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Tout ce qui a été posté par Dompteur de mots
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Non. L'empathie est plutôt une compréhension de la vie affective d'autrui. Un psychologue doit par exemple faire preuve d'empathie pour arriver à comprendre ses patients. Mais cela ne signifie pas qu'il souffre avec eux. Si tu étais payé à chaque intervention impertinente, tu serais définitivement riche.
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La déontologie du philosophe
Dompteur de mots a répondu à un(e) sujet de deja-utilise dans Philosophie
Ce dont je suis certain, c'est que la déontologie du philosophe inclut le règle de ne jamais modifier le format d'écriture de base d'un forum de philosophie, afin de ne pas compliquer la gestion des balises lors de l'édition des messages. Toute dérogation à ceci est le reflet d'une déplorable absence de sagesse. -
C'est une définition tout à fait réductrice, sinon malhonnête du kunisme. La mienne était déjà plus intéressante.
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Tu devrais écrire un Manuel des bonnes intentions Noli.
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Oui, j'ai fini par me rendre compte qu'il était disponible directement chez l'éditeur ! Cela donne certainement envie de continuer sur Sloterdijk. J'avais déjà lu La mobilisation infinie, que j'avais bien aimé. Sloterdijk est presque choquant tellement ses bouquins contiennent de bonnes idées !
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Alors ce n'est pas tant de logique que tu parles, mais plutôt de réductionnisme logique. Ce n'est pas l'outil - en l'occurrence la logique - qui est une imposture, mais bien l'utilisation qui en est faite. C'est comme si tu disais, en observant un homme qui essaie de couper un steak avec une cuillère, que la cuillère est une imposture. Or, ce n'est évidemment pas la cuillère qui est une imposture, mais bien l'utilisation qui en est faite (que l'on pourrait appeler par exemple, réductionnisme ustensilier). Ton avatar est "contrexemple" et tu utilises souvent le mot "contrexemple". C'est très rigolo. Ma foi, Sloterdijk déplore assurément l'avènement du cynisme, mais il adopte néanmoins une position d'observateur du monde moderne, ce qui fait que son livre n'est pas moralisant pour autant.
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Exact. Ça n'a par exemple rien à voir avec la Critique de la raison pure de Kant. Sloterdijk inclut même une section "physiologique" à son analyse (étude physiologique du cynisme ou quelque chose comme ça).
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On peut dire de quelqu'un qu'il est hyper-rationaliste lorsque sa raison tourne de manière en quelque sorte autonome, en étant déconnectée de ses intuitions, de ses sentiments, des élans de son corps, etc. Son esprit prend alors une dimension machinale. C'est le cas de beaucoup d'âmes de notre temps qui, obsédées par exemple par l'économie, la croissance, la performance, en oublient tout le reste. C'est une définition tout à fait grotesque de la logique. La logique est au discours ce que l'ingénierie est à l'architecture: elle veille à ce que l'édifice se tienne droit. Le penseur qui affirme détester la logique est semblable à cet architecte qui affirmerait détester que ses édifices soient solides et fonctionnels.
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Divers éléments, tirés (ou non) du bouquin de Sloterdijk : Le kunique, le cynique antique, est un insolent, et parfois même un vulgaire, qui dresse cette vulgarité contre la montée de la haute théorie et des grands discours (platoniciens, notamment). C'est un résistant satyrique qui propose une « basse théorie » : celle du corps, celle de la réalité dans ce qu'elle a de plus terre-à-terre. À la théorie qui fait du mensonge une forme de vie, il oppose la vérité du corps. Un exemple moderne de kunisme : les femens : ces femmes qui se pavanent les seins nus lors d’événements publics – par exemple lors d'un discours de politicien, au nom d'une cause quelconque. Le cynique moderne est un homme de la masse, discret, intelligent, c'est un « asocial intégré ». C'est un réaliste qui croit que le temps de la naïveté est terminé, et qui veille à ne pas être le dindon de la farce. Il estime plus que toute autre chose sa capacité à travailler. De fait, « depuis longtemps, les positions-clé de la société appartiennent au cynisme diffus. » Le cynisme se définit alors comme « la fausse conscience éclairée », la « conscience malheureuse modernisée ».
