Une légende

Meryl Streep vivait dans le Connecticut avec son mari, le sculpteur Don Gummer, et ses quatre enfants. Elle ne s’intéressait pas vraiment à Sur La Route de Madison et, loin de Hollywood, n’avait pas vraiment réalisé qu’elle était entrée dans le monde Clint. Elle n’avait rencontré l’acteur qu’une seule fois et elle avait fini par craquer pour « Dans la ligne de Mire » et « Un monde Parfait ».

On envoya le script à Meryl Streep et le lendemain, elle acceptait le rôle. Elle toucherait 4 millions de dollars et une partie des bénéfices, mais ces dépenses seraient largement compensées par son pouvoir d’attraction sur le public féminin - et non les fans habituels de Clint -  qui serait rassuré par sa présence.

« Ca m’a étonnée qu’il veuille faire quelque chose de si émouvant, quelque chose que la plupart des acteurs auraient eu peur de faire. Et qu’il ait eu le cran de se dire qu’il allait aussi s’occuper de la mise en scène. Ca m’a vraiment étonnée, cette confiance en soi » déclara Meryl Streep.

Meryl Streep avait pris du poids pour avoir l’air plus apathique et elle avait teint ses cheveux en châtain. Ignorant la demande de Clint (qui lui avait dit que ce ne serait pas nécessaire), elle avait également travaillé pour obtenir un remarquable accent italien. L’héroïne vient de passer plus de vingt ans en Italie, donc…

Sans avoir répété, ils commencèrent à tourner la première scène. Clint ne broncha pas quand Meryl Streep prit l’accent italien. Et il ne lui donna aucune directive pendant quasiment toute la première moitié du tournage. Faisait-elle bien ce qu’il attendait d’elle ? Elle s’alarma et l’interrogea. « Tu sais, je ne dis jamais rien, sauf quand je n’aime pas. » lui dit Clint.

Toutes les sources s’accordèrent à dire que Clint et Meryl Streep s’entendirent à merveille. On pouvait lire dans les magazines « Au-delà du respect professionnel, une intense amitié est née entre les deux stars. » Dans d’autres magazines bien sûr, on trouvait des articles disant que Clint et STreep avaient transposé la liaison intense du scénario dans leurs véritables vies. Mais les deux stars se moquaient des ragots. Meryl Streep avait déclaré : « Je ne me donnerais même pas la peine de répondre. C’est comme si vous me disiez que je ne sais pas jouer. »

On ne saura jamais avec certitude ce qu’il s’est passé entre eux, mais en revanche, ce qui est sûr, c’est que Sur La Route de Madison sonna le glas de la relation entre Clint et Frances Fisher. Cette dernière avait commis l’erreur de demander le rôle de la fille de Francesca (Francesca, incarnée par Meryl Streep dans le film). Elle vénérait Meryl Streep et voulait apparaître absolument dans le film, elle réclama ensuite « n’importe quel rôle ». Clint ne lui donna pas de rôle. Alors elle insista pour venir sur le tournage, elle voulait voir Meryl Streep travailler. Elle demanda à Clint quand pourrait-elle venir ? Il lui répondit « la semaine prochaine ». Lorsque Frances Fisher arriva, Meryl Streep était déjà partie. « Oh, elle avait fini de tourner ses scènes.. » lui dit-il.

La relation entre Clint Eastwood et Frances Fisher commença à battre sérieusement de l’aile lorsque les mères et les rejetons sortirent de tous les coins. Fisher savait pour Roxanne Tunis et Amber, mais elle ne savait pas pour les deux enfants de Jacelyn Reeves. Pour couronner le tout, Clint fut confronté à une femme qui avait presque 40 ans. Elle avait été adoptée et en faisant des recherches, avait appris que Clint était son père biologique. C’était le fruit de l’amour qu’il avait laissé derrière lui, en 1953. La jeune femme était mariée à un homme riche et ne voulait pas d’argent. Elle voulait seulement connaître son père. Clint organisa un dîner qui fut chaleureux et il promit de rester en contact.

Les gens qui connaissent le mieux Clint lui attribuent l’existence d’autres familles...

Fisher essayait vainement de comprendre ce qu’il se passait tandis que Clint se comportait de façon équivoque. Si l’on en croit Schickel (le biographe autorisé de Clint Eastwood), la goutte d’eau fut la mort de Jane Brolin. Quand elle mourut des suites d’un accident de voiture, pour la première fois Frances Fisher vit Clint pleurer et il rejeta la tentative de Frances de le consoler.

Quelques temps après les funérailles de Brolin, Frances Fisher découvrit dans un tabloïd une photo de Clint en compagnie d’une jeune femme nommée Dina Ruiz, blottis l’un contre l’autre.

