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Dompteur de mots

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Tout ce qui a été posté par Dompteur de mots

  1. Les deux interprétations sont tout à fait valables et l'une n'exclut absolument pas l'autre. Mais le fin mot de l'histoire est, me semble-t-il, le fait que l'église n'est qu'un instrument de représentation, de mise en scène. Ce qui n'enlève d'ailleurs rien à la valeur culturelle de ces lieux: la représentation et la mise en scène de la spiritualité est certes importante à l'homme. À un plus haut niveau, il est possible de transposer ce raisonnement à l'art tout entier, car une oeuvre d'art n'est jamais qu'un instrument de représentation, de mise en scène. Et lorsque l'oeuvre d'art perd sa force représentative, qui la place dans un rapport dynamique avec la société, cela n'est plus vraiment de l'art, mais une sorte de fétichisme muséologique grossier.
  2. Quant à toi gros chaton, je te signale que tu n'as pas amené l'ombre d'un argument à ce bateau. Pourtant, tu sais pertinemment que je ne manquerais pas de te répondre avec le plus grand sérieux. Et tu sais aussi pertinemment que même lorsque je suis con, ma profondeur philosophique est sans égal. Alors daigneras-tu ? Ou alors serais-tu vraiment à l'image de ton avatar - une hypocrite mascotte des bonnes vertus ?
  3. Oui, je sais. C'est terrible. Si ce n'était pas le cas, la vie pourrait enfin ressembler à une grande fête foraine. Je me demande d'ailleurs pourquoi on n'enferme pas tout ce que la société compte d'artistes, de rebelles, de visionnaires, de simples casse-pieds et bref, de tous ces gens qui prennent le contrepied de l'opinion communément admise. Exactement comme chez les... Ah ! Mais il était clair que cela finirait par sortir, de manière directe ou indirecte, car l'homme-guimauve sent des relents de nazisme dans tout ce qui met à mal le lisse aspect du dessin animé qui lui sert de panorama intérieur.
  4. Je ne voulais pas tant vous contredire que de saisir la balle au bond pour mieux pénétrer un autre aspect de la question. Philippe Muray, l'auteur, le philosophe, avait une expression de son cru pour décrire toute cette espèce de ferveur collective dont vous parlez et qui est si propre à la société d'aujourd'hui: l' "hyperfestif". L'hyperfestif ressemble à ce moment où, à force d'exposition au monde du capitalisme et de la consommation de masse, la culture passait définitivement sous la forme d'une immense et interminable réclame publicitaire... n'ayant d'autre objet qu'elle même. C'est le monde du spectacle de Guy Debord mais sans l'aliénation: ici, il n'y a que des acteurs-spectateurs autosatisfaits. Que l'on me permette une citation de Muray, question de nous mettre dans l'appétit en vue de l'interminable fête de Notre-Dame qui a d'ailleurs déjà commencé (et qui va éventuellement prendre des allures de film d'horreur avec le retour de cette tarte à la guimauve qu'est la comédie musicale Notre-Dame-de-Paris): "Les célébrations et commémorations ne sont proliférantes que parce qu'elles servent d'abord à masquer la dangereuse réalité de la fin de l'Histoire, ou plutôt l'irréalisation générale de cette dernière. Elles sont destinées à empêcher que l'épouvante ne gagne trop vite et trop intimement les populations."
  5. Et pourquoi ? Est-ce parce que de nous voir dépouillés de toutes ces reliques du passé ne dévoilerait que trop bien le vide abyssal qui nous sert de culture ? Que notre culture n'est plus qu'une culture dissoute, fétichisée, muséifiée ? C'est comme la Joconde, la 9e de Beethoven ou les 4 saisons de Vivaldi: à force d'être vomis et re-vomis par la culture de masse, ces œuvres ne deviennent en quelque sorte que les caricatures d'elles-mêmes. Parallèlement, la société devient aussi une caricature d'elle-même. Et lorsque nous n'y prenons garde, nous aussi nous devenons des caricatures de nous-mêmes (ce que le remède cyanurique de mes méditations a pour but, en toute modestie, de vous éviter). Antonin Artaud disait, ou plutôt ambitionnait de dire à un groupe d'écrivains rassemblés en 1935 pour protester contre les autodafés nazis: "Je ne ferai jamais à aucun fascisme l’honneur de croire qu’il puisse atteindre ni ma culture ni aucune culture en brûlant des livres où brille cet hybride mélange que j’accuse de notre abaissement." De même, personne ne me fera croire que ma culture puisse être atteinte parce que brûle l'un des lieux de prédilection de la gent touristique petite-bourgeoise internationale. Soit dit en passant, on peut en lire plus sur le propos d'Artaud en se rendant sur mon incroyable blogue, et plus précisément ici.
