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Le salaire de la destruction


Constantinople

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Constantinople Membre 18 329 messages
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Ce livre me parait très intéressant, même si je n'ai pas eu encore l'occasion de le lire, car il semble mettre battre en brèche certaines idées reçues et met en lumières certains aspects méconnus du troisième reich :

1) le démontage d'un certain mythe européen régnant sur les esprits quand à la supériorité industrielle allemande de la première moitié du vingtième siècle, sans toutefois contredire la spécificité (qui ne veut pas dire supériorité) du régime nazi qui obtint de réels résultats, toutefois trop souvent surestimés : elle consiste à faire du militaire le principal moteur et la principale fin de l'industrie Allemande (l'exemple de l'invention des autoroutes tient toujours).

2) Le rôle prépondérant qu'ont joué les Etats Unis dans les motivations Nazies : En effet l'obsession d'Hitler était l’avènement sur la puissance américaine surclassant l'Europe, réduite à un vulgaire satellite tournant autour de l'axe principal et condamnée à ne refléter que la lumière de celui ci.

3) Le rôle idéologique de l'holocauste dans la mythologie nazie replacée hors d'une vision européo-centriste : Les juifs prennent une dimension cruciale dans la tête d’Hitler et des nazis car ils sont au coeur de l'influence et des objectifs américains visant à asservir, pervertir même l'héritage racial et culturel de l'Europe, qui est le combat idéologique fondamental du nazisme.

4) La mise en perspectives des motivations d'Hitler : il ne se lance pas dans une série de coups de pokers extrêmement risqués parce qu'il préjuge de ses forces, en vertu d'une soit disant supériorité industrielle allemande, mais parce qu'il est, dans ses théories géo-stratégico-cuturelles, littéralement aux abois puisque une domination américaine sans partage n'est plus qu'une question d'une poignée d'année.

Extraits de la préface de l'auteur :

Du point d’observation qui est le nôtre au début du XXIe siècle, c’est ce postulat qu’il faut commencer par remettre en cause. L’expérience réelle des Européens depuis le début des années 1990 ainsi qu’une génération de travaux techniques d’économistes et d’historiens de l’économie ont ébranlé, sinon démoli, le mythe de la supériorité économique particulière de l’Allemagne. Le récit directeur de l’histoire économique européenne au XXe siècle est, en fait, celui d’une convergence progressive autour d’une norme qui, dans la majeure partie de cette période, a été définie non pas par l’Allemagne, mais par la Grande-Bretagne, qui en 1900 était déjà la première société pleinement industrielle et urbaine du monde. De surcroît, jusqu’en 1945, la Grande-Bretagne n’était pas un simple pays européen, mais le plus grand empire mondial que le monde eût jamais vu. En 1939, quand la guerre commença, le PIB cumulé des empires britannique et français dépassait de 60 % celui de l’Allemagne et de l’Italie. Bien entendu, l’idée d’une supériorité naturelle de l’économie allemande n’était pas simplement un caprice de l’imagination historique. Depuis la fin du XIXe siècle, l’Allemagne était le foyer de tout un ensemble de sociétés industrielles qui étaient n° 1 mondial. Des noms de marque comme Krupp, Siemens et IG Farben donnaient substance au mythe de l’invincibilité industrielle allemande. En termes élargis, cependant, l’économie allemande différait peu de la moyenne européenne : dans les années 1930, son revenu national par tête était moyen ; en termes actuels, il était comparable à celui de l’Iran ou de l’Afrique du Sud. Le niveau de consommation de la majorité des Allemands était modeste et en retard sur celui de la plupart de ses voisins d’Europe occidentale. L’Allemagne de Hitler n’était encore qu’une société partiellement modernisée où plus de quinze millions d’habitants vivaient de l’artisanat traditionnel ou de l’agriculture paysanne.

Ce qui apparaît aujourd’hui comme le trait saillant de l’histoire économique du XXesiècle, ce n’est pas la domination particulière de l’Allemagne ou d’un autre pays européen, mais « l’éclipse » du vieux continent par une succession de nouvelles puissances économiques, par-dessus tout les États-Unis. En 1870, à l’époque de l’unification nationale allemande, la population des États-Unis et celle de l’Allemagne étaient grosso modo égales, et la production totale de l’Amérique, malgré son énorme abondance de terre et de ressources ne dépassait que d’un tiers celle de l’Allemagne. À la veille de la Première Guerre mondiale, l’expansion de l’économie américaine avait été telle que celle-ci représentait à peu près deux fois celle de l’Allemagne impériale. En 1943, avant l’intensification des bombardements aériens, la production américaine totale était près de quatre fois celle du IIIe Reich

