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Juger la reine


January

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Reprenons. Marie-Antoinette entre et est invitée à s’assoir sur « le fauteuil ordinaire où se placent les accusés ». Le président la déclare « libre et sans fers » et lui demande de décliner son identité. (Tout le monde sait qui elle est et qu’elle n’est pas vraiment… libre et sans fers).

Chaque membre du jury jure d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges portées contre Marie-Antoinette, veuve de Louis Capet, de n’écouter ni la haine, ni la méchanceté, ni la crainte ou l’affection, de se décider selon sa conscience et son intime conviction avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à  un homme libre.

Les témoins jurent de ne dire que la vérité et, surtout, de parler sans haine et sans crainte.

 

 

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Le public est composé essentiellement de sectionnaires, d’activistes et de sans-culottes. Les « tricoteuses » sont là aussi. Les fameuses « tricoteuses de l’an II ». Ce sont des blanchisseuses, marchandes, culottières, ouvrières des filatures…  Ces femmes se sont imposées comme gardiennes de la nation et des salaires ! Elles sont partout, AG de leurs sections, tribunes de la Convention, clubs, elles en ont même créés !

La salle d’audience est surpeuplée, on se bouscule pour mieux voir, c’est la foule des grands jours. On demande même à ce que Marie-Antoinette se tienne debout pour mieux la voir.

Marie-Antoinette porte une robe de deuil noire recouverte d’un fichu de mousseline noué sur le devant, un grand bonnet de veuve assez simple en baptiste blanche, ses cheveux noués par-dessous en forme de chignon flottant retenu par un ruban. Certains l’ont représentée nu-tête à son procès, ce qui est fort peu probable. Une femme et a fortiori une reine, même déchue, ne se présente pas publiquement sans s’être couverte.

Les souvenirs de Mme Campan, une des femmes de chambre de Marie-Antoinette, nous indiquent qu’à son retour de Varennes, ses cheveux jusqu’ici châtains avaient blanchi d’un seul coup. On a fait blanchir ses cheveux dès 1789, ou après Varennes, ou à la veille de sa mort. En dehors des dates, peu importe que certains n’aient pas cru à ce phénomène de « canitie subite », les témoignages concordent.

Le portrait de la reine n’est jamais flatteur, mais on en rajoute tant qu’on peut. Les uns pour montrer clairement les stigmates de son martyre, les autres pour montrer au monde la noirceur de son âme. Aux yeux des révolutionnaires, la déchéance physique de Marie-Antoinette est celle des vices d’une nature de femme brusquement révélée. Encore une fois, ce procès est d’abord celui des imaginaires. C’est bien cela qui en fait toute la dramaturgie.

L’image la plus fiable serait le portrait fait par Alexandre Kucharski, à la tour du Temple. Même si Marie-Antoinette a avoué elle-même avoir été peinte à la tour du Temple, ce portrait est sans doute réalisé en partie de mémoire.

Loin des descriptions de Vigée-Lebrun sur l’éclat du teint de la reine, cette fois-ci les ombres de la prison la marque. Celles aussi du mal qui la ronge, des hémorragies fréquentes évoquées par de rares témoins et dont on sait aujourd’hui qu’elles étaient peut être le symptôme d’un fibrome cancéreux.

L’imaginaire, toujours, fera prétendre à certains après sa mort que le fiacre qui l’a conduite de la prison du Temple à la Conciergerie était plein de son sang. 

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Le courage de Marie-Antoinette

Ce que certains ont pris pour de l’orgueil résulte certainement d’un sens inné de l’honneur chevaleresque, inaudible sinon suspect en pleine Révolution. […]

Personne ne lui conteste son courage depuis les débuts de la Révolution. Le 5 octobre 1789 à Versailles, elle a refusé de se séparer du roi alors que ses ministres lui conseillaient de se réfugier à Rambouillet. […] En avril 1792, alors que la famille est prisonnière aux Tuileries, on lui propose de la conduire seule à Bruxelles et elle refuse encore de laisser le roi en arrière.