  6. Tout à fait d'accord avec toi. D'ailleurs, sii c'était possible, je t'ouvrirais la boîte crânienne et t'embrasserais la cervelle. J'avais déjà perçu cette jouissance secrète à l'époque du 11 septembre 2001. Mais je n'avais certainement pas la maturité intellectuelle pour me le formuler clairement cependant. Il faut dire que Chuck Pallahniuk et David Fincher nous avaient mis la puce à l'oreille avec Fight Club, qui fait le portrait de l'homme du nihilisme techno-corpo-capitalo-consumériste plongeant jusqu'au fond de son ombre. D'ailleurs, l'histoire ne se termine-t-elle pas avec une sorte de 11 septembre 2001 rêvé ? Rêvé et très ambigu: car l'explosion survient juste après que le héros se soit suicidé l'ombre. Est-ce que c'est donc un feu d'artifice ou une tragédie ? Et les Pixies qui nous demandaient justement: where is my (your) mind ? Je pense que ce sont des questions très importante auxquelles il est impossible de répondre d'un seul coup, car il s'agit de la vague même de notre temps. Mais j'ai déjà commencé à glisser quelques indices. Franchement, en premier lieu, si je n'étais pas doté d'une telle virilité, j'aurais sans doute envie de pleurer la perte de réalité qui se manifeste si superbement dans l'affaire ND. La flèche n'était pas encore tombée que le feu n'en était déjà plus un: c'était un événement, et sur l'événement s'était déjà greffé l'événement médiatique, et sur l'événement médiatique allait bientôt se greffer à son tour l'événement politico-corporatiste, et sur l'événement politico-corporatiste allait encore bientôt se greffer l'événement guimauve de la compassion internationalisée. La réalité, qui ultimement est indicible, se trouve ramenée, dans le monde d'aujourd'hui, à la bouillie des communications humaines à la vitesse de la lumière. On la médiatise, on la facebookise, on l'instagrammise, on la twitise. Et elle ne devient alors qu'une demi-réalité, un sous-produit, un immense espace artificiel qui se trouve, juste comme par hasard, formaté à la mesure du totalitarisme capitaliste, une demi-réalité qui n'engendre plus que des demi-émotions, des demi-pensées, des demi-réflexions, des demi-sourires, des demi-larmes. Dans l'affaire ND, les vidéos des flammes en deviennent presque étranges, presque gênant. d'ailleurs, bientôt pulluleront les parodies de toutes sortes: il y aura des versions psychédéliques de la cathédrale en train de brûler, avec des Jésus qui volent, ou quelqu'un photoshopera bien le visage de Satan dans les flammes. Il y aura des montages de Macron qui allume le feu sur fond de hip-hop. Enfin, ça c'est le truc des plus jeunes d'absurdiser à qui mieux-mieux, de se la jouer psycho-cool. Le truc des vieux cons, c'est la compassion guimauve, le manuel des bons sentiments, le selfie, le "j'étais là en deux mille machin". Parlant de distance, je parie que vous êtes un collectionneur de bâtons à selfie personnalisés.
  7. La religiosité est l'institutionnalisation de la spiritualité, c'est-à-dire son éviscération. À un certain point de l'histoire de la société, les deux finissent par se confondre et la spiritualité n'est plus qu'une farce vulgaire. Or, il se passe exactement la même chose dans le rapport du sentiment personnel versus la bouillie médiatique qui en est l'éviscération. Cette bouillie finit trop souvent par tenir lieu de vie intérieure des hommes. À la lumière de ceci, on voit qu'il y a une intrication profonde entre les deux sujets, une intrication qui trouve son parfait reflet dans l'affaire ND.
  8. Mais le droit de s'émouvoir n'est plus suffisant: il doit s'y rajouter le droit à la consensualité autosatisfaite. Elles sont déjà cassées depuis longtemps. On en est plutôt au stade du raclage de système nerveux.
  9. Qui es-tu pour juger de la manière dont je me dois d'exprimer ce que j'ai à exprimer ? Et quels épithètes, quelles tournures de phrase, quelles intonations langagières eurent été en deçà des limites de ton code de l'acceptable ? Daignerais-tu t'adonner à l'exercice qui consisterait à reformuler mon ouverture de topic tel qu'il eût fallu qu'elle soit écrite ?
