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Lettres à Anne


January

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14 mai 1971

Nous nous voyons à 12h30 chez le vendeur de disques et de dictaphones de la rue de Babylone qui t'apprend à faire marcher l'appareil "contesté". [...] Je suis très fatigué et je vais tout de même chez un cardiologue. [...] nous nous baladons vers Saint-Germain et achetons mes médicaments au drugstore.

19 juin 1971

De ce restaurant à mi-hauteur d'une tour de 120 mètres et où j'ai déjeuné on voit Rotterdam, premier port du monde, monstre qui mange l'océan. [...] Visite du port, balade en bateau le long de quais hallucinants. Après-midi douce, pour Delft, où soudain le ciel est redevenu vieil or, comme pour nous, comme pour Vermeer aussi. J'ai retrouvé Grotius mais je n'ai pu visiter le tombeau de Guillaume le Taciturne. 

9 juillet 1971

Après-midi cité Malesherbes puis rue de Solferino, à la Fédération de l'Education nationale où je me trouve devant d'incroyables fossiles. La fin d'une certaine république. Les profs ! Ridicules, peureux, éloignés des sources de l'esprit dont ils se réclament.

 

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18 août 1971

Histoire des couples - et de l'amour qui ne survit que dans la lutte - ou qui doit se donner ses propres chances de renouveau : des enfants, des voyages, des oeuvres. Peut-être ai-je négligé (c'est trop bête, j'en étais capable) de créer avec toi : écrire, sculpter, t'intéresser à mes actes politiques, t'y mêler davantage.

12 octobre 1971

Tu me fais lire sans me la donner une lettre de rupture. Tu as des mots de cruauté. "Annefrançois" n'a jamais existé.

 

A ce moment du livre apparaît cette lettre de Anne Pingeot :

Si l'amour "libre" me prive de maison, d'enfant, d'espoir, de calme, de sécurité, de dignité, il doit au moins...rester libre. Non je n'ai pas de devoir envers toi. Je t'ai appartenu de dix-neuf à vingt-huit ans. Il me semble que c'est assez pour se rendre compte de l'impasse. Il y aura toujours une intervention, une élection, ou un congrès dans l'air. Moi j'ai la fatigue, l'inquiétude quotidienne. [...]

Si je te fais mal c'est qu'on ne peut se détacher de quelqu'un qui vous tient les poignets qu'en mordant.

(Cette lettre a été motivée par le fait que François Mitterrand, le 12 octobre, l'informe de son prochain départ pour l'Inde)

 

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14 novembre 1971

Départ très tôt, en avion, pour Temuco, en pays araucan, dont j'apprends avec surprise qu'on y tirait encore au fusil entre Indiens et Blancs il y a cinquante ans après la conquête théorique qui ne date que de 1880. C'est à 800 kilomètres au sud de Santiago. Pays et climat très différents de la capitale. La Cordillère et la mer enserrent cette belle province qui ressemble à la Savoie.

15 novembre 1971

On déjeune à l'ambassade de France [...] vieille maison espagnole, jets d'eau, gazon, piscine. [...] Un coup de fil inattendu de Gisèle Halimi qui arrive à Santiago pour un congrès de juristes. Je vais lui dire bonjour à son hôtel. On va voir enfin le Parti socialiste. Ennuyeux et solennel. Mais surprise, le président Allende nous fait savoir qu'il nous attend au palais de la Moneda. Entrevue longue et grave. Il nous expose les périls que court son régime. On se sépare avec amitié.

28 novembre 1971

Entre Paris et Rome et pendant l'arrêt au Vinci j'ai lu tout le bouquin de Charles Tillon "Un procès de Moscou" à Paris. Tillon a été le chef de l'organisation militaire du PC pendant la Résistance. Il a été exclu en 1952 et raconte la parodie de procès que lui ont faite ses camarades du secrétariat. A frémir ! Encore cela se passait-il à Paris, loin de la corde et de la balle dans la nuque. 