Nous commençons donc le XXIe siècle avec une perception historique différente de celle qui a structuré les récits de l’histoire allemande pendant le plus clair des cent dernières années. D’un côté, nous avons une perception plus aiguë de la position réellement exceptionnelle des États-Unis au sein de l’économie mondiale moderne. De l’autre, l’expérience européenne commune de « convergence » nous offre une perspective singulièrement désenchantée sur l'histoire économique de l’Allemagne. La thèse fondamentale de ce livre, la plus radicale peut-être, est que ces mouvements liés l’un à l’autre de notre perception historique requièrent une refonte de l’histoire du IIIe Reich, laquelle a pour effet dérangeant de rendre l’histoire du nazisme plus intelligible, en vérité mystérieusement contemporaine, et en même temps de mettre davantage encore en relief son irrationalité idéologique fondamentale. L’histoire économique éclaire d’un jour nouveau à la fois les motifs de l’agression hitlérienne et les raisons de son échec – de son échec inéluctable.

À deux égards, l’Amérique devrait être le pivot de notre intelligence du IIIe Reich. En cherchant à expliquer l’urgence de l’agression hitlérienne, les historiens ont sous-estimé sa conscience aiguë de la menace que représentait pour l’Allemagne, comme pour les autres puissances européennes, l’émergence des États-Unis en tant que superpuissance mondiale dominante. Sur la base des tendances économiques contemporaines, Hitler prédit dès les années 1920 que les puissances européennes n’avaient que quelques années devant elles pour s’organiser contre cette évolution inévitable. De surcroît, Hitler comprit l’irrésistible attrait qu’exerçait déjà sur les Européens le mode de vie aisé du consommateur américain – un attrait dont nous pouvons apprécier la force d’autant plus vivement que nous avons une conscience plus fine du statut plus généralement transitoire des économies européennes dans l’entre-deux-guerres. Comme dans tant d’économies semi-périphériques de nos jours, la population allemande des années 1930 était déjà profondément immergée dans le monde des marchandises d’Hollywood, mais en même temps des millions de gens vivaient à trois ou quatre par pièce, sans salle de bain à domicile ni électricité. L’élite sociale aspirait à posséder des véhicules à moteur, des radios et autres accessoires de la vie moderne comme des appareils électroménagers. L’originalité du nazisme fut que, plutôt que d’accepter humblement une place pour l’Allemagne au sein d’un ordre économique mondial dominé par des pays anglophones prospères, Hitler choisit de mobiliser les frustrations accumulées de sa population pour lancer un défi épique à cet ordre. Répétant ce que les Européens avaient fait à travers la planète au cours des trois siècles précédents, l’Allemagne allait découper son arrière-pays impérial ; moyennant une dernière grande prise de terre à l’est, elle créerait la base autosuffisante de l’abondance intérieure et la plateforme nécessaire pour l’emporter dans la future compétition de superpuissance avec les États-Unis.<br style="font-size: 14px; text-align: justify;"><br style="font-size: 14px; text-align: justify;">Ainsi est-il possible de rationaliser l’agression du régime hitlérien en y reconnaissant une réponse intelligible aux tensions nées du développement inégal du capitalisme mondial – et des tensions qui, bien entendu, sont toujours présentes parmi nous. Dans le même temps, cependant, l’intelligence des fondamentaux économiques nous aide aussi à mieux apprécier l’irrationalité profonde du projet de Hitler. Ainsi qu’on le verra dans ce livre, le régime engagea après 1933 une campagne de mobilisation économique réellement remarquable. Le programme d’armements du IIIe Reich fut le plus grand transfert de ressources jamais engagé par un État capitaliste en temps de paix. Hitler n’en fut pas moins incapable de modifier le rapport de force économique et militaire sous-jacent. L’économie allemande n’était tout simplement pas assez vigoureuse pour créer la force militaire qui lui permettrait de terrasser tous ses voisins européens, y compris la Grande-Bretagne et l’Union soviétique en même temps, sans parler des États-Unis. Bien que Hitler ait remporté de brillants succès à court terme en 1936 et en 1938, la diplomatie du IIIe Reich fut incapable de créer l’alliance antisoviétique proposée dans Mein Kampf. Confronté à une guerre contre la Grande-Bretagne et la France, Hitler se vit contraint, au dernier moment, de passer un accord opportuniste avec Staline. L’efficacité dévastatrice des forces de panzers, le deus ex machina des premières années de la guerre, ne formait certainement pas la base de la stratégie avant l’été 1940, puisque ce fut une surprise, même pour les dirigeants allemands. Et si les victoires de l’armée allemande en 1940 et 1941 furent bel et bien spectaculaires, elles furent peu concluantes. Ainsi en arrivons-nous à la conclusion réellement vertigineuse que Hitler lança la guerre en septembre 1939 sans plan cohérent pour vaincre son principal antagoniste : l’Empire britannique.

