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Aberration et folie des grandeurs pour les uns, rêve ultime pour les autres, le transhumanisme (ou, aussi, « homme augmenté ») est un sujet qui fait de plus en plus parler de lui à l’heure où certains progrès laissent miroiter un possible, celui de vaincre ou dépasser nos propres limites et maux existentiels que sont des capacités intellectuelles et physiques « limitées », la souffrance, la vieillesse ou la mort. Ce sujet pose bien évidemment des questions d’ordre éthique et je n’aurai pas l’ambition de trancher le débat. Mon rôle se limitera à apporter des éléments concrets de réflexion à quiconque pourra lire cet article. Libre à chacun de se faire son avis par la suite. Il existe une documentation importante sur le sujet, il est donc assez facile de s’informer plus largement sur ces sujets. Sur le principe, l’article se fera en cinq temps : la définition du transhumanisme, ses tendances, les technologies actuelles et futures qui y participeront sans doute, l’évocation du débat qui entoure le transhumanisme, et une conclusion. Source : https://consciencesansobjet.blogspot.fr/ I. Quelle définition pour le transhumanisme ? Selon Bernard Stiegler, « depuis la préhistoire, l’humanité s’augmente par la technique ». En effet, pour lui, tout outil, entendu comme moyen de s’offrir des moyens que le corps humain n’offre pas lui-même, est une augmentation. Mais un outil, et plus largement la technologie, a aussi vocation à graver dans le temps notre capacité à connaître toujours davantage. Autrement dit, l’augmentation humaine traverse les générations par la possibilité de préserver le savoir. Le terme « transhumanisme » apparaît avec Julian Huxley en 1957. Il va être repris quelques décennies plus tard par les futurologues tels que Max More qui vont construire la pensée transhumaniste et lui donner le sens que nous lui donnons aujourd’hui et sur laquelle nous finirons dans cette partie. A la même époque, et en particulier à la fin du XXème siècle, les NBIC (Nanotechnologies, Biologie, Informatique, Sciences Cognitives) vont croître de façon importante et nourrir de grands espoirs de par leur mise en relation permettant d’obtenir de nouvelles technologies et de nouveaux usages. Mais revenons tout d’abord sur la notion de « réparation ». On parle d’humain « réparé » lorsqu’il s’agit par exemple de compenser un handicap. Si l’exemple des lunettes permettant de palier le défaut de la vue semble parfois abusif, les prothèses de membres ou les cœurs artificiels sont typiquement les exemples permettant d’illustrer la notion de « réparation ». EMY, l'exosquelette du CEA. © Clinatec On parle d’humain « augmenté » (« human enhancement » en anglais) lorsqu’il s’agit non plus de compenser le manque d’une capacité quelconque mais, au contraire, de pousser au-delà des limites humaines ces capacités. Cela peut être modestement le fait de porter un casque à vision nocturne, mais cela peut surtout aller plus loin grâce à des technologies nouvelles et en recherche qui seront abordées plus largement dans la partie suivante. Il est donc possible de créer des outils comme cela se fait depuis longtemps pour un humain, ou de façon plus intrusive dans le corps d’une personne. Il existe en réalité une distinction à faire entre le transhumanisme « idéologique » et le transhumanisme comme « vecteur scientifique ». L’idéologie a en effet pour projet d’atteindre à certains objectifs (non exhaustifs ici) que sont accroître la longévité (idéalement jusqu’à l’immortalité), les capacités physiques (force ou endurance importante), physiologiques (nouveaux sens) et cognitives (contrôle par la « pensée » des objets), tandis que le vecteur scientifique ne fait que véhiculer certains thèmes autour desquels des projets de recherche se construisent. Cette augmentation passe en tous les cas par l’usage des technologies : nanotechnologies, robotique, génétique, sciences de la cognition, ne sont là que quelques exemples de ce qui peut participer à ce projet ou faire l’objet de ces thèmes. Certains proposent encore d’autres concepts pour expliquer