 

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29 novembre 1971

Eh bien ! Nous n'avons pas atterri à Karachi mais à Bombay, à cause du mauvais temps. [...] Je me suis promené ce soir dans le quartier où j'habite. J'ai marché dans les rues étroites, grouillantes, peu éclairées et que j'appelle rues faute d'un autre mot. En terre battue, bordées de maisons basses (un étage est la gloire), dont beaucoup sont en paille ou en toile, des gens qui chantonnent accroupis et qu'on voit à peine dans l'ombre, des enfants qui courent, qui jouent, qui pleurent, des échoppes misérables et animées, des artisans assis sur leurs talons, grattant, récurant, taillant...[...]

Aurore pourpre. On arrive à Calcutta avec quatre heures de retard [...] Des installations militaires, des canons antiaériens, des mouvements de troupes. Un camp de réfugiés de 300 000 habitants. 

[...] Ce que j'ai vu dépasse l'imagination.

2 décembre 1971

Comment décrire ? et comment imaginer ? [...] chaque famille compte plusieurs tuberculeux, pourris, moribonds. Qu'un sur cent des habitants d'ici est lépreux. Encore ne le disent-ils pas avant que ce ne soit évident de peur de perdre leur travail et d'être placés dans le quartier spécial [...] Mes impressions se mélangent. J'ai une sorte de nausée, je me force terriblement, je n'ai pas la vocation du malheur.

3 décembre 1971

Il n'y a aucune chance pour personne. De plus les moeurs n'arrangent rien. Les médecins indiens n'examinent jamais le corps d'une femme. [...] Beaucoup d'enfants au ventre ballonné. Une otite ? Deux pilules. Cent autres personnes attendaient. Ce sera pour demain. Tout de même cela sert à quelque chose. Un baume. Des piqûres utiles. Des débuts parfois stoppés. 

[...] J'éprouve une colère, un mépris contre cette grotesque sagesse, prétendue, des Hindous et plus encore contre ce misérable respect dont nos jobards d'Européens les entourent. Voilà ce que ça donne leur sagesse ! La lèpre, institution nationale ! 

[...] Indira Gandhi est aujourd'hui à Calcutta. La guerre est imminente. 

4 décembre 1971

En effet c'est la guerre. Du coup l'aéroport est fermé. Des avions militaires s'envolent vers le bangladesh et les autorités d'ici redoutent un bombardement, à mon avis à tort. D'où un couvre-feu. Insensée Calcutta de cette nuit toute noire où l'on avance tous en aveugles. [...] J'essaierai d'attraper à la première heure un avion intérieur pour Bombay et de là, puisque je serai sur la côte Ouest, m'évader du couple infernal dont on peut attendre un formidable déchaînement de massacres, Hindoustan-Pakistan. Sinon je tenterai la traversée de l'Inde en train, car l'auto-stop... 

5 décembre 1971

Je suis à Bombay, dans un hôtel plutôt malpropre [...]

Ici, hystérie guerrière. L'Inde a voulu la guerre, ça me paraît clair. Mais on nage dans l'hypocrisie et ce ne sont qu'invocations : Dieu, la patrie, l'honneur, la démocratie. On est prorusse, antiaméricain, antichinois. Les Pakistanais en Bangladesh vont se faire anéantir. 

 

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15 décembre 1971

Longue journée sans toi [...] je pars cité Malesherbes, tôt, car le Secrétariat national aborde pour la première fois l'examen du programme [...] A 12h30 je file à Saint-François-Xavier, je déjeune avec divers grands patrons, dont F. Michelin. De là je vais à la Closerie des lilas où les parlementaires socialistes ont invité la délégation yougoslave. Interminable ! [...] je saute rue Guynemer pour voir M. Th. Eyquem. Puis difficile discussion avec les députés sur le programme. Ils sont en majorité très anticommunistes, très modérés. Ils s'auto-excitent. J'arrive quand même à les calmer. 

13 janvier 1972

Et nous voilà à la télé, à Cognacq-Jay, pour une émission "Italiques". J'y interviens sur le livre de Robert Aron "Le socialisme français face au marxisme" et sur le livre de Segalen "René Leys". Tu es là, j'aime te sentir proche. 

31 janvier 1972

Que j'ai sommeil ! Cette nuit j'ai sombré ! Je ne te verrai pas beaucoup aujourd'hui. A 12h30 je participe à une émission de France Inter. Tu ne peux pas m'accompagner...

