Aller au contenu

Un mur implacable

Noter ce sujet


de ghoul

Messages recommandés

Membre, Posté(e)
de ghoul Membre 159 messages
Forumeur survitaminé‚
Posté(e)
il y a 34 minutes, de ghoul a dit :

Il y avait plusieurs longues files devant les guichets de la PAF. Nous avancions lentement, au rythme des regards méfiants et des tampons bureaucratiques. À notre droite, un homme accompagné de sa femme et de leurs quatre enfants attendait patiemment. Je l'avais rencontré quelques heures plus tôt, dans la salle d’embarquement à Alger. Nous avions échangé quelques banalités, comme le font souvent les voyageurs qui tentent d’oublier l’ennui. Il m’avait confié qu’il organisait chaque année un voyage avec sa petite famille. Cette fois, c’était l’Égypte. Il parlait de Louxor, d’Assouan, d’un rêve qu’il avait depuis longtemps. Mon idée était simple : feindre une proximité, me présenter comme un ami proche, dans l’espoir que cela faciliterait mon passage.

Mais soudain, un bruit confus monta depuis l’extrémité de la salle. Un brouhaha qui se mua rapidement en clameur. Une centaine de personnes entraient dans le hall, encadrées de près par des policiers. Certains criaient, d'autres chantaient d’une voix rageuse et éraillée des hymnes à la gloire de la Palestine. Leurs visages étaient tirés, leurs vêtements froissés, certains portaient encore des couvertures

de l’aéroport sur les épaules. C’étaient les refoulés du vol du 10 juin.

Ils avaient passé la nuit entassés dans un coin de l’aéroport du Caire, sans lit, sans information claire, avec seulement les néons blafards pour compagnon d’insomnie. Et ce matin-là, plutôt que d’être autorisés à rejoindre le Caire comme ils l’espéraient, ils étaient rassemblés de force, remis dans un avion pour être renvoyés d’où ils venaient. Un retour sec, amer, brutal.

Ils défilaient sous nos yeux, une marée humaine blessée, escortée jusqu’au tarmac comme une troupe de condamnés silencieux… sauf qu’eux, ils chantaient. Leurs voix portaient loin, comme un dernier acte de dignité.

Ma fille, qui jusque-là était restée absorbée par son téléphone, leva brusquement les yeux.

— Papa, regarde ! C’est Karim !

Elle se dressa sur la pointe des pieds. Dans cette foule en mouvement, elle venait de reconnaître son fiancé. Son visage s’illumina d’une émotion intense, contenue mais palpable. Karim, malgré la fatigue, marchait la tête haute, en scandant les slogans avec les autres. Il nous aperçut, esquissa un sourire et nous fit un petit signe de la main, furtif, presque clandestin, avant d’être englouti par le flot.

Nous avancions, imperturbables en apparence, mais le cœur serré, vers ce qui ressemblait de plus en plus à un mur implacable. Chaque pas nous rapprochait d’un système froid, arbitraire, presque mécanique. Ce n’était plus tant la crainte d’être séquestrés, ni même celle d’un renvoi immédiat qui nous habitait. Non, ce qui pesait désormais, c’était une menace plus subtile mais durable : celle de voir nos passeports irrémédiablement entachés par la PAF égyptienne.

Les agents, postés comme des gardiens de frontière invisible, procédaient à un tri silencieux. Aucun critère apparent, aucune logique perceptible. À certains, ils faisaient un simple signe de la main : passez. À d'autres, ils demandaient poliment mais fermement : donnez votre passeport, tout en les désignant du regard à un policier qui les attendait à quelques mètres, adossé à une porte latérale. Cette porte, nous le savions, menait ailleurs — vers une salle de rétention ou directement vers le retour.

Nous observions la scène, impuissants.

— Nous serons sans doute de cette catégorie-là, murmura ma fille, les yeux rivés sur les policiers.

Je n’ai pas répondu tout de suite. Le silence, parfois, vaut mieux qu’un faux espoir. Puis j’ai articulé, presque machinalement :

— Mais il reste notre ami… le voyageur. Celui de la file. Peut-être qu’avec lui…

Elle m’a regardé sans ciller. Son visage était calme, mais son regard trahissait une lucidité presque cruelle.

