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Un peuple accoutumé à vivre sous l'autorité d'un Prince conserve difficilement sa liberté...

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Exo7

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Exo7 Membre 874 messages
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Un peuple accoutumé à vivre sous l'autorité d'un Prince conserve difficilement sa liberté, si par hasard il devient libre.

 

Combien il est difficile, pour un peuple accoutumé à vivre sous l'autorité d'un prince, de conserver la liberté qu'il a acquise par hasard, comme il advint de Rome après l'expulsion des Tarquins, c'est ce que démontre une infinité d'exemples qu'on lit dans l'histoire ancienne. 

Une telle difficulté est compréhensible. Le peuple ressemble à une bête brute, qui, bien que féroce et sauvage par nature, a été constamment maintenue en prison et en servitude ; après qu'elle a été lâchée par hasard dans la campagne, n'étant pas habituée à trouver sa pâture et un refuge, elle devient la proie du premier qui cherche à l'enchaîner de nouveau.

Il arrive la même chose à un peuple qui, habitué à vivre sous l'autorité d'autrui, incapable de décider en matière de défenses et d'offenses publiques, ne connaissant pas les princes et n'étant pas connu d'eux, retombe bientôt sous un joug souvent plus lourd que celui dont il s'était débarrassé. 

Il se retrouve dans la difficulté, bien qu'il ne soit pas corrompu. Un peuple totalement gagné par la corruption ne peut, en effet, vivre libre un seul instant, comme on le dira ci-dessous. Aussi notre discours s'applique-t-il aux peuples où la corruption n'est pas totale et où il reste plus de bon que de pourri.

 

A la difficulté susdite s'en ajoute une autre : Un Etat devenu libre se fait de grands ennemis et non de grands amis. Tous ceux qui bénéficiaient de la Tyrannie en se nourrissant des richesses du prince deviennent ses grands ennemis. Privés de leurs avantages, ils ne peuvent être satisfaits et sont tous contraints de tenter de recréer la tyrannie, pour retrouver leur pouvoir.

Cet Etat, comme je l'ai dit, ne se fait pas de grands amis, parce qu'un régime libre distribue charges et profits en fonction de raisons honnêtes et précises, et, hors cela, ne récompense ni n'honore personne. Lorsque quelqu'un obtient les charges et les profits qu'il croit mériter, il ne se sent en rien obligé envers celui qui le récompense. En outre, nul n'apprécie , tant qu'il en jouit, le bénéfice qu'apporte la liberté : jouir librement et sans aucune crainte de ses biens, ne craindre ni pour l'honneur de sa femme et de ses enfants, ni pour soi-même. Personne, en effet, ne s'avouera l'obligé de ceux qui ne l'attaquent pas.

 

Comme on l'a dit ci-dessus, un Etat devenu libre a de grands ennemis et non de grands amis. Pour remédier aux inconvénients et aux désordres que les difficultés susdites peuvent apporter, il n'est pas de remède plus puissant, plus valable, plus sûr et plus nécessaire que de tuer les fils de Brutus (Junius Brutus). Comme l'histoire le montre, ceux-ci furent poussés avec d'autres Romains à conjurer contre leur patrie, parce qu'ils ne pouvaient jouir sous les consuls des avantages extraordinaires dont ils bénéficiaient sous les rois.

Ainsi la liberté populaire semblait-elle être devenue pour eux un esclavage. Ceux qui prennent en charge le gouvernement d'un peuple par la voie républicaine ou monarchique et ne s'assurent pas de ceux qui leur sont hostiles créent un Etat peu durable. Je regarde - il est vrai - comme malheureux les princes qui, pour assurer leur position, doivent employer des mesures extraordinaires, alors que le peuple leur est hostile. Car celui qui a le peuple pour ennemi ne s'assure jamais ; plus il use de cruauté, plus son pouvoir s'affaiblit. De sorte que le meilleur remède qu'il ait est de chercher à se concilier l'amitié du peuple.

 

Bien que mon propos soit éloigné du précédent, parlant ici d'un prince et là d'une république, cependant, pour ne pas avoir à revenir sur le sujet, je veux en parler un instant. 

Si un prince veut donc se gagner un peuple qui lui est hostile, (pour parler des princes qui sont devenus des tyrans de leur patrie), je pense qu'il doit d'abord examiner ce que le peuple désire. Il trouvera qu'il désire deux choses : l'une, se venger des responsables de sa servitude ; l'autre, recouvrer sa liberté. 

Au premier désir, le prince peut totalement satisfaire ; au second, partiellement. Quant au premier cas, il y a un exemple adéquat. Cléarque tyran d'Héraclée, étant en exil, il advint que, du fait d'un conflit né entre le peuple et les optimates d'Héraclée, ceux-ci se trouvant en état d'infériorité se décidèrent à soutenir Cléarque. S'étant concertés, ils l'appelèrent à Héraclée contre le souhait du peuple, qui se trouva privé de sa liberté. Placé entre l'insolence des optimates, qu'il ne pouvait supporter d'avoir perdu sa liberté, Cléarque décida de se débarrasser du poids des grands et de se gagner le peuple.

Saisissant l'occasion favorable, il tailla en pièces tous les optimates, à la grande satisfaction des gens du peuple. Il satisfit aussi à l'une des envies du peuple, la vengeance. Mais, quant à son autre désir, de recouvrer la liberté, ne pouvant y satisfaire, le prince doit examiner les causes qui le suscitent. Il trouvera qu'une partie du peuple souhaite être libre pour commander ; l'autre vivre en sûreté.

Dans toutes les républiques, en effet, quelles que soient leurs institutions, il n'est pas plus de quarante ou cinquante citoyens qui atteignent aux postes de commandement. Comme ce nombre est réduit, il est aisé de s'en assurer, soit en les supprimant, soit en leur accordant des charges conformes à leur condition et pouvant les contenter. 

Les autres, à qui il suffit de vivre en sûreté, sont aisément satisfait si l'on prend des dispositions et fait des lois qui assurent la puissance du prince et la sûreté générale. Si un prince se comporte ainsi et si le peuple voit qu'en aucune occasion il ne contrevient à ces lois, alors il peut vivre heureux et content.

Le royaume de France en est un exemple. La sûreté de celui-ci tient uniquement au fait que les rois sont liés par un grand nombre de lois, qui garantissent la sûreté de leur peuple. Les fondateurs de cet Etat ont voulu que les rois disposent à leur gré des armées et des finances, mais qu'ils ne puissent disposer de tout le reste que conformément aux lois. 

Donc le prince ou la république qui n'assurent pas leurs bases dès le début doivent le faire à la première occasion. Celui qui la laisse passer se repent tardivement de n'avoir pas fait ce qu'il devait faire.

 

Le peuple romain, n'étant pas encore corrompu, put maintenir la liberté qu'il avait recouvrée après la mort des fils de Brutus et la disparition des Tarquins, par tous les procédés et les dispositions que l'on a dit tout à l'heure. Mais si ce peuple avait été corrompu, ni à Rome ni ailleurs on n'aurait trouvé de remède pour maintenir la liberté.

 

N. Machiavel. Discours sur la première décade de Tite-Live.

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