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Sade.

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Neopilina

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Neopilina Membre 4 184 messages
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En octobre 2023, ça fait à peu près onze ans que je fais, périodiquement, des recherches, au sens le plus strict qui soit, sur Sade, notoirement sur les imprimés de lui qui ne sont pas encore identifiés et reconnus comme tels. Maurice Blanchot, à la fin du siècle dernier, s'est penché sur le " cas " Sade, comme pas mal d'autres, une fois qu'il devient légal, accessible. La conclusion de Blanchot, qui a étudié le " dossier " aussi bien, voire beaucoup mieux que certains, est la suivante : " La folie propre de Sade, c'est d'écrire ". Je suis totalement d'accord, c'est maniaque, stricto-sensu, sans la moindre exagération, et à écrire, j'ajoute " imprimer ". Sur une page de titre, il s'amuse à écrire : " Veni, vidi, scripti ". Même périodiques, on comprend bien que onze ans de travaux, commencent à faire un certain volume, corpus. Et dans ce corpus, il y avait deux vides absolument scandaleux, inadmissibles, de la part de ce maniaque de la plume et de la presse : pendant la Révolution, du 2 avril 1790, date de sa libération, au 8 décembre 1793, arrestation par la Terreur, et après celle-ci, du 15 octobre 1794 au 6 mars 1801, arrestation sur ordre de Napoléon. Entre ces deux périodes, il est arrêté et condamné à mort par la Terreur. Lors de ces deux périodes, Sade n'a jamais été aussi libre, dans un pays où la presse n'a jamais été aussi libre. Sade est un plumitif, un polygraphe, un graphomane, etc., compulsif, obsédé par l'impression. Et, justement, pour ces deux périodes, au bout de onze ans, toujours rien, je n'arrivais pas à débusquer Sade de 1790 jusqu'à l'arrestation définitive de 1801. La liberté de la presse n'a jamais été telle, et d'ailleurs elle ne le sera plus jamais : on a " goûté " à ses excès (diffamations dévastatrices, appels au meurtre, etc.). La Loi de 1881 s'en souviendra, comme elle remédiera aux excès de la presse de la III° République en la matière. Pire, plus : j'avais trouvé plus de titres postérieurs à l'arrestation de 1801 que de titres antérieurs à celle-ci. Arrêté le 6 mars 1801, après les prisons de Sainte Pélagie, de Bicêtre, Sade sera transféré à l'hospice de fous de Charenton le Pont en 1803, et ce jusqu'à sa mort le 2 décembre 1814. Constance Quesnet, sa compagne depuis 1790, aura l'autorisation de s'y installer aussi, et elle circule librement ! Le " canal " est tout trouvé. Entre 1790 et 1801, j'avais trouvé deux titres, une méchante brochure et un roman (1) : l'anomalie sautait à la figure. Et puis, au cours de la première semaine d'octobre 2023, une petite mention attire mon attention sur un patronyme très usité après la Terreur. J'ai creusé et j'ai trouvé, je suis un garçon poli : " Bonjour Monsieur ". Sade : " Vous en avez mis du temps, pourtant, j'en ai semé des petits cailloux, toute ma vie ! ". J'ai tiré le fil de ce patronyme, à ce jour, j'en suis à au moins 70 titres pour cette période avec ce nom d'emprunt d'une personne réelle qu'il connaît, totalement complice du stratagème. J'ai toujours dit que Sade est un sous-marin qui refait lentement surface, mais même moi je ne me doutais pas de l'ampleur de l'enfouissement dont il a fait l'objet de la part d'un siècle entier, le XIX°, qui étouffe sous la moraline et qui a enfoui Sade à ce titre. La censure est efficacement relayée par l'auto-censure, y compris des lettrés (les grands bibliographes de référence, par exemple). Sade fait l'objet d'un consensus, contre lui. Ce qui n'a pas pu être enterré, dissimulé, a été interdit. Et donc un peu paradoxalement, nous connaissons juste ce qui a été interdit nommément. Et le " connaître " juste via cela, c'est proprement le méconnaître, le réduire de façon gravissime à ses texte les plus outranciers alors que c'est un touche à tout de la chose écrite remarquablement polymorphe. Lors de cette période, après la Terreur, il a définitivement renoncé à la politique, il a beaucoup d'amis, beaucoup de collaborateurs, ils s'amusent beaucoup, ils travaillent beaucoup. Il bénéficie de la solidarité, de la sympathie, forcément discrètes, des " bougres ", de la communauté homosexuelle, on leur doit beaucoup (2). Sade participe pleinement à la vie culturelle et intellectuelle du pays, etc. Et découvrir qu'il y a eu dans sa vie une telle période, heureuse, après la surprise, m'a bien réjoui. Une réjouissance rétrospective eut égard à l'idée qu'on a de son existence aujourd'hui, avec la doxa actuelle. Depuis onze ans, régulièrement, j'avais une très belle surprise antérieure à la Révolution, qui s'avérait fructueuse. Celle-là est la plus ample de toutes, au delà de tout ce que je pouvais raisonnablement imaginer. Et puis Napoléon confisque le pouvoir. Fini de rigoler. Lentement mais surement, il resserre les " boulons " à tous les niveaux. Des journaux sont interdits, la plupart des théâtres sont fermés, etc., à tour de bras : certains se sabordent en bonne et due forme avec une dernière pirouette, une dernière chanson, avant la censure. Les " bavards impénitents " sont expédiés à Cayenne, en Nouvelle-Calédonie, etc., sans tambour ni trompette, mais c'est très efficace. Etc., ad libitum et ad nauseam. C'est dans ce contexte général que Sade est arrêté le 6 mars 1801, chez son imprimeur et avec la " complicité " de celui-ci, la police ne lui a pas trop donné le choix, et remis au frais. Il est de nouveau retranché de la société, via l'arbitraire le plus complet, encore une fois, et cette fois, jusqu'à sa mort. Trop tard pour la " Nouvelle Justine suivie de L'Histoire de Juliette " qui a déjà pris son envol. Un jour à Charenton, Sade demande à son fils ainé combien coûte " le livre ", son fils lui répond : " 300 francs [or] ". C'est une petite fortune. Sade, de ce point de vue, même cas notoire, emblématique, est une victime de l'air du temps. L'empereur, et sa morale étriquée de petit bourgeois, a des projets " sérieux " pour le pays, il veut le concordat avec Rome, etc. On le sait déjà, quand Sade sort des geôles de la Terreur, dont il a eu les fosses communes sous les yeux, il s'est juré de ne plus jamais toucher à la chose politique et il s'y tiendra jusqu'à sa mort. Mais Sade, qui a passé sa vie à être pourchassé, ne renonce jamais, et c'est un vétéran de la clandestinité du siècle des Lumières, il connaît toutes les ficelles, il a fait ça toute sa vie, c'est une façon d'être. Il n'a plus d'équivalent, c'est un fossile vivant, un dinosaure, alors que le romantisme s'apprête à triompher. La belle-mère de son fils cadet, et les deux, et beaucoup d'autres, participent à son maintien en détention et à le dépouiller de son vivant, lui offre " généreusement " " Le génie du christianisme " de Chateaubriand, verdict de Sade : " Suppôt de la tonsure ". Que fait Sade, de 1795, a minima (ça s'entend très bien, c'est après la Terreur et son renoncement à la politique), jusqu'à la terrible perquisition du 5 juin 1807 à Charenton, la police emporte tout ce qui ressemble à du papier pour trier tranquillement à la préfecture ? Principalement du vaudeville sous un nom d'emprunt, celui d'une personne qu'il connaît, fréquente, " Henrion " (3), et qu'il évoque très positivement dans les titres en prose de cette période, signés avec ce nom ! Bien avant la Révolution, et après, il y a un continent Sade à redécouvrir. J'ai actuellement tellement de fils à tirer que je ne sais plus comment faire. Il n'est plus question de le garder sous le coude, ça me dépasse. Sade est encore aujourd'hui un Prisonnier de la moraline du XIX° siècle qui l'a retranché de l'histoire à l'époque. Il faut ouvrir la cage et laisser, enfin, l'Aigle s'envoler. Sade a été et est encore, à l'instant où j'écris ces lignes, un Tricard d'envergure historique et métaphysique. Il faut l'arracher au Placard de la moraline, ce n'est que justice et c'est d'intérêt général.

