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Lettres à Anne


January

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January Modérateur 62 205 messages
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16 juillet 1967

Le soir Claude Estier est venu me chercher pour m'emmener à Fleury-en-bière où Gisèle Halimi recevait. [...] une compagnie conforme à ce que j'en attendais, avec ses tics assez prononcés. Gisèle Halimi est une avocate, quarante ans, assez belle, très douée, mi-arabe mi-juive (!), née à Tunis, femme de Claude Faux, jeune écrivain, trente ans, collaborateur et secrétaire de Sartre. Gisèle Halimi a été candidate de la Convention aux élections législatives dans le 15e arrondissement.

 

28 juillet 1967

T'aimer est en soi une oeuvre passionnante, mais aimer c'est aussi exprimer. Tu es pour moi l'explication d'une si vaste part du monde que je m'en veux parfois de n'en rien écrire. L'action dévore et s'évanouit d'elle-même aussitôt accomplie. Toi, tu es.

 

 

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Le diable d'homme que Mitterrand ! on ne peut s'empêcher de l'admirer. Socrate, Montesquieu, Talleyrand, Salluste, et d'autres en lectures...

Il est le dernier à avoir compris le rôle de la philosophie et de l'histoire dans la politique. Il a compris que le communisme effrayait, que la droite sclérosait, et il a su effacer son passé en s'adressant à la jeunesse, en lui proposant une mise en perspective historique et philosophique tournée vers l'avenir : changement et espoir. Lui seul a su comprendre et capitaliser l'esprit de 68. C'est le propre des génies que d'être admirés malgré le mal qu'ils ont pu faire...

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January Modérateur 62 205 messages
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5 septembre 1967

Ce maudit coup de téléphone ! Depuis six jours, depuis ton départ, qu'ai-je eu de toi ? un petit mot le lendemain, une carte postale hier ! J'en étais malheureux et j'avais trop envie de renouer avec ta présence. Mais, comme au temps de Sirolo, Anne n'est plus là pour moi ! Alors ta voix de tout à l'heure, gênée, indifférente, sans éclat, sans joie c'est la négation de ce qui nous unit et qui me paraît si souvent la grâce de vivre. 

6 septembre 1967

J'éprouve des sentiments mélangés : ton silence de plusieurs jours m'a rendu triste et coléreux et voici que ton adorable lettre me remplit de remords. [...] Ta lettre d'aujourd'hui me remet (un peu) d'aplomb. J'étais au niveau de Sirolo : le plus bas. Anne chérie, aussi dure que ta terre de lave, il suffit d'un mot de toi pour que le soleil se lève. Ca va mieux et d'un coup j'ai le coeur fou d'amour, fou de rêve, fou d'espoir. Les meilleures conditions pour tomber de très haut ! 

16 septembre 1967

Je t'écris sur la nappe d'une table de restaurant, à la gare de Metz, avant la réunion qui commence à 4 heures. Je suis arrivé de Paris à Luxembourg par avion et j'ai déjà parlé à Audun-le-Tiche, à la frontière. Par la route je suis passé ensuite par Amanvillers... petit village où j'ai franchi la frontière lorsque je me suis évadé (pour de bon). Ici, tout à côté, il y a la Citadelle où j'ai été enfermé quelques jours et j'aperçois le Cecil Hôtel où j'ai été dénoncé par la police allemande... 

Ce sont des souvenirs d'antan qu'il me plairait de revivre avec toi. Mais aujourd'hui il s'agit d'autre chose ! On me transbahute de ville en village sans pitié pour ma tranquillité, avec le gros sans-gêne lorrain qui a toujours le don de m'agacer ! 

 

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24 septembre 1967

La réunion d'Auch (5000, 6000 participants ?) bourdonnait, s'agitait, hurlait au moindre mot quand de 9 heures à minuit j'ai parlé ou discuté avec les contradicteurs. Des socialistes, mes partisans, idiots et sectaires, n'employant que des arguments de sous-sol, des communistes rigolards, des "clubs" sympathiques, effacés, constituaient l'état-major sur la tribune ! Le candidat adverse (centre démocrate, Conseil d'état) s'époumonait. je m'en serais attristé si telle n'était la loi du genre. Mais que les orateurs socialistes m'ont irrité avec leur incroyable méchanceté, minable, vulgaire, bête, bête ! La foule n'avait pas l'air de s'en apercevoir, portée par passion et par son enthousiasme. 