Clint assista à la première de Sur La Route de Madison sans Frances Fisher et c’est également seul qu’on le vit cette année-là à la remise du prix Irving Thalberg (prix honorifique portant le nom du célèbre producteur des années 30). Ce fut Arnold Schwarzenegger qui lui remit la récompense.

Quand un journaliste lui demanda s’il était toujours avec Frances Fisher, il répondit d’un ton sec : « Je ne suis avec personne. »

Clint conclut avec Frances Fisher un accord minutieusement négocié. Une maison, des versements réguliers, le contrat stipulait que cela prendrait fin à la mort de Clint, pacte conçu de la même façon avec toutes les autres femmes, pour éviter qu’elles ne parlent à la presse.

La somme régulièrement versée variait en fonction des femmes. Pour les cas d’urgence, Clint pouvait lui-même apporter des sacs en papier plein de liquide. Mais il exigeait que les mamans remboursent ces avances jusqu’au dernier centime. Les économies de budget pour les mères et les enfants étaient aussi sacro-saintes que celles des budgets des fims Malpaso.

Malgré les câlins et les changements de couche que l’on disait que Clint faisait après chaque bébé, sur le long terme, la vérité était bien différente. Les mères et les enfants étaient livrés à eux-mêmes. Les enfants ne voyant leur père que très irrégulièrement.

Tous les enfants illégitimes de Clint Eastwood sont couchés sur son testament. Le plus gros de sa fortune irait néanmoins à Kyle et Alison.

Le monde de Clint

En 1995, Clint demanda Dina Ruiz en mariage. Certains membres de la presse commencèrent à remettre en question la légende de Clint. Les tabloïds déchaînés furent trainés en justice par l’acteur. Clint l’emporta et empocha 150 000 dollars, reversés à des œuvres caritatives.

Clint épousa Dina Ruiz en tout petit comité et ils partirent en lune de miel. Malgré toute la protection dont il s’entoura, les tabloïds réussirent à arracher photo ou rumeur. Ce qui avait été dévoilé comme une énième liaison de l’acteur était devenu le mariage de l’année !

Clint fut récompensé par le Life Achievement Award de l’American Film pour Sur La Route de Madison. Après une telle consécration, même si ce n’était pas un Oscar, « Les Pleins Pouvoirs » semblait un titre tout particulièrement approprié pour la prochaine production de Clint.

Les Pleins Pouvoirs fut tourné au mois de juin et juillet, dans le plus pur style rapide et efficace de Clint, qui, d’après Army Arched, termina dix-sept jours avant la date prévue et bien en dessous du budget.

En septembre 1996, Clint retourna devant les tribunaux pour affronter, de nouveau, Sondra Locke. L’ex-compagne de Clint, qui s’était remise de son cancer, avait passé trois ans à la Warner à tenter en vain de persuader les dirigeants de développer ne serait-ce qu’une histoire ou idée sur la trentaine de projets qu’elle leur avait proposés. Déçue et irritée, l’actrice avait porté plainte contre le studio, à qui elle reprochait de l’avoir trompée en lui faisant signer un contrat de réalisatrice, à la demande de Clint, sans avoir la moindre intention de l’honorer.

Locke avait découvert que Clint n’était pas pour rien dans ses ennuis et donc elle avait également décidé d’attaquer la star, à qui elle réclamait 2 millions de dollars de dommages. Certains proches de Locke tentèrent de la dissuader, il était fort dangereux de s’attaquer à la Warner Brothers et quant à Clint, ses avocats la détruiraient une nouvelle fois à la barre.

Pendant deux semaines les témoins furent entendus. Locke expliqua avec émotion comment l’acteur, considéré par tout le monde comme un homme chaleureux, généreux, loyal, etc. avait manœuvré pour la berner.

Clint avoua que c’était bien lui qui avait payé à Locke le million et demi de dollars que lui devait la Warner pour son contrat de trois ans. Mais il affirma : « Je n’ai jamais essayé de tromper qui que ce soit. Je n’ai jamais cherché à les décourager de faire des films avec Sondra Locke. »

Malheureusement pour lui, la fin du procès approchant, le jury était nettement en faveur de Sondra Locke. Ses avocats et amis firent pression : qu’il s’arrange à l’amiable, il passerait pour un homme généreux !

Le matin où les jurés allaient commencé leur deuxième jour de délibération, tout le monde fut surpris d’apprendre que Locke avait retirer sa plainte contre une somme dont le montant ne fut pas spécifié.

