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Jaune


Invité soloandsolo

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Préalable:  ce texte a été écrit avec d'autres par un jeune homme ayant participé aux manifestations du mouvement social des "gilets jaunes". Il ne s'agit pas ici dans thématique littérature d'une revendication mais d'un ensemble d'émotions vécues, retranscrites, au singulier.

« Jaune » Par Samuel.

Samedi, 11h30. Comme chaque sixième jour de la semaine depuis plus d’un mois, me voilà dans le train
direction Montpellier. Le paysage défile sous mes yeux, j’ai hâte.
Ces gens me manquent toute la semaine. Enfin du lien, enfin de l’humain. Enfin de l’air en dehors du travail,
des problèmes d’argent et de moral.


Tout juste arrivé par cette fraîche matinée de décembre, je décide d’aller m’allonger sur l’herbe verdoyante de
l’esplanade Charles de Gaulle, histoire de prendre un casse-croûte et de bouquiner un peu avant de rejoindre la
manifestation qui part à 14h de la place de la Comédie.
Je mange tranquillement au bord de la fontaine, prends un café, puis m’assoupis à la lecture du dernier roman de
Paul Auster.

C’est l’heure. Le temps de me rouler une cigarette, et hop, en route.

Comme à chaque fois le contraste entre le manège monotone des clients allant au centre commercial et les manifestants qui défileront
dans quelques minutes me fait sourire. Je les contemple, les mains surchargées de vêtements de marques en soldes.

Compréhension difficile, pour ces gens qui manquent la rive de leur temps.

Je déambule sur la place de la Comédie que je vois se remplir de jaune.
Une foule finie par se regrouper pour former une masse compacte....le départ est lancé, en route
vers la préfecture. Les tambours claquent, on chante la marseillaise, les gens avancent, d’un air fier et crâneur,
insolents face à la peur. Deux mois maintenant que nous battons le pavé. Et l’euphorie est toujours palpable,
transpirante.

Nous arrivons sur la place de la préfecture. La foule se colle au cordon de CRS la protégeant : les
badauds s’étonnent, les manifestants narguent. Un déluge de grenades lacrymogènes s’abat sur la foule, sans
sommation. On court, les gens cris, les yeux piquent. L’atmosphère bon enfant du début de journée se dissipe
sous un épais brouillard de gaz.

"- Tous à la gare ! "

La foule se met confusément en marche dans la direction opposée. Elle se regroupe, chante, festoie, reprend des
forces. Les jurons et les insultes fusent pour évacuer la colère provoquée par l’intervention des policiers.
Arrivée devant la gare, un tramway passe tout à coup entre la tête du cortège et le cordon de CRS protégeant
l’entrée du bâtiment, la foule se scinde en deux et commence à dialoguer avec les forces de l’ordre. Soudain...un
gilet jaune se rend compte qu’un accès a été laissé ouvert sur le côté, donnant directement accès
aux quais et aux rails.
"- On bloque la gare ?" S’exclame t’il !
La foule répond aussitôt et investit l’intérieur de la gare, les halls s’emplissent de cris triomphants, les gens
s’agenouillent sur les rails, les mains derrière la tête, en hommage à ces lycéens de la région parisienne...

On me tape dans le dos, « Eh!  tu es venu avec des protections cette fois, c’est bien ! ». C’est Joe, un mec
rencontré à la manifestation de samedi dernier. Nous avions débattu du RIC, et sur les idées que nous pourrions
mettre en place pour rendre notre société plus démocratique. Un sourire et quelques paroles échangées... Étrange
impression que celle  de commencer à connaître ces têtes. De les revoir, d’un coup de vent futile, invisible pendant la
semaine..d’un air plein d’espoir le samedi.

Un cordon de CRS se dessine au loin sur les quais. Deux explosions retentissent, des grenades lacrymogènes....
La foule s’embrase. Tout le monde attrape les énormes pierres bardant les rails du train, cassent les caméras de
surveillances, des bombes de peintures jaunes fusent. Les détonations s’enchaînent, les gens tombent, courent, la
fumée devient irrespirable. Juste le temps de mettre mon masque de plongée et mon casque que les CRS
chargent à travers l’épais brouillard. Je sors en courant à travers la foule par l’entrée d’où nous étions venus.