Le roi… Acculé par une meute de sans-culotte dans une embrasure de la salle du Conseil, on le force à coiffer un bonnet rouge. La reine, elle, refusera et ne s’en coiffera pas.

Elle ne laisse pas le roi en arrière et mieux, le pousse à l’action. A Varennes elle sera seule à vouloir monter à cheval et passer en force à travers la foule hostile. Le 10 août avant l’assaut final des Tuileries, elle veut rester sur place et affronter le peuple. Elle lance à son époux : « Monsieur, il y a ici des forces ! »

Cette témérité va exaspérer ses adversaires encore plus qu’elle électrisera ses partisans. Que dit Mirabeau en juin 1790 ? « Le roi n’a qu’un homme, c’est sa femme. »

Finalement, sa « légende » commence très tôt, bien avant sa fin tragique. Jamais aucune femme, à aucune époque, n’a été poursuivie par tant de haine.

En prison à partir du mois d’août 1792, le courage de Marie-Antoinette prend des allures de résignation muette. Elle ne cède rien à ses geôliers. Rien. Maîtresse d’elle-même, elle ne s’abandonne que deux fois à la douleur. La dernière fois qu’elle voit son mari et lorsque son fils lui est enlevé. Pour le reste, jamais une plainte.

Ce sera sans émotion qu’elle entendra le décret qui la transfère à la Conciergerie. On raconte qu’en partant, elle heurte le linteau d’une porte. On lui demande si elle ne s’est pas fait mal. « Oh ! Non, à présent, rien ne peut me faire mal. »

 

 

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La Conciergerie

A deux heures du matin le 2 août 1793, on transfère Marie-Antoinette dans cette antichambre de la mort. Au moins évitera-t-elle la foule des tricoteuses, excitées par la nouvelle proie qu’on leur amène. 

Marie-Antoinette est conduite directement dans l’ancienne chambre du conseil des guichetiers, « cellule » où elle sera détenue 76 jours. Elle est une prisonnière d’exception, on a peur qu’elle s’échappe, pas de promenade pour elle, elle ne reverra le ciel que le jour de sa mort.

Une table, deux chaises, un lit de sangle disposé le long du mur. […] Le sol est en briques posées de chant. Les murs en moellons de pierre. Ni lampe, ni flambeaux. Obscurité, froid, humidité, s’accroissent avec l’automne qui arrive. Elle a droit à quelques livres, les travaux d’aiguille lui sont interdits. Alors elle vide et dévide entre ses doigts les lacets d’une vieille tenture qui reste accrochée là, sorte de quenouille de l’absurde.

Nous reparlerons plus tard de certains événements survenus à la Conciergerie.

Marie-Antoinette pensait , au moins jusqu’en septembre, être échangée ou envoyée en exil. Elle savait que la conciergerie était la dernière étape avec l’échafaud pour beaucoup, pourtant, elle pensait encore que…

 

 

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L’étrangère

Lorsqu’elle arrive en France en 1770, la petite archiduchesse Antoine, devenue Marie-Antoinette, puis Antoinette tout court pour les révolutionnaires, mariée à 14 ans au jeune dauphin, petit-fils de Louis XV, ne sait pas qu’elle porte le poids de tant de rancoeurs accumulées contre l’Autriche. Elle n’est pas seulement une reine en devenir, elle est un ventre, un gage et une caution, la pièce maîtresse du nouveau puzzle européen qui inexorablement se met en place.

Malgré tous ses efforts pour s’adapter à son nouveau pays et l’aimer sincèrement, elle reste « l’Autrichienne ».

La Révolution puis la guerre qui, à partir d’avril 1792, marque la faillite définitive de l’alliance et enlève à Marie-Antoinette sa raison même d’être devenue reine ne vont faire qu’envenimer le procès à charge. Dès lors, la descendante des Habsbourg devient celle contre laquelle la nation cherche à se former comme à construire ses mythes identitaires. […] Elle devient une excuse et une explication aux premières défaites militaires de la République.