19 février 1972

On achète des livres chez Stock. Visite ensuite d'une exposition autour de Van Gogh, rue de Lille. Je participe à une réunion de la majorité. Cela me préoccupe. Je ne désire pas m'enfermer dans une tendance.

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5 mars 1972

Jules renard et la maison de son enfance. son père s'y tua d'un coup de fusil. Sa mère se jeta dans le puits. Il y écrivit beaucoup de pages de son très remarquable journal.

6 mars 1972

A Dijon séance inutile pour la préparation du Plan régional. Deux ministres et moi y perdons notre temps, à faire pleurer les français !

15 mars 1972

Golda Meir, Premier ministre, nous reçoit à 10 heures. Elle nous retient une heure et demie. Soixante-quatorze ans. Robuste. Vive. Catégorique. Elle est de la première génération des fondateurs de l'Etat. [...]

Le spectacle du Mur est l'un des plus extraordinaires que j'ai jamais vus. Des groupes de juifs religieux, vêtus de lévites noires, coiffés du chapeau à large bord, psalmodient, chantent, crient, implorent l'Eternel, en se balançant de gauche à droite ou d'arrière en avant. Une foi, un fanatisme, un absolu suffocant. 

 

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23 août 1972

J'aime ta lettre d'hier. Je n'ai pas aimé le téléphone. J'aime que tu m'aimes. Je n'aime pas que tu aies voulu partir avec Martine l'autre lundi. J'aime ta tendresse. Je n'aime pas tes vengeances. Si tu continues j'adhérerai au MLF. 

16 juillet 1973

Marcelle Padovani passera demain. Elle veut une interview pour Le Nouvel Obs au sujet de mes déclarations sur la monnaie et des remous qui s'en sont suivis. La majorité fait semblant de croire que je pense comme elle. Les communistes font semblant de croire qu'elle dit vrai. Chacun essaie ses armes à blanc.

 [...]

J'avais des chauves-souris l'an dernier sur ma porte. Maintenant ce sont des abeilles qui par un petit trou de rien ont installé sur le toit leur essaim. Elles bougent, travaillent sans relâche, fidèles à leur réputation. Leur musique me fait songer à l'odeur des tilleuls. Chacun sa madeleine.

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A partir de 1972, la correspondance est moins importante. Souvent ce sont des cartes postales avec un petit mot sur ce qu'elles représentent, ou simplement "A toi". Pour donner un repère, nous avons "lu" 1024 correspondances de tout genre entre 1962-1972, il en reste 194 de 1973 à 1995. 

Je profite de cet "interlude" pour donner quelques indications. Dans le livre apparaissent des dessins, griffonnages amusants ou, souvent utilisée, la lettre A, dessinée rondement et remplie d'yeux et d'un sourire ou non (smiley avant l'heure). Un autre petit symbole apparaît, un petit soleil. On comprend vite ce qu'il s'est passé entre eux lorsque ce petit soleil apparaît ;) 

Toutes les correspondances sont numérotées, chaque fois on sait sur quel support il écrit (carte, carton de l'assemblée, télégramme, carte postale et ce qu'elle représente, papier comme ceci ou cela), la date bien sûr est indiquée, le destinataire (nous verrons plus loin qu'il n'écrit pas qu'à Anne), et l'adresse. Tout est répertorié, y compris les cartons d'autorisation ou par exemple, Melle Anne Pingeot est autorisée à récupérer la voiture de M. François Mitterrand qui se trouve dans la cour du Palais Bourbon. 

J'ai eu l'occasion en début de semaine à la librairie de feuilleter "Journal à Anne", l'ouvrage paru en parallèle du livre que nous partageons. Y apparaissent d'autres petits mots, des reprises des lettres, des coupures de journaux, fleurs séchées, morceaux de nappe en papier assortis de poèmes, etc... Ce journal prend fin en 1970. Je l'explique par la "crise" de juillet, où la rupture a bien failli être définitive. Mais étant donné que la correspondance se fait plus maigre à partir de 1972 (l'année 71 est très prolifique), peut être le manque de temps est également à l'origine de l'arrêt du journal.

 

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En mai 1974 il manque 425 000 voix à François Mitterrand pour être élu président de la République. Pas d'émotion ni de regret (note d'Anne Pingeot). 