plus finement l’évolution vers laquelle nous tendrions : d’abord instrumenté, c’est-à-dire capable de mieux se connaître et de s’alerter grâce à des capteurs (objets connectés), puis connecté, c’est-à-dire capable de rejoindre des données lui apportant la connaissance dont il a besoin quand et où il le souhaite, c’est amélioré et enfin hybridé que l’être humain finira, c’est-à-dire un mélange fusionnel entre le corps humain et la machine, aussi nommé parfois « cyborg ». Il existerait un stade ultime que serait la fabrication, à savoir un « être humain » complètement artificiel, voire dématérialisé (la fameuse conscience stockée dans un ordinateur). Nous nous contenterons ici de retenir surtout les notions de réparation et d’augmentation. Il est important de garder en tête cependant que la distinction entre réparation et augmentation n’est pas si nette que cela : ce qui est une augmentation un jour finit par devenir une réparation le lendemain, à l’image par exemple du pacemaker. Symbole du transhumanisme h+ Nous garderons donc finalement la définition que pose l’Association Mondiale Transhumaniste (AMT), dite Humanity + ou h+ : « le transhumanisme est le mouvement intellectuel et culturel qui affirme la possibilité et la désirabilité d’améliorer radicalement la condition humaine grâce à la raison appliquée, notamment en développant les technologies et en les rendant largement disponibles pour éliminer le vieillissement et améliorer fortement les capacités humaines sur le plan intellectuel, physique et psychologique. » Notez qu’il en existe une autre que propose l’AMT en 2002 : le transhumanisme est « l’étude des répercussions, des promesses et des dangers potentiels de techniques qui nous permettront de surpasser des contraintes inhérentes à la nature humaine ainsi que l’étude des problèmes éthiques que soulèvent l’élaboration et l’usage de telles techniques. » Cette définition intègre une réflexion sur ce que l’on fait que ne possède pas la première. Une déclaration du transhumanisme existe si cela vous intéresse : https://iatranshumanisme.com/a-propos/transhumanisme/la-declaration-transhumaniste/ De même, un article détaillé et bien moins caricatural que ce que je peux exposer ici retrace l’humain augmenté sous le regard de la sociologie : https://sociologies.revues.org/4409 II. Qu’est-ce que le transhumanisme ? Avez-vous déjà souhaité pouvoir vous affranchir du sommeil, courir autant que vous le souhaitez, ne plus être malade, avoir une santé « meilleure » qu’elle ne l’est déjà ? Avez-vous rêvé de pousser votre intellect au-delà de ses capacités, votre corps au-delà du possible ? En ce cas, ce qui va suivre devrait vous intéresser et vous rassurer. Sinon, peut-être appréhenderez-vous un peu le tournant que certains aimeraient prendre. En effet, la limite entre le matériel et le corporel a vocation à se réduire ou, plutôt, à fusionner. Par exemple, une personne déficiente visuellement pourrait retrouver la vue par optogénétique, c’est-à-dire par utilisation d’un génome d’un autre être vivant (une algue, ici). Il y aurait aussi l’optimisation du sang, donc des globules qui le composent, tant dans ses capacités à transporter l’oxygène que dans sa résistance, en s’inspirant notamment et à nouveau du vivant puisqu’un ver possède des globules « 50 fois plus efficaces que les nôtres ». Bien évidemment, la prothèse qui rendrait l’être humain aussi fort, résistant, endurant et rapide qu’une machine est au programme. C’est vrai aussi, et de façon moins intrusive, des exosquelettes. Le cerveau n’y échappe pas et pourrait, si l’on en croit Ray Kurzweil, bientôt « penser » grâce à la connectique plutôt que le biologique. Bien sûr, les maladies neurodégénératives seront vaincues et la possibilité de manipuler sa mémoire, ses émotions, une banalité. Inutile de dire que les organes auront tous leurs équivalents artificiels, voire biotechniques (culture de cellules-souches) probablement conçus grâce à des modèles sur des imprimantes 3D. L’utilisation des cellules-souches a l’intérêt majeur d’éviter le rejet du corps étranger par le corps. La peau elle-même pourrait, plus