Bon anniversaire, Philippe Colombo !

(Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé, serait purement exagérée.)

Dans la famille, tout le monde me fait confiance.

Enfin, je devrais plutôt dire : "Dans 'cette' famille tout le monde me fait confiance". Puisque cette famille n'est pas la mienne...

Et tout le monde me fait confiance car c'est moi qui dois souhaiter l'anniversaire du père et chef de famille. Lequel est sur le point de rentrer chez lui. D'un moment à l'autre (comme on dit chez nous et un peu de partout).

Le chef de famille, Monsieur Philippe Colombo.

Qui est un grand Chevalier d'Industrie. Des gens très bien. Absolument. Et dans ce milieu-là on tiendrait pour vulgaire de se souhaiter les anniversaires entre soi. Il y est d'ancienne et excellente coutume de se les faire souhaiter par quelque étranger à la famille.

Et donc, pour l'heure cet étranger, c'est moi. Je joue le rôle de porte parole. On m'a d'ailleurs mâché tout le travail. Sur un papier journal déchiré en pointe, on a tout noté ce que je devais dire, au mot, à la virgule près.

Et voilà que Monsieur Colombo arrive enfin chez lui. On a entendu la voiture, ses pas dans le gravier... Il ouvre la porte !

Il est grand, maigre, brun, il a les cheveux courts, un visage taillé à coups de serpe, il est très élégant, il porte un costume sombre et a l'oeil sévère... Un parfait Chevalier d'Industrie !

Le moment tant attendu est venu...

Je prend ma déchirure de journal et, tout en la tenant un peu cachée, sous ma main gauche, j'annonce :

-- Bonne fête Philippe Colombo !

Misère ! Quatre mots seulement et déjà je me suis lamentablement planté !

(C'était pas "bonne fête" mais "bon anniversaire" qu'il fallait dire !)

C'est tout moi, ça ! Je confonds toujours les fêtes et les anniversaires ! Il m'arrive même d'y mélanger un "bonne Année" ou un "joyeux Noël", c'est dire !

Simplement parce que j'ai peur de me tromper...

(D'un autre côté ce n'est pas vraiment ma faute : tout ce qui est noté au stylo sur ma déchirure de journal se mélange avec les caractères imprimés du dessous et rien n'est plus vraiment lisible !)

Et puis, que diable ! Après tout, l'anniversaire, c'est aussi une fête ! Non ?

N'empêche que toute la famille me fusille du regard.

J'ai trahi leur confiance !

J'essaie alors de me rattraper et je claironne, en pensant que si je dit exactement ce qu'il fallait

dire, mais beaucoup plus fort, ça va effacer des oreilles ma première erreur :

-- Bon anniversaire Monsieur Philippe Colombo !"

Et c'est encore pire !

Puisqu'en tant que porte parole de sa propre famille, en aucun cas je n'aurais dû lui donner du "Monsieur" !

Et je persiste dans mon rafistolage, (je voudrais tellement me racheter) :

-- Toute votre famille vous aime bien !"

Alors ça, c'est le bouquet ! Quelle naïveté !

(Un Chevalier n'a pas à être aimé, mais respecté, y compris dans sa famille !)

Et là, pour couronner la catastrophe, Philippe Colombo, avise ma déchirure :

-- C'est quoi ce papier ?

Je me sens devenir livide et je balbutie :

-- Un simple morceau de journal déchiré en pointe, voyez : il n'y a rien de lisible dessus !

-- Ah bon ! J'appréhendais quelque mauvaise nouvelle...

Ouf : Tout est bien qui fini bien !