Les gens sortent paniqués, la confusion règne devant la gare. Je tousse, crache, le gaz est beaucoup plus
agressif que les semaines précédentes. Je me retourne, les CRS ont repris l’entrée. Un homme passe en courant
devant moi. Il s’écroule. Un filet de sang coule et s’étale tout autour de sa tête. Un médecin au gilet jaune
accourt, sort des compresses et maintient une pression sur la blessure. L'hémorragie se répand depuis son oeil en un flot
ininterrompue. Les CRS continuent d’avancer. La foule ceinture le blessé en levant les mains en hurlant « un
blessé, un blessé, stop ! ».

Je lève à mon tour les mains. Une dizaine d’anarchistes viennent faire bouclier avec une banderole. Les
policiers arrivent à notre niveau et tirent, à bout portant, flashball et lacrymogènes. C’est l'enfer. Un homme
fait pression sur la blessure en hurlant aux autres de s’écarter. C’est Joe. La foule s’énerve derrière, et fait
pleuvoir cailloux et bout de bois pour permettre au groupe de retirer le blessé. Les pompiers arrivent, la foule
s’écarte en laissant passer le véhicule, elle l’acclame, chante et se laisse aller à une ovation impressionnante.

Tout s’enflamme, les gens arrachent les barrières et matériaux du chantier en face de la gare pour former des
barricades. Je vois passer une dame portée à bout de bras par deux jeunes, hurlant de douleur. Un autre homme,
assis sur une marche d’escalier, les mains collées sur sa tête pour contenir le sang... Encore une femme, touchée à
la tête par un flashball. Tout le monde en prend soin.

Une grenade tombe près de nous, on s’enfuit en courant. Une déflagration retentit et résonne sur les murs de la
gare. Je cours, cours..Cours à perdre haleine... Croise le regard terrorisé d’une fille cherchant elle aussi un abri. On se regroupe. S’en suit
une heure d’escarmouches jusqu’à ce que la manifestation reparte vers la préfecture.
La violence exposée dès le début réduisit le nombre de manifestants à quatre ou cinq cents personnes. En
remontant la pente de la rue de loge, tout le monde a compris que le vacarme préviendrait les CRS postés devant
la préfecture : « ChuUUUt » entend-on de partout. La foule remonte les belles terrasses des rues sinueuses, devant les
yeux des badauds médusés.

La scène est surréaliste.

Nous arrivons en face de la place de la préfecture, dont nous étions séparée par un passage devant une petite
ruelle investie par les CRS. Tout le monde veut rejoindre la place, on court pour passer devant les policiers, et
là nouveau déluge de lacrymogènes et de flashball.
Je mets du collyre dans les yeux d’un monsieur, quand je vois un gamin en première ligne entrain de jeter des
pierres sur les policiers.
Je l’attrape par le col en lui demandant ce qu’il fait là. Il me dit que son père travaille et qu’il est dehors toute la
journée. J’essaye d’engager la discussion, mais les lacrymos pleuvent et l’air devient irrespirable. A peine
ai-je eu le temps de comprendre qu’il avait 12 ans et de lui dire de rester avec moi qu’un mouvement de foule
nous sépare.

Je suffoque, et mets mon masque pour arriver à y voir et respirer. J’aperçois le petit au milieu du
brouillard, en train d’étouffer et de pleurer, je lui hurle de me suivre. Les CRS nous ont "nacé" par les deux côtés,
pour nous échapper obligation de passer devant la ruelle d’où sont tirés les artifices.

J'attrape le petit et lui dire de courir à mon signal. Il vacille à cause des gaz et ne peut plus avancer. J’enlève mon
masque, lui colle sur la tête, le soulève et le prend dans mes bras. Je le repose, j’ai oublié d’enfiler mon casque
pour me protéger des flashball provenant de la ruelle. Je le mets, reprend le gamin dans mes bras et me prépare
à franchir la « zone de tir ».

Je n’y vois plus rien. Je détale en passant devant la ruelle, je cours à m’en arracher les poumons. Nous arrivons
au bout, cette fois c’est moi qui vacille...les yeux brulants, incapable de respirer. Impossible d’ouvrir
les yeux. Je pose le petit par terre. Un commerçant m’apporte de l’eau. Je sors du collyre et en met dans les
yeux de mon protégé.
Il pleurs. Je décide de l’amener plus loin, histoire de se remettre d’aplomb. On discute. J’hallucine. Il a 12 ans et
ne va plus à l’école, son père le laisse seul toute la journée dehors. J’appelle Anna, rendez-vous est donné pour
aller boire un café derrière la préfecture. Je discute avec lui. Il s’appelle Robin, il aime bien les
mathématiques et les jeux-vidéos. La manifestation attendra, un peu d’innocence pour ce gamin.