peut-être que le reste, avoir en elle nombre de capteurs qui permettraient à la fois de surveiller les paramètres du corps et de se connecter au monde qui nous entoure pour interagir avec lui. Enfin, objectif ultime, les cellules elles-mêmes seront augmentées pour combattre leur vieillissement (et donc notre vieillissement) puisqu’en effet certains éléments s’usent avec le temps, à savoir l’oxydation des membranes de la cellule (la membrane, c’est ce qui sépare la cellule de son environnement direct). Il est possible d’imaginer aussi donner de nouveaux sens : pouvoir entendre des ultra-sons, pouvoir voir dans les infrarouges, etc. Cela est d’autant moins fantasque que cela a pu être fait sur les rats : http://www.maxisciences.com/vision/des-rats-acquierent-un-sixieme-sens-grace-a-un-implant-cerebral_art28655.html A côté de cela, des « médicaments de la personnalité » permettront de corriger les défauts qui empoisonnent nos existences : timidité, jalousie, se « soigneront » comme un rhume se soignerait, tandis que nous pourrons booster notre sens de la créativité ou notre empathie comme nous boosterions nos capacités sexuelles à coup de viagra. Mais il faut aborder aussi d’autres sujets : la notion de « superintelligence » est à introduire. En effet, la dite « singularité technologique » serait le point de l’Histoire où la technologie atteindrait un niveau d’évolution qui échapperait à l’être humain, ce pas étant souvent imaginé comme celui de l’intelligence artificielle (mais n’exclut pas une autre discipline). Selon les théoriciens-futurologues, ce point de non-retour serait moins lointain qu’il ne semble l’être après les récentes réussites en intelligence artificielle face aux joueurs humains de go et de poker, parlant en effet des premières décennies de notre siècle. Cette intelligence serait là pour de nombreuses choses, que ce soit pour gérer des systèmes qui échapperont à la compréhension humaine ou pour nous faciliter la vie, peu importe la manière. Tout cela s’accompagnera d’un monde déjà commencé où tout serait connecté. Humains, objets : le monde ne serait plus qu’un système immense. Cela passera notamment par la connexion de tout ce qui nous entoure, en premier lieu nos vêtements, mais aussi nos bâtiments, bref, tous les éléments de notre environnement. La principale difficulté réside dans l’autonomie énergétique et dans la fiabilité des données que reçoivent ces capteurs. Par exemple, les objets connectés surveillant (en théorie) nos constantes vitales ne sont pas aujourd’hui d’une fiabilité sans limite, loin de là. Cette précision de la mesure est une étape obligée pour devenir un équipement certifié et donc utile en médecine. Mais il est indéniable qu’à terme cela permettra sans nul doute de pratiquer une médecine plus juste au niveau des dosages et au plus proche de notre personne. Certains existent aujourd’hui déjà pour suivre certaines pathologies comme le diabète. http://blog.innovation-artisanat.fr/linternet-des-objets-au-service-de-la-gestion-de-la-production-et-de-la-maintenance-2/ Autre problématique cependant importante : l’usage d’un objet connecté, qui est une curiosité au départ, ne s’installe que rarement dans le quotidien de quelqu’un et finit par être délaissé, ce qui ne permet évidemment pas un suivi à long terme. Si ce désintérêt pour la personne saine existe, cela peut aller au rejet pour la personne atteinte d’une pathologie, puisque cet élément le lui rappellerait constamment à bout de bras. Certains rêvent enfin de pouvoir « télécharger » leur conscience dans la machine, de façon à ne plus dépendre de leur corps. Outre les questions philosophiques que cela peut bien poser, la faisabilité même de ceci reste à démontrer puisque nous sommes bien incapables de dire ce qu’est la conscience, et donc de dire si le fait de l’extraire et de l’exporter ailleurs est possible. La fusion entre matériel et corporel commence dès lors que l’on cherche à intégrer en soi des éléments artificiels par nécessité (prothèses) ou envie, à l’image de la greffe d’électrodes faite par Kevin Warwick sur lui-même pour pouvoir « contrôler un