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Je ne connais Onfray qu'au travers du préjugé répandu à l'effet qu'il ne soit qu'un vulgaire populiste. Tu l'apprécies donc Tison ?
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Non effectivement, ce type d'enseignement archaïsant est la meilleure façon de dégoûter les jeunes de la philo. Les jeunes d'aujourd'hui sont connectés sur mille sources d'informations. Le relativisme de la pensée, ils l'ont sous la peau, jusque dans les moindres recoins de leur personne. Une pensée dogmato-métaphysico-théorique ne sera pour eux qu'un objet de curiosité qu'il convient de ridiculiser. Il faut les saisir par un langage très concret où peut se manifester le fonds kunique de la philosophie. Après quoi la théorie peut devenir l'instrument de cette inspiration première, permettant de mieux saisir le monde. J'y réfléchis toujours mais je suis fort occupé ces temps-ci alors ça avance lentement.
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Non, mais qu'est-ce que ça prouve ? C'est comme si Blaquière affirmait que l'écriture, c'est le traçage de symboles linguistiques sur une surface quelconque. À cela, je ne pourrais qu'acquiéscer: pour écrire, il faut absolument que je trace des symboles linguistiques sur une surface quelconque. Mais cela ne signifie pas pour autant que l'écriture se réduit à cette activité. Le traçage de symboles linguistiques est à l'écriture un moyen. Ce moyen lui est indissociable et essentiel, mais il n'enveloppe certainement pas tout ce qu'est l'écriture.
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Un jeu d'enfant: il s'agit de les saisir dans leur essence conceptuelle: L'esprit comme capacité de l'homme à avoir des visions, à voir au-delà du monde tel qu'il lui est donné par ses sens. Dieu comme idéal auto-réfléchissant de l'homme, i.e. comme vision de l'homme se donnant à l'homme empirique lui-même. (Pour les intéressés, je connais le sens de la vie aussi.)
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Il serait peut-être plus juste d'affirmer que pour la vie, la reproduction est un moyen.
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Je ne pense pas que l'attitude de ce professeur soit représentatif de la manière dont on enseigne la philosophie. D'ailleurs, le point de départ de tout enseignement philosophique est souvent le credo socratique de l'ignorance fondamentale de chacun et de l'attitude sceptique qui est nécessaire pour sortir de cette ignorance. Ton professeur était probablement un être frustré de voir sa matière mise à mal par de jeunes esprits prétentieux, rendus ivres d'eux-mêmes par le narcissisme, et qui restent donc imperméables à tout apprentissage qui n'est pas purement technique. Dégoûté, il aura alors sombré dans le cynisme philosophique. Pas d'accord: parfois, on est simplement ennuyé ou non. En l'occurrence, Aristote est ennuyant au possible. Tu ne cadres pas dans l’esprit de ce forum Blaquière : « Tristesse et pédanterie »
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Très bien dit. Il y a en nous un journaliste et un penseur (tiens ! voilà la base d'une nouvelle théorie de l'esprit !). Lorsque nous lisons un texte de réflexion, c'est le journaliste d'abord qui effectue des liens entre les éléments du texte et qui formule des appréciations. Cet être journalistique lit rapidement; il est à la recherche d'éléments frappants qui pourront être affichés à la vitrine de la conscience. Derrière le journaliste, il y a le penseur: travailleur acharné de l'ombre, lent et méthodique, mais d'une méthode organique, une méthode non-protocolaire. Le tapage médiatique lui est indifférent: seul ce qui est porteur de vie l'intéresse. Le premier est un agenceur de mots qui préfère le travail dirune, le deuxième un dompteur de mots à qui la nuit sied bien.
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Cela dépend. Le philosophe qui ose se lever pour dénoncer avec assurance le règne de l'idéologie a bien dû faire preuve d'un travail acharné pour parvenir au niveau de confiance nécessaire à l'action. Naturellement sceptique et silencieux, sans doute a-t-il dû se faire violence pour oser prendre la parole, ne serait-ce que par crainte qu'un tel accès d'assurance ne découle pas de quelque fond cynique qu'il cache en lui. Évidemment, la différence est que ce philosophe-là est disposé à modifier sa vision des choses si de nouveaux éléments se présentaient.