Pourquoi Hitler prit-il ce risque épique ? Telle est assurément la question fondamentale. Même si l’on peut rationaliser la conquête de l’espace vital en y voyant un acte d’impérialisme, même si l’on peut créditer le IIIe Reich d’un remarquable effort de mobilisation de ses ressources pour combattre, même si les soldats allemands se battirent vaillamment, la conduite de la guerre par Hitler impliquait des risques si grands qu’ils défient toute rationalisation en termes d’intérêt pragmatique1 . Et c’est par cette question que nous rejoignons l’historiographie dominante avec son insistance sur l’importance de l’idéologie. C’est l’idéologie qui donna à Hitler le prisme à travers lequel il comprit le rapport de force international et le déploiement de la lutte de plus en plus mondialisée qui débuta en Europe avec la guerre civile espagnole, dans l’été 1936. Dans l’esprit de Hitler, la menace que représentaient les États-Unis pour le IIIeReich ne relevait pas seulement de la rivalité conventionnelle des superpuissances. C’était une menace existentielle, liée à la peur que Hitler eut toujours d’une conspiration juive mondiale se manifestant sous la forme de la « juiverie de Wall Street » et des « médias juifs » des États-Unis. C’est cette interprétation fantastique du véritable rapport de force qui explique le caractère volatile, très risqué, des décisions de Hitler. Pas question pour l’Allemagne de se ranger pour devenir un satellite prospère des États-Unis, comme telle avait paru être la destinée de la République de Weimar dans les années 1920, parce que cela se solderait par un asservissement à la conspiration juive mondiale et, en définitive, une mort raciale. Compte tenu de l’influence envahissante des Juifs, révélée par la montée des tensions internationales à la fin des années 1930, un avenir prospère fondé sur l’association capitaliste avec les puissances occidentales était tout bonnement impossible. La guerre était inévitable. La question n’était pas si, mais quand.

C’est un livre long. Et comme il est écrit pour être lu du début jusqu’à la fin, je n’entend spas désamorcer la tension en révélant les lignes de force décisives dès les premières pages. Il suffit de dire que, même si les grandes lignes de l’histoire du IIIe Reich ont été gravées en profondeur au fil de décennies d’un patient travail de recherche, l’histoire ici racontée est inédite. Mon propos est de donner au lecteur une intelligence plus profonde et plus large de la façon dont Hitler a assis son pouvoir et mobilisé sa société pour la guerre. Je brosse un nouveau tableau de la dynamique qui a plongé l’Allemagne dans la guerre et explique à la fois comment elle a poursuivi un effort de guerre victorieux jusqu’en 1941 et comment elle atteignit son inévitable limite dans la neige russe. Le livre relève ensuite ce qui est encore à coup sûr le défi interprétatif fondamental de tout historien du IIIe Reich, et peut-être tout particulièrement d’un historien de l’économie : expliquer l’Holocauste. Puisant dans les archives et une génération de brillants travaux historiques, je souligne les liens entre la guerre contre les Juifs et les projets plus vastes du régime en matière d’impérialisme, de travail forcé et d’affamement délibéré. Dans l’esprit des dirigeants nazis, il n’y avait pas une, mais plusieurs justifications économiques du génocide. Enfin, partant de ces chapitres décisifs sur les années 1939-1942, j’explique l’extraordinaire effort coercitif à travers lequel le régime poursuivit l’effort de guerre dans les trois dernières années, et le rôle central d’Albert Speer.

Ceux qui à ce stade s’impatientent déjà de lire des conclusions plus spécifiques doivent se reporter au chapitre 20, qui donne un rapide aperçu d’au moins certains points-clés. Pour éviter que le livre ne soit encore plus long, je ne l’ai pas accompagné d’une bibliographie exhaustive. Les titres des ouvrages cités apparaissent sous leur forme complète à la première occurrence de chaque chapitre.

1Bernd Wegner, « Hitler, der Zweite Weltkrieg und die Chroregraphie des Untergangs », Geschichte und Gesellschaft, 26, 2000, p. 493-518.

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