L'homme qui dinait à la table de Dieu
Etrangement, son univers ne ressemblait pas à ce que j'imaginais. Tout n'y était pas que de blanc, de pureté, d'aveuglement au point de ne pouvoir lever le regard droit en face. Pas non plus trace des anges, des hommes du passé. Rien qu'un ordinaire apparent, comme si j'allais rencontrer un homme isolé dans les bois qui faisait sa petite vie au bord du monde, c'est-à-dire en dehors. Mais peut-être que je m'étais trompé. Comment croire que le Créateur, celui qui avait tout fait, tout ordonné, tout agencé, puisse vivre dans un endroit pareil? Je devais être dans un mauvais film, un de ceux qui partagent une nouvelle vision banale de ce qui nous échappait.
Alors que je me questionnais et m'étonnais, mes pieds avançaient malgré tout et, bientôt, j'arrivais devant la porte. L'hésitation atteignait son paroxysme : je paraitrais bien ridicule si jamais je délirais et en venais à demander à la personne qui m'ouvrirait si j'étais bien chez Dieu quand elle ne serait qu'une espèce d'ascète solitaire. Peut-être qu'il se moquerait de moi ou me chasserait, même en l'étant. Peut-être aussi que derrière cette barrière se terrait quelque chose de terrifiant. Car au fond, je ne savais rien, sinon que je m'apprêtais, à en croire la Carte, à visiter l'être du Tout.
- Entrez, Hada.
Cela ne me surprît pas. A présent, je savais, n'hésitais plus à entrer. Ce que je fis. La décoration n'avait rien de resplendissant, au contraire : ne s'y trouvait là que des utilitaires très communs que je connaissais globalement, même si les formes ne correspondaient pas forcément à ce qui se faisait là où je venais. Lui, car il ressemblait curieusement à un homme, se tenait debout et cuisinait vraisemblablement un dîner.
- Excusez mon impolitesse. Vous devez sûrement avoir faim? Tenez, asseyez-vous.
Le couvert était posé pour deux. Il vînt s'installer à l'autre chaise et servît un ragoût des plus sommaires.
- Du faon. J'espère que vous aimez cela.
- Mais... Pourquoi?
- Vous vous demandez sans doute pourquoi, alors que je suis Dieu, je me nourris d'un repas frugal dans une maison perdue en pleine forêt? La réponse est très simple : si je peux créer, je ne le peux qu'à mon image. Ma foi, je ne suis qu'un homme pouvant en engendrer d'innombrables autres. Certes, le premier, et c'est la raison pour laquelle les autres m'adorent, à tort. J'avais pourtant envoyé mon fils, créé exprès pour l'occasion, corriger cela. Je crains que le fait d'être en mauvais terme avec lui l'ait amené à vouloir me maudire en me pointant du doigt pour l'éternité. Car, oui, je suis aussi condamné à vivre jusqu'à la nuit des temps, ce qui ne veut pas dire que mon temps soit plaisant. Je suis contraint par le troisième droit stipulant la finitude.
- Quelque chose m'échappe. De quoi me parlez-vous? Vous êtes Dieu, bon sang. Vous êtes le Dieu. Celui qui peut tout et qui, par bonté, protège ses créatures des maux et de la peine.
- Je suis désolé.
- Désolé?
- Vous vous faîtes une mauvaise image de ce que je suis, et tout ceci est ma faute. Jamais je n'aurais dû vous forcer à croire. Plus jeune, je cherchais à me faire aimer. C'est pour cela que vous êtes. Maintenant, je me rends compte de mon erreur. Je veux dire, de ma vanité. Mes pairs ne m'ont jamais accordé l'attention que j'exigeais, et j'ai cherché à les impressionner. En vain. Cela explique que vous me trouviez dans un tel lieu.
- Vos pairs? Excusez-moi, je ne comprends absolument pas. Vous n'êtes donc pas seul?
- Bien entendu que non. Vous auriez dû le savoir depuis longtemps. Vous en douter, dû moins. Pensez-vous sincèrement que j'aurais laissé les gens se massacrer s'il était en mon pouvoir de décider de ce qui se passe chez vous? Allons, nous sommes tous la poupée russe d'un autre.
- C'est décevant.
- Seulement parce que vous rêviez de trouver ici un être infiniment supérieur à vous qu'il vous aurait fallu raisonner pour qu'il retourne sur le monde qu'il aurait abandonné afin d'y régler les problèmes de haine et de désespoir. Ce n'est pas si évident. En réalité, je suis votre égal. Si je vous parais éternel, ce n'est qu'en raison d'un temps qui diffère. Moi-même je suis le pion d'un autre. Il est possible que lui soit en mesure de me contrôler. Je l'ignore. Tout se définit par son existence dans un ensemble plus grand et par le fait qu'il fasse exister des ensembles plus petits. Pour le reste, je n'en sais pas davantage.
- Vous n'êtes donc pas Dieu?
- Je suis le vôtre. Le mien est ailleurs. Le sien est probablement plus loin encore. Quant à savoir si, finalement, il y a bien un être, une entité, qui soit à l'origine de Tout, je ne peux vous aider. Néanmoins, cela m'étonnerait.
- Alors tout est infini? Les limites ne sont qu'illusions?
- Vous avez vos intuitions. L'infini reste toutefois aussi absurde que la limite. Votre taille fait votre perception. Votre univers, par exemple, me paraît tout à fait minuscule. Vous ne l'avez pas remarqué, mais votre venue vous a métamorphosé. Non dans la forme, mais dans la taille de cette forme : actuellement, vous mesurez approximativement votre univers.
- Incroyable.
- Venez, je vous montre.
Et en effet, il me montra. Les galaxies, les étoiles, les planètes, et tout le reste. Mes yeux fixaient, ébahis, le monde d'où je venais coincé dans une espèce de gros bocal comme des poissons dans l'eau.
- Comment vous y êtes vous pris pour le créer?
- Une grande curiosité, c'est une bonne chose. Il faut néanmoins que je limite mes réponses. Je n'ai pas à vous éclairer là-dessus. Chaque monde a ses droits. Il va de soi que plus nous descendons dans l'échelle, plus ils se réduisent, tout en restant immense. En fait, je m'exprime mal : ils diffèrent. Je peux créer un monde sans y toucher, vous pouvez modifier le vôtre sans jamais en créer. Cela appartient à la règle du jeu.
Un bruit se fît entendre. On ouvrait la porte. "Vous, tenez-le. Et apportez des neuroleptiques, il hallucine."
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