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18 octobre 1967

Je pense beaucoup à vous. Ce qui frappe ma mémoire amoureuse ? La démarche d'un être plein de grâce et qui cherche à voir et à comprendre. La possession m'attache à toi durement, profondément. Peut-être suis-je uni à toi davantage par la recherche de la beauté et du secret du monde. 

22 novembre 1967

Le rythme de mes jours ne décroît pas. Hier j'ai posté à Los Angeles la lettre écrite à San Diego. Je pense qu'elle t'arrivera plus vite ainsi. Los Angeles a 7 millions d'habitants étalés dans des maisons basses et d'un style agréable sur une superficie qui égale... la moitié de la Belgique ! J'habitais dans un hôtel avec piscine et lumières typiques de Beverly Hills, tout à côté d'Hollywood, où j'ai dîné dans un restaurant polynésien. [...] J'y retournerai le 26 pour dîner avec Salinger, l'ami de John Kennedy.

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'moiselle jeanne Membre 4 675 messages
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Quelle richesse dan ces lettres ! C'est vraiment magnifiquement écrit. Le personnage qui en ressort est saisissant .. il y a son érudition, magistrale, l'extrême finesse de son intelligence et sa lucidité.. mais aussi, que l'on découvre, la profondeur du ressenti et du regard, la dimension du questionnement,  et la place des sentiments de première importance..

Merci pour le partage !

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January Modérateur 62 205 messages
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Plaisir 'moiselle Jeanne :)

 

1er décembre 1967 (de San Francisco)

La musique ? Surtout une batterie effrénée tenue par l'une des chevelures blondes (on ne voit que ces cheveux pris dans le rythme, tournant, se mêlant autour d'une tête dont on n'aperçoit jamais les traits, et dans laquelle jouent des faisceaux lumineux d'or et de sang). En une demi-heure le batteur a bien cassé dix baguettes, sourd à son tintamarre, insensible au déchaînement qu'il suscite, proie de la drogue et du délire. Le guitariste lance de longues plaintes hurlantes. Le troisième crie on ne sait quoi. Dans la salle la moitié des hippies, étendue, inconsciente - l'autre moitié danse sur place, chacun pour soi, prise de tressaillements, les bras en l'air, virevoltant, griffe les murs ou, comme une femme près de moi, pousse de temps à autre un long cri de bête. A l'entrée des Noirs nonchalants, des filles sans regard, des barbus aimables. J'ai mis une bonne heure à dégager mes oreilles de la compression subie, comme à la descente d'un avion. Je mettrai plus longtemps à me dégager du choc provoqué par l'explosion d'une société et peut être d'un monde. Je me raisonne aussi en pensant à ces malades de drogue et de l'âme qui seront plus drogués et plus privés d'âme encore quand, notaires ou directeurs de banque, ils géreront la même société.

4 décembre 1967

Pourtant je dois préciser encore ma pensée : si j'avais trente ans, que tu sois à moi comme tu l'es, que nous ayons à bâtir en toute certitude notre vie ensemble, je crois bien que je ne supporterais pas que, sauf accident ou circonstance particulière, tu puisses jouer le jeu, ce jeu-là. Toi, entre les bras d'un autre, avec le rire, l'alcool, l'entraînement normal du rythme, me paraîtrait insupportable, antinomique en tout cas avec ce grand don sacré de l'être qu'est l'amour partagé. Si donc je puis l'accepter c'est parce-que j'ai vingt ans de plus et que je ne me reconnais pas le droit de t'empêcher de vivre comme on vit à vingt-quatre ans et qu'on est une Anne délicieuse et drôlement tentante et bien un peu tentée.

 

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January Modérateur 62 205 messages
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24 janvier 1968

J'ai déjeuné avec André Rossi, député du centre de l'Aisne. Il neige. Strasbourg a belle allure avec la mode d'hiver. Ici on continue d'être choqué par mon discours d'hier. Je te l'apporterai. Tu jugeras. Les gaullistes avaient scandalisé il y a quelques années avec leur Europe des Patries, j'ai scandalisé avec mon Europe des Travailleurs. On me regarde d'un drôle d'oeil habitués qu'étaient ces bons bourgeois à vivre dans le coton.