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L’immaturité philosophique ne contient-elle pas forcément des éléments de mauvaise pratique de la philosophie ? Je te propose de voir le silence non pas comme l’antinomie de la parole, mais plutôt comme un négatif complémentaire qui permet la respiration et, par le fait même, rend possible la parole profonde. De plus, comme d’autres l’ont souligné, je ne prône certainement pas un mutisme complet, mais seulement le ralentissement des facultés déverseuses de l’esprit dans l’optique d’un épaississement des substances déversées. Je te suggère de m’observer attentivement en guise d’exemple de mon propos. Est-ce que j’ai arrêté de m’exprimer ? Est-ce que je ne cultive pas la pertinence absolue ? Évidemment, il y a un travail qui vous est invisible. Mais oui, il m’arrive souvent de choisir de me taire, de choisir d’avoir tort. Il y a beaucoup de textes que j’ai écrits pour ce forum et que je n’ai finalement jamais envoyés. Parce qu’il me semblait qu’après tout, la situation commandait le silence. Parce que le bruit qu’aime bien faire Dompteur de mots avec sa manie d’écrire sur un forum de philosophie empêchait l’homme derrière de vraiment jouer de son instrument. Pour ce qui est de la cohérence interne de mon œuvre, sache que je ne crains pas du tout de me contredire. Je ne réfléchis pas de manière systématique. Pour moi, la logique est un outil, un instrument au service d’une instance supérieure. Des propositions contradictoires peuvent paradoxalement parfois se rapporter à une même pulsion, où à un même genre d’intentions. Tout est affaire de contexte. Je pense qu’un homme qui se contente de bricoler à la surface logique des choses est un homme qui par quelque côté refuse la vie, puisque la vie est foncièrement illogique. Elle est auto-contradictoire, elle ne tient pas la route deux secondes. Si la vie était une thèse universitaire, elle serait immédiatement recalée et passée au déchiqueteur. La profondeur nécessite une tension intérieure, et la tension nécessite qu’il y ait des pôles qui s’opposent. Or, la profondeur est une carence universelle, aussi s’agit-il d’attiser cette tension. Dis-moi que le ciel est bleu et je te ferai valoir à quel point il est blanc de nuages; dis-moi que le ciel est blanc de nuages et je te ferai valoir à quel point il est bleu, jusqu’à ce que tu aies passé ta vie à le regarder afin de savoir quelle est sa véritable couleur, et peut-être tes yeux seront-ils alors assez aiguisés pour que ton regard puisse voir au-delà du bleu du ciel et des nuages jusqu’à détailler le fond de la Voie Lactée, où l’on voit bien que le ciel n’a pas de véritable couleur, mais plutôt une myriade de véritables couleurs (ou sont-elles fausses ? Je ne sais plus…), dont la plus belle est sans doute celle de la nébuleuse qui porte ton nom (ou est-ce le mien ? Je ne sais plus non plus…). Évidemment, je n’affirme pas le moins du monde que j’agis par pur esprit de contradiction. Tu m’ennuies profondément avec tes truismes / relativismes / banalités / peccadilles. N’importe qui peut comprendre que la philosophie demande un travail intellectuel, de même que n’importe qui peut comprendre que la réalité n’est jamais simple mais toujours complexe. L’objet d’une éthique est de proposer ce qui devrait être, ou ce qui manque aux hommes, ou ce qu’ils pourraient ajouter. Elle ne tente pas de cerner la réalité, mais vise plutôt à ouvrir une brèche par laquelle la réalité puisse couler. Toi, tu es le boucheur de trous. Tu es celui qui aime le tourbillon, le tournoiement incessant des choses sur elles-mêmes. Tu es le ruminant par excellence. À force de tournoyer dans ton estomac, ta nourriture est devenue si informe, si prédigérée, si abstraite que tu ne sais même plus pourquoi tu broutes. Comme je voudrais percer le tube digestif de tes pensées, y faire pénétrer le chaos d’un coup de couteau, l’emplir de ton propre sang afin qu’il te remonte jusqu’à la bouche et que tu te rappelles ce que ton corps goûte ! Je voudrais te rouler dans la fange afin que tu ne puisses plus écrire que des mots tachés de sang, ou de sperme ou de bave. Révélation ? Résorber ? Résoudre ? Délivrance ? Salut ? Ah mais je ne veux pas délivrer qui que ce soit ici, au contraire : je veux que tout cette racaille apprenne à souffrir quelque peu. Les hommes sont beaucoup trop heureux, beaucoup trop satisfaits de ce qu’ils ont sous les dents. Je veux nous faire violence à tous, et à toi le premier, et à moi aussi.