On l’accuse de tout et de n’importe quoi. Dans l’opinion personne ne doute plus de l’existence d’un dangereux « Comité Autrichien » animé par la reine et doté de ramifications dans tout le pays…  La rumeur s’alimente d’elle-même et de toute façon, bientôt il n’est plus question de preuves quelconques, on n’en a plus besoin. « Elle a sacrifié son époux, ses enfants et le pays qui l’avait adoptée aux vues ambitieuses de la Maison d’Autriche dont elle servait les projets en disposant du sang et de l’argent du peuple et des secrets du gouvernement. »

Et elle continue forcément depuis la tour du Temple ou même de la Conciergerie !

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Les comptes rendus d’audience indique qu’elle est « Marie-Antoinette Lorraine d’Autriche ». On ne sait pas ce qu’elle a répondu au président du tribunal qui lui demandait de décliner son identité. Il est peu probable qu’elle ait oublié que du sang lorrain coulait dans ses veines. Mais voilà, on commence par rapprocher ses deux noms, puis on l’accuse tout naturellement d’avoir voulu rattacher la Lorraine à l’Autriche !

Le président lui demande d’écouter attentivement son acte d’accusation. Fouquier-Tinville donne ce dernier à son greffier Nicolas Joseph Paris qui depuis janvier se fait appeler Fabricius, conformément à la mode des patronymes romains en vogue sous la Révolution.

C’est le premier moment fort du procès.

 

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Antoine Quentin Fouquier a 46 ans en 1793. Il est grand, massif, très brun, les yeux enfoncés dans l’épaisse broussaille de ses sourcils, les lèvres minces, le menton volontaire. Le visage est grêlé d’une ancienne attaque de petite vérole. Personne n’a évoqué le timbre de sa voix ni sa manière de parler, et c’est dommage.

Né dans le Nord de la France, c’est le fils d’un riche laboureur. Antoine Quentin a fait toute sa carrière dans la basoche jusqu’à acheter une charge de procureur du roi au Châtelet, qu’il revend en 1783. Il se cherche ensuite une nouvelle voie dans la police, puis s’offre une seconde carrière dans la magistrature révolutionnaire. Camille Desmoulins  (son cousin qu’il laissera monter sur l’échafaud sans états d’âme) l’aide à parvenir à la condition souhaitée. Antoine Quentin est nommé par la Convention au Tribunal Révolutionnaire dès mars 1793 et il s’y cramponne jusqu’à la chute de Robespierre. Ensuite pour lui, c’est le commencement de la fin. Il est arrêté en 1794, il se vantera d’avoir été la providence des malheureux et la terreur des méchants. On lui doit 2400 jugements de contre-révolutionnaires. Lors de son procès il plaide qu’il n’a fait qu’obéir aux ordres en fonctionnaire intègre : « Je n’ai été que la hache de la Convention. Peut-on condamner une hache ? » Au passage bien sûr il renie le « despote » Robespierre…  Pourtant, il rechigne à se laisser dicter ce qu’il doit faire… Il aurait détesté l’Incorruptible et aurait même contribué à sa chute. Il a servi Robespierre uniquement par pragmatisme et sens aigu probablement des calculs politiques. S’il a voulu sa perte ce n’était certainement pas pour en finir avec la Terreur.

On ne soulignera jamais assez l’ambivalence des lâches.

Il se dit « doux et humain » et argue de sa petite condition, nombreuse famille, malheureuse et sans fortune…  Pourtant à son procès il va se trouver évidemment de bonnes âmes pour l’accuser d’avoir disposé des derniers effets de ceux qu’il avait condamnés à mort, quand il ne se faisait pas payer pour les oublier. Les mandats d’amener rédigés à la va-vite qui vous envoient à la guillotine pour une faute d’orthographe, les réquisitions signées en blanc et préparées à l’avance, les quotas, les fournées, tout cela a existé.

A la toute fin il écrira une lettre où il s’inquiète de son linge et de ses affaires personnelles. L’homme qui en avait fait trembler tant d’autres, le terrible, l’implacable accusateur public du Tribunal Révolutionnaire qui se soucie de ses chemises et de ses pantoufles !