On rejoint Anna, deux cafés et un coca pour le" petit gavroche". Anna m’offre un livre pour Noël, l’histoire de la
musique électronique en bande-dessinée. L’ouvrage est beau, ça me touche.

On rigole tous ensemble. Les gilets jaunes nous ont rejoint en terrasse le temps d’une pause, avant d’aller rejoindre
les plus déterminés qui continuent à faire face aux policiers juste derrière. Chacun s’intéresse au petit.
On blague, il rigole. Le serveur lui fait des tours de magie, ses yeux sont habités d’une vive lueur enfantine.

« Tambourine Man » de Bob Dylan résonne dans les enceintes de la terrasse.

Les CRS apparaissent au loin.

Deux détonations et des lacrymogènes roulent quelques dizaines de mètres devant nous. Les badauds quittent la
placette en panique. Nous les suivons. Nos yeux piquent. Anna est choquée par l’agressivité des policiers et
par la douleur du gaz lacrymogène. On descend quelques rues, un peu de collyre dans les yeux pour tout le
monde et nous quittons Anna.

Je décide de ramener Robin chez son père. On discute beaucoup sur la route. Je fais un détour par la FNAC pour
acheter mes livres de géographie. ArrivéS au rayon livre je lui dis de choisir un cadeau de Noël, pourvu que ce
soit un livre.

Il me ramène un Superman. Un super-héros, il a bien raison ce gamin.

On part du magasin. Sur le retour il me parle de son frère en prison, de son enfance en foyer. Je ne pourrais rien
faire de plus, j’essaye de lui donner des clefs, de lui dire de se raccrocher à l’école. Il me dit que son père trouve
que ça sert à rien l’école. Je lui donne des conseils. J’espère qu’il s’en sortira.
On arrive devant chez lui. Je le laisse, lui dit de se préserver. Mais surtout de rester encore quelques temps
simplement enfant.

Le retour est lunaire. Je suis perdu dans mes pensées et dans les évènements.
Seule certitude, l’histoire est en marche. Nous ne reviendrons plus jamais à l’état précédent

______________________________________________________________________

Commentaire de ma part : sentiment de déréliction.

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Le 30/03/2019 à 19:40, soloandsolo a dit :

j’ai hâte.
Ces gens me manquent toute la semaine. Enfin du lien, enfin de l’humain. Enfin de l’air en dehors du travail,
des problèmes d’argent et de moral.

C'est exactement ça .. et c'est aussi cela que personne ne comprend , surtout pas le gouvernement !

Espérons que ce mouvement dure encore et encore, rien que pour cette raison là tout au moins, c'est peut être ça "la fin du monde sans coeur" annoncée, et l'arrivée d'un "nouveau monde plus humain" !!!

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Invité sera-angel
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Là ce sont des images de guerre ! mais pas à armes égales :( 

Ma vision de ce mouvement des Gilets Jaunes :

Le vrai peuple , la partie la plus importante du peuple, celle qui trime pour des cacahuètes, la partie profondément humaine tournée vers le mystère de cette société pourrie, est EN MARCHE comme le lui a inspiré le parti du président. Ils sont dépouillés de tout, et n'ont rien à perdre.  Une vraie marche , pas seulement un titre pompeux . C'est à la fois un modèle et un avertissement.  Il a quelque chose à enseigner ce peuple, et en même temps il avertit du péril qu'il comporte.

Ces gens sont arrivés au bout du chemin, ils ont fait le tour des choses, et n'arrivent plus à comprendre, à accepter, ils ne voient plus d'évolution possible. Ils n'ont plus d'autre choix que de se mettre en route, de cesser de rester immobiles et statiques. Ils sont entrés en pèlerinage, ils se sont mis en marche  même au risque de n'être pas compris. Ils veulent juste changer leur vie, transformer enfin leur façon d'être et de subir.  Tout vaut mieux que l'inertie.