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Quelle horreur !
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Il y a deux genre de cris: Le cri assourdissant qui distrait pendant un moment mais dont l'effet s'écrase dès que son artifice vocal s'éteint. On peut pousser ces cris-là n'importe quand; Le cri en sourdine dont l'effet initial peut être quelque peu ambigu mais qui s'installe ensuite progressivement au creux de l'oreille et y fait son nid. Ces cris-là se façonnent patiemment avant d'être émis. Les cris qui sont écrits en caractères gras ou en majuscules appartiennent la plupart du temps au premier genre. Ceux qui les dénoncent le font souvent par souci de pouvoir entendre les cris du deuxième genre, car le vacarme - même dans les hautes fréquences - abîme l'harmonie des ondes de basse-fréquence.
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Je crois que je n'ai pas le goût de franchir ce pas consistant à moraliser sur la teneur que devrait avoir le silence. Il y a des moments dans une vie où il est bon de penser à soi, d'être égocentré. C'est souvent le cas dans une dépression, sinon toujours: il s'agit de s'adonner à un intense séminaire d'auto-réflexion, de réapprendre à connaître notre silence intérieur. Ou pensons à ces exemples de jeunes gens qui lâchent tout par besoin de silence, comme dans les films Into the Wild, ou plus récemment Wild. De toute façon, même lorsque l'on plonge dans le silence pour soi, on ne peut éviter de rapidement se trouver dans ses pensées avec les autres, puisque notre vie est intimement liée avec nos semblables. Ainsi, dans les deux films cités, les deux jeunes gens prennent un moment de recul égocentré pour mieux comprendre leur relation et leurs douleurs faces aux autres. Parfois, c'est même l'oeuvre d'une vie. Un type comme Nietzsche (mais j'aurais pu citer un grand nombres d'autres grands artistes) s'est pratiquement coupé de la vie sociale parce qu'il sentait en lui un besoin irrépressible de compréhension de lui-même, des autres et de son époque, un besoin qui a englobé le mouvement même de sa vie. La confusion qui habitait les jeunes gens des deux films cités se limitait à leur relation avec leurs proches; celle d'un type comme Nietzsche enveloppait l'ensemble de ses relations avec l'extérieur. Qui peut juger de la profondeur de l'appel des uns et de l'autre ? Je pense que c’est Amélie Nothomb qui dit dans l’un de ses livres que l’on sait que l’on a atteint un profond niveau d’intimité avec une personne lorsque l’on peut partager confortablement un moment de silence avec elle. Edit: à bien y penser, c'est Uma Thurman qui propose cette idée à John Travolta dans Pulp Fiction (mais il n'est pas impossible qu'Amélie N. en ait parlé aussi). Il y a souvent rumination mentale égocentrée parce que l’un ne va pas jusqu’au bout du silence, ou parce qu’il subit le silence plus qu’il ne le choisit. Celui qui subit le silence se détourne lorsque se montrent les créatures qui l’habitent et c’est là qu’il rumine, les mains devant les yeux, déversant un flot de pensées non constructives, de la même manière que l’on déverse un flot de paroles ou de sons non constructifs lorsque l’on ne veut pas entendre ce que dit quelqu’un d’autre. Celui qui choisit le silence choisit du même coup ses habitants et il va donc à leur rencontre. C’est dire qu’il y a une sorte de tumulte intérieur aussi qui demande un autre genre de silence. On voit par-là de quelle manière un éloge du silence peut être saisi autant pour l’introverti que l’extraverti.
