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Affichage du contenu avec la meilleure réputation le 13/01/2024 dans Billets
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C'est là, en lisant ses cours, que j'ai compris que j'avais subi une vaste entreprise de nettoyage. Comme s'il fallait cacher notre différence et puis procéder à un effacement total. Cinq minutes consacrées à la présentation du non-francophone, où pour la seule et unique fois ses "origines" sont évoquées, à part ça, rien d'autre. Ensuite, une fois que le travail de "cleaning" a bien été accompli, on l'envoie dans la "vraie" classe. CLIN ou CLEAN, c'est tout comme. On efface, on nettoie, on nous plonge dans les eaux de la francophonie pour laver notre mémoire et notre identité et quand c'est tout propre, tout net, l'intérieur bien vidé, la récompense est accordée : tu es désormais chez les Français, tâche maintenant d'être à la hauteur de la faveur qu'on t'accorde. Etrange façon d'accueillir l'autre chez soi. Un contrat est passé très vite entre celui qui arrive et celui qui "accueille" ; j'accepte que tu sois chez moi mais à la condition que tu t'efforces d'être comme moi. Oublie d'où tu viens, ici, ça ne compte plus. Marx et la poupée - Maryam Madjidi1 point
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L'envie d'écrire vient d'Elena. Manifestement. La blessure. Je m'interroge sur la raison. Que se passe-t-il en écrivant ? Pourquoi l'écriture apaise ? Parce que l'histoire redevient maîtrisable ? Arrangeable ? Parce que c'est faire d'un flou, une détermination, passer d'un foutu sentiment à un objet extérieur auquel on peut revenir, qu'on peut triturer, dominer ? Pour toutes les raisons à la fois ? "Ex-primer". J'ai toujours eu un problème avec l'expression. L'écriture vient comme une nécessité. Assez comme un délire. Le délire et son effet tunnel. Unetelle se scarifie. Soudain elle oublie tout, plus aucune conséquence n'importe. Simplement le sang, l'ouverture. Je les connais tellement que j'arrive à poser la question "bras ou cuisse ?" Les bras c'est plus grave parfois, mais c'est selon les cas. C'est un degré de retenue en moins. Mais pour d'autres ça signe au contraire l'insignifiance, ou une forme de désespoir social ou familial : il faut que ce soit vu, que ça entraîne du drame. Alors que les cuisses, c'est de soi à soi. La chaire est là, offerte. Et seul l'amant attentif découvrira les traces, posera des questions. Mais ce n'était pas "pour lui". Combien se sont scarifiées les cuisses ? J'ai découvert ça avec Anissa. Moi j'avais fait la paume de la main, adolescent : une belle cicatrice au milieu, bien profonde. Une fois. Enfin donc je connais l'appel du délire, "l'effet tunnel" de ces moments-là. Anissa, c'était les cuisses, juste pour elle. Discrète, réservée, invisible au vulgaire connard quoi que flamboyante. L'écriture est-elle autre chose qu'une scarification ? Sauf exercices de style, lorsqu'elle s'impose de cette façon, s'agit-il au fond de se saigner ? D'expurger, de purifier, d'exhiber, d'objectiver, de maîtriser ? Après tout il y a de ça dans la scarification, non ? Se faire mal, c'est dompter un sentiment, transformer un trouble en traces visibles, constatables, s'effarer soi-même de ce que l'intérieur soit soudain au-dehors, par sa propre main , y trouver une satisfaction à la fois attendue et surprenante car c'est réel pour de bon, c'est enfin constatable et constaté , puis vient l'apaisement - la cicatrice. Pour ensuite se remémorer. Car on sait où ça va. C'est dans cette perspective que je l'avais fait : souviens-toi. Ce qui est arrivé, ça ne peut pas rester au-dedans, dans cet indéfini du souvenir ; tu ne l'oublieras jamais parce que la cicatrice t'en souviendra. Il avait fallu opérer. Alors donc pourquoi écrire ? Pourquoi ce lien entre scarification et écriture s'impose ? Bien sûr il y a d'autres écritures. Certaines sont réconciliantes, elles viennent après la tempête pour réparer, ou elles sont simplement des odes à la beauté, à la langue - le plus rare je crois. Mais souvent, tout de même... Quelle est cette blessure, alors ? Elena est revenue, avant de repartir. Les fêtes... Elle sait où me trouver bien sûr. Et je me sens froid, distant, stellaire. Ce soir chez elle l'appartement était vide. J'étais invité à dormir, mais je suis reparti. "Je te laisse dormir". Je ne pouvais simplement pas rester. Mais son odeur encore autour de moi... Il n'y a pourtant aucun mauvais sentiment. Avais-je envie de la blesser ? Aucunement, j'ai beau inspecter, il n'y a aucune satisfaction à l'idée de la blesser, et je ne crois pas l'avoir fait. D'où vient cette fermeté ? D'où vient ce nouveau statut quo, cette nouvelle configuration ? Me voilà plus profond. Elena a plongé dans mon âme et les remous à la surface n'atteignent plus, très vaguement, ce qu'il s'y peut passer. Voilà : je sais que le moment n'est pas venu, nous n'y sommes pas. La retenue est de mise. "Je te laisse dormir" signifiait "à plus tard". "Vois, je suis là, en retrait". Je souffrirai toutes les fois que tu auras besoin de moi, sans rien dire. Tu as joui ? Parfait : je m'en retourne donc d'où je viens. Ainsi cette distance, cette fermeté ne sont encore que des signes de ma soumission radicale. D'où cette tranquillité d'esprit.1 point
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