Il monte sur l’échafaud le 7 mai 1795. Les bourreaux sont devenus des victimes, et si tous partagent quelque chose, c’est bien cette commune tragédie de la mort violente. Le pouvoir, quel qu’il soit, aime abuser de sa force. C’est dans sa nature.

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Tout est truqué dans ce procès. Les jurés sont désignés par l’accusation, les juges évidemment prévenus d’avance contre l’accusée, les avocats, dont on parlera plus loin, commis d’office et surveillés de près. Fouquier se méfie tellement d’eux qu’il a convaincu le Comité de sûreté générale de les faire arrêter à l’issue de leurs plaidoiries, quel qu’en soit le résultat. Bien sûr, ils ne le savent pas. On les a désignés la veille du procès. Ils ont à peine eu le temps de lire les pièces de l’accusation, pour celles qui existent, et n’en auront pas plus pour rédiger leurs plaidoiries. Il n’est évidemment pas question non plus qu’ils puissent produire des témoins.

 

 

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Fouquier se plaint du vide de son dossier. Il prévient le Comité que faute de pièces à charge, il aura beaucoup de mal à instruire le procès. Il n’a rien. A force de réclamations, il parvient à obtenir l’autorisation de consulter les pièces qui ont servi au jugement de l’ex-roi. Mais on ne sait pas où elles sont ! Pierre Baudin (en charge de la commission des archives de la République) finira tout de même par envoyer à Fouquier quelques pièces insignifiantes.

Pour tout témoin, Fouquier met la main sur de pauvres hères qui n’ont rien vu directement et ne rapportent que des ouï-dire ou profitent de l’occasion pour jouer les importants. Sûr ! On a vu des lettres ! Mais où sont-elles ? Personne ne peut les produire. Les fameux bons que Marie-Antoinette aurait signés, preuve de la dilapidation et de ses envois d’argent à l’étranger ? On les a eus en main ! Mais ils ont disparus. Fouquier dira « on cherche ». On cherche encore après le procès…

Faute de quoi que ce soit, on se rabat sur des bêtises. Puisqu’on dispose de l’image d’un Sacré-Cœur que l’on a trouvée sur Marie-Antoinette lors de son transfert à la Conciergerie, on l’exhibe comme un dangereux signe de ralliement contre-révolutionnaire…

 

 

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Faute de preuves, beaucoup de témoins vont trouver dans le jugement de l’ex-reine l’occasion de prendre leur revanche sur leur ancienne condition. Pour finir, le procès va ressembler à une vaste opération de subversion sociale.

Soudain, les petits parlent aux grands comme s’ils étaient du même monde. Labenette (ancien caporal dans la garde nationale de Versailles) se permet d’apostropher La Tour du Pin (ex-ministre de la guerre) et s’étonne que ce dernier ne le reconnaisse pas. La réponse du vieil aristocrate tombe, sèche : « Monsieur, je n’ai jamais entendu parler de vous. » D’autres en faction aux Tuileries avant le 10 août racontent les conversations qu’ils ont eues avec la reine. On leur a confié des secrets, et puis on a tenté de les réduire au silence…

Fouquier n’est probablement pas dupe, mais ça n’a pas d’importance, ce qu’il instruit, c’est le procès de la guerre faite à la Révolution par l’Ancien Régime, donc, c’est parfait. Non parce-que, évidemment, ce n’est pas le peuple qui en voulait à la monarchie, c’est l’inverse ! C’est la monarchie qui conspirait contre le peuple !

 

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Fabricius lit donc les quatre pages manuscrites du réquisitoire de Fouquier. Tout est là, les certitudes, les soupçons et les rumeurs, les fantasmes et l’air du temps, les « correspondances secrètes criminelles et nuisibles avec les puissances étrangères », « les millions » qui leur ont été envoyés, « les conciliabules », « le cabinet autrichien », « les orgies » et les « conspirations », l’influence et la dissimulation.

Marie-Antoinette est « le fléau et la sangsue des Français ». Tous les événements politiques qui ont eu lieu depuis cinq années déposent contre elle. Ca fait beaucoup pour une seule femme.