ordinateur à distance ». Cette partie-là part un peu dans tous les sens sans aller au fond des thématiques, mais il est difficile d’embrasser sans trop détailler l’ensemble des thèmes que le transhumanisme entend exploiter. Je vous invite donc à approfondir les sujets s’ils vous intéressent plus particulièrement. III. Quels sont les acteurs du transhumanisme ? Principalement anglo-saxon, le transhumanisme est porté tant par des personnalités célèbres que par des entreprises qui ne vous sont pas inconnues. Le célèbre Ray Kurzweil, qui aujourd’hui travaille chez Google sur les thématiques en lien avec l’intelligence artificielle, est l’une de ces personnalités qui théorise le transhumanisme et l’idée de singularité technologique qu’il annonce pour 2045. Dans le cadre de la singularité technologique, Ray Kurzweil a également créé une université dédiée à la formation de personnes capables de répondre aux défis qu’impose une telle singularité. Il est à noter aussi que c’est bien Google qui a récemment battu avec AlphaGo les champions mondiaux de Go, même si ce n’est pas le dernier fait d’arme de l’intelligence artificielle ces dernières années. Google, toujours, possède des filiales travaillant sur l’ADN (23andMe). AlphaGo joue contre Lee Sedol Mais d’autres pays sont aussi concernés par des travaux allant en ce sens. La Chine, par exemple, cherche à sélectionner les embryons ayant le plus de chance d’aboutir à des enfants et adultes « intelligents ». En Russie, c’est un milliardaire qui souhaite en deux décennies parvenir à transférer sa conscience dans une machine pour vivre éternellement. Autre acteur intéressé et assez évident, les armées s’intéressent évidemment à ces thématiques en vue d’arriver à des « super-soldats », forts de leurs exosquelettes demain, et de toujours plus au-delà. L’armure de combat Talos, conçu par la DARPA, est assez éloquente. Les laboratoires de recherche, comme des chercheurs du MIT, ne sont pas en reste et œuvrent à des fins utiles comme cette pilule d’« insuline intelligente » qui permettrait de délivrer une dose au meilleur moment et ainsi améliorer la vie des patients diabétiques. Le HRL Laboratories cherche lui à rendre possible « d’accélérer l’apprentissage et d’améliorer la mémoire » par neurostimulation, c’est-à-dire une stimulation de zones par implantation d’une sonde qui donnerait des décharges électriques comme cela peut se faire aujourd’hui pour des douleurs chroniques persistantes malgré tout traitement. Autre exemple de projet : la cartographie du cerveau, le « Human Brain Project », projet qui se fait en Suisse et qui est soutenu par l’Union Européenne en vue de mieux comprendre et ainsi mieux soigner les maladies neurodégénératives. IV. Le transhumanisme est-il souhaitable ? Source : https://www.lecercledesliberaux.com/?p=20824 Le transhumanisme est l’objet de vives critiques, alors même qu’il considère que l’augmentation ne comporte « aucun risque fondamental ». Par exemple, il peut être vu comme une réduction de l’être humain à sa seule pensée, à son cerveau, occultant ce qu’il est aussi, à savoir des émotions, des sens, voire une âme ou conscience. Pour Jean-Michel Besnier, le transhumanisme n’est jamais qu’un « refus pathétique d’accepter que la mort donne son sens à la vie elle-même ». Bernard Stiegler, que nous avons déjà évoqué, tient une position critique sur le sujet : pour lui, il est aberrant de laisser aux marchés la possibilité de décider de ce que sera le transhumanisme puisqu’en ce cas son programme est « la prolétarisation de tous au service d’une oligarchie » qui vivrait alors éternellement et laisserait de côté « les autres ». Mais il ne conteste pas la possibilité d’apporter de véritables évolutions sociales et économiques permettant de sortir de certaines impasses aujourd’hui. En fait, il ne faudrait pas arriver à une « fracture numérique » entre ceux qui ont les moyens de s’offrir de tels progrès et ceux qui ne l’ont pas. François Berger combat le transhumanisme comme étant un courant de pensée qui, sous couvert d’assurer le bien-être, se permettrait tout et, surtout, s’affranchirait de