29 mai 1968

Pourquoi m'as-tu fait cette peine ? Je suis arrivé à l'Orangerie à 10h02. Dix-sept minutes, était-ce si long d'attendre en échange de la joie profonde - et un peu nécessaire - que j'espérais ? Je dois vivre les événements rigoureux que tu sais, j'ai besoin de toi comme de l'être qui est le meilleur et la vérité de moi-même, et voilà que dix-sept minutes c'est trop long !

[...] J'éprouve un vrai désarroi. Tu n'as jamais compris à quel point tu étais moi-même. Tu me manques parce-que tu l'as décidé. Je ne comprends pas, moi, cette dureté. Je crois bien t'aimer plus que jamais.

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24 juillet 1968

Je t'écris de mon banc de l'Assemblée nationale tandis que Giscard d'Estaing glose sur la jeunesse. Edgar Faure vient d'achever un discours de deux heures. Je serai pris ensuite dans un engrenage accéléré de rendez-vous. Aussi cette lettre doit-elle partir maintenant si je veux qu'elle te parvienne demain.

12 août 1968

Que fais-tu à Alès ? De belles balades j'imagine. Le musée du Désert est passionnant, j'espère que tu as été le visiter. J'ai beaucoup aimé, beaucoup, nos quatre jours et ce n'est pas la querelle de la route qui les a gâchés, ne t'inquiète pas pour cela. Je te sentais triste et ta tristesse débouche débouche vite sur l'amertume. Je t'aime. Tu m'aimes. "Y a-t-il des couples heureux" demande le journal Elle dans sa publicité de cette semaine. Oui, il y en a, de longs espaces de temps : le nôtre.

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15 août 1968

J'ai cueilli une petite fleur jaune [...] j'ai écrit ANNE du bout du pied. [...] J'ai décidé que lorsque je dirigerai l'Etat, et l'Eglise mise au pas, je donnerai le 15 août à Sainte Anne. Marie ne m'en voudra pas. On la mettra tout de même à l'honneur. [...] Cinquième 15 août. Quelle émotion. Je me raconte sans cesse notre histoire.

26 décembre 1968

Pour la première fois depuis le 15 août nous ne sommes plus seuls au monde. Je t'entends encore me répondre que moi, je n'ai jamais été seul avec toi. Tu peux toujours le dire, tant tu aimes saccager ce que tu aimes.  [...] Ennemis ! Anne, mon Anne je préférerais mourir, je préfère te perdre. Je sais à quoi tu es affrontée, tout est posé à la fois. Un enfant qui naît, qui pourrait être le tien. Un jeune homme qui t'aime, que tu pourrais aimer. Le mariage. L'état social, familial, religieux. [...] Entre tout cela et toi, il y a moi, il n'y a que moi.

[...] Faut-il que j'abandonne cet amour simplement parce que quelqu'un d'autre t'écrit des lettres d'amour ? Si elles se rencontrent dans le même courrier, quelle pâture ! Cela me fait mal au coeur, à la main d'imaginer cette compétition. Si j'étais plus libre, moins lié à cet amour, je t'aurais déjà laissée plus libre. Voilà la logique. Ton intérêt le plus évident, à l'oeil nu, c'est de me quitter.

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5 mars 1969

J'aurais aimé qu'une longue lettre te raconte les oiseaux d'Hossegor, son ciel gris, la forêt nue et même ses couleurs fauves. Mais voilà : je travaille à en user mon stylo ! Je suis seul. Je n'ai pas un gros rendement, mais j'insiste. Je pense à toi. Ta voix habite mon oreille. J'aimerais une longue promenade avec Anne, ma compagne des chemins de bruyère.

9 juillet 1969

J'ai lu les journaux, dont L'Equipe qui me repaît des exploits de Merckx et de Gimondi. J'ai appris du marchand de journaux qu'il avait vendu quatre-vingts de mes bouquins et que ça n'arrêtait pas ! 

[...]

J'ai acheté le numéro juillet-août  du Jardin des Arts que je t'apporterai vendredi. J'avais l'impression de réduire la distance qui nous sépare. Il y a de très beaux articles sur Rembrandt. J'ai aussi acheté l'Histoire de la Flibuste de Georges Blond qui me paraît passionnant. 

