"La beauté à genou" de jacques perry
"...je l'observais de plus près, de tout près, sans la toucher. Elle demeurait immobile, mais quand je revenais dans son champs de vision, ses yeux s'animaient, me parcouraient en tout sens. En tournant autour d'elle, je découvrais sa nuque, touchante petite colonne de vie plantée de cheveux fous. Si j'avais été capable de raisonner, j'aurai pensé: non seulement elle n'a pas protestée quand je l'ai heurtée dans la rue, mais elle m'a suivi; elle est prête à tout. Sauvage, cette pensée m'eût embrasé, mais je ne pensais pas. Je tournais autour d'elle et je découvrais pour la première fois une femme qui existait vraiment. Il y avait bien d'autres mystères en elle que l'habituel petit mystère charnel.
Voilà. Voilà ce qu'un choc brutal dans une rue noire m'apportait, une femme avec qui je devais être simple, mais pas à la façon d'autrefois, une femme-miroir et non pas une femme gouffre. Ses eaux claires me reflèteraient à tout moment et même quand je tenterais d'y plonger. L'instinct ne suffisait plus.
Je n'ai rien oublié de ce premier jour. C'est loin, loin; cela vient d'un autre monde, mais cela ne s'oublie pas plus qu'une conversation subite. Soudain ma vie cessait d'être tout entière enclose en moi. Tous mes actes, toutes mes pensées sortaient de moi pour aller à la rencontre d'un autre être dont je ne savais rien et cette épouvantable aliénation s'accomplissait dans la joie..."