la limite entre le normal et le pathologique. Or, l’humain augmenté n’est pas la finalité de la médecine et c’est pourquoi les scientifiques doivent se positionner contre. De fait, il s’agit de porter des actions sur des personnes en mauvaise santé et non pas sur des personnes saines, prenant dès lors le risque d’avoir des effets indésirables sur la personne alors même qu’elle se portait bien avant cela. En effet, des patients atteints de pathologies incurables, en particulier au cerveau (glioblastome), pourraient bénéficier de la nanotechnologie. De plus, le transhumanisme se fonde sur des principes invalides et datés, simplifiant grandement la problématique : il n’est pas évident qu’une augmentation d’une capacité particulière du cerveau comme la mémoire puisse se faire aisément, et surtout sans conséquence néfaste pour les autres capacités restées à même niveau. Nicolas Le Dévédec et Fany Guis défendent l’idée que toute augmentation n’est pas une libération de notre condition mais, qu’au contraire, et comme cela est vrai aujourd’hui des psychotropes, ce ne sera qu’un moyen de se conformer à une exigence toujours plus grande en termes d’efforts, une exigence de performance, de productivité, qui fait de nous des consommateurs d’éléments « augmentant » nos capacités. Selon eux, c’est aussi la question du handicap qui est posée : le transhumanisme aborde la problématique sous un angle essentiellement biologique quand la question est bien souvent davantage « sociale et politique ». Surtout, les moyens qui apparaissent de pouvoir « choisir » son enfant illustre le fantasme de l’« enfant parfait », sur-mesure. Mais n’oublions pas que ces technologies offrent aussi la possibilité à des parents qui ne pouvaient l’être de le devenir. Les cellules-souches, elles, posent aussi un problème éthique qui est qu’elles sont abondantes sur l’embryon et qu’il faut donc les y prélever, ce qui n’est pas acceptable aujourd’hui en France mais se pratique ailleurs dans le monde. Plusieurs personnalités ont mis en garde publiquement contre les risques qu’il existait à développer une intelligence artificielle qui nous échappe, à l’image de Stephen Hawking, Elon Musk ou Bill Gates. Ce n’est pas une crainte du progrès mais de notre perte de contrôle sur ce progrès qui ne serait pas en accord avec nos propres objectifs, le risque étant que « nous ne pourrions pas plus intervenir que les chimpanzés ne peuvent le faire actuellement contre nous », donc que cette intelligence artificielle ne soit pas bienveillante à notre égard comme le met régulièrement en scène le cinéma ou la littérature. D’autres problèmes peuvent être imaginés en génétique, mais il existe ceux auxquels nous songeons moins comme la « perte de notre humanité » ou le contrôle de nos existences par la puissance du calcul et de l’algorithme. Plus radical, il existe évidemment un mouvement « bioconservateur » fermement opposé à ce type de technologies, le rapport « Beyond Therapy » de 2003 en étant le point d’orgue, et dont l’argument premier serait que le transhumanisme porte atteinte « aux droits fondamentaux de l’être humain » : « Cela est fondamental, dirai-je, parce que la nature humaine existe, qu’elle est un concept signifiant et qu’elle a fourni une base conceptuelle solide à nos expériences en tant qu’espèce. Conjointement avec la religion, elle est ce qui définit nos valeurs les plus fondamentales » (Francis Fukuyama). Mais ne soyons pas que négatif : il serait parfaitement possible aussi, par ces moyens-là, de mieux parvenir à comprendre l’autre, en simulant le ressenti et le vécu d’une personne atteinte d’un quelconque handicap, ce que laisse finalement miroiter aussi le jeu vidéo 3D qui est une « expérience totale », une immersion. C’est également un courant de pensée qui a le mérite de vouloir toujours aller plus loin dans « l’augmentation », et donc nécessairement aussi dans la « réparation ». Autrement dit, et de façon moins « mécanique », c’est un moyen de motiver des projets de recherche sur des sujets permettant d’améliorer la qualité de vie de bon nombre de personnes qui ont l’une ou l’autre