Hébert notera avec brutalité : « Je suppose qu’elle ne fut pas coupable de tous ses crimes ; n’a-t-elle pas été reine ? Ce crime-là suffit pour la faire raccourcir. »

De toute façon, les témoins, les jurés et même les juges sont là pour la figuration. En dehors de Herman (président du tribunal), ils sont transparents. Ils sont là pour donner une apparente légalité au procès. Comme ils sont les oubliés de cette histoire, essayons de les approcher d’un peu plus près.

 

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Martial Herman, le président du tribunal, a été nommé par Robespierre à la fin du mois d’août. Il l’a nommé parce qu’il sait qu’il peut compter sur lui en toutes circonstances. Les deux hommes se connaissent depuis longtemps.

Herman a 34 ans en 1793, il est beau, élégant, avec les bonnes manières des vieilles familles de robes dont il descend. Il n’a jamais été taxé de favoritisme et il veille à ce que ses proches ne bénéficient pas de passe-droits (c’est assez rare pour que ce soit dit !).

Herman ne présidera plus le tribunal quand celui-ci sera transformé par Robespierre en 1794, en une espèce de cirque sans avocats ni plaidoiries ni débats. Herman aura néanmoins couvert les grands procès dits de « la conspiration des prisons » qui alimentèrent beaucoup l’échafaud. Il aura beau se féliciter, après la chute de Robespierre, d’avoir toujours travaillé « sans changer jamais, toujours simple dans les manières et fier dans les principes », il ne survivra pas et alimentera lui aussi l’échafaud le même jour que Fouquier Tinville.

Herman est persuadé de la culpabilité de Marie-Antoinette. Il l’a interrogée le 12 octobre, il conduit les débats mais c’est Fouquier Tinville qui décide de tout… Herman laisse faire, comme les quatre juges qui siègent avec lui : Gabriel Deliège, Antoine Marie Maire dit Maire-Savary, Joseph François Donzé-Verteuil et Pierre André Coffinhal.

Ils ne sont pas là par hasard et appartiennent tous (sauf un) au même milieu social de la bourgeoisie d’office autrefois au service de la monarchie. […] Il y a quelque chose de cohérent dans tout cela et de très caractéristique de la haute magistrature révolutionnaire : les origines bourgeoises, les offices, les charges anoblissantes. La Révolution est pour eux l’occasion de poursuivre  en l’amplifiant une ascension sociale entreprise depuis déjà plusieurs générations sous la monarchie.

Un tout de même, étonnant : Donzé-Verteuil. Il a fait son noviciat, est entré à la Compagnie de Jésus puis devient le chapelain de l’abbesse de Montmartre. Un ancien jésuite a été l’un des juges de Marie-Antoinette ! Lorsqu’il est nommé au tribunal, il abjure sa prêtrise. Il ira loin, en devenant l’accusateur public du tribunal de Brest où il liquidera l’administration girondine du département sans états d’âme.

On n’en finira jamais avec les obscurités de la vie. On n’en finira jamais de démêler la pâte humaine, de savoir ce qui fait céder l’homme à la violence par peur ou par lâcheté, ce qui le conduit de bonne foi à l’irréparable et au sang. Ne cherchez pas à comprendre le mal, écrit Saint Augustin, ce serait comme vouloir regarder la nuit ou écouter le silence.

 

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Le Tribunal Révolutionnaire a son aristocratie et il a aussi sa plèbe. Ce sont les quinze jurés. Pas facile de les nommer, pendant longtemps les historiens ont publié des listes inexactes faute d’avoir consulté les minutes du procès.

Citons-en quelques uns. Que ce soit Jean-Baptiste Sambat ou Charles Huant-Deboisseaux, Georges Ganney ou François Trinchard, la révolution les trouve bien installés, mariés, ayant famille et boutique. La révolution va changer leur vie et c’est quand même incroyable qu’en quelques mois, ils sortent de leur insignifiance pour disposer de la vie et de la mort de milliers de leurs semblables… Dans l’affaire qui nous occupe il est tout de même question de condamner une femme qu’ils n’ont jamais vue qu’en gravure tant ce qui les sépare d’elle est immense, elle était reine.

