sans succès.

« De nombreuses fois, je me suis retrouvé complètement immobilisé au lit pendant des semaines à vomir et à crever de faim ».

Il s’est sevré de l’héroïne dans une chambre d’hôtel (avec Courtney Love), avant sa tournée en Australie et au Japon, parce-qu’il savait qu’il ne pourrait pas s’en procurer là-bas. Paralysé par son affection gastrique, il devra annuler quelques concerts en Australie. Il explique qu’il mourrait de faim, ne faisait que vomir, et ne pesait même plus 50 kilos. C’est alors qu’un médecin lui prescrit du Physeptone, qui contient… de la méthadone. Il devient de nouveau accro. Il rentre de sa tournée et découvre que Courtney Love a repris sa conso quotidienne . Ils partent tous deux en désintox. Elle, est sevrée, mais lui reprend à cause de ses douleurs d’estomac. Et il retourne en désintox.

« Les deux dernières semaines, on m’a fait découvrir un médicament appelé Buprénorphine qui soulage la douleur en quelques minutes. C’est un truc qui a été utilisé de façon expérimentale dans quelques centres pour le sevrage de la cocaïne et des opiacés. Le principal avantage de ce médicament, c’est qu’on ne lui connaît pas d’effets secondaires. Ca agit comme un opiacé mais ça ne défonce pas. J’en prends des doses de plus en plus petites depuis maintenant neuf mois, et je n’ai pas eu un seul problème d’estomac. »

Lettre à son père

Sept mois plus tôt j’ai choisi de me mettre dans une situation exigeant le plus haut niveau de responsabilité possible. Une responsabilité qui ne devrait jamais être prise à la légère. […] La pensée de perdre mon bébé me hante chaque jour. Je suis même un peu nerveux à l’idée de l’emmener quelque part en voiture au cas où j’aurais un accident. Je jure que si je me retrouve un jour dans une situation similaire à celle que tu as connue – le divorce – je me battrai jusqu’à la mort pour garder le droit de subvenir aux besoins de mon enfant. […]

Je sais que pendant des années tu as eu l’impression que ma mère nous avait en quelque sorte lavé le cerveau, à Kim et à moi, pour que nous te détestions.

Je n’insisterai jamais assez pour dire à quel point c’est entièrement faux et je pense que c’est une très mauvaise et paresseuse excuse que tu utilises pour ne pas avoir davantage essayé de remplir tes devoirs paternels. Je ne me souviens pas avoir entendu ma mère te débiner une seule fois jusqu’à bien plus tard, durant mes deux dernières années de lycée. A ce moment-là, j’étais arrivé à me faire ma propre idée des choses sans avoir besoin que ma mère s’en mêle. […] Je n’ai jamais pris parti, pour elle ou pour toi, pour la bonne raison qu’en grandissant j’éprouvais un mépris égal pour vous deux.

Serve the servants

A l’origine cette chanson parlait d’arriver à l’âge adulte à un moment où l’on est assez grand pour se débrouiller sans l’aide de ses parents. Un sujet pour les vingt ans et quelques, si on veut. J’ai toujours pensé qu’une personne ne devait pas se forcer à aimer ses parents simplement à cause des liens du sang. Si vous n’aimez pas vos parents ou votre famille, ne faites pas semblant, dites-leur ce que vous ressentez. A ma façon, j’ai décidé de faire savoir à mon père que je ne le détestais pas. Je n’ai simplement rien à lui dire et je n’ai pas besoin d’une relation père/fils avec quelqu’un avec qui je ne veux pas passer un Noël chiant. Autrement dit : je t’aime. Je ne te hais pas. Je ne veux pas te parler.