8 août 1969

Depuis que je sais qu'un Boeing qui traverse l'Atlantique use 36 tonnes d'oxygène et que ce dernier s'épuise à servir à tout et à n'importe quoi, j'aime d'un amour plus élaboré cette forêt qui nous le restitue, formidable machine à respirer. La moindre plante rend la terre habitable à l'homme, éloigne la mort, la terrible mort par asphyxie qui me paraît la moins supportable, la plus "inhumaine".

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10 août 1969

Un temps gris, queue d'orage sans doute, donne leur vraie couleur à mes horizons intérieurs. Je ne bouge pas du même endroit. Je serais bien allé à Paris, c'eût été conforme à mon premier mouvement. Mais je ne devais pas le faire par rapport à toi. C'est pourquoi je suis tout bêtement assis dans le fauteuil d'osier de ma chambre, un carton sur les genoux pour l'assise de mon papier, à t'écrire plutôt que d'être auprès de toi alors que j'en crève d'envie.

11 août 1969

Comme chaque fois qu'il y a crise je fais mon, notre bilan. Aujourd'hui il me paraît merveilleusement positif. [...] Il manque le sacrement social et la présence qui crée la cellule (vie quotidienne, enfants etc.) Ce manque est grave je le sais et j'en souffre et je pense à toi qui en es victime et je t'aime de toute mon âme. 

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15 août 1969

J'étais, le coeur battant, aux Trois-Poteaux il y a six ans. J'ai vu la jeune fille Anne venir de son pas dansant. Je l'aimais. Je l'ai aimée. Je l'aime. La mer sous sa sandale, le péplum rouge autour des hanche, la nuque droite, elle m'a dit plus tard que ses jambes tremblaient.

26 août 1969

J'ai longuement considéré le potiron ou plutôt la plante qui donne le potiron et dont j'ignore le nom. Cette humble plante est formidable Quelle générosité, quelle puissance ! Elle fait maintenant le tour du four et tend à grimper, de larges feuilles dont le dessin me rassure par sa noble simplicité.Tout un petit monde s'est organisé par ses soins. Dans le calice des fleurs jaunes, oblongues, un frelon, des abeilles butinent. Sous les feuilles une minuscule grenouille essaie la souplesse de ses membres.

Ca et là les fleurs s'étiolent et à leur base font place aux futurs potirons qui n'en sont qu'au tendre embryon. Je m'étonne que la minceur d'une feuille de potiron suffise à arrêter l'énergie du soleil, la violence de la lumière. Au-dessous, c'est l'ombre. Un feuille capable de provoquer l'éclipse du soleil ! Ô nature exemplaire !

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3 septembre 1969

Je m'interrogeais : un esprit assez fort, assez riche d'attention, capable de saisir les relations entre les choses et les êtres se satisferait-il d'une vie consacrée à voir et à comprendre ? Il y a assez à faire dans la contemplation ! Mais est-ce suffisant pour répondre aux aspirations confuses de l'homme ? Que signifie l'attrait de l'action ? [...] Sans doute y a-t-il des âges pour l'action et la contemplation, ou davantage, une subtile alternance entre l'accumulation d'énergie et sa dépense. En tout cas le retour à l'intérieur de soi est l'obligation première sans quoi il y a dilution de l'être et l'action perd sa valeur d'action.

24 décembre 1969

Je vais plonger dans Solal d'Albert Cohen, écrit trente ans avant Belle du Seigneur, et dans Sylvia d'Emmanuel Berl. J'ai en réserve Le Sang Noir de Louis Guilloux. L'envie d'écrire viendra un peu plus tard. Pour l'instant, je regarde. Le jour passe vite mais il ajoute d'autres feux, d'autres ors à mesure qu'il décline. Je regarde en moi aussi pour mieux te retrouver. Je sais même si j'ai l'air de ne pas toujours comprendre ce qui vit en toi. Je voudrais embrasser tes mains.