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Éloge du silence Un philosophe doit savoir se taire. On ne le dit pas suffisamment. L’esprit narcissique qui baigne nos âmes à nous, hommes de la postmodernité, nous intime sans cesse de nous faufiler sur la scène du monde : « parle ! » nous dit-il, « prends ta place, fût-ce n’importe laquelle ! », « occupe de l’espace ! », « sois vu ! ». Mais quoi ? Sommes-nous intérieurement vides à ce point qu’il nous faille, pour nous sentir exister, nous déverser sous nos propres yeux ? « Je me déverse, donc j’existe » : peut-être est-ce donc là le nouveau credo de la pensée. Sommes-nous égarés, confus, voguons-nous dans des pensées si vaporeuses qu’il nous faille constamment les matérialiser sous nos yeux, les concrétiser par la parole et l’écriture afin de nous prouver à nous-même qu’elles ont effectivement une substance quelconque ? « On me voit, donc j’existe. » Naturellement, nous nous sentons exister dans le regard d’autrui, et nous développons de même en grande partie notre identité dans le regard d’autrui. Mais ce que je veux dire ici, c’est qu’à notre époque, cela ne se fait plus exactement par le biais d’une relation coulante, par un échange à la dialectique bien cadencée, mais plutôt par un déversement. Voilà : l’âme des hommes devient de plus en plus incontinente, elle ne sait plus souffrir de la retenue, du recueillement, de la méditation, de la solitude, de l’attente, du lent mûrissement des pensées, du doute, de l’incertitude. Que l’on me comprenne bien : pour être incertaine, elle l’est définitivement, et elle ne fait que se cacher ce fait par son déversement continuel, mais justement : elle ne souffre pas pour autant de cette incertitude mais s’y dérobe sans cesse. Elle la laisse en plan, là, dans l’un de ses recoins sombres. Et cette incertitude grossit et grossit sans cesse en secret, de la manière la plus désorganisée qui soit. Et lorsque la pousse commence à faire surgir ses racines hideuses à la vue, il y a encore une partie de soi qui est assez misérable et assez hypocrite pour faire mine de ne pas comprendre ce qui se passe ou pour l’attribuer à mille autres causes, de tout faire en tout cas pour s’empêcher de la souffrir cette incertitude, d’embobiner par exemple les médecins à l’effet que ce qu’il faut, c’est plus d’anxiolytiques. Plus d’anxiolytiques pour se déverser encore davantage et pour se recueillir encore moins. Ou, comble de la misère, pour faire mine de se recueillir. Pour se déverser en postures de recueillement – comme en fait foi le spectacle des spiritualismes graisseux qui sont le propre de l’esprit narcissique fatigué, de l’esprit narcissique « mûr », si l’on peut parler de « mûrissement » dans un tel cas. Avec toute la pression que la modernité, ou plutôt que la postmodernité fait peser sur nous pour que nous devenions ce que nous sommes, pour que nous criions à la face du monde ce qui nous habite, avec toute l’emphase qu’elle met à bien nous faire comprendre que notre vie n’est jamais que ce que nous en faisons, l’idée de nous déverser est devenue un réflexe. Nous sommes des arcs dont la corde est tendue au maximum. Lorsque nous apercevons une cible, nous n’avons pas encore commencé à considérer cette cible que la flèche est déjà partie. Nous sommes devenus des éjaculateurs précoces. Nous ne baisons la vie qu’avec l’image de notre propre jouissance en tête. Comme si nous étions devenus si égoïstes que nous n’étions plus capables de reconnaître notre partenaire, la vie, je veux dire de reconnaître son altérité comme quelque chose de sacré, de sentir sous notre peau l’écorchure de sa présence, de goûter au crissement de sa réalité. C’est pourquoi un philosophe doit savoir se taire. Il doit parfois savoir ne pas écrire ce qu’il a si envie d’écrire, ne pas développer l’argument qu’il tient du bout des doigts; il doit parfois savoir le laisser aller cet argument, relâcher son étreinte, peut-être même choisir d’avoir tort, ne serait-ce que pour ne pas être condamné à avoir raison. Il ne doit pas se précipiter sur ses pensées comme on se précipite sur les jeunes gens d’un pays pour les envoyer au front. Il faut plutôt les laisser mûrir doucement, quitte à parfois choisir le mutisme, comme quelque chose de beau, de noble, de plus parlant que la parole, et la retenue, la pudeur, comme quelque chose de plus manifeste que le déversement. Il faut redécouvrir la beauté simple de n’avoir rien à dire, quitte à en forcer d’abord la posture, quitte à choisir d’abord de n’avoir rien à dire. Redécouvrir la douceur de laisser s’immerger une pensée sous l’eau de l’inconscient, afin qu’elle puisse faire son chemin à notre insu, et peut-être réapparaître en d’autres temps, d’autres lieux, riche d’aventures, un sillon émanant des profondeurs accroché à sa poupe…