Le procès de Marie-Antoinette c’est cela aussi : la revanche de l’ennui, de la boutique, de la vie ordinaire sur l’extraordinaire, sur l’inaccessible, sur des rêves trop longtemps défendus.

[…]

Grâce à leurs lettres, grâce à ce qu’ils ont dit ou écrit lorsque plus tard ils se retrouveront eux-mêmes devant des juges, on a une petite idée de la façon dont ils concevaient leurs fonctions de juré.  […] Beaucoup évoquent leur conscience. Trinchard : « J’ai rempli le devoir de ma conscience », ou encore Pierre Antoine d’Antonelle : « Je ne connais rien de plus essentiellement inviolable que la conscience d’un juré. Elle est le sanctuaire vivant de la liberté ».

Ce serait joli s’ils n’avaient pas envoyé tant de gens à la mort.

Claude François de Payan dira : « Tout homme qui échappe à la justice nationale est un scélérat qui fera, un jour, périr les républicains que vous devez sauver. […] Prenez garde, sauvez l’innocence ; et moi je leur dis, au  nom de la patrie : tremblez de sauver un coupable ! »

Tuer pour ne pas être tué. Voilà le message. A toutes les époques de grande violence, des hommes se sont cachés derrière le principe de la légitime défense pour mieux justifier leurs crimes.

Imaginons-les ces jurés, le 14 octobre devant la reine…avec leurs idées toutes faites et leur peur. Cette dernière est bien mauvaise conseillère. Quand on est préoccupé par sa propre survie, on a rarement pitié des autres. Fouquier peut être sûr d’eux.

 

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L’accusée

Le 14 la séance commence à 9h00, pour s’achever à 11h00 du soir. Le 15 la séance débute à 9h00, courte pause de 15 à 17h00 et le procès reprend pour s’achever le 16 à 4h00 du matin. Pendant tout ce temps, Marie-Antoinette ne laissera rien passer qui lui soit contraire.

Malgré le peu de sources dont on dispose, malgré leur réécriture, on s’aperçoit qu’elle n’a en rien été atteinte par tout ce qui aurait dû la vaincre, la soumettre. La maladie, les injures, l’isolement… Pendant deux jours elle est restée maîtresse d’elle-même.  Il  n’y a pas une question à laquelle elle ne réponde, pas un piège qu’elle ne déjoue. Elle corrige même, une date, un nom, elle rectifie ! Elle se défend. Elle fait tout le contraire de ce qu’avait fait son mari à son procès.

Les juges cherchent à la réduire au silence lorsque les réponses ne leur plaisent pas, lorsqu’elle n’avoue pas ce qu’ils veulent entendre. Et ils ne manquent pas d’imagination !

« N’avez-vous pas voulu faire assassiner la moitié des représentants ? », « N’avez-vous pas voulu faire sauter l’Assemblée ? » Mais plus les questions sont absurdes, plus elle prend de l’assurance. Lorsque cela devient trop stupide, comme lorsqu’on la décrit en amazone pistolets à la ceinture, à la tête des troupes royales,  elle dit simplement : « Je n’ai rien à répondre à cela. »

Son avocat lui trouvera plus tard, dans un récit qu’il a laissé de cette bataille de chair et de mots, « de la présence d’esprit et de la fermeté d’âme ». Mais on le voit mal critiquer sa cliente, surtout à l’époque où il publie ses Souvenirs, sous la Restauration.

 

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Personne ne conteste le rôle de premier plan que Marie-Antoinette a joué à Paris durant les trois dernières années du règne chancelant de son mari. Jusqu’alors, elle parlait de Louis XVI comme de « la personne qui est au-dessus de moi ». Désormais, le roi est « à côté » ou « auprès de moi ».