— Peut-être… a-t-elle simplement répondu, d’une voix douce, comme pour ne pas éveiller les soupçons de l’espoir.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Annonces
Maintenant
Membre, Posté(e)
de ghoul Membre 159 messages
Forumeur survitaminé‚
Posté(e)
Il y a 5 heures, de ghoul a dit :

Nous avancions, imperturbables en apparence, mais le cœur serré, vers ce qui ressemblait de plus en plus à un mur implacable. Chaque pas nous rapprochait d’un système froid, arbitraire, presque mécanique. Ce n’était plus tant la crainte d’être séquestrés, ni même celle d’un renvoi immédiat qui nous habitait. Non, ce qui pesait désormais, c’était une menace plus subtile mais durable : celle de voir nos passeports irrémédiablement entachés par la PAF égyptienne.

Les agents, postés comme des gardiens de frontière invisible, procédaient à un tri silencieux. Aucun critère apparent, aucune logique perceptible. À certains, ils faisaient un simple signe de la main : passez. À d'autres, ils demandaient poliment mais fermement : donnez votre passeport, tout en les désignant du regard à un policier qui les attendait à quelques mètres, adossé à une porte latérale. Cette porte, nous le savions, menait ailleurs — vers une salle de rétention ou directement vers le retour.

Nous observions la scène, impuissants.

— Nous serons sans doute de cette catégorie-là, murmura ma fille, les yeux rivés sur les policiers.

Je n’ai pas répondu tout de suite. Le silence, parfois, vaut mieux qu’un faux espoir. Puis j’ai articulé, presque machinalement :

— Mais il reste notre ami… le voyageur. Celui de la file. Peut-être qu’avec lui…

Elle m’a regardé sans ciller. Son visage était calme, mais son regard trahissait une lucidité presque cruelle.

— Peut-être… a-t-elle simplement répondu, d’une voix douce, comme pour ne pas éveiller les soupçons de l’espoir.

Mon nouvel ami, traînant derrière lui sa petite famille, arriva enfin au purgatoire — ce poste-frontière absurde où les espoirs se brisent aussi vite que les illusions se forment. C’était l’épreuve ultime, celle que chacun redoutait en silence. Pour sa femme et ses enfants, tout se passa comme dans un rêve tranquille : ils glissèrent à travers le contrôle comme un filet d’eau pure sur les cascades d’Iguazú. Pas une question, pas un regard de travers.

Mais pour lui, le chef de famille, le meneur, l’éclaireur de notre petit groupe solidaire, le destin avait réservé une tout autre scène. À peine son passeport feuilleté que l’impensable tomba : il fut sommé de suivre un agent vers le poste de police. D’un ton sec et mécanique, la dame de la PAF lui fit signe. Pas un mot d’explication, pas une once d’empathie.

Il resta figé un instant, l’air hébété. Puis il tenta le tout pour le tout : il gesticula, tenta de convaincre, les yeux implorants. Il passa du français à l’anglais, de l’anglais à l’arabe. Il pria, jura, supplia. Il en vint presque à se mettre à genoux, ses mains jointes comme s’il implorait le ciel lui-même.

Mais la dame de la PAF, imperturbable, demeurait de glace. Inflexible. Hermétique. Aussi dure et muette qu’un bloc de béton. Elle ne bronchait pas, ne cillait même pas. Elle avait ce regard vide, celui des fonctionnaires qui ont vu trop d’âmes passer pour encore s’émouvoir.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, Posté(e)
de ghoul Membre 159 messages
Forumeur survitaminé‚
Posté(e)
il y a 10 minutes, de ghoul a dit :

Mon nouvel ami, traînant derrière lui sa petite famille, arriva enfin au purgatoire — ce poste-frontière absurde où les espoirs se brisent aussi vite que les illusions se forment. C’était l’épreuve ultime, celle que chacun redoutait en silence. Pour sa femme et ses enfants, tout se passa comme dans un rêve tranquille : ils glissèrent à travers le contrôle comme un filet d’eau pure sur les cascades d’Iguazú. Pas une question, pas un regard de travers.