déficience. En tous les cas, une réflexion par les sciences humaines semble devoir accompagner l’émergence de ces technologies et de leurs usages. C’est pourquoi en 1998 fût créé « L’Association Transhumaniste Mondiale » qui a vocation à entretenir la flamme du transhumanisme à travers le monde, et notamment la discussion des questions d’ordre éthiques. D’autre part, il existe un ensemble de valeurs censées cadrer et guider l’œuvre transhumaniste, par exemple celles que posent Nick Bostrom (co-fondateur de l’Association Transhumaniste Mondiale) : - « La sécurité totale : en aucun cas les choix exploratoires ne doivent entraîner de risque sur l’existence de notre espèce, ou abîmer son potentiel de développement », - « Le progrès technologique : c’est lui qui permet l’émergence des avancées transhumaines, il va de pair avec et découle de la croissance économique et de la productivité », - « L’accès à tous : le projet posthumain ne doit pas être exploré par quelques élus, mais accessible à tous. » A ceux-ci Bostrom ajoutent aussi d’autres principes qui en découlent tels que « l’absolue nécessité de faire ses choix en étant informé et donc formé », la « coopération internationale », le « respect et la tolérance généralisées », le « respect de la diversité », la « nécessité impérative de prendre soin de la vie », etc. Mais il est parfaitement légitime de se demander dans quelle mesure ces valeurs sont respectées et ont une influence sur les activités des acteurs qui font véritablement ce qu’est actuellement le transhumanisme. Il est à noter aussi qu’un mouvement transhumaniste propre à l’Europe a émergé, bien plus proche de ce qu’il serait souhaitable : les technoprogressistes. Opposés au transhumanisme ultra-libéral américain, ils n’ont pas cette totale confiance quasi-naïve dans la technologie. Surtout, ils se préoccupent des conséquences sociétales de façon à se poser des questions avant de créer la technologie possible : réfléchir d’abord, développer ensuite. On peut par exemple citer l’association transhumaniste française (AFT), dite Technoprog, créée en 2010. Mais ce mouvement n’a pas la puissance du transhumanisme américain porté par les géants du numérique. Mais concluons avec les bioéthiciens qui jugent qu'au final, l’augmentation de l’humain est déjà pratique courante : banalement, le café que nous buvons, ou surtout le dopage que nous huons mais qui est relativement courant sous couvert de performance et de socialisation. Et si cela est vu négativement dans ce contexte, il devient très positif dans d’autres, où il est essentiel de rester attentif et performant, les trois exemples les plus éloquents restant le transport aérien, la chirurgie ou l’armée. Quoi que favorables à l’humain augmenté, les bioéthiciens ne sont pas pour une activité en totale liberté et souhaitent que celle-ci soit encadrée et se fasse selon des principes et une mise en question éthique nécessaire sur certains aspects. Hypothèse reste faite que le progrès sera positif en soi une fois que les aspects collectifs seront maîtrisés et qu’ils se feront dans la justice et l’équité. V. Conclusion Le transhumanisme est donc un défi tant technique, collectif, juridique qu’éthique. Le débat est d’une grande complexité et apporte des éléments qui peuvent sembler aussi bénéfiques que regrettables. Je ne prétends pas avoir brossé un portait complet des thématiques qu’il entend aborder pour parvenir à ses fins, mais la plupart, je crois, y sont. Au-delà de la question éthique qui cherche à savoir si le transhumanisme est acceptable et, si oui, dans quelle mesure, la question qui n’a pas été posée était de savoir ce qu’il adviendrait de ceux refusant toute augmentation car, en effet, une société à deux vitesses pourrait bien apparaître alors et pourrait aboutir de fait à des inégalités. D’autre part, cet optimisme radical en l’apport que la science aura dans nos vies pourrait très bien être interrogé. Toutefois, et comme le rappelle sentencieusement Anne-Laure Boch, « le plus grand risque du transhumanisme, c’est de décevoir ». En effet, compte-tenu des espérances qui lui sont accordées, les