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Le journal.


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Membre, nyctalope, 40ans Posté(e)
Criterium Membre 2 874 messages
40ans‚ nyctalope,
Posté(e)

Toute ressemblance avec des faits réels ne serait que pure coïncidence.

Il est possible que certains se reconnaissent alors qu'ils ne devraient pas, et d'autres pas alors qu'ils devraient, ou plutôt, pourraient.

Cependant, cela peut donner des idées, je crois.

_________________________________________

Le journal

(écrit en mai 2010)

Il ouvrit finalement le petit carnet rouge, après avoir pris une grande inspiration. La première page était blanche, immaculée. En cette date symbolique ¿ aujourd'hui en effet était le jour de son anniversaire ¿ il commencerait à écrire ce qui lui tenait maintenant à c¿ur depuis un certain temps : un journal intime. Il n'est jamais trop tard pour commencer, et l'expérience ne peut que permettre d'en apprendre un peu plus sur soi-même, dès lors que l'on a fait tomber ces barrières inutiles qui nous empêchent d'adopter un point de vue en recul sur soi-même : prétextes plus que raisons. « écrire un journal intime est une occupation pour les jeunes filles pré-adolescentes » ¿ « Tenir un journal est aussi vain à 25 ans que de commencer son autobiographie d'une vie banale » ¿ « S'écouter parler devant un miroir en se voyant écrire dans un carnet-miroir » ¿ et tant d'autres phrases toutes faites qui n'étaient que bâtons dans les roues, paresse, manque de courage pour se dresser, enfin, nu, nu face à soi-même, dans un miroir qui refléterait nécessairement une image peu glorieuse. Car c'est bien en prenant conscience de ses défauts que l'on peut sculpter la pierre rugueuse de notre âme : remerciez donc chaque faute, chaque crasse, chaque imperfection ! Par définition, quelque chose de parfait est quelque chose d'achevé. Comment être parfait alors que l'on commence à peine ce travail en introspection ? Au contraire, heureusement qu'il était imparfait ! Cela ne pouvait qu'être signe de lucidité : il voyait les premières imperfections qu'il y aurait à tailler. Dussé-ce être comme un sculpteur de glace, en ôtant de grands blocs rugueux, pour une ¿uvre éphémère ¿ intermédiaire et belle comme la vie.

Un stylo précis jouerait le rôle de vecteur : il l'avait choisi avec soin, et celui-ci ne servirait qu'à cette fonction. Stylo-bille bleu d'une certaine qualité ; après l'avoir testé rapidement sur une feuille volante, il l'approcha pour la première fois du papier, de la première page de ce carnet intime.

Paris, 25 ans, 2010.

La première barrière ne se fit pas prier, s'imposant à lui en le paralysant l'espace d'un instant. Une longue minute, il se demanda : par quoi commencer ? Réalisant que ce blocage était le plus important, après celui de débuter ce journal intime ¿ blocage qu'il avait déjà réussi à balayer, celui-là ¿ il reprit une longue inspiration, fermant les yeux, l'esprit concentré. Il ne fallait pas se dire que la première devait être symbolique, revêtir un sens tout particulier ¿ cela ne l'aurait que freiné dans sa démarche, aucun sujet ne pouvant mériter de place plus noble, quand on y pensait, l'un par rapport aux autres ; et la plongée derechef dans de grandes questions métaphysiques ne serait qu'une façon à peine masquée de noyer le poisson (car il aurait très bien pu commencer en s'interrogeant sur qui il était, d'où il venait, et où il allait ¿ mais c'était un piège de commencer le problème par ce bout-là). Réfléchissons. Quel était le problème qui lui tenait à c¿ur actuellement ? Peu importe sa « noblesse » ou son prosaïsme : le premier serait justement la meilleure porte ouverte vers les eaux profondes de sa conscience ¿ de son inconscient.

Ses souvenirs de jeunesse ? Ses peurs et ses attentes par rapport aux partiels et donc à ses études ? Sa première fois ? Ou... sa récente rupture avec Mira ? La pensée le fit un peu trembler, en repensant à cette histoire. Il n'avait pas pleuré, accusant le choc avec une froideur qu'il n'avait pas soupçonné ¿ ce soir-là, lorsqu'elle l'avait quitté sans préavis, au téléphone, avec quelques noms d'oiseaux : et le tout sans raison claire et nette, ce qui était pour lui l'aspect le plus blessant de cette histoire ¿ oh oui, il tremblait, c'était le signe. C'était sur le sujet de sa rupture avec Mira qu'il devait commencer la rédaction de son journal.