(1) " L'Almanach du Trou-madame ", 1791, qui n'a d'almanach que le nom, recueil de 12 petits textes, écrits à la va-vite, pour le moins. Et " Charles de Rosenfeld, ...", An VII (1798/9).

(2) Dans le premier imprimé du grand Gabriel Peignot (" Opuscules philosophiques et poétiques du Frère Jérôme ", 1796), Sade y est pour moitié. Un bibliographe, perfide ou de mèche !, écrit, en parlant de cet imprimé de Peignot : " C'est un de ces péchés de jeunesse que l'age mûr désavoue ". Je n'y connais pas grand-chose en homosexualité, mais je ne pense pas que c'est une erreur de jeunesse qui passe avec l'age mûr.

(3) En l'état, le prénom admis est Charles. Mais dés qu'on y regarde de près, le prénom réel de cet homme pose un problème aussi manifeste que possible. " Charles " semble d'un usage tardif, posthume, après la mort de Sade ou encore une dérive, volontaire ou pas, du " C. " de " Citoyen ". Dans les textes en prose, autres que ceux des pièces, que Sade signe avec le patronyme " Henrion ", il évoque bien volontiers cet ami, qui lui sert de prête-nom, " d'homme de paille ", il ne l'appelle jamais " Charles " mais bien " Chrisnen ", l'homme serait originaire de la principauté de Liège qui rejoint la France en 1792. Et c'est à partir de là qu'on  voit " Chrisnen Henrion " apparaître à Paris. Et à l'époque, on trouve bien un " Chrisnen Henrion " dans la direction de " l'Administration générale des Postes aux Lettres "." L'Almanach général des Postes aux Lettres ", publication nationale d'intérêt général, de 1796 est signé " Henrion Chrisnen ". 

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