Aller au contenu
  • billets
    12
  • commentaires
    32
  • vues
    3 189

Nuit et brouillard


Kégéruniku 8

631 vues

Allongée, sur le flanc, elle regarde son petit cul s'éloigner pendant qu'elle aspire nonchalamment une volute de tabac de son fume-cigarette en bakélite.
La pâle lueur des aubes grisâtres d'hiver, filtrée par les stores, soulignant la stagnation de l'air dans la pièce, confère à la scène une impression semblable à celle de ces mauvais clichés en noir et blanc que l'on retrouve trop souvent chez les photographes médiocres en mal d'inspiration et de génie, pour qui négatif rime avec palliatif.
La poitrine fièrement dressée, les lèvres humides et délicatement entrouvertes, le regard feignant l'esprit mais maladroitement soutenu par une posture grossière, avec ses faux airs de madone damnée, elle est l'héroïne de cet instantané sans objectif sous lequel on pourrait lire en légende: Petite camée joue les femmes distinguées.
Son souffle est encore irrégulier et ce n'est que difficilement qu'elle tire sur sa clope, mais elle veut donner l'impression de maîtriser parfaitement la situation, comme le feraient ces femmes fatales qui peuplent son imagination et dont elle s'inspire continuellement lorsqu'elle feint avoir une personnalité.
Seulement, lui ne la regarde pas, il est parti dans la salle de bain, jeter la capote, se laver le visage et les mains.


Il a beau se passer la figure sous l'eau, la tâche qu'il hait ne part pas. Il se regarde dans le miroir avec ce dégoût que l'on réserve habituellement aux ordures vilipendées.
Ecce homo; celui qu'il est au fond de lui. Le traître qui s'enlise volontairement dans les fanges mouvantes en espérant y gagner la vie quand il perd en fait sa dignité au moment où il crache sa jouissance sur son unique promesse.
Ce serment qui incarne tous ses idéaux mais qu'il bafoue à cause de cette faiblesse suintante; caractéristique des pourceaux malheureux qui, comme Ulysse au cours de son voyage, abandonnent, ne serait-ce qu'un instant, Pénélope pour les bras de Circé.
Lorsqu'il retourne auprès du simulacre de succube, il a la démarche veule et voûtée de celui qui connaît l'amertume des charmes incantés auprès de charbons où brûle la myrrhe; ce qui ne l'empêche pas de l'étreindre et d'alimenter ses fourneaux comme s'il se consumait d'un ardent désir inextinguible.
Ainsi, gentiment ils s'immolent, se rassasiant l'un l'autre, dans cette débauche de luxure et de goinfrerie vaguement dissimulée, par orgueil, sous une farandole de beaux sentiments.
Bien sûr, le sortilège demain s'estompera, et quand ils s'abandonneront en singeant une dernière fois la peine par des rictus aussi misérables dans leurs formes que miséreux dans le fond, ce sera sans la moindre difficulté.
Néanmoins, pour ce qu'il reste d'éternité à ce jour, entre deux légers sursauts de culpabilité lucide, ce sont les amants les plus passionnés qui soient. Et diable, même si l'histoire ne suit pas et que les personnages sont quelconques, même si les amours sont nocturnes et la lumière faiblarde, même si avec le temps c'est le regret qui l'emportera, que la passion est belle.

0 Commentaire


Commentaires recommandés

Il n’y a aucun commentaire à afficher.

Invité
Ajouter un commentaire…

×   Collé en tant que texte enrichi.   Coller en tant que texte brut à la place

  Seulement 75 émoticônes maximum sont autorisées.

×   Votre lien a été automatiquement intégré.   Afficher plutôt comme un lien

×   Votre contenu précédent a été rétabli.   Vider l’éditeur

×   Vous ne pouvez pas directement coller des images. Envoyez-les depuis votre ordinateur ou insérez-les depuis une URL.

Chargement
×