  10. Le monde est tapissé de selfies avec ND, alors elle est pratiquement indélébile l'histoire. Par ailleurs, l'histoire n'est pas seulement qu'une collection de choses qui adviennent, mais aussi - et surtout en fait - de choses qui disparaissent. C'est la disparition qui rend possible l'avènement d'une vraie conscience historique, car elle rend le passé saisissable comme un tout et donc analysable. Ainsi, avant que nous mourrions, toutes les spéculations sur ce que nous sommes demeurent oiseuses. Une fois réduits à l'état de bouillie pour les asticots seulement, une vie peut devenir compréhensible. Ce n'est pas pour la disparition de l'histoire que l'incendie de ND fait craindre, mais bien pour la disparition de cet imbuvable présent.
  11. Quand on n'est à l'aise pour penser qu'au sein du territoire du consensuel, chaque voix discordante devient une grave menace.
  12. L'oeuvre du moralisateur consiste à rendre la discussion ou du moins le discours critique impossible par ce stratagème qui consiste à se draper de bons sentiments, à faire mine que le bien est de son côté. J'imagine que vous vous reconnaissez bien là-dedans, petit curé techno-narcissique ? Quant à moi, qu'ai-je fait d'autre sinon livrer mon sentiment sur l'objet de la discussion, exprimer mon désarroi, poser des questions, lancer des pistes de réflexion ? Vous voudriez me réduire dans mon intégrité ? Ah mais je ne suis pas comme une crotte de nez sur l'une de vos photos Facebook moi: je ne suis pas photoshoppable.
  13. Vous êtes le résumé vivant de tout ce qui va mal dans notre culture. Là où vous devriez faire preuve d'un peu de pensée personnelle, d'esprit d'aventure intérieure, où vous pourriez partir à la découverte des zones d'ombre de votre psyché et de votre intellectualité, vous n'arrivez qu'à vous situer au coeur d'un sordide match de foot où chaque camp a ses supporters, et au sein duquel vous avez d'ailleurs la myopie de confondre votre désir de vaincre avec le désir du bien lui-même. Et vous attendez le moment de la victoire, où vous pourrez enfin vous laisser complètement absorber par le film d'horreur de la jubilation collective...
  14. J'ai lu votre bavardage moralisateur et je dois dire que ça m'a convaincu que nous étions sur FB.
  15. Justement, non. L'Histoire ne consiste pas en une série de bibelots semés çà et là, dans l'espace du temps. Je le répète: Notre-Dame ainsi que toutes les églises ne sont finalement que des manèges de luxe dans la grande fête foraine de la spiritualité.
  16. L'institutionnalisation de la foi n'est pas ma tasse de thé. D'ailleurs, je vomis à la seule prononciation de ces mots: "institutionnalisation de la foi". Autrement, je suis l'être le plus spirituel que je connaisse. Excellente suggestion Cal ! C'est une idée tout à fait hallucinante ! Je vous conjure d'aller en faire la suggestion au président. Votre fortune est faite.
  17. Pourquoi ne pas construire 2 Notre-Dame: 1 de carton-pâte et de tous les produits les plus modernes et les plus performants pour les autocars de touristes, et 1 la plus authentique possible pour ceux qui veulent se recueillir. La première pourrait être climatisée. Surdimensionnée pour accueillir plus de touristes. Ou même intelligente: on pourrait passer son téléphone sur les pierres et les statues pour obtenir des informations.
  18. La beauté des églises c'est qu'elles sont en elles-mêmes le reflet, le présage incarné qu'il existe quelque chose sur terre ou dans le monde qui transcende ce cortège funéraire absurde qu'est l'existence. Toute l'architecture des églises est développée autour de cette idée de mettre en scène une telle transcendance. Le regard doit bondir sur les éléments de la structure pour finir par se perdre dans les hauteurs mystérieuses de la nef. Mais en même temps, il doit tout de même émaner des profondeur du lieu le ronronnement de la mort, de façon à stimuler le désir d'élévation. Ainsi, l'expérience de s'asseoir dans une église et de se sentir caca de la terre tout en ayant le pressentiment d'une grandeur indicible est-elle des plus bouleversante. Évidemment, lorsque foisonnent les téléphones et les tablettes, cela devient un peu moins exubérant. Et lorsqu'en plus fusent des exclamations de circonstance que l'on dirait tout droit sortis d'une page de guide touristique, alors c'est bye-bye l'élévation et il ne reste plus que le caca. Une cathédrale est quelque chose d’absolument mortel. C'est un lieu de mise en scène, une attraction que l'on espère génératrice d'expériences spirituelles mais qui peut aussi devenir un sordide antre de la superficialité.