« Le 23 février dernier, Mira m'a téléphoné, et a rompu avec moi. Je ne comprends toujours pas. Je ne comprends pas qu'elle l'ait fait de cette manière si lâche, articulant un charabia étrange, avec une ironie qui était là pour faire mal. Nous n'avions eu que des disputes sans conséquence jusqu'ici ; et je ne comprends toujours pas les raisons qui l'ont amené à cette décision égoïste, prise de son côté, irrévocable. Ce n'était pas une porte qui se fermait : c'était une porte claquée, dont la gifle résonnait encore dans mon esprit.

Qu'est-ce qui me blesse réellement dans cette histoire ? Après tout, ce n'était pas une relation « amoureuse » au sens où je ne me sentais pas transporté par la passion, l'amour transi que tous décrivent. Mais alors, pourquoi être si blessé ? Cela m'évoque deux souvenirs douloureux : le premier, celui des râteaux et autres refus lorsque, enfant ou adolescent, je faisais mes premiers pas vers ces jeunes filles qui m'évoquaient émois insoupçonnés, passions rêvées et les mains moites avec lesquelles je leur tendais un mot gribouillé sur une feuille de brouillon. Mot que le lendemain je retrouvais photocopié, placardé dans la cour du collège ¿ le supplice du piloris. Que les enfants sont cruels. Le second souvenir y était lié : c'était lorsque je m'apercevais que la demoiselle ayant conquis mon c¿ur, était liée d'amour avec tel ou tel autre, qui se trouvait forcément dans la classe où j'étais précisément, autre que je trouvais absolument inintéressant dans la plupart des cas. Et la jalousie que je ressentais alors était intense, crue, brûlante ¿ j'aurais voulu tuer de mes propres mains ce tiers non-voulu.

En fin de compte, que cela signifie-t-il ? On préférait toujours les autres à moi. Oh... était-ce lié, était-ce l'une des raisons qui aurait pu faire que je m'investissais tant dans mes études ? Me démarquer des autres. Oui, cela peut être une piste. Mais cela n'a pas toujours été le cas : il y a donc d'autres raisons. La psychologie aurait également pu dire que le fait d'avoir un petit frère eut pu jouer un rôle : notre mère semblant toujours préférer le cadet, n'est-ce pas ? Est-ce que tous les hommes ayant un frère et une conscience étaient forcément dans la même situation que la mienne ? Parmi mes amis, certains répondent à cette description, et pourtant, malgré un certain nombre de râteaux ¿ qui n'en avait jamais reçu ¿ ils s'affichaient, tous, heureux dans un petit couple, modèle d'un début de vie heureuse à deux. Oh, bien sûr, ils ont des disputes, des tracas ; mais que ne donnerai-je pour avoir les mêmes ! Cela signifierait que je suis avec quelqu'un. Et là, il n'y a qu'un grand vide. »

Il soupira. L'exercice faisait remonter des choses enfouies, tout au fond de lui, des émotions qui voyaient rarement la surface dans sa vie de tous les jours. C'était étonnant de ressentir cela ¿ était-ce un signe montrant que cette démarche lui donnait réellement un certain accès à lui-même, une prise sur ce matériau rugueux, bref pouvait marcher ? Sans doute. C'était la première fois depuis la rupture d'avec Mira qu'il sentit des larmes monter, monter. Et elles coulèrent bientôt.

« Bilan. Ce mot me vient spontanément à l'esprit. Faisons un bilan.

CE QU'IL Y A DE NéGATIF EN MOI :

¿ Je ne suis pas un fêtard. Je n'aime pas sortir.

¿ Je suis timide et je n'ose pas aller vers les autres.

¿ Je n'ai pas beaucoup d'amis.

¿ Je suis plutôt laid.

¿ Je ne suis pas sportif.

¿ Je n'ose pas faire tout ce que je voudrais faire, alors même que certaines choses soient déjà réalisables, comme partir à l'aventure en Espagne.

...