Mais pour lui, le chef de famille, le meneur, l’éclaireur de notre petit groupe solidaire, le destin avait réservé une tout autre scène. À peine son passeport feuilleté que l’impensable tomba : il fut sommé de suivre un agent vers le poste de police. D’un ton sec et mécanique, la dame de la PAF lui fit signe. Pas un mot d’explication, pas une once d’empathie.

Il resta figé un instant, l’air hébété. Puis il tenta le tout pour le tout : il gesticula, tenta de convaincre, les yeux implorants. Il passa du français à l’anglais, de l’anglais à l’arabe. Il pria, jura, supplia. Il en vint presque à se mettre à genoux, ses mains jointes comme s’il implorait le ciel lui-même.

Mais la dame de la PAF, imperturbable, demeurait de glace. Inflexible. Hermétique. Aussi dure et muette qu’un bloc de béton. Elle ne bronchait pas, ne cillait même pas. Elle avait ce regard vide, celui des fonctionnaires qui ont vu trop d’âmes passer pour encore s’émouvoir.

C’était fini. Le mur était là, infranchissable. Et notre ami, brisé mais digne, se laissa conduire, pendant que sa femme, les larmes aux yeux, regardait la scène sans pouvoir intervenir. Une injustice de plus, dans ce théâtre cruel qu’est la frontière.

Un regard 
 lourd de sens, s’échangea entre moi et ma fille. Plus besoin de mots. Ce qui venait de se produire balayait nos derniers fragments d’espoir. La scène avait été trop brutale, trop claire : l’arbitraire venait encore une fois d’avoir le dernier mot. Alors, en silence, nous avons pris notre décision. Il n’était plus question de résister, ni de tenter de parlementer avec des sourds-muets institutionnalisés, aussi indifférents qu’un automate bien huilé.

Je remis mon sac à dos sur mes épaules, comme un dernier geste de dignité, le seul qu’il me restait à opposer à cette farce tragique. Ma fille, elle, traînait son cabas d’un geste las, mais dans ses yeux brillait une lueur farouche. Avant de tourner les talons, elle lança un regard meurtrier en direction du pupitre, vers cette dame de béton qui, sans un mot, venait de briser une vie, un plan, un rêve.

Nous nous sommes approchés de la grande porte de l’Office, là où un mastodonte en uniforme, véritable mur humain, faisait office de cerbère. Il prit nos passeports, les feuilleta

lentement, nous détailla du regard comme pour s’assurer de notre insignifiance, puis désigna un coin vide.


Il n’y avait ni chaise, ni banc, ni même une once d’accueil. Juste un bout de mur décrépit. Nous avons eu la chance — ou la résignation — de nous y adosser, comme d’autres l’auraient fait dans une cour de prison. Autour de nous, d’autres Algériens attendaient, debout, fatigués, silencieux. Tous piégés dans cette salle d’attente sans fin, entre le néant administratif et l’humiliation rampante.

Une heure s’écoula. Puis deux. Enfin, un officier sortit de sa guérite, une liasse de passeports à la main. Il commença à appeler des noms. Les visages, les oreilles se tendaient. L’un repartait avec un soupir de soulagement, l’autre avec les yeux baissés, refoulé.

Mais notre tour tardait à venir.

Mon nouvel ami, lui, ne tenait plus en place. On aurait dit un lion en cage. Il errait d’un coin à l’autre, accostant chaque uniforme, chaque badge, chaque regard fuyant. Il parlait, suppliait, tentait de comprendre, d’expliquer. Rien à faire. Il se heurtait, inlassablement, à ce mur de silence bureaucratique, froid et inébranlable.
Il était devenu l’ombre de lui-même, vidé, presque fou. Et nous, assis contre ce mur, nous assistions impuissants à ce naufrage

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, Posté(e)
de ghoul Membre 159 messages
Forumeur survitaminé‚
Posté(e)
Il y a 18 heures, de ghoul a dit :

C’était fini. Le mur était là, infranchissable. Et notre ami, brisé mais digne, se laissa conduire, pendant que sa femme, les larmes aux yeux, regardait la scène sans pouvoir intervenir. Une injustice de plus, dans ce théâtre cruel qu’est la frontière.