En août 1974 Anne Pingeot est enceinte et l'annonce à ses parents. Un remous dans la famille qui va désormais accueillir une "fille mère".

 

29 août 1974

J'ai donné hier une interview de six minutes à la télévision première chaîne. Je me sentais extérieur à ce jeu auquel je me livre si souvent. Il ne faudrait pas céder à l'indifférence. Garder l'oeil ouvert, attentif au mouvement des choses et de l'esprit, je m'y essaie. Mourir avant la mort est démission, je l'ai toujours sur. Mais il faut pour se vaincre tant de discipline !

23 octobre 1974

Le voyage à Cuba a été passionnant. Six jours dont trois avec Fidel Castro. On s'est quittés la gorge serrée. C'est un de nos contemporains les plus rares - je te raconterai.

24 octobre 1974

Dans les rues les gens s'agglutinent par centaines, par milliers. C'est du délire. Hier un meeting a rassemblé 20 à 30 000 Martiniquais survoltés, pressés, enthousiastes. On veut me toucher. Les femmes me crient "Papa" (hum !). Les enfants courent autour de la voiture, s'infiltrent sous les estrades, s'accrochent en grappes sur les arbres. Il faut dire que les Antilles Françaises vivent encore aujourd'hui sous la férule coloniale. On y tire facilement quand on est gendarme sur un ouvrier qui tient dans la rue une pancarte réclamant un meilleur salaire.

7 décembre 1974

Si par malheur c'était un garçon... mais que d'hésitations !

Cosme, Just, Roch, Che, Paulien, Julien, Cyprien, Blaise, Maxence, Géraud, Claude, Laurent, Martin, Paul, Calixte, Matthias, Tristan

Mazarine, Marie, Catherine, Ariane, Aude, Reine, Clio.

 

 

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7 janvier 1975

Mazarine chérie, 

J'écris pour la première fois ce nom. Je suis intimidé devant ce nouveau personnage sur la terre qui est toi. [...] Quelle surprise le monde ! Tu t'interrogeras jusqu'à la fin sur lui. Anne est ta maman. Tu verras qu'on ne pouvait pas choisir mieux toi et moi. 

 

29 janvier 1975

Enfant, je ne jouais pas aux cartes et maintenant je n'y joue pas davantage. [...] Le jeu de l'oie m'excitait davantage. La loi du hasard a le sombre attrait de la philosophie. Ce dé qui vous expédiait au cachot, en enfer, qui tout près du but vous tirait soudain vers le zéro avec le chemin à refaire ou qui traversait les embûches comme s'il avait des yeux pour les voir, j'éprouvais une délectation à  le regarder décider pour moi. [...] De telles dispositions me destinaient, croira-t-on, à fréquenter les casinos. Eh bien non ! J'en ai horreur.[...] D'ailleurs, j'ai vite cessé de jouer aux dés. [...] dépendre aussi peu que ce fût de ce petit cube qui roule, me révulse. Je suis devenu le contraire d'un joueur, ce qui détrompera mes ennemis qui n'ont, parlant de moi, que ce mot à la bouche. Ma vie politique est ainsi faite : incapable d'avancer d'un pas sans avoir rassemblé toutes les ressources de ma raison, incapable de m'arrêter sans avoir épuisé les réserves de ma volonté. Je n'abandonne désormais au hasard que la part qui lui revient. Est-ce jouer encore ? Beaucoup le penseront qui sont les éternels traîne-patins de l'histoire. 

[...] Je ne calcule pas. Je sens.

 

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25 août 1976

Nous aurions dû l'appeler Louise, Mazarine. Comme cela j'aurais un beau prétexte pour t'écrire aujourd'hui. Bonne fête, Louise, petite Louise jolie, fière et têtue.

26 août 1976

Je t'ai envoyé des lettres de délire en janvier 64 et encore en juillet 70 : j'ai, en août 76, la même réserve d'amour et d'énergie. Tu doutes, je le sais bien. Il n'est pas d'amour qui ne doute. Et sur ce plan tu battrais plutôt des records. 

14 avril 1977

Je pense à toi, toujours coupable de ne pas savoir te rendre aussi heureuse que peut l'être une Mazarine sur un vélo rouge. Mais je vous aime toutes les deux. 

