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Chroniques Royales

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Le retour (IV)


Wild

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    C'est ainsi que leur amitié a commencé: Dilw posant des questions à Gol, dont les réponses suscitaient toujours plus d'émerveillement. Après avoir passé la majorité de la nuit à converser, le conteur s'était retiré dans la chambre qu'il avait réservée. Le prince, quant à lui, inconscient des dangers que trainer dans la rue aussi tard dans la nuit lui faisait risquer, rentrait tranquillement au château. Il avait passé une soirée très intéressante et retournait dans sa tête les mots du voyageur: "le pouvoir des mots est si grand qu'il a été volontairement noyé dans la masse de la conversation". Même si ce n'était pas encore tout à fait clair pour lui, la discussion qu'ils avaient eue l'avait aidé à en comprendre une partie: plus les mots sont utilisés, moins on leur donne d'importance, et plus on oublie à quel point ils sont puissants. Le premier exemple qu'il avait expliqué au jeune homme avait été la réaction des gens après avoir écouté son récit quelques heures auparavant.

« Mais c'est également dû à ton air de voyageur, avait-il répondu. »

Gol avait rétorqué que ce n'était qu'un exemple, et ils avaient continué la soirée à parler à ce sujet. Alors qu'il rentrait, Dilw était désormais convaincu que les mots, bien agencés, avaient un pouvoir qui leur était propre. Un pouvoir que peu de gens savent utiliser, à en croire le voyageur. Même s'il ne connaissait pas vraiment le chemin du château, il s'était retrouvé devant ses portes sans s'en rendre compte. Il ne jeta qu'un bref coup d'¿il aux gardes - afin qu'ils le reconnaissent et le laissent passer - et repris sa marche et ses réflexions. Ce n'est qu'une fois devant son lit que la morosité d'avoir quitté le voyageur s'abattit sur le prince. Allait-il le revoir demain, comme ils avaient convenu ? A en croire Gol, il avait besoin de récupérer un peu d'argent avant de repartir ; et n'ayant que peu d'occasion de lier amitié, il comptait profiter un peu de la leur. Dilw s'allongea et continua de réfléchir, les mains sous sa tête. Mais s'ils étaient vraiment amis, alors pourquoi lui aurait-il demandé d'apporter un peu d'argent ? Oui, il avait bien dit qu'il avait besoin d'argent. Et après tout, il lui en avait déjà demandé de l'argent ce soir. Quand il l'avait interrogé à ce propos, son ami avait répondu qu'il aurait besoin de boire, et que le prince voudrait lui offrir ce rafraichissement. Comment pouvait-il en être sûr ?

Enfin, la fatigue avait rattrapé le prince. Avant de s'endormir, il pensa qu'il devrait faire attention, le lendemain après-midi, à ne pas prendre trop d'argent¿

Malgré ses inquiétudes, la journée s'était déroulée sans anicroche. Le conteur avait repris la place qu'il tenait lorsque le prince l'avait aperçu la première fois, avait attendu qu'il y ai quelques personnes autour de lui et raconté une histoire. Après avoir récupéré les dons, il s'était tourné vers son ami. L'expression sur le visage de celui-ci le fit sourire. De toute évidence, il était tombé sous le charme de ses mots. Comme il l'avait prévu, le jeune prince avait insisté pour lui offrir à boire. C'est à ce moment que Dilw avait fait part au voyageur de son envie de devenir conteur, lui aussi. Flatté, il décida de lui apprendre tout ce qu'il savait. Ainsi, après avoir chanté une chanson dans la rue - pour une somme raisonnable - ils étaient retournés à l'auberge. Pendant toute la soirée, Gol donna au jeune homme ses premières leçons. Les deux jours suivants se déroulèrent de la même façon, même si, à la fin de la seconde, le prince demanda à son maitre d'un air gêné :

« Je ne pourrais pas venir demain. Mon père¿ J'ai aussi des obligations, et je ne peux me soustraire à celles de demain. Mais je voudrais expliquer à mon père que je veux être conteur ; j'ai même créé un poème. Je voulais ton avis dessus. »

C'est à cette occasion que le conteur réalisa à quel point son ami avait du talent. Certes son poème était encore maladroit, mais après seulement deux jours, il n'aurait lui-même pas été capable d'en faire autant. Le lendemain, quand son père entendit l'¿uvre de son fils, il usa de toute sa volonté pour ne pas éructer de colère ; volonté qui ne fut cependant pas suffisante et n'empêcha pas le roi d'essayer de faire comprendre au jeune homme - à coup de brimades et autres violences - que ce n'était pas un domaine dont il devait s'occuper. La fracture familiale avait encore augmentée quand, deux jours plus tard, après avoir eu une audience avec le roi, Gol avait annoncé à son ami qu'il était temps pour lui de partir. D'après le conteur, il avait prévu de rester moins longtemps, et ne s'était attardé que pour Dilw. Cela dit, le prince n'était pas dupe, et l'avait clairement dit à son professeur:

« Je sais que le roi t'a ordonné de partir. Je suis désolé, sanglota-t-il.

- Pourquoi donc es-tu désolé ? Tu n'as rien fait de mal.

- Pourtant, tu devrais rester encore, n'est-ce pas ? Tu n'as pas encore assez d'argent ! »

Le voyageur, sachant qu'il ne pourrait pas mentir à son ami lui avait répondu simplement :

« Tu sais, parfois on ne fait pas ce qu'on veut. La vie impose ses règles, il est plus sage d'apprendre à les suivre que de vouloir les transgresser. Pendant mes voyages, j'ai appris un petit poème qu'on m'a demandé de ne jamais répéter. Je te le dit parce que je sais que tu le garderas pour toi :

Dans les dents de sang

Marchant à l'intérieur

Cherchant la chaleur

D'un pas sûr mais lent

Car pourrait bien mourir

Qui voudrait courir

L'étoile révélée

Ne sera emportée

Sans que les anciens

Soufflant dans leur cor

Signalent leur accord

A un homme de bien

Ne me demande pas pourquoi je te le récite, je n'en ai aucune idée. J'ai simplement l'impression qu'il t'était destiné. »

Dilw resta muet. Les mots s'étaient collés à son esprit et ne semblaient pas vouloir en sortir. Il avait même cessé de sangloter. Lorsque son ami était parti, il lui avait rendu son salut, et était rentré au château, l'esprit occupé par la poésie que Gol lui avait récité.

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