Assez pour le moment. Tentons le corollaire :

CE QU'IL Y A DE POSITIF EN MOI :

¿ ...

¿ Je ne suis pas un dragueur lourd ? (les affirmations négatives sont-elles permises ?)

¿ Je suis appliqué et plutôt intelligent.

¿ Je suis généreux... mais il faut que cela soit ma copine.

¿ ... »

Il soupira. Prochaine barrière ¿ car il réalisait en écrivant de terribles choses sur lui-même ¿ la tension vers l'objectivité. En effet, se définir par des phrases négatives n'indiquait que ce qu'il n'était pas, aucunement ce qu'il était. De plus, les mots « tentons », « permises », « plutôt », « mais il faut » n'étaient que des mots-couperets. Des hachoirs qui taillaient ce qu'il était en petits bouts.

é l'ouvrage, maçon !

:o°

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Invité Toto75019
Invités, Posté(e)
Invité Toto75019
Invité Toto75019 Invités 0 message
Posté(e)

ça me ressemble en effet le bilan personnel de ton personnage

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Membre, nyctalope, 40ans Posté(e)
Criterium Membre 2 874 messages
40ans‚ nyctalope,
Posté(e)

Merci Toto, d'avoir été le seul à commenter mon petit texte. Tu en as dis peu mais cependant beaucoup ; car s'y reconnaître est déjà quelque chose, non? Une question, pour toi : tiens-tu un journal intime, ou as-tu l'occasion d'essayer cela? ¿ Par la même occasion, d'autres yeux verront peut-être ce topic remonté. Pourtant, j'ai souvent commenté les textes d'autrui, parfois très abruptement ; c'est donc l'occasion de s'en donner à c¿ur joie, pour me rendre la monnaie de ma pièce.

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Invité Cheyenne song
Invités, Posté(e)
Invité Cheyenne song
Invité Cheyenne song Invités 0 message
Posté(e)

Bonsoir Critérium...

C'est un joli texte, harmonieux et bien écrit. J'aime bien.

Ce qui me plait moins c'est l'aspect un peu lisse de l'écriture qui, sur un plus long terme, pourrait devenir ennuyeux... il y a un petit côté "précieux", les mots sont toujours sobres, un peu trop peut-être...

J'ai juste envie de te dire "lâche-toi davantage par moments, ne retiens pas, trempe ta plume dans ta chair"...

Et je lirais bien la suite...

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Membre, nyctalope, 40ans Posté(e)
Criterium Membre 2 874 messages
40ans‚ nyctalope,
Posté(e)

Je comprends, et c'est très vrai. Les moments incisifs me restent rares ; cela est en quelque sorte dans mon naturel : il faudrait que j'aie moins d'hésitation, parfois, pour aiguiller ardemment le canevas sans avoir peur de piquer le lecteur. Pour ce texte, je n'ai pas prévu de suite, en revanche ; ceci-dit, le journal intime est un motif récurrent dans ce que j'écris ¿ il y en aura donc de nouveaux, forcément. ¿ Merci à toi. :o°

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  • 2 semaines après...
Membre, Posté(e)
Pixiiebox Membre 46 messages
Baby Forumeur‚
Posté(e)

Magnifiquement écrit : bravo !

Je trouve également certaines phrases un peu lourdes, parfois trop longues ou un peu "précieuses" comme dit Cheyenne Song. Ce qui n'aide pas vraiment à se concentrer sur l'intêret du texte !

J'aime bien la façon dont tu décris cette personne qui cherche par où commencer pour écrire son journal intime. Je trouve que c'est assez réaliste, en fait ! :o°

Continue comme ça !

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  • 1 mois après...
Invité Mad_World
Invités, Posté(e)
Invité Mad_World
Invité Mad_World Invités 0 message
Posté(e)

J'ai bien pris le temps, par respect pour ce travail, de soigner ma réponse, de la réfléchir et de tenter de la rende cohérente et peut être - ceci restera à ta discrétion - de la rendre constructive.

Je ne me retrouve pas dans ton personnage. Pas dans son introspection et dans sa manière - peu originale, c'est vrai - de réclamer un besoin de l'autre. Je valide les barrières toutefois. Mais en y ajoutant cette dernière, qui viendrait juste après "par quoi commencer" : "par quoi finir".