(La suite du journal présente énormément de listes, de notes, de dessins, tout son travail pour « In utero »)

Courtney, quand je dis que je t’aime, je n’ai pas honte, et personne n’arrivera jamais, jamais, à m’influencer, à me persuader, etc., du contraire. Je te porte dans mon cœur, à la vue de tous. Je t’arbore comme les plumes d’un paon et avec la même envergure, mais trop souvent avec une attetion aussi brève que l’impact d’une balle en pleine tête. Je pense qu’il est pitoyable que le monde entier considère les gens patients au comportement posé comme des citoyens modèles. Reste qu’il ne faut pas passer sous silence l’aptitude à s’expliquer d’un ton calme et neutre. Et je dois le dire : je suis ce qu’on appelle un garçon lent. La façon dont je me suis métamorphosé, hier hyperactif aujourd’hui figé comme un bloc de ciment est, à défaut de mots plus appropriés euh, ennuyeuse, exaspérante, déroutante – aussi compacte qu’un bloc de ciment. Le ciment ne contient aucun autre minéral. On n’y trouve même pas de pyrite. C’est entièrement fabriqué par l’homme, et tu m’as appris que c’était OK d’être un homme et dans le monde classique des hommes, je t’affiche avec fierté comme la bague  à mon doigt, qui ne contient pas  non plus de minéral.

Love Kurt

Je pensais faire savoir au monde à quel point j’aimais les gens. Je pensais vouloir créer quelque chose que j’aurais personnellement envie d’écouter, parce qu’une grande partie de l’art mondial craint au-delà de toute description. Et pourtant je trouve que juger est une perte de temps. Et qui suis-je, bordel, pour me hisser au rang d’autorité certifiée, quelqu’un qui aurait le droit de critiquer. Je suppose que d’une certaine façon, quiconque ayant suffisamment d’ambition pour créer et non déprécier mérite le respect.  […]

En y repensant, peut-être ai-je seulement essayé de faire savoir au monde à quel point je m’aimais, moi. Tel un hypocrite dans sa crypte hippie. Je me déteste et je veux mourir. Foutez-moi la paix.

Love Kurt

Vous avez absolument raison à 100 %. J’ai eu méchamment tort d’écrire « Pour moi le punk rock est mort ». Bien qu’il soit mort pour moi, les mots clés que j’ai écrits dans ces notes de pochettes tellement, eh oui, négatives et débiles. Le mot « for » n’a pas été correctement saisi chez l’imprimeur quand ils ont retranscrit mes notes manuscrites. J’avais employé à la place le mot « to », une bourde très ordinaire en période de bouclage, quand les gens s’excitent comme des coqs de combat mexicains afin d’obtenir un OK pour quelque chose d’aussi négligeable que les notes de pochette d’une compilation/vache à lait de faces B. Oui mes amis. Le punk rock est mort pour moi.

[…]

J’ai été obligé de devenir une Rock Star recluse. C'est-à-dire : pas d’interviews ni d’apparitions à la radio, etc. […]

Si jamais nous remportons d’autres awards, nous chargerons trois sosies de les prendre pour nous, trois types assez proches de nous.

Pendant de nombreux mois, j’ai décidé d’arrêter de lire des magazines rock, essentiellement pour me reposer et me laver la tête du folklore journalistique qui s’accumule depuis que nous sommes devenus le sujet de potins préféré d’un tas de gens (si j’ose dire) du matin au soir.

Le mois dernier, je me suis dit que j’allais jeter un coup d’œil à quelques mags rock pour voir ce qui se passait et si ça s’était tassé. Eh bien, d’après moi, beaucoup d’arbres ont été sacrifiés à cause de gens qui s’emmerdent et emmerdent tout le monde en continuant à gâcher de l’espace avec des foutaises sur NIRVANA. […]

La façon la plus simple d’éviter d’être mal interprété est d’employer le format question/réponse. […] Quand Chris a dit : « La plupart des gamins qui écoutent du heavy metal sont des crétins », ça a été imprimé. Ce qui ne l’a pas été, c’est le reste, c'est-à-dire : « Et j’étais l’un de ces crétins heavy metal. Ce n’est pas leur faute si des groupes heavy metal stupides continuent à propager le sexisme et l’homophobie dans le rock’n’roll blanc. […]

En conclusion les personnes que nous aimions sincèrement et avec qui nous nous sentions des affinités ont gobé à 100 % les exagérations et les fausses nouvelles. Ce qui nous a donné le sentiment d’avoir été trahis. Nous voulions simplement offrir à ces gamins heavy metal crétins (ceux que nous étions) une initiation à une manière différente de penser et quelques quinze années de musique émotionnellement et socialement importante, et tout ce qu’on a récolté, c’est de l’affabulation, des coups de poignards dans le dos et Pearl Jam.