  19. Suis-je le seul à ressentir un malaise devant l’orgie de bons sentiments qui déferlent suite à l’incendie de Notre-Dame-de-Paris ? Il me semble que plus ça va, plus l’événement prend une franche teinte d’irréalité, comme si l’incendie n’avait pas vraiment d’importance en tant que tel mais qu’il n’était finalement qu’un prétexte pour la tenue d’une vaste autocélébration de nos bonnes vertus occidentales. Une autocélébration auquel il ne manquerait plus d’ailleurs que de grands défilés où fuseraient les déploiements d’empathie autosatisfaite et les proclamations collectives « je suis Notre-Dame ». Et pourquoi n’y pas rajouter quelques autodafés à l’égard des récalcitrants, des bouchés du beffroi, des quasimodos de la vertu ? Une fois étalé le glaçage de couverture médiatique à laquelle nous avons droit, que reste-il du concret de la chose ? Je ne le sais trop. D’ailleurs, je ne sais même pas si Notre-Dame-de-Paris avait encore une existence concrète. N’était-elle pas devenue une espèce de mini-Disneyland catho en proie à des troupeaux quotidiens de touristes zombis ? Un décor de luxe dans l’arsenal de la mise en scène narcissique de nos vies ? Après tout, que peut-il rester de la gloire d’un édifice lorsque des suceurs de gloire le traversent sans cesse ? Le totalitarisme guimauve auquel nous avons droit me glace le sang. Et il me glace le sang parce qu’il nous voit communier avec ostentation à l’autel d’une vertu de pacotille. Nous sommes éplorés et fiers de l’être, dévastés et joyeux de pouvoir l’annoncer. Nous profitons de l’événement pour astiquer l’image que nous avons de nous-mêmes, collectivement. Politiciens et milliardaires ne manquent d’ailleurs pas de s’y javelliser gaiement. Peut-être qu’il aurait mieux valu que cette saloperie de cathédrale ne brûle complètement, mettant définitivement à mal la cosmétique parisienne, et par extension la cosmétique occidentale, afin que nous puissions enfin jeter un coup d’œil honnête à ce que nous devenons. Allez maintenant ! Édifiez-moi, ô parangons de la vertu !
  20. Pour le matérialiste parfait, le rhume est un dysfonctionnement de la machine du corps: il doit chercher l'outil ou le produit qui la remettra en marche. Sa recherche sera parfaitement stérile si elle n'est pas guidée par une expérience intérieure. De même que la médecine est nulle si elle ne repose pas d'abord sur l'expérience du patient, sur le vécu de sa maladie, sur la considération de santé dans sa globalité. Pour le spiritualiste parfait, le rhume est un événement spirituel: il doit chercher ce qu'il signifie en frais d'attitude à adopter. Sa recherche sera parfaitement stérile si elle fait fi des tenants et aboutissants matériels du rhume. Par exemple: comment trouver la cause réelle du rhume sans en considérer la matérialité ? Ne jamais oublier que l'enfer est pavé de bonnes intentions: il n'est pas suffisant de choisir le bien. Encore importe-t-il de posséder une certaine science de ce que nous faisons. Le nihilisme est la prise de conscience de la propension qu'a l'homme de chercher des puissances qui puissent lui ordonner ce qu'il faut faire, qui puissent résoudre le dilemme éthique en lequel consiste son existence. Le premier mouvement du nihilisme est dirigé contre les impostures spiritualistes parce que ce sont les plus anciennes, les plus ancrées dans l'inconscient collectif. Le matérialiste dont tu parles est un nihiliste qui reste scotché à ce premier mouvement. Sa naïveté lui permet en effet de cultiver une certaine arrogance. Le deuxième mouvement du nihilisme consiste à se retourner contre la raison elle-même, à reconnaître que l'on peut très bien la diviniser elle aussi. Et c'est le cas lorsque l'homme fait de la science, de l'utilitarisme ou de la logique l'instance suprême. Ici, les spiritualistes de la première heure prennent souvent leur revanche: par un moralisme mielleux, ils tentent de faire valoir la supériorité de leurs vues. L'esprit et la matière sont les deux facette d'une même chose. Lorsque nous regardons le monde d'une manière objective, comme quelque chose d'extérieur à nous, y compris notre corps, il se présente sous la forme de la matière. Lorsque nous éprouvons le monde à partir de notre intériorité, de notre affectivité, de notre vécu, il se présente sous la forme de l'esprit. Mais le paradoxe est qu'il est possible d'appréhender le monde comme matière que parce que nous sommes des êtres doués d'affectivité, et qu'inversement notre vie intérieure est possible parce qu'il y a un monde objectif qui peut l'alimenter.