Un regard 
 lourd de sens, s’échangea entre moi et ma fille. Plus besoin de mots. Ce qui venait de se produire balayait nos derniers fragments d’espoir. La scène avait été trop brutale, trop claire : l’arbitraire venait encore une fois d’avoir le dernier mot. Alors, en silence, nous avons pris notre décision. Il n’était plus question de résister, ni de tenter de parlementer avec des sourds-muets institutionnalisés, aussi indifférents qu’un automate bien huilé.

Je remis mon sac à dos sur mes épaules, comme un dernier geste de dignité, le seul qu’il me restait à opposer à cette farce tragique. Ma fille, elle, traînait son cabas d’un geste las, mais dans ses yeux brillait une lueur farouche. Avant de tourner les talons, elle lança un regard meurtrier en direction du pupitre, vers cette dame de béton qui, sans un mot, venait de briser une vie, un plan, un rêve.

Nous nous sommes approchés de la grande porte de l’Office, là où un mastodonte en uniforme, véritable mur humain, faisait office de cerbère. Il prit nos passeports, les feuilleta

lentement, nous détailla du regard comme pour s’assurer de notre insignifiance, puis désigna un coin vide.


Il n’y avait ni chaise, ni banc, ni même une once d’accueil. Juste un bout de mur décrépit. Nous avons eu la chance — ou la résignation — de nous y adosser, comme d’autres l’auraient fait dans une cour de prison. Autour de nous, d’autres Algériens attendaient, debout, fatigués, silencieux. Tous piégés dans cette salle d’attente sans fin, entre le néant administratif et l’humiliation rampante.

Une heure s’écoula. Puis deux. Enfin, un officier sortit de sa guérite, une liasse de passeports à la main. Il commença à appeler des noms. Les visages, les oreilles se tendaient. L’un repartait avec un soupir de soulagement, l’autre avec les yeux baissés, refoulé.

Mais notre tour tardait à venir.

Mon nouvel ami, lui, ne tenait plus en place. On aurait dit un lion en cage. Il errait d’un coin à l’autre, accostant chaque uniforme, chaque badge, chaque regard fuyant. Il parlait, suppliait, tentait de comprendre, d’expliquer. Rien à faire. Il se heurtait, inlassablement, à ce mur de silence bureaucratique, froid et inébranlable.
Il était devenu l’ombre de lui-même, vidé, presque fou. Et nous, assis contre ce mur, nous assistions impuissants à ce naufrage

L’officier réapparut enfin, une nouvelle liasse de passeports en main. Son arrivée provoqua un brusque mouvement de foule : les passagers, fébriles, se ruèrent vers lui comme des naufragés agrippant une bouée. Les visages étaient tendus, les regards pleins d’une espérance usée. Dans cette cohue, chacun cherchait à percer la foule du regard, à identifier la couleur familière de son propre passeport, à deviner son sort au moindre geste de l’officier.

Moi, ma fille, et quelques autres restions en retrait, adossés au mur comme des ombres invisibles. Nous ne participions plus à cette ruée vers l’éventuelle délivrance. L’espoir s’était effiloché au fil des heures, remplacé par une lassitude muette, une résignation sourde. On n’attendait plus rien. Ni la justice, ni le hasard, ni même la pitié.

Devant nous, les mains se levaient vers l’officier comme vers un prêtre distribuant des hosties, ou un fonctionnaire divin distribuant des sorts. Certains pleuraient presque en recevant leur passeport, ce précieux sésame, fruit d’années de sacrifices, d’exils, de combats et de rêves, comme s’ils recevaient enfin le diplôme de leur dignité humaine.

Et le lion — cet ami inattendu que j’avais rencontré dans cette épreuve commune, ce frère d’âme qui portait la rage digne des voyages avec sa petite famille  — eut enfin son dû. D’un bond, il s’arracha à notre petit groupe, tenant dans ses mains son précieux passeport comme un trophée. Il courut aussitôt vers la PAF, droit, fier, déterminé, prêt à affronter la dernière ligne droite vers la délivrance.