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3 juillet 1970

Je t'aimerai jusqu'à la fin de moi, et si tu as raison de croire en Dieu, jusqu'à la fin des temps. [...] J'ai fait mes comptes. Huit ans. Comme le rêve est impuissant ! Je n'aurais pas eu le don de rêver à semblable bonheur réel. Huit ans où le ciel était à moi. [...] Et je t'ai fait attendre ! Je n'ai pas respecté chaque seconde d'éblouissement, de possession, d'attachement, de clarté, de tendresse, de gaieté, de folie, de beauté, de désintéressement, chaque seconde de toi. [...] Je suis désespéré mon Anne. Je touche les grands fonds, une sorte d'infini où plus rien n'a de sens, d'où je vois mes petitesses, mes manques, mes ratages, l'économie d'attention et surtout la perte de l'attention. Quand on a le ciel avec soi on le regarde et on doit trembler de le perdre.

13 juillet 1970

Je redoute la nuit, j'étouffe, tu n'est pas là, ô Anne comment peut-on détruire un tel lien. Mon rêve de huit années (assorti d'inconscience), une pensée quotidienne, constante, adorante, et voilà la solitude qui me mord la poitrine. 

14 juillet 1970

Visage bien-aimé. Il me dit qu'il faut aller plus loin dans notre recherche commune, qu'il s'agit simplement de faire mieux, d'exiger davantage, de s'aimer en partageant le meilleur de nous-mêmes. Je l'entends : "Moi je ne suis pas triste, nous avons tous les deux tant à faire".

[...] Je suis amoureux de toi sans retour. Tu doutes ? Pas un seul jour depuis le 15 août 1963 je n'ai cessé de t'aimer de toutes mes forces. Chaque j'ai voulu qu'un signe te le dise. Il y a eu de la poussière, de la crasse, de la paresse, de la fatigue. Ton regard vers moi, celui que j'aime, a toujours lavé aussitôt les scories. Cet amour-là personne ne le donnera jamais.

[...] Je rentre de Moliets [...] G. m'a accueilli en me disant que Gédé, Martin, Hervé, Bertrand et Toi étiez venus. Je crois que j'ai eu un éblouissement. J'étais tellement pâle qu'il m'a dit gentiment des mots pour rien. Entendre parler de toi. Je suis comme un homme qui a vécu sa mort.

[...] Jamais notre amour ne devait finir. Anne mon amour. Jamais  ma vie ne devait durer au-delà de toi. Rien ne durera, il n'y aura pas d'au-delà. Anne ma joie. Je récite nos nuits pour que recule l'horreur de respirer sans toi. Il serait plus facile de mourir, si souvent tu l'as pensé. [...] Comment ai-je pu t'infliger la moindre souffrance ? Anne mon amour, comment, comment ? 

15 juillet 1970

Tu ne sais pas où j'en suis. J'ai mal à en crier - et rien. [...] Mais tu n'as pas besoin de moi. Ce n'est pas une phrase toute faite je te le jure : je voudrais mourir. Tu es ma seule amie, mon seul amour et tu n'as même pas l'accent de tendresse qui sauve. De la terre dans la bouche parfait. Parfois tu m'as confié que tu avais souhaité la mort : si je t'ai fait du mal à ce point, mon Anne bien-aimée, pardon. Je vis une agonie.

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16 juillet 1970

C'est une souffrance intolérable qui me ravage. Je t'aime si profondément que je suis blessé de partout. Perdu en mer je crierais au secours. Personne ne m'entendrait. Personne ne m'entend. Pourtant je suis perdu en mer. Douleur d'un amour vivant, puissant, en pleine force et qu'on taille à la hache.

[...] Je t'ai aimée sans partage depuis le mois d'août 1963. Ce que tu appelles "vie parallèle" je l'ai menée sur le plan social avec une inconscience que je ne puis me pardonner, mais je n'ai pas quitté notre vie autrement. 

[...] Mais voilà la vérité : je t'aime comme on aime son enfant. Ca te paraît bizarre, peut-être choquant ? Mais oui nous sommes tous deux en mal d'enfant ! Si tu souris en lisant cela tu me fais mal. Je t'en supplie ne souris pas. 

[...] Quand je dis "ne me quitte pas" je retiens mon amour, ma femme, mon sang, mais je retiens aussi un enfant par la main, le mien, mon enfant de prédilection. J'en ai deux ? Je les aime beaucoup. ce n'est pas un sacrilège que de te dire que je t'ai davantage donné, que j'ai mis en toi plus de moi-même, qu'il y a dans l'amour qui me lie à toi un absolu, terrible, définitif. Je t'aime comme tu ne peux pas savoir. 