12 juillet 1978

J'ai vu Mazarine ! Dès mon arrivée lundi. Elle m'attendait et avait dit à Marine : "Il faut que je sois jolie pour papa". [...] Lundi elle m'a entraîné au bord du lac et devant Gédé m'a dit "Rentrons à la maison pour dire des gros mots". Gédé scandalisée ! Le gros mot est venu : c'était cacaboudin. On a joué à cache-cache. Elle a peur et aime avoir peur. [...] Elle se porte bien, court, s'épanouit. "Et maman ? Elle va venir ?" Je la rassure. Elle t'attend - quand elle tombe/se fait mal, elle me réclame. Quand elle s'endort ou se réveille elle t'appelle. Et va jouer ou plonge dans un sommeil paisible.

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17 novembre 1979

Quelle est cette folie ? Je suis resté trois minutes, sans rien prendre, aux Deux Magots, et j'ai attendu vingt-cinq minutes supplémentaires, debout, sur le trottoir, épuisé, que tu arrives.  J'ai téléphoné, atrocement inquiet, à Agnès. A 8h30 je suis rentré au 40. J'ai libéré Agnès, chanté à Mazarine, et je l'ai gardée. J'étais angoissé, sans rien comprendre à ton attitude, et je craignais un accident. 

C'est incompréhensible. [...]

J'ai vraiment trop de peine, devant cette injustice. J'étais si heureux de te voir. Et je t'aime. 

 

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23 février 1980

J'ai gagné ici le repos qui me permet de concentrer mes forces. Mais l'inertie m'agace. Dois-je y voir un vieillissement ou une agression singulière ? Je croirais plutôt à la seconde explication car j'ai envie de mener à bien mon livre, d'écrire, mon cerveau marche à bonne allure et j'éprouve un goût extrême délicieux à savoir que vous existez. La pensée de ces trois petites filles dans le grand lit, et parmi elles la nôtres ; de toi réduite à coucher dans le lit de Mazarine, me ravit. Et quand la presse m'imagine, penché sur le jeu d'échecs de la politique, c'est tout simplement le cochon qui rit qui m'absorbe ou mieux encore les lèvres pincées de Zaza en panne des I qui lui apporteront la queue.

 

********************

Très peu de choses en 1981, quelques cartes seulement. Et pour cause, François Mitterrand va être élu président de la République le 10 mai. Dès fin mai, Anne Pingeot et lui emménage dans un appartement de fonction à l'Alma. André Bousiot sera en charge de Mazarine (la conduire à l'école etc) . Il fait preuve d'un dévouement absolu mais la jeune fille est coupée de son entourage.

François Mitterrand, au lendemain de son élection, vit donc en commun avec Anne et Mazarine Pingeot, ce qui m'a beaucoup surprise. J'étais bien jeune à l'époque donc "me rappeler" ce n'est pas possible. Mais il me semble que la "double vie" de François Mitterrand a été révélée dans la presse plutôt récemment. Peut être que je me trompe ? 

A partir de la naissance de Mazarine, François Mitterrand est chaque jour ou presque chez Anne Pingeot. Chaque fin d'année dans le livre, Anne Pingeot a indiqué où ils passaient Noël tous les trois, et en compagnie d'amis ou non. Aucun Noël n'a été manqué, en "famille", par François Mitterrand. Trois ou quatre jours dont personne n'a jamais rien su (nous, le public - ça me paraît stupéfiant qu'il n'y ait jamais eu aucune fuite). 

François Mitterrand donc en mai 1981 vient d'être élu et est déjà malade d'un cancer (ça non plus je ne le savais pas, je pensais qu'il était tombé un peu plus tard). Il annoncera son cancer à Anne Pingeot en novembre 1981. Les médecins lui donnent entre 3 mois et deux ans d'espérance de vie... 

**********************

 

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23 mai 1982

A mesure que je t'écris j'en éprouve un profond plaisir, ce qui ferait douter un lecteur inconnu de mon sens de l'opportunité. On s'écrivait trop peu ces temps-ci sous l'effet de la commodité des communications. Ecrire oblige à réfléchir entre les lignes, à former des mots qui prennent tout aussitôt un poids redoutable. Ecrire me donne envie de te parler d'un tas d'autres choses, façon de revenir aussi au principal, de te redire pas un détour - oiseau, fleur entrevue, couleur du ciel, choc d'une idée, d'une sensation - l'éternel refrain (hum ! éternel !) de l'amour.