Elle écrit, consulte beaucoup, elle est entourée de nombreux conseillers, parmi eux, le comte de La Marck, l’abbé Louis, Mercy, Axel de Fersen et tant d’autres.  Elle s’expose, dispose de fonds secrets, d’un réseau d’agents dépêchés dans toute l’Europe. Et elle dissimule. La dissimulation est une nécessité en temps de guerre et Marie-Antoinette est entrée en résistance. Elle a décidé d’affronter ce qu’elle a toujours redouté, le pouvoir des hommes et les combinaisons tortueuses de la politique.

On ne saura jamais ce qu’elle a mis de méthode, de patience et d’astuce pour cloisonner ses communications et protéger ses correspondances. C’est pour cela que les Jacobins n’ont pas trouvé ses papiers. On code, on chiffre, on cache ou même parfois on brûle.

Ce qu’elle a choisi de défendre, c’est finalement une cause à laquelle elle n’avait jamais pensé tant elle lui apparaissait naturelle : la monarchie de droit divin, les droit immémoriaux du roi et ceux (surtout) de son fils.

Mais elle est aveugle, elle ne comprend pas vraiment ce qui est en train de se passer. Et toute occupée à défendre le trône, elle a mis en œuvre une politique qui est au fond celle des principes de l’alliance franco-autrichienne de 1756…

 

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Les juges de Marie-Antoinette pouvaient s’en tenir à la dimension politique du procès. Mais il leur manquait des preuves. Alors après avoir accusé la reine, ils ont voulu humilier la femme.

On ne lui pardonnera pas sa liberté, son indépendance, ses escapades, les « goûts bruyants » de sa jeunesse. Là encore, sur toile de perversion, le fantasme tisse l’ouvrage. On lui inventera tout, des rendez-vous secrets, des amants, des maîtresses et des listes d’ailleurs vont circuler dans Paris. Reine noire, insatiable pour qui les amants, les plaisirs saphiques, les parfums et les bijoux étaient autant de prétextes à l’assouvissement de ses vices. Et c’est le scandale de « l’affaire du collier », cette histoire-là, elle sonne les trois coups de la curée.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_du_collier_de_la_reine

On dira de Marie-Antoinette qu’elle couchait journellement avec au moins six hommes, qu’elles les tuaient ensuite et les faisait réduire dans l’eau bouillante pour les faire disparaître. Mieux : on l’accuse à Trianon de se nourrir de pâtés de petits enfants !

Tout est sens dessus-dessous ! Le roi est dépourvu de maîtresses et de pouvoir pendant que la reine gouverne en multipliant les amants !

 

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Marie-Antoinette a outrepassé son rôle et sa position de femme en prenant la place des hommes…

Il est intéressant de se pencher sur la « place » de la femme à cette époque. Les femmes sont omniprésentes avant la Révolution. Elles sont partout, elles règnent sur les usages, le goût, le langage et même la politique. Elles peuvent se permettre de parler de tout, même des décisions du gouvernement.

La Révolution ce n’est pas seulement la victoire de l’égalité sur le privilège, c’est aussi la revanche des hommes sur le monde des femmes. « Les femmes régnaient alors, la révolution les a détrônées » dira Vigée Lebrun.

En 1789, dans leurs cahiers parisiens, les membres du tiers-état sont les premiers à demander une politique de réglementation de la prostitution. La débauche, c’est le privilège. L’érotisme est contre-révolutionnaire.

Peu après le procès de Marie-Antoinette, les clubs, réunions, sociétés de femmes seront interdits. La femme, c’est l’erreur et le désordre. Rendons-la à ses foyers ou faisons-la taire, elle est potentiellement révolutionnaire.

 

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Comment va-t-on encore attaquer Marie-Antoinette ? Sur les dépenses bien sûr ! Abus dans son entourage, avidité, favoritisme, elle savait bien tout ça. Ses dépenses à Trianon ? Il est établi aujourd’hui qu’elle y menait une vie plus économe qu’à Versailles.

