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Le suicidé


Jedino

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Vous n'avez jamais souhaité être immortel, comme éternel ? Eh bien moi, voyez-vous, mon problème est là : malgré ma persévérance, impossible de mourir. J'ai pourtant tout essayé, récentes comme anciennes méthodes. Je vous épargne les quelques détails morbides, mais les faits sont là. Pourtant, ce n'est pas la motivation qui manque. Parce qu'en réalité, vivre cent ans, deux ans, passe encore. Mais quand vous atteignez le millénaire, que vous avez plus que rêvé tourné en rond, et que la dernière chose qui vous amuse est d'essayer tous les moyens de mise à mort qui ont pu être inventées, l'immortalité devient un problème.

Alors certes, j'ai du coup eu le temps d'expérimenter tout ce que je pouvais imaginer expérimenter. Il est vrai qu'au début, tout cela est fort agréable, d'être à ce point libre de ne pas se demander s'il ne faut pas tout faire aujourd'hui au risque de ne pas voir le lendemain. Certes, je n'ai de fait jamais connu les regrets que vous pouvez avoir en fin de vie, quand vous sentez que quelque chose va bientôt lâcher. Mais j'ai eu au contraire le temps de faire le constat véritable qui s'impose : en réalité, j'ai beau vouloir faire ceci ou cela, ce ceci ou ce cela finit bien vite par se vider.

Ainsi s'installe l'ennui absolu, celui qui n'a aucun échappatoire, pas même la mort. Bien sûr, nombreux sont ceux qui m'argueront que je fais erreur, que je ne suis finalement qu'une personne sans curiosité et qu'eux auraient mille fois plus à faire que ce que j'ai pu faire moi. Admettons-le : un jour viendra où tout ceci s'épuisera malgré tout.

Rassurez-vous cependant : vous ne saurez jamais que cela existe et que vous auriez pu l'être. D'ailleurs, si vous me demandiez comment, je ne saurais pas vous dire pourquoi. J'ai en revanche eu plus d'une occasion de me demander pourquoi le "pourquoi" était la réponse mise devant le "comment", mais de ceci, vous n'en aurez rien à faire et c'est bien normal. Nous n'avons pas de temps à perdre avec les pertes de temps. Jusqu'au moment où le temps n'est plus à gagner, en tout cas. Mais cessons là ces répétitions inutiles car si j'ai toutes les heures qu'il faut pour les écrire, vous ne les avez pas pour les lire.

Certains iraient dire que l'éternité c'est long, surtout vers la fin. D'autres que l'éternité commence là où le temps s'arrête. Et d'autres encore, comme moi, que l'éternité c'est bien, surtout vu de loin.

Mis à part ça, je suis en route actuellement vers la limite de l'univers connu pour voir ce qu'il se trouve au-delà. Certains rêvent de voyager petitement à l'autre bout du monde, je me limite à l'univers. Chacun son domaine, je ne juge pas. Le pire étant que, si je finissais par trop tarder en vie, je risquerais de finir par avoir des réponses à vos questions. Sait-on jamais, il peut m'arriver de croiser quelques peuplades exotiques. Rien de bien exceptionnel, en réalité. Tout comme nous, banales créatures. Même si nous sommes uniques dans notre arrogance.

Tu l'auras donc compris : le meilleur moyen de finir dans l'ennui est de se fixer des objectifs, de chercher du sens. Lorsque tu te fixes des arrivées, une fois le chemin terminé, il te faut te redonner incessamment d'autres directions. Il est tellement plus simple de ne pas s'empoisonner l'existence avec cela. Cela, je l'ai bien compris. Mais, trop humain que je suis, je suis bien incapable de m'en détacher. Vous me direz, j'ai l'éternité pour m'y faire. Bande de cons.

Au fait, dernière chose : mortel, immortel, tout ceci tient du même combat. Se battre contre les heures ou leur absence, cela ne change rien tant qu'elles nous emprisonnent. Vivre libre, ce n'est pas vraiment vivre assez longtemps pour être libre d'achever sa liste de buts existentiels, donc se défaire des contraintes. Ce n'est pas davantage la fuite du temps, qui n'est que le sens contraire du sens de l'aiguille. Reculer l'heure n'est pas s'en soustraire. Non, si je devais considérer que la liberté est un sujet qui mérite d'être évoqué, que le temps l'est aussi, et si je devais en conclure que les deux sont ou peuvent être, ce n'est que par la négation et non par l'acceptation ou l'oubli qu'il est possible et raisonnable de vivre avec, ou plutôt sans.

Que je sois en vie dix ans ou dix-mille ans, cela n'a pas la moindre importance si du temps, je n'en ai cure. A quoi bon se contraindre par des rêves ou des préoccupations nécessaires comme le ferait un patron à l'égard de son salarié ? A quoi bon s'imposer une productivité minimale et se condamner, se damner, si elle n'est pas atteinte ? Ne soyez pas les tyrans de votre existence. Sinon, vous attendrez toute votre vie une rallonge sur vos heures comme vous attendriez une rallonge sur votre salaire. Mais il est du temps comme de l'argent : quand vous en avez plus qu'à satiété, vous ne pouvez plus faire qu'une seule chose raisonnable, à savoir le gâcher.

4 Commentaires


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Je ne suis pas une critique littéraire, je vais me contenter de dire que j'ai apprécié de lire ce billet. Par contre, ne manque-t-il pas un mot ( importance ) dans le dernier paragraphe, première ligne après moindre ?

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