17 mai 1984

La politique colle à mes pas. Tous les problèmes de France me cernent : usine d'Aulnay occupée, raidissement dans l'affaire scolaire, Sakharov qu'on me jette à la figure - et le reste. J'aimerais aller au Grand Nord et n'avoir plus devant les yeux que la pureté de la glace et du vent, il me semble étouffer physiquement sous le poids des étouffements de l'esprit. 

[...]

J'ai beaucoup marché aujourd'hui dans Stockholm par un temps admirable, refusant la voiture, pour le plaisir de sentir physiquement vivre cette belle ville, belle fille du Nord.

9 décembre 1984

Devant moi le fleuve Zaïre, au loin les montagnes, un continent. Vive la géographie. Mais ma pensé reste là où vous êtes.

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22 décembre 1985

Constamment ma pensée revenait à toi, mon Anne bien-aimée, et à cette petite fille dans la chambre à côté, ta fille, la nôtre, petit être d'harmonie et d'eau vive - que je te dois. J'avais envie de t'écrire, de te dire que tant que je vivrai j'aurai en moi l'amour de Toi.

*****************

En juin 1987, Mazarine a 13 ans. Elle est en séjour en Allemagne. Ici apparaît un portrait de son père, serait-ce lui qui lui aurait commandé ?

Quelle chance tout de même : une mère exceptionnelle et intelligente, un père seul au monde, qui sait se faire connaître mais qu'on ne connaît pas. Même moi sa fille. Je dois dire que personne ne connaît personne, il existe même des cas où l'on ne se connaît pas soi-même.

Mais il se connaît et s'estime, je le crois. [...] Il lutte la journée avec ses ennemis, et le soir il s'attendrit à me bercer. [...] je l'admire secrètement, disons plutôt, je suis fière de lui. [...] Il est très rusé. J'aime lorsqu'il me raconte ses trois évasions, pendant la guerre de 1940. [...] Sa vie est une aventure, une aventure mémorable. [...] la France qui sera finalement le but de sa vie puisqu'il deviendra Président. Il a tout vu : la lâcheté, la douleur, la vengeance, la brutalité, la mort, la vie, l'amour de la vie, le dégoût, le désespoir, mais m'a-t-il dit un jour "Jamais je n'ai été vraiment triste". 

[...] Sénateur, ministre, écrivain, il a tout fait, les choses les plus intéressantes. Il me dit maintenant "Je faisais le minimum de travail pour réussir". 

[...] Grand tombeur de femmes, il a tout pour plaire, humour, intelligence, beauté, une attirance sournoise. [...] Jamais Maman n'aurait pensé qu'il aurait pu tant s'occuper de moi. [...] Il sait se faire respecter sauf avec moi où il est trop naïf, "c'est l'amour qui rend aveugle". 

[...] Il est fier et heureux. Il aime sa terre et chaque fois qu'il arrive pour un week-end à notre maison de campagne, il embrasse nos trois tilleuls [...] Mon père c'est un héros et un homme bon. Mais il connaît toutes les astuces de la vie. Une fois j'avais, je crois, été trop gentille avec quelqu'un, il m'avait dit que si je continuais jamais je n'arriverais à vivre, c'est la loi du plus fort, mais il le disait en riant.

[...] C'est l'homme le plus intelligent que je connaisse et que je peux connaître.

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8 février 1988

Le concorde s'est envolé à l'heure dite, des turbulences sur la France, puis le calme. J'ai dormi. Dans mon rêve tu m'occupais beaucoup. Ta main, ton regard, ta peur aussi. Je pensais, je pense toujours : "Comment gagner cette ultime partie, comment gagnerons-nous ?" J'y répondais "Ensemble, en tout cas" et je retrouvais ta main, ton regard, ton amour. 

11 février 1988

Je suis désemparé. Comme je suis mal préparé à quitter ce que j'aime ! Je pense que, toi, tu ne peux plus m'aimer et n'arrive pas à surmonter une peine latente, accrochée à mes plus tendres souvenirs. Ca ressemble à un chagrin d'amour, comme autrefois quand je t'attendais rue Saint-Placide. Je me reprends aussi à espérer. Espérer ! Je me moque de moi. Je ne supporte pas d'être frappé comme je le suis. 