  21. Dompteur de mots

    l'école

    C'est une conception qui finirait d'achever le peu d'âme que cette société possède encore.
  22. Le matérialiste parfait serait un homme qui croit qu'il n'y a d'autre substance dans le monde que celle qu'il peut considérer en dehors de lui-même. Ce serait un robot sans âme qui renoncerait à la parole car parler suppose de croire à la vie des idées et de juger les idées selon des lois invérifiables. Le spiritualiste parfait serait un homme qui croit qu'il n'y a d'autre substance dans le monde que celle qu'il peut éprouver en lui-même. Il se ferait pierre immobile puisque tout ce qui lui importe aurait cours en dehors de l'espace.
  23. Dompteur de mots

    Matériaux

    Je ne veux plus jamais parler de ça... Chez Bergson, l'instinct est un mode comportemental (mon expression) qui se distingue de l'intelligence du fait qu'il est rigide, tandis que l'intelligence est flexible. Par ailleurs, notre activité n'est pas continue. Nous n'avons pas continuellement faim et nous n'avons pas continuellement envie de copuler (entre toi et moi, je dis ça juste pour ne pas détruire les illusions des dames qui nous lisent). Notre activité est faite d'occurrences ponctuelles qui s'élèvent par un phénomène d'excitabilité, suscitent toutes sortes d'états corporels et psychiques, puis éventuellement déclinent et trépassent. Or, il me semble que nous nommons "pulsions" le devenir de ces occurrences ponctuelles, ou encore d'un ensemble d'occurrences ponctuelles apparentées. En fait, je ne crois pas une seconde à ma triade. Pour moi, les fonctions de la survie et de la reproduction ne sont que des instruments d'une fonction autrement plus fondamentale d'accroissement de l'être, et à plus forte raison d'accroissement des choses en général. Or, forcément, cette fonction nous tire vers les fonctions de la survie et de la reproduction, puisqu'elles lui sont nécessaires mais néanmoins, les choses ne s'arrêtent pas là. Le monde et les êtres veulent plus que leur propre survie et leur propre multiplication. C'est quelque chose que nous ne pouvons pas vraiment nommer à l'échelle individuelle (sauf à utiliser les succédanés bien connus de la vanité humaine) parce que c'est quelque chose qui ne se réalise vraiment qu'à l'échelle universelle. Nos ancêtres singes, au-delà de manger, de chier et de copuler, poussaient vers quelque chose qui les dépassaient: l'homme ! Et nous aussi nous poussons vers quelque chose qui nous dépasse. Et je pense que toute notre spiritualité n'est jamais que ça: le désir impossible de saisir ce qui nous pend au bout du nez et nous échappe tout à la fois. Nous sommes... foncièrement insignifiants, entomologiquement insignifiants, mortellement insignifiants et pourtant, et pourtant, nous avons du divin au bout des ongles puisque nous faisons le monde, ou plutôt que le monde se fait par nous. Je ne pense pas que les considérations biologiques et entropiques excluent les questions de destinée existentielle, au contraire. La science est ce que nous secrétons lorsque nous envisageons le monde comme quelque chose qui s'étale devant nous. L'existentialité est ce que nous secrétons lorsque nous envisageons le monde comme quelque chose en quoi nous sommes engagés. Les fins sont différentes, les synthèses sont différentes.
  24. Dompteur de mots

    Matériaux

    « Les artistes ne subliment pas. Croire qu’ils ne satisfont ni ne refoulent leurs désirs, mais les transforment en ces réalisations socialement désirables que sont leurs œuvres, est une illusion psychanalytique; de nos jours d’ailleurs, les œuvres d’art reconnues sont, sans exception, indésirables socialement. Il faudrait dire plutôt que les artistes manifestent des instincts violents de type névrotique, qui éclatent librement et se heurtent en même temps à la réalité. […] ils se laissent attirer par tout ce qui est cru, inepte, indécent. […] Ce que l’expression a de commun avec le refoulement, c’est que ses impulsions sont bloquées par la réalité. […] Elles remplacent leur objectif et leur propre « élaboration » opérée par la censure subjective, par l’élaboration objective : leur manifestation polémique. C’est là ce qui les distingue de la sublimation : on pourrait dire que toute expression réussie du sujet est une petite victoire sur le jeu des forces de sa propre psychologie. Ce qui rend l’art pathétique, c’est précisément le fait que, lorsqu’il se retire dans l’imagination, il rend son dû à la suprématie de la réalité sans toutefois se résigner à l’adaptation, sans prolonger la violence de l’extérieur dans la déformation de l’intérieur. » - Theodor Adorno dans Minima Moralia, #136.
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