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Appendice La faculté de juger se décline selon l’état de puissance des individus. Si l’on est joyeux, c’est-à-dire en état de puissance, on aura tendance à juger de manière plus réaliste, à affronter le réel de manière plus directe. Tandis que si l’on est triste, c’est-à-dire en état de plus ou moins grande impuissance, on aura tendance à être moins réaliste, à juger plus idéalistement. Isolons 3 attitudes de l’individu qui est envahi par la tristesse et dans lesquelles se répercute cette déclinaison de la faculté de juger : l’héroïsme tragique, l’espoir et la déchéance. L’individu qui sombre dans la déchéance est celui qui ne peut retrouver le chemin de l’affrontement avec la réalité et qui par conséquent demeure dans son impuissance et même l’augmente, puisque l’impuissance fait diminuer la qualité du jugement et génère par conséquent davantage d’impuissance. En somme, la déchéance est une impuissance qui progresse. L’individu qui espère trouve en quelque sorte une voie de rechange afin d’éviter la chute dans la déchéance. L’affrontement avec le réel est rétabli, mais au prix seulement de certaines concessions. Il s’agit de troquer certains pans de sa conscience avec le diable de l’illusion (mon dieu, quel dramatisme !). Dans l’espoir, il y a toujours une partie de soi qui attend une sorte de rétribution. L’espoir a une nature ambigüe car il est difficile d’établir où commencent les bienfaits de telles concessions et où ils se terminent. Enfin, il y a les individus qui ont la chance de découvrir la voie de l’héroïsme tragique, où le caractère insensé de la situation est assimilé et accepté. L’être prend alors toute la mesure du réel, même dans ce qu’il a de douloureux et décide d’avancer dans toute sa vigueur, ne serait-ce que pour la beauté du geste. Où l’être individuel cesse au moins momentanément de réfléchir à partir de ce qui lui est individuel pour s’identifier à ce qu’il y a d’universel en lui. Il s’agit donc d’une sorte de conversion intérieure, plutôt qu’un recours à l’artifice de la fabulation.
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Exact. C’est en tant qu’il met en jeu un objet qui s’insère dans la représentation du monde que les hommes se font que l’espoir a une nature géométrique. Arrivés à ce point de la discussion, je ne sais plus si le problème qui nous anime n’est qu’un problème de terminologie ou s’il y a encore à s’interroger sur la nature des idées qui sont en jeu. Si nous résumons, tu distingues la mouvance générale et informe de la vie (1) selon qu’elle puisse ou non s’accompagner d’une représentation qui nous fait anticiper sur le cours du temps. Tu distingues aussi cette représentation vitale anticipative qui accompagne la mouvance selon son niveau de prégnance à notre esprit : elle peut être rationnellement saisie (2) ou alors elle peut se cristalliser en croyance (3), point où elle devient potentiellement nuisible. Tu appelles indifféremment « espoir » ces trois éléments ou parfois tu appelles « croyance » le troisième élément, alors que de mon côté, le terme d’ « espoir » est réservé à la mouvance en tant qu’elle s’accompagne d’une représentation anticipative cristallisée en croyance (3). De plus, j’appelle « expectative » la mouvance qui met en jeu une représentation anticipative rationnellement saisie (2). Enfin, j’appelle Désir la mouvance générale (1). *** Réglons tout d’abord le problème de la nécessité de la mouvance générale pour la vie humaine : cette nécessité, en ce qui me concerne, n’est pas matière à débat : je ne vois pas comment on peut s’y opposer puisque cette mouvance est la vie même. L’essence même de la vie est, comme le disait Spinoza, le Désir. Seulement, dans les moments