Ses réponses ont au moins le mérite de la franchise : « On avait été entraîné dans les dépenses peu à peu ; du reste, je désire plus que personne que l’on soit instruit de ce qui s’y est passé. »

Elle ne pouvait rien dire de plus et elle ne savait rien des comptes publics et des finances du royaume. Si elle avait su, elle aurait pu argumenter. On le sait aujourd’hui, le déficit des dernières années du règne de Louis XVI est essentiellement dû au coût absolument exorbitant  de l’intervention française dans la guerre d’Indépendance américaine…

Mais les fantasmes sont là. On se met à crier après « Madame Déficit » et on le sait bien : les femmes adultères sont dépensières !

Tout cela n’est vraiment qu’un début, déconsidérer la reine, la femme, n’est pas suffisant. Les juges vont maintenant déconsidérer la mère.

 

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Modérateur, ©, 107ans Posté(e)
January Modérateur 59 823 messages
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Les révolutionnaires ont bien compris que toucher à la mère, c’est toucher au lien sacré de l’hérédité monarchique, c’est le trancher. Et c’est un enjeu important puisque le petit Capet est toujours vivant, il est roi, détenu au Temple.

Il fallait un cerveau malade pour que germe cette idée machiavélique, pour s’attaquer à ce que Marie-Antoinette avait de plus précieux et pour s’en servir contre elle. Hébert et Fouquier sont probablement à l’origine de cette idée. Faire parler l’ex-dauphin. Il a huit ans à l’époque et se trouve sous la garde du couple Simon.

Marie-Antoinette a toujours aimé et choyé ses enfants et les enfants en général, c’est unanime. Elle le répétera jusqu’au bout, elle le dira encore à ceux qui l’interrogeront à la conciergerie, quelques semaines avant son procès : « Ma famille, ce sont mes enfants ; je ne peux être bien qu’avec eux, et sans eux nulle part. »

Notons ce que Marie-Antoinette dit du caractère de son fils pour comprendre ce qui va suivre. Lorsqu’on va lui enlever son fils, elle va insister auprès de Mme de Tourzel sur les peurs de son enfant, son besoin de plaire et sur ses tendances à la mythomanie : « Il répète aisément ce qu’il a entendu dire et souvent, sans vouloir mentir, il y ajoute ce que son imagination lui fait voir. C’est un grand défaut sur lequel il faut bien le corriger. »

L’enfant n’était pas totalement isolé au Temple, il voyait des commissaires de services, les gardes nationaux, il sortait même s’il dépendait entièrement d’Antoine Simon qui en était responsable sur sa vie. Est-ce étonnant que François Daujon (commissaire) l’ai entendu dire des insanités sur sa mère et sa tante ? « Est-ce que ces sacrées putains-là ne sont pas encore guillotinées ? »

Et voilà, il n’en faut pas plus pour qu’on décide d’interroger cet enfant de huit ans, de l’encourager à témoigner contre sa mère…

 

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January Modérateur 59 823 messages
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Le 6 octobre, on interroge l’enfant en grande cérémonie. Il y a là Pache, le maire de Paris, Chaumette, le procureur de la Commune, Hébert et cinq commissaires dont Daujon qui tient la plume. Simon est présent évidemment. Le jeune Capet, assis sur sa chaise, a l’air emprunté et inquiet, dira plus tard Daujon, persuadé qu’il mentait. L’enfant répétera ce qu’on veut lui faire dire. Il a peur mais il y met aussi de cette bravade des enfants qui prennent leur revanche sur ce qui leur est interdit.

On sait par exemple qu’il avait pris, au Temple, l’habitude de se caresser et que sa mère l’en avait grondé.

On insiste pour que l’enfant confirme ses déclarations à Simon et on le fait signer. Si aujourd’hui on compare les anciennes signatures de l’enfant avec celle de ce procès-verbal, un monde est passé entre elles, bref…

On confronte l’enfant à sa tante et à sa sœur. Il persiste, malgré leurs dénégations . « Malgré mes larmes, ils insistèrent beaucoup, raconte sa sœur. Il y a des choses que je n’ai pas comprises ; mais ce que je comprenais était si horrible que je pleurais d’indignation. »

« Oh ! Le monstre » se serait exclamée Madame Elisabeth…

 

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