Un début implique une fin. Rien ne dure, rien n'est éternel. Ni même les mots. Mais chaque début représente un but précis. était-ce vraiment une introspection pour notre personnage ? ... je ne le pense pas. Je penche pour le testament, ou la rédemption qui vient avant. L'explication d'un être, de ce qu'il est. Je ne suis pas certain que le journal de ce personnage soit, comme son nom l'indique pourtant, si intime que cela. Je crois qu'il aimerait le partager, mais sans vraiment savoir qu'il le partage. Juste pour avoir un reste d'humanité. Juste pour laisser quelque chose de lui.

Il a renoncer à comprendre, acceptant - fataliste - la défaite, mais décidé à ne plus la subir une nouvelle déconvenue, adoptant une approche cartésienne d'analyse de soit même. Un tableau "points +, points -". Certains appellent cela une remise en question... Le terme est mal employé, mais toutefois approprié. De certitudes, de stabilités, sa vie est devenue doutes -questions- et tempêtes. Le trouble bipolaire n'est plus très loin quand on sent pointer un retour aux jeunesses souffrantes... avec ironie, avec recul et surtout avec une pointe de haine... Je crois même que sur le manuscrit, on eût pu voir le tremblement de la plume...

Mais je m'égare peut être un peu là. Quoi que. Il est vaste, le champs que tu nous ouvres criterium - comme à ton habitude d'ailleurs. Il a l'air vierge sans l'être vraiment : nous avons tous une part de ce personnage plus ou moins grande en nous. Nous ne pourrons pas explorer cette immensité en un jour, en un mois, de réflexion...

Permets moi alors de me replonger dans le mélange tes lettres et de mes idées... et d'essayer d'effacer le peu - l'infime...- que je sais de toi, mais qui, j'ai l'impression pollue tout de même beaucoup mes réflexions...

A plus tard.

Mad_

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  • 3 mois après...
Membre, 37ans Posté(e)
Ozmaestro Membre 413 messages
Baby Forumeur‚ 37ans‚
Posté(e)

Le début m'a plu. J'ai vu un sculpteur -pour reprendre ton image- dans un cocon de lumière tamisée, en toile de fond une immense pièce flou faite de nuit. L'artiste est seul devant son bloc, il le regarde en silence, se questionne, il fait un choix consciencieux de l'outil (son stylo) puis on le voit qui s'approche de la matière qu'il va tailler (son carnet). J'ai été légèrement déçu ensuite, le personnage sculpte en s'aidant des ombres projetées sur le bloc (c'est écrit assez sec (le pourquoi du chagrin, deux raisons, des souvenirs précis) façon carnet intime, choix de ta part, ou pas ?). Peut-être aurais-je préféré sentir le sculpteur s'éloigner de son bloc (son carnet), prendre du recul en s'engouffrant dans le noir de cette immense pièce, sortant de son cocon. Se retourner, faire face au noir, faire face aux silhouettes dont on voyait seulement les ombres sur le bloc.

J'ai envie de dire que c'est le syndrome Antony Robbins, un auteur de PNL, qui fait des bilans assez rapides, qui va à l'essentiel, touche tout de suite le point sensible. D'une certaine manière c'est un extrême opposé à l'extrême que tu dénonces "Vouloir se lancer trop tôt dans des questions métaphysiques"...

Malgré cela, je me suis très bien trouvé dans ton personnage et la lecture est assez agréable. Après, carnet à l'intérieur d'un carnet ? (Sans aller jusqu'à dire que c'est un carnet de l'auteur (pinaise je répète ça pour la deuxième fois sur un de tes textes, mais c'est parce que c'est toujours gênant de dire qu'un écrit peut sembler proche du narrateur tout en comprenant que ce narrateur est imaginaire...si pas saisi, normal :rtfm: )) Je note ça, parce que j'ai l'impression de sentir ça dans ta manière d'écrire, que tu peux mettre plusieurs niveaux, une vision à l'intérieur d'une vision elle-même à l'intérieure d'une autre...

Pour le reste, l'aspect lisse du texte ne m'a pas gêné parce qu'il collait parfaitement avec l'idée que je me faisais du texte.

:yahoo:

Enfin pour finir, texte qui s'inscrit dans un contexte dont

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