L’actrice déclara que même si elle n’avait reçu qu’un seul dollar, elle se serait estimée gagnante. Sa victoire sur Clint était celle de toutes les « petites gens », un message « clair et fort » adressé à Hollywood : « On ne peut pas faire n’importe quoi et s’en tirer impunément juste parce-qu’on est puissant. »

Clint calomnia habilement Sondra Locke et Gordon Anderson. Et il donna beaucoup d’interviews pour redorer son blason auprès du public, pour la promotion des Pleins Pouvoirs.

Les Pleins Pouvoirs et son président pervers était implicitement « anti-Clinton ». Pas aussi à l’aise qu’il ne l’était sous les précédents gouvernements, Clint critiquait parfois Clinton lorsqu’il donnait des interviews ; au moins une fois, il lança une grenade à la première dame, en déclarant : « Ce n’est pas une femme séduisante ; je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression qu’il y a un pitbull derrière elle prêt à vous mordre la jambe. »

La grossesse de Dina Ruiz fut officiellement annoncée en septembre. On pouvait lire dans la presse : « Le couple a l’air de mener une vie normale. Ils n’ont pas d’employés de maison à part une femme de ménage qui vient une fois par semaine. Ils sortent souvent pour dîner ou pour aller au cinéma. Ils lisent beaucoup. »

Clint déclarait : « Elle est plus jeune que moi, mais elle est beaucoup plus mûre que bien des femmes plus âgées qu’elle. Elle est tout simplement parfaite. Je n’ai rien à ajouter. Je suis heureux de lui être fidèle. Elle est excentrique, mais amusante, et elle a vraiment bon fond. Je n’ai jamais eu le sentiment qu’elle était là pour l’argent. »

On dit que l’accouchement de Dina Ruiz dura quarante-cinq heures. Morgan Colette Eastwood naquit le 12 décembre, un beau bébé de 3,8 kg. Un mois plus tard, Clint emmenait le bébé avec lui à l’Athletic Club de Sun Valley et le surveillait dans son landau pendant qu’il faisait ses exercices. Un mois plus tard encore, Dina Ruiz déclara que Clint  était super pour changer les couches.

Les Pleins Pouvoirs fit une sortie spectaculaire dans 2568 cinémas. Il rapporta 50 millions de dollars et ce fut décevant compte tenu du salaire de Clint et des autres stars et compte tenu du fait que 1997 fut une très bonne année pour Hollywood, au cours de laquelle trente films donnèrent de meilleurs résultats au box office. Mais comme toujours, même si quelques critiques têtus restaient indifférents à l’art de Clint Eastwood, les autres avaient depuis longtemps rejoint le clan de ses admirateurs. On put lire dans la presse que Clint était « le dernier maître de Hollywood ».

Un deuxième film de Clint sortit cette année-là. Minuit dans le Jardin du Bien et du Mal. Tout le monde s’accorde à dire que ce fut un fiasco, en partie responsable d’une année considérée « noire » pour la Warner. Il rapporta à peine 25 millions, entraînant une remise en question de la politique des dirigeants du studio et le licenciement soudain de l’un des cadres supérieurs au service marketing.

Le film suivant, Créance de Sang, fit beaucoup s’interroger Hollywood. Au casting figurait… Frances Fisher. Voulait-il recoller les morceaux ? Se donner bonne conscience ? Les deux à la fois ? Sa fille Francesca, cinq ans, apparut également à l’écran.

Au printemps 1998, l’establishment du cinéma français lui décerna un César d’honneur pour l’ensemble de sa carrière de réalisateur.

Le printemps 1999 fut marqué par la sortie de Jugé Coupable. Des critiques mitigées, et le film fut de loin le moins populaire de tous ceux qu’avait fait Clint. Space Cowboys fut jugé agréable et sans prétention. Certains s’enflammèrent en déclarant que c’était un chef-d’œuvre qui couronnait la fin d’une carrière. Quoi qu’il en soit, le public se déplaça en masse et le film rapporta 100 millions. En pleine promotion, Clint reçu un Lion d’or à la Mostra de Venise.

Créance de Sang fut boudé. Ses recettes ne dépasserait pas 26 millions. Rolling Stone et le critique Peter Travers, qui se montrait généralement clément avec Clint, se fit la voix de la plupart de ses collègues en écrivant que « depuis l’Oscar de 1992 pour Impitoyable, les mises en scène de Clint, avec quelques exceptions, avaient été moyennes, voire médiocres, voire pire ». Créance de Sang, disait Travers, avait été « bâclé et réalisé avec paresse ». Au vu de Jugé Coupable, Space Cowboys et Créance de Sang, on avait l’impression que la carrière de Clint était en train de battre de l’aile, et ce de façon assez triste.

Clint, auteur