Tu vas me juger plus mauvais que je ne suis : j'ai souvent pensé à te faire un enfant. Freud eût été content du transfert !

[...] Tu veux partir avec RV, par Nîmes ? Parce que "le plus dur" est peut-être fait ? Que tu es restée la petite Anne des Trois-Poteaux ! Vraiment tu peux croire que "le plus dur est fait" ? Que tu m'oublieras à Louvet, à Paris, quelque part ? Que je t'oublierai ? 

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23 juillet 1970

Que de fois mon esprit revient sur le vrai drame, le terrible choc que nous venons de connaître. Toi séparée de moi ? Le coeur me fait physiquement mal ! 

29 juillet 1970

Hier, il n'y a pas trente heures, je me réveillais près de toi. Après une nuit que traversaient d'immenses éclairs dans un ciel pur : notre ciel, notre nuit, notre vie. Avant le bonheur de fermer à nouveau mes bras sur toi, de te voir dans la splendeur et dans la joie, de te rejoindre dans l'unité. 

6 août 1970

Un paysan m'a dit : "Le beau temps ne reviendra pas avant demain, la forêt écoute". Et c'est vrai qu'elle retient sa respiration. Les oiseaux attendent un signe. Et l'homme, écoute-t-il ? Il faut avoir entendu le bruit terrible de l'amour, de la mort, des tempêtes intérieures, et le fracas des colères, des passions, des malédictions, pour apprendre à écouter le silence. Moi aussi, je voudrais percevoir un signe. 

 

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20 août 1970

...les bruits de la politique viennent maintenant jusqu'à moi. Le téléphone crépite plus qu'il ne conviendrait soit au travail soit au repos. Sud-Ouest me demande une interview sur l'élection de Bordeaux, L'Humanité me prend à partie. Estier s'inquiète. JJSS lance des ultimatums en tous sens. Je ne sais pas si je dois me rendre demain à la conférence de presse de notre candidat conventionnel, Taix. Radio Monte-Carlo me relance. Non que je sois si nécessaire, mais c'est le jeu qui les amuse. 

2 septembre 1970

L'affaire de Bordeaux continue de faire des ronds dans l'eau. Mes "modérés" s'inquiètent, séduits par JJSS. Mes "durs" se...durcissent, exaspérés. 

[...] J'aime parler tout haut devant toi, conduit par le goût de te convaincre, j'aime que tu sois là. Tu me donnes envie de faire mieux.

9 septembre 1970

Nous n'avons pas assez organisé notre vie par rapport à ce qui est pour deux mois, l'essentiel, ton concours. Ou plutôt, ma présence dans ta vie te désorganise. Tu aimes et tu en souffres. Tu ne sais comment concilier. Il faut donc que je te comprenne, que je t'aide [...] pour cela je fais déjà de grands projets [...] il faut que tu respires la natures, les arbres, les fleurs, que tu marches. Pour que tu sois plus ouverte aux textes que tu lis. [...] Limiter les spectacles enfermés, type cinéma, week-ends trop fatigants ou trop absorbants [...] veux-tu me faire confiance ? 

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3 février 1971

J'ai pour toi la tendresse totale que veut sans doute notre bizarre condition : l'inceste absolu. Ma fille, mon amante, ma femme, ma soeur, mon Anne, mon toujours et mon à-jamais, ma source du fond des âges, ma claire jeune fille au péplum rouge, ma joie, ô carquois si complet qu'après tout si je n'étais aimé et percé de toutes les flèches à la fois il me resterait encore assez de force pour lécher les blessures et recevoir de toi le baiser de ton goût, le signe impalpable, le sceau qui marque l'indissoluble (et que nul ne voit alors qu'il donne au monde sa vérité l'amour de l'âme) il me resterait assez de force pour t'aimer en silence.

24 mars 1971

Déjeuner chez Magnus avec Jean Marin, Hernu, Badinter, Friedmann etc. Le soir, bureau politique puis "Cercle Montaigne ", étrange réunion au premier étage d'un café sorti de la fin du XIXe siècle. Survivance sans intérêt d'un type d'assemblée solennelle et dérisoire.

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10 mai 1971

Coup de chaleur. L'été écrase les passants. On cherche l'ombre. Je me sens fatigué. [...] Je reçois, trop. Politique par dessus la tête.

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