de misère, lorsque rien ne nous pousse vers le monde, ou lorsque le monde nous rebute, il devient parfois difficile de se souvenir que la lumière du Désir nous baigne tout de même. L’esprit humain a alors cette façon de fixer sa lumière en un symbole, un peu comme on fixe un état d’esprit par une œuvre d’art. J’écrivais d’ailleurs, il y a quelque temps : « Le Dieu dont je parle est à admettre en dehors de toute signification morale : il ne signifie pas quoi que ce soit quant à ce qu’il incombe de faire de nos vies. Ce Dieu ne sert qu’à nommer l’éclat qui illumine nos vies et à se le rendre plus palpable. Pourquoi ? Peut-être pour ne pas oublier que cet éclat existe. Car la vie sans Dieu n’a aucun sens, ce n’est qu’une mécanique visqueuse et dérisoire, un long convoi funéraire ennuyant et inutile. » *** « Espoir » dérive du verbe « espérer », qui lui-même dérive du latin « sperare » qui signifie « attendre ». Il y a donc bien une connotation de passivité, de fixité dans ce mot. Précisément, la représentation anticipative cristallisée en croyance est une fixité qui s’est détachée du réel, comme en témoigne la propriété de transcendance que tu lui accoles et de la sorte, elle détache aussi l’être du cours de son action, c’est-à-dire qu’elle le plonge dans l’attente. Stoppée par une telle représentation, la mouvance vitale devient une sorte de tourbillon intérieur que l’on pourra, pathologiquement parlant, qualifier par exemple de schizoïde ou de névrotique. Bref, c’est un emprisonnement. Au contraire, l’expectative met en jeu une représentation anticipative rationnellement saisie qui est indissociablement liée à l’action. Cette représentation est l’action, en tant qu’elle en est partie intégrante; elle est son instrument, en tant qu’il est nécessaire ou du moins caractéristique à l’homme que la plupart de ses actions anticipent sur leurs propres effets. De l’espoir à l’expectative, il y a la même différence qu’il y a entre un homme qui rêve pour rêver et un homme qui rêve pour agir. « L’éclat qui illumine nos vies » ne se découvre pas en portant le regard sur quelque nature transcendante et donc fixe, qui aurait le pouvoir de nous fortifier et de nous animer. Il arrive à nous plutôt de manière bien plus subtile, au sein même des choses, c’est-à-dire de manière immanente. C’est quelque chose qui s’allume en nous et qui nous pousse vers les choses. Nietzsche affirme à quelque part dans le Gai Savoir que la conscience est comme une pousse tardive du corps dont la fonction principale est communicationnelle. Que c’est l’organe au moyen duquel le corps secrète le langage. Enfin, il est possible que je déforme complètement l’idée de Nietzsche mais peu importe, c’est ce que j’en ai retiré. C’est une idée qui me frappe beaucoup. La conscience comme protubérance communicationnelle du corps. Enfin bref, dans l’expectative, à la limite, la représentation est accessoire – elle est plus ou moins comme la protubérance communicationnelle de la mouvance qui lui est sous-jacente. Alors que dans l’espoir, il y a une sorte d’idolâtrie de la représentation. À mon sens d’ailleurs, une vie religieuse digne de ce nom doit se passer de tout espoir. Toutes les représentations qu’elle met en jeu ne doivent lui être que des accessoires. Une religion qui défend ses images, c’est déjà une religion perdue, une religion qui a sombré dans l’idolâtrie, c’est-à-dire dans la tentation de faire s’incarner, de fixer un principe qui n’est jamais que mouvant. Voilà précisément de l’immanence. Et du non-fixe, du non-passif. Tu n’attends pas, tu saisis. Oui, mais du point de vue de l’idéal éthique seulement. Je peux admettre réalistement que l’espoir puisse constituer une marque de vigueur parfois. Mais c’est une vigueur qui a quelque chose de dégénéré. L’espoir est souvent nécessaire à la vie mais il ne lui donne pas moins une saveur ambigüe. De même par exemple que le mensonge est parfois nécessaire à la vie – par exemple dans cette entreprise de dissimulation civile que nous appelons « politesse » – mais personne ne songerait à faire l’apologie du mensonge. Le mensonge a une saveur ambiguë. Et l’amour ? L’espoir n’est qu’un moyen parmi d’autres de stimuler cette faculté que nous avons de relever nos manches et de vivre malgré tout. Mais le moyen