Je le suivis du regard, silencieux, avec une étrange sensation mêlée d’envie, de respect et de fatigue. Peut-être que le combat valait encore la peine. Peut-être.

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, Posté(e)
de ghoul Membre 159 messages
Forumeur survitaminé‚
Posté(e)
Le 13/07/2025 à 04:48, de ghoul a dit :

L’officier réapparut enfin, une nouvelle liasse de passeports en main. Son arrivée provoqua un brusque mouvement de foule : les passagers, fébriles, se ruèrent vers lui comme des naufragés agrippant une bouée. Les visages étaient tendus, les regards pleins d’une espérance usée. Dans cette cohue, chacun cherchait à percer la foule du regard, à identifier la couleur familière de son propre passeport, à deviner son sort au moindre geste de l’officier.

Moi, ma fille, et quelques autres restions en retrait, adossés au mur comme des ombres invisibles. Nous ne participions plus à cette ruée vers l’éventuelle délivrance. L’espoir s’était effiloché au fil des heures, remplacé par une lassitude muette, une résignation sourde. On n’attendait plus rien. Ni la justice, ni le hasard, ni même la pitié.

Devant nous, les mains se levaient vers l’officier comme vers un prêtre distribuant des hosties, ou un fonctionnaire divin distribuant des sorts. Certains pleuraient presque en recevant leur passeport, ce précieux sésame, fruit d’années de sacrifices, d’exils, de combats et de rêves, comme s’ils recevaient enfin le diplôme de leur dignité humaine.

Et le lion — cet ami inattendu que j’avais rencontré dans cette épreuve commune, ce frère d’âme qui portait la rage digne des voyages avec sa petite famille  — eut enfin son dû. D’un bond, il s’arracha à notre petit groupe, tenant dans ses mains son précieux passeport comme un trophée. Il courut aussitôt vers la PAF, droit, fier, déterminé, prêt à affronter la dernière ligne droite vers la délivrance.

Je le suivis du regard, silencieux, avec une étrange sensation mêlée d’envie, de respect et de fatigue. Peut-être que le combat valait encore la peine. Peut-être.

Les mains vides, l’officier fit demi-tour et reprit d’un pas lent le chemin de l’Office. Nous l’observions s’éloigner sans un mot, le cœur en suspens. Il resta enfermé là-bas près d’une demi-heure, pendant que, comme par enchantement, la foule autour de nous se mit peu à peu à se clairsemer. Des silhouettes fatiguées se dispersaient lentement, emportant avec elles leur lot de résignation ou de colère muette.

Puis soudain, l’officier réapparut. Cette fois, il tenait en main une nouvelle liasse de passeports, soigneusement serrée contre sa poitrine comme un trésor. Le silence se fit naturellement autour de lui, chacun retenant son souffle. Il commença à égrener quelques noms, d’une voix neutre, sans inflexion, presque mécanique.

Et puis, au milieu de cette énumération impersonnelle, j'entendis le nom de ma fille. Un frisson me traversa. Un instant, ni elle ni moi ne réagîmes. Ce nom, pourtant si familier, semblait s’être détaché du réel, flotter dans l’air chaud et lourd de tension, avant de venir nous frapper aux oreilles comme un murmure improbable. Nous nous regardâmes, incrédules, comme si nous avions mal entendu, ou peut- être rêvé.

 

Dans attendre moi et ma fille

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, Posté(e)
de ghoul Membre 159 messages
Forumeur survitaminé‚
Posté(e)

L’officier, d’une voix plus forte, reprit le nom de ma fille. Cette fois, il le projeta avec une clarté qui ne laissait plus place au doute. Comme sous l’effet d’un sortilège, ou propulsés par une énergie soudaine venue des entrailles de l’attente, nous nous sommes retrouvés devant lui en quelques secondes à peine — deux automates surgis du fond de la file, comme tirés par un fil invisible.

