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Affaire Bennacer : l'appel de 136 personnalités contre la « présomption de culpabilité »

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menon

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Membre, 127ans Posté(e)
menon Membre 10 271 messages
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Sur l'initiative de la philosophe Sabine Prokhoris, une centaine d'artistes, dont Charlotte Gainsbourg et Fanny Ardant, s'insurgent dans une tribune contre la « mise au pilori » de l'acteur des « Amandiers ».

Quelques jours à peine après sa sortie cependant, la presse fit bruyamment état d'une plainte visant le jeune acteur qui en tient un des rôles titres, Sofiane Bennacer, pour viol et autres comportements violents sur la personne d'une ex-compagne, à laquelle d'autres jeunes femmes avaient joint leurs voix : elles aussi disaient avoir été les « victimes » de la brutalité supposée du jeune homme.

Du jour au lendemain, ce fut la curée, le journal Libération donnant à ce qu'il faut bien appeler un lynchage médiatique en règle un caractère particulièrement spectaculaire : en pleine page de sa une, s'étalait une photo du jeune homme, visage de psychopathe, et du sang sur les doigts. Accompagnant cette image coup de poing, cette manchette : « Les victimes parlent ». Suivaient plusieurs pages, qui outre Sofiane Bennacer par la bouche de ses accusatrices, mettaient en cause la réalisatrice, coupable de n'avoir pas renoncé à le faire jouer dans son film et d'avoir « imposé » sa présence (toxique sans doute) au reste de l'équipe.

L'effet immédiat de ces accusations publiques ne se fit pas attendre : le public déserta les salles qui projetaient Les Amandiers, certaines le déprogrammèrent. Sofiane Bennacer fut séance tenante exclu de la liste des jeunes espoirs pour les César, dont le bureau publia par la suite un communiqué surréaliste érigeant en principe la présomption de culpabilité.

Que nous démontre tout cela ?

Que pour l'opinion, Sofiane Bennacer est coupable, et Valeria Bruni-Tedeschi complice, donc tout aussi coupable. L'un et l'autre, d'après les commentaires lus dans la presse, qui reprend sans guère de recul une incrimination brumeuse désormais banalisée, auraient commis leurs abus de pouvoir en tant que fauteurs d'« emprise »

Pourquoi cet emballement ne nous paraît-il pas admissible ?

Le viol est un crime. La loi reconnaît la qualification de viol conjugal.

Or précisément parce qu'il s'agit d'un crime, c'est à la justice, dès lors qu'elle est saisie, de prononcer – ou non – la culpabilité. Cela dans le respect des règles de la procédure pénale : respect de la présomption d'innocence, qui stipule qu'un accusé est réputé innocent tant que sa culpabilité n'a pas été prononcée au terme d'un procès équitable ; respect du secret de l'instruction, garantie de la sérénité future des débats ; exigence d'un débat contradictoire dans le respect égal des droits de la défense et de ceux de l'accusation ; principe selon lequel le doute doit bénéficier à l'accusé, afin de se prémunir autant que faire se peut de l'erreur judiciaire ; individualisation des peines – si peine il y doit y avoir.

Que l'institution judiciaire – non point dans ses principes, que nous venons d'énoncer, mais dans leur mise en œuvre – puisse se montrer imparfaite, et surtout trop lente, certes. Qu'elle ait sans doute, pendant trop longtemps, eu tendance à minimiser les infractions sexuelles, en discréditant a priori la parole des plaignantes, c'est certain. Il est cependant indéniable qu'il y a eu sur ce point de réelles évolutions, même si des progrès restent à faire. De surcroît, les infractions sexuelles reconnues sont très sévèrement sanctionnées.

Il reste que la justice est faillible – au détriment parfois des accusés d'ailleurs, l'histoire poignante de Farid E., réhabilité au bout de vingt ans, l'a récemment démontré.

Ces défaillances – qu'il faut à l'évidence critiquer et chercher à amender – justifient-elles que nous tolérions de voir ruiner les fondements démocratiques de l'état de droit ? Nous ne le pensons pas.