futurologues à l’origine de cette pensée attribuent à la technologie la capacité à répondre à toutes nos craintes et difficultés, ce qui n’a rien d’évident tant notre ignorance est grande, particulièrement sur le fonctionnement même du cerveau qui est, il faut le dire, le centre des préoccupations du transhumanisme. En tous les cas, notre réalité se restreint de moins en moins à notre personne pour se projeter vers le monde, un monde où le réel et le virtuel s’entremêlent et interagissent. Vers une fusion avec la machine comme le mettrait en scène Avatar ? Probable que le robot compagnon ou l’algorithme d’aide à la décision se démocratise avant tout risque d’une superintelligence. Probable aussi que d’autres questions cruciales se poseront avant celles de savoir si nous devons restreindre une intelligence qui peut nous dépasser, s’il est acceptable de pouvoir vivre plusieurs centaines d’années ou même d’abandonner ses membres biologiques pour lui préférer des membres robotiques, à l’image de l’utilité du travail dans la vie ou de l’utilité de l’argent dès lors qu’un robot, métallique et/ou algorithmique, peut nous remplacer sur (presque) tout. A force de rêver d’être augmenté, il faudrait aussi prendre garde à ne pas au contraire se diminuer, devenant des automates qui ne sont plus que les ombres d’êtres humains ou des victimes de la surcharge que nous impose le progrès jusqu’à l’aliénation ou la surcharge cognitive. Finissons sur une citation de Hannah Arendt tirée de La Condition de l’homme moderne de 1958: Depuis quelques temps, un grand nombre de recherches scientifiques s'efforcent de rendre la vie « artificielle » elle aussi, et de couper le lien qui maintient encore l'homme parmi les enfants de la nature. C'est le même désir d'échapper à l'emprisonnement terrestre qui se manifeste dans les essais de création en éprouvette, dans le vœu de combiner « au microscope le plasma germinal provenant de personnes aux qualités garanties, afin de produire des êtres supérieurs » et de « modifier leurs tailles, formes et fonction » ; et je soupçonne que l'envie d'échapper à la condition humaine expliquerait aussi l'espoir de prolonger la durée de l'existence fort au-delà de cent ans, limite jusqu'ici admise. Cet homme futur, que les savants produiront, nous disent-ils, en un siècle pas davantage, paraît en proie à la révolte contre l'existence humaine telle qu'elle est donnée en cadeau venu de nulle part (laïquement parlant) et qu'il veut pour ainsi dire « échanger contre un ouvrage de ses propres mains ». Pour aller plus loin sur le sujet, je vous propose une petite lecture : Bernard Claverie et Benoît LeBlanc, dans « L’humain augmenté », discutent du sujet bien mieux que je ne saurais le faire. Je vous y renvoie donc si la thématique vous intéresse et vous interroge. Bibliographie : Partie I. https://www.franceculture.fr/conferences/universite-de-nantes/lhomme-augmente-un-fantasme-qui-devient-realite https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/le-transhumanisme-est-un-neodarwinisme-dangereux-avertit-bernard-stiegler_108864 http://www.ecologiehumaine.eu/les-penseurs-du-transhumanisme/ Partie II. https://humanoides.fr/homme-augmente-fantasme-devient-realite/ http://www.20minutes.fr/sante/1831643-20160603-transhumanisme-quoi-ressemblera-homme-augmente-2050 https://www.fondation-telecom.org/wp-content/uploads/2016/01/2015-CahierDeVeille-HommeAugmente.pdf Partie III. https://www.sciencesetavenir.fr/sante/de-l-homme-repare-a-l-homme-augmente_28253 http://www.lemonde.fr/sciences/article/2013/04/18/google-et-les-transhumanistes_3162104_1650684.html http://www.techniques-ingenieur.fr/actualite/articles/homme-augmente-ou-en-sont-les-recherches-32803/ Partie IV. https://iatranshumanisme.com/a-propos/transhumanisme/la-declaration-transhumaniste/quest-ce-que-le-transhumanisme-version-3-2/ https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/francois-berger-le-transhumanisme-est-un-charlatanisme-dangereux_104462 http://www.cnetfrance.fr/news/transhumanisme-en-route-vers-l-homme-augmente-39793020.htm
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