le plus efficace, c’est encore l’amour, la solidarité. Dans les grands moments de dépression, l’espoir n’a plus de prise sur l’esprit car celui-ci, devenu allergique à toute facticité, recherche ce qui n’est qu’immanent et réel, ce qu’est précisément l’amour. L’espoir est une boisson énergisante qui dope la conscience pendant un moment, alors que l’amour est un jus de carottes qui tonifie sa santé. Évidemment, on pourrait rentrer dans tout le débat consistant à départager l’amour profond d’un amour auquel se mêle l’espoir. Mais je vais me contenter de lancer ceci : le mur que rencontrent tous les amoureux qui veulent durer dans le temps, après environ 1 an de vie commune, ne consiste-t-il pas précisément à se délester de tout espoir amoureux pour simplement adhérer à l’autre ? J’ai repensé à cet exemple que j’avais choisir pour l’ambiguïté qu’il recelait et finalement, je ne suis plus certain qu’il s’agisse bien d’un cas d’espérance. Après tout, comme je l’ai dit, je ne m’embarrasse en aucun cas de quelque croyance pour une vie après la mort. Dans l’espoir, il y a une façon de tirer une image à soi, de tirer l’universel vers ce que nous avons d’individuel. Or, mon attitude avec les morts est plutôt de chercher à me dissoudre dans le tout; de me détacher momentanément du royaume de l’individualité pour saisir la vie individuelle dans ce qu’elle a d’universel. C’est une démarche assez schopenhauerienne finalement. Il s’agit de reconnaître ce que la vie humaine a d’inéluctable mais aussi d’irrationnellement grandiose : le fait que nous appartenons à quelque chose qui est plus grand que nous, la nature, et que par là nous trouvons notre seule immortalité de fait. La chair des gens que nous avons aimés et qui sont décédés est dissoute dans le sel des choses et leur voix continue de courir dans le vide infini de l’espace, comme un écho qui ne trouve jamais de surface de réverbération, mais que l’esprit nostalgique a néanmoins la capacité secrète de percevoir. Cela n’est pas une pensée qui console, ou une pensée qui est grosse d’une promesse, d’une lumière, d’un espoir. C’est une pensée terrible mais en revanche, de la sorte, elle est bien formulée et elle en devient belle. C’est une pensée, dirons-nous, qui est porteuse d’une chaleur. On s’attache souvent en philosophie à l’image de la lumière; or, voilà une alternative intéressante à proposer : celle de la chaleur. « L’espoir de donner du sens à son existence » : cela constitue toujours une façon de balayer le problème plus loin vers l’avant. Le problème de Sisyphe décontenancé par un monde insensé, au point de ne plus être capable de pousser son rocher, doit être assumé jusqu’au bout. On peut lutter, œuvrer dans le monde oui, mais justement, on demeure au sein du monde, qui lui est bien insensé. Tous les actes de création de sens demeurent soumis à la grande absurdité fédératrice des choses. Ce sont des à-côtés, des passe-temps auxquels Sisyphe s’adonne lorsqu’il a deux secondes de loisir. Être condamné à pousser son rocher demeure absurde, quoi que l’on fasse et quoi qu’on en dise. Et tout espoir, ne serait-ce que celui d’œuvrer et de donner du sens à sa vie ne demeure qu’une solution partielle. Alors que reste-t-il ? L’adhésion entière au réel. Il s’agit de dire « oui » à tout, sans compromis. Dire « oui » à tout, c’est forcément rejeter du même coup toute possibilité d’espoir, c’est-à-dire toute possibilité de changer la vie, de changer ce que la condition de pousseur de rocher a de terrible, d’inévitable et d’insensé. C’est alors seulement que la lourdeur des chercheurs de sens peut enfin se transmuer en la légèreté joyeuse des délirants de l’existence. Dans l’adhésion aux choses, il ne s’agit plus d’opposer au réel une alternative, de le recouvrir d’une beauté factice qui n’est jamais qu’un divertissement, mais plutôt de réussir à nous formuler le tragique de l’existence de façon à en faire ressortir sa dure, irrationnelle et incompréhensible beauté. Il s’agit pour Sisyphe de se formuler son labeur insensé de manière à ce qu’il soit transfiguré en un acte de poésie.
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Intelligence animale et humaine
Dompteur de mots a répondu à un(e) sujet de Savonarol dans Philosophie
Ok. Donc elle n'est rien du tout.