Fussent-elles multiplement portées, des accusations publiques invalident-elles la présomption d'innocence et les droits de tout accusé ? Nous ne le pensons pas.

Contester que l'on puisse s'affranchir de ces règles communes est-ce vouloir bâillonner les plaignantes ? Nous ne le pensons pas.

Est-il légitime que, au nom du « devoir d'informer » et de la défense d'une cause, si noble soit-elle, la presse traite des allégations comme des preuves, et ce faisant prononce sans autre forme de procès la culpabilité d'un mis en cause ? Nous ne le pensons pas.

Est-ce que le pilori (ici médiatique), peine afflictive et infamante d'Ancien Régime – qui ne s'appliquait du reste qu'à des personnes condamnées par la justice, non à des accusés –, est un progrès dans la civilisation, et fait avancer la cause des femmes ? Nous ne le pensons pas.

Devons-nous étourdiment valider l'usage galvaudé de la notion d'emprise, brandie n'importe comment en guise d'explication probante de l'évidente culpabilité des « prédateurs » et des « puissants » ? Nous ne le pensons pas.

Est-il honorable que, sous la pression de ce tintamarre accusatoire confus, les jeunes acteurs – à l'exception notable de l'un d'entre eux, Vassili Schneider (1) – ne jugent pas (plus ?) opportun de défendre leur propre travail dans un film, reniant ainsi ce qu'ils ont donné d'eux-mêmes avec tant de justesse sensible, et ce qu'ils ont reçu ? Nous ne le pensons pas.

Pouvons-nous consentir à ce qu'une œuvre de l'esprit – que nul n'est obligé d'apprécier, ce n'est pas la question – fasse, en conséquence d'une campagne de presse tapageuse et irresponsable, l'objet d'une censure de fait ? Nous ne le pensons pas.

Pour toutes ces raisons, nous apportons notre plein soutien à Valeria Bruni-Tedeschi – et à son film, Les Amandiers ; nous déplorons que Sofiane Bennacer se trouve d'office décrété coupable, hors jugement dans une enceinte judiciaire. Nous défendons ses droits, et nous nous élevons contre l'exécution publique dont il est aujourd'hui l'objet sans défense. Une mise à mort sociale de toute façon illégitime, car quand bien même serait-il un jour déclaré coupable, pareille cruauté n'appartient pas à l'arsenal d'une échelle civilisée des sanctions et des peines. Et si son innocence est reconnue, la lettre écarlate – la marque d'infamie qui l'aura un jour désigné comme « violeur » – ne s'effacera pas pour autant.

Nous mettons aussi en garde : la défense des femmes est une affaire trop sérieuse pour être laissée aux mains d'une doxa activiste – relayée par une sphère médiatique obnubilée par les effets de buzz. À terme, pareil dérèglement menace le féminisme, et la société tout entière dans ses idéaux d'égalité et de justice pour tous. Ces idéaux sont notre bien à tous. Ils sont difficiles à mettre en œuvre, et leurs acquis – à commencer par les principes de l'état de droit, conquis au cours d'une longue histoire – ne sont pas, à nos yeux, négociables. Ils demeurent fragiles – cette affaire, à la suite de nombre d'autres, nous en avertit. Ils n'en sont que plus précieux.

« Il fallut les échafauds de la Révolution pour faire reculer l'idée révolutionnaire », nota jadis Clemenceau. Méditons cette phrase. Et refusons les échafauds, et les crachats.

* Les signataires de la tribune :

https://www.lepoint.fr/debats/affaire-sofiane-bennacer-halte-a-la-presomption-de-culpabilite-18-01-2023-2505346_2.php

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Membre, 🇪🇺, 🏳️‍🌈, 💻, 🐺, 🦂, Posté(e)
Jim69 Membre 19 604 messages
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Je te jure sur la vie de ma mère que j’ai rien fait !

  • Waouh 1
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