L’officier leva les yeux vers nous. Il détailla un instant le visage de ma fille, puis baissa les yeux vers la photo du passeport, les sourcils légèrement froncés. D’un ton abrupt, il lui demanda :

— C’est bien toi, sur ce passeport ?

Avant même qu’elle n’ait le temps d’ouvrir la bouche, je répondis à sa place, presque instinctivement, comme si je devais protéger ce moment fragile du moindre doute :

— C’est ma fille.

L’homme tourna son regard vers moi, intrigué.

— Et toi, qui es-tu ? C’est toi la fille ? lança-t-il, un brin moqueur ou simplement confus.

— Non, répondis-je calmement, je suis son père. Mon passeport se trouve juste en dessous du sien, dans la liasse que vous tenez.
 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Membre, Posté(e)
de ghoul Membre 159 messages
Forumeur survitaminé‚
Posté(e)
Le 15/07/2025 à 01:55, de ghoul a dit :

L’officier, d’une voix plus forte, reprit le nom de ma fille. Cette fois, il le projeta avec une clarté qui ne laissait plus place au doute. Comme sous l’effet d’un sortilège, ou propulsés par une énergie soudaine venue des entrailles de l’attente, nous nous sommes retrouvés devant lui en quelques secondes à peine — deux automates surgis du fond de la file, comme tirés par un fil invisible.

L’officier leva les yeux vers nous. Il détailla un instant le visage de ma fille, puis baissa les yeux vers la photo du passeport, les sourcils légèrement froncés. D’un ton abrupt, il lui demanda :

— C’est bien toi, sur ce passeport ?

Avant même qu’elle n’ait le temps d’ouvrir la bouche, je répondis à sa place, presque instinctivement, comme si je devais protéger ce moment fragile du moindre doute :

— C’est ma fille.

L’homme tourna son regard vers moi, intrigué.

— Et toi, qui es-tu ? C’est toi la fille ? lança-t-il, un brin moqueur ou simplement confus.

— Non, répondis-je calmement, je suis son père. Mon passeport se trouve juste en dessous du sien, dans la liasse que vous tenez.
 

 Eh bien, il n’est pas juste en dessous, votre passeport, dit-il avec un sourire en coin. Peut-être a-t-il décidé de voyager tout seul ?

— Impossible, répondis-je avec un air faussement offensé. Je l’ai vu partir avec sa fille, ils étaient inséparables. C’est peut-être vous qui les avez fâchés en les séparant…

Il esquissa un rictus, puis reprit sa fouille, cette fois un peu plus vite. Enfin, il mit la main sur le document tant recherché.

— Ah, le voilà, le fugitif ! dit-il en le brandissant. Vous voyez ? Il se cachait sous les papiers des Turcs. Il a peut-être changé de nationalité entre-temps !

— Il est malin, dis-je, l’air grave. Il sait que voyager avec moi, ça n’ouvre pas beaucoup de portes...

Un rire étouffé s’échappa de l’officier, malgré lui. Il me tendit le passeport.

— Bon, le père et la fille sont réunis. Essayez de ne plus vous perdre d’ici la sortie, d’accord ? Parce que moi, je ne fais pas le service après-vente.

Je pris les deux passeports, légèrement soulagé. Ma fille, elle, n’osait toujours pas sourire. Elle avait peur qu’un éclat de joie trop tôt ne casse ce moment suspendu. Moi, j’avais déjà décidé que cette histoire allait devenir une légende familiale.


 

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Annonces
Maintenant

Rejoindre la conversation

Vous pouvez publier maintenant et vous inscrire plus tard. Si vous avez un compte, connectez-vous maintenant pour publier avec votre compte.

Invité
Répondre à ce sujet…

×   Collé en tant que texte enrichi.   Coller en tant que texte brut à la place

  Seulement 75 émoticônes maximum sont autorisées.

×   Votre lien a été automatiquement intégré.   Afficher plutôt comme un lien

×   Votre contenu précédent a été rétabli.   Vider l’éditeur

×   Vous ne pouvez pas directement coller des images. Envoyez-les depuis votre ordinateur ou insérez-les depuis une URL.

Chargement
×