12 février 1988

J'écris ces lignes dans la salle du Conseil. Autour de la table ronde, les dirigeants de l'Europe devisent à voix basse. Mme Thatcher fourbit ses armes. Chirac, mon voisin de droite, va et vient. A ma gauche siège Gonzales, l'Espagnol, Kohl, qui préside, souffle un moment, pour une brève suspension de séance. La tension règne sous cet aspect bon enfant. 

 

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13 mai 1992

Figure-toi que je t'écris cette lettre... pendant le Conseil des ministres, après lequel j'embarquerai pour la Lituanie. (Mais l'ennuyeuse communication que fait en cet instant le ministre de service ne mérite pas plus d'intérêt !) [...] Je suis bien triste d'être éloigné de toi. Mais je t'espère, je t'attends, je rêve de ton visage heureux.

5 août 1992

Le rêve nous entraînera dans le secret des choses simples. Il en est une que tu dois savoir, mon Anne, c'est que je t'aime. 

 

*****************************

Les 12 et 15 septembre 1992 François Mitterrand est opéré à l'hôpital Cochin. Anne Pingeot passe la première nuit auprès de lui sur une chaise puis ensuite sur un matelas posé le soir contre son lit. 

1993 ne fait mention que du Noêl

En 1994 François Mitterrand est à nouveau opéré à l'hôpital Cochin, Anne reste près de lui jour et nuit. 

En 1995 la correspondance reprend un peu, l'état de santé de François Mitterrand s'aggrave. Maladie des rayons, épuisement extrême, il livrera dans ses dernières correspondances son "aurevoir" en quelque sorte... 

*****************************

22 septembre 1995

Et voilà que je ne sais plus quoi faire de moi, mon temps fini. Une vraie conjuration ! Mais je sortirai de ce bizarre état, ridicule et pittoresque. C'est déjà si difficile de connaître l'usage qu'on doit faire de sa vie ! Le reste est plus simple puisqu'il suffit de décider. 

Mon bonheur est de penser à toi et de t'aimer. Tu m'as toujours apporté plus. Tu as été ma chance de vie. Comment ne pas t'aimer davantage ? 

****************************

Ceci est la dernière phrase du livre et notre lecture partagée s'achève ici. François Mitterrand s'éteint dans la nuit du 7 au 8 janvier 1996.

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January Modérateur 62 205 messages
108ans‚ ©,
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J'espère que le partage vous a plu, maintenant on peut en discuter. Je vous ai rapporté mes émotions au fil de la lecture, quelles sont les vôtres ?

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Invité
Invités, Posté(e)
Invité
Invité Invités 0 message
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Je n'ai pas encore pu continuer ma lecture, mais ce que tu as partagé est déjà substantiel. Merci encore de ce travail de partage toujours intéressant, de ce temps passé à nous élever culturellement.

On ne peut que respecter cet amour que seul la mort a arrêté, et qui survit grâce à ces lettres, quelle que soit notre opinion sur l'homme...

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Modérateur, ©, 108ans Posté(e)
January Modérateur 62 205 messages
108ans‚ ©,
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Je t'avoue qu'à la fin du livre, j'ai eu beaucoup d'émotion. Que tout ça ça s'arrête... Même si..j'ai bien vu, qu'il écrivait pour lui, à plein de moments, qu'il se dépassait à certains moment pour ne pas perdre "son miroir", qu'il écrivait pour lui d'abord. J'ai été triste, à la fin. Parce-que c'est tout un enchevrêtrement de vécus, de caractères, d'ambitions, tous ces critères qui ont "matchés" à un instant T, et que ça, dans la vie, ça n'arrive pas si souvent que ça. 

Je reste aussi dans une interrogation aussi raisonnée qu'émotionnelle : quid, de Danielle Mitterrand ? Comment a-t-elle vécu tout ça, quand elle, elle devait fournir une "image", envers et contre tout ce qu'elle vivait, ce qu'elle "subissait" ? mais peut être pas ? Il me reste des questions...

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