Ils voient en ce mouvement une résurrection .. ils l'espèrent tout au moins. Ils se réveillent enfin, ceux qui se faisaient traiter de "moutons endormis".Ils n'ont plus que leur fierté , leur dignité, les dernières choses qu'on veut encore leur enlever. Ils ont pris conscience des potentialités qu'il leur reste à mettre en oeuvre encore (défendre cette dignité et cette fierté, car c'est la dernière chose qui fait d'eux des HOMMES.)

La trompette a résonné ! L'heure a sonné ! Ils se battent avec les outils qui sont les leurs, dans l'environnement qui est le leur, ils sont déterminés, courageux, et c'est leur dernière lueur d'espoir qu'ils jouent là. Ils veulent être entendus par le coeur , non pas par les oreilles pleines de merde. Ils demandent juste la compréhension !!!! Le message se fait entendre jusqu'aux 4 coins de l'univers, et la lumière jaune veut gagner et sortir des ténèbres.

Ce combat les ravive, les guérit, les vivifie, leur apporte une autre orientation enfin, une nouvelle jeunesse, une nouvelle vision des choses. C'est la métamorphose, toutes ces chenilles qui deviennent papillon.

Leurs consciences se sont libérées de ce monde mesquin, il est devenu un foyer relationnel, jetant une passerelle vers un monde qui impliquera et intégrera l'individu dans une communauté indissoluble, fraternelle, où chaque être se sentira engagé et responsable. 

Respect à eux vraiment ! (et c'est au moins le minimum qu'on leur doit)

 

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landbourg Membre 2 515 messages
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il y a 27 minutes, sera-angel a dit :

Là ce sont des images de guerre ! mais pas à armes égales :( 

Ma vision de ce mouvement des Gilets Jaunes :

Le vrai peuple , la partie la plus importante du peuple, celle qui trime pour des cacahuètes, la partie profondément humaine tournée vers le mystère de cette société pourrie, est EN MARCHE comme le lui a inspiré le parti du président. Ils sont dépouillés de tout, et n'ont rien à perdre.  Une vraie marche , pas seulement un titre pompeux . C'est à la fois un modèle et un avertissement.  Il a quelque chose à enseigner ce peuple, et en même temps il avertit du péril qu'il comporte.

Ces gens sont arrivés au bout du chemin, ils ont fait le tour des choses, et n'arrivent plus à comprendre, à accepter, ils ne voient plus d'évolution possible. Ils n'ont plus d'autre choix que de se mettre en route, de cesser de rester immobiles et statiques. Ils sont entrés en pèlerinage, ils se sont mis en marche  même au risque de n'être pas compris. Ils veulent juste changer leur vie, transformer enfin leur façon d'être et de subir.  Tout vaut mieux que l'inertie.

Ils voient en ce mouvement une résurrection .. ils l'espèrent tout au moins. Ils se réveillent enfin, ceux qui se faisaient traiter de "moutons endormis".Ils n'ont plus que leur fierté , leur dignité, les dernières choses qu'on veut encore leur enlever. Ils ont pris conscience des potentialités qu'il leur reste à mettre en oeuvre encore (défendre cette dignité et cette fierté, car c'est la dernière chose qui fait d'eux des HOMMES.)

La trompette a résonné ! L'heure a sonné ! Ils se battent avec les outils qui sont les leurs, dans l'environnement qui est le leur, ils sont déterminés, courageux, et c'est leur dernière lueur d'espoir qu'ils jouent là. Ils veulent être entendus par le coeur , non pas par les oreilles pleines de merde. Ils demandent juste la compréhension !!!! Le message se fait entendre jusqu'aux 4 coins de l'univers, et la lumière jaune veut gagner et sortir des ténèbres.

Ce combat les ravive, les guérit, les vivifie, leur apporte une autre orientation enfin, une nouvelle jeunesse, une nouvelle vision des choses. C'est la métamorphose, toutes ces chenilles qui deviennent papillon.

Leurs consciences se sont libérées de ce monde mesquin, il est devenu un foyer relationnel, jetant une passerelle vers un monde qui impliquera et intégrera l'individu dans une communauté indissoluble, fraternelle, où chaque être se sentira engagé et responsable. 

Respect à eux vraiment ! (et c'est au moins le minimum qu'on leur doit)

 

Oui je vois cela pendant mes samedis de manif. 

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