Entre octobre 91 et décembre 92, on m’a volé en plusieurs fois quatre cahiers remplis de deux ans de poésie, d’écrits personnels et de paroles de chansons. Plus deux cassettes de 90 minutes avec les parties de guitare et de chant de nouvelles chansons ruinées par un accident de plomberie, ainsi que deux de mes guitares préférées et les plus chères. […] la violation la plus grave que j’ai ressentie cette année ne concerne pas les exagérations des médias ou les potins dégueulasses, mais le viol de mes pensées personnelles. Des pages déchirées écrites durant mes séjours à l’hôpital, mes voyages en avion, dans les hôtels etc. Je suis tenu de dire, allez vous faire foutre à ceux d’entre vous qui n’ont absolument aucune considération pour moi entant que personne. Vous m’avez violé plus durement que vous ne pourrez jamais l’imaginer, donc je le répète une fois de plus, allez vous faire foutre, même si l’expression a totalement perdu son sens

ALLEZ VOUS FAIRE FOUTRE ! ALLEZ VOUS FAIRE FOUTRE ! 

90 % de la population américaine adulte ne se sentait pas concernée et n’avait aucune envie de voir ou d’entendre quoi que ce soit à propos de Woodstock. 90 % de la génération Woodstock n’est pas constituée de vieux hippies désormais pourvus d’enfants et du privilège d’insuffler leurs idéaux libéraux jadis frais et neufs dans la nouvelle société dont ils sont maintenant responsables. […]

Je me souviens d’une seule chose sur ma perception des hippies quand j’étais enfant. […] Je me souviens que je croyais que tous les hippies étaient des tueurs malfaisants de bébés comme Charles Manson. […]

J’ai joué de la caisse claire dans le groupe de l’école du CM2 à la troisième. Pendant tout ce temps, je ne me suis pas emmerdé à apprendre le solfège, j’attendais seulement que le binoclard du premier rang apprenne chaque chanson, et ensuite je copiais sur lui. Je m’en sortais pas mal sans jamais avoir à lire une partition. Il m’a fallu cinq ans pour comprendre à quel point j’étais limité comme batteur […]

Euh, bon, je suppose que ce que je suis en train d’essayer de formuler, c’est : la théorie est une perte de temps. Le mode dorien est réservé aux garçons bloqués au stade anal et affligés d’un système de valeurs erroné.

Fabrique ta propre musique. Eric Clapton joue de minables riffs poussiéreux. Trop de pratique équivaut à trop de sucre. Weird Al Yankovic est le génie pop/rock moderne de l’Amérique. Fais ton propre truc – les autres détiennent leur propre truc. Si tu copies trop, tu finiras avec un groupe de reprises dans des bars à cocktails  à jouer jusqu’à pas d’heure.

A ce stade de notre, hum, carrière, avant les implants et les dettes, j’ai décidé que je n’avais aucun désir de faire une interview avec Rolling Stone. Nous n’en tirerions aucun bénéfice dans la mesure où le lecteur moyen de Rolling Stone est un quadra ex-hippie viré « hippiecrite » qui envisage le passé comme l’âge d’or et aborde le conservatisme libéral avec indulgence, modération, bref, en adulte. Le lecteur moyen de Rolling Stone a toujours nié les choix musicaux de l’underground, sauf quand ceux-ci deviennent des produits manifestement inoffensifs.

J’ai toujours pensé qu’il était nécessaire d’aider la génération actuelle à détruire l’ennemi de l’intérieur en se faisant passer pour lui ou en l’utilisant. Mais la génération actuelle ne lit pas Rolling Stone, donc nous allons nous contenter d’attendre que la vieille école meure de faim comme un troupeau de dinosaures tandis que les jeunes pousses commenceront à recouvrir le sol de Wall Street des débris révolutionnaires de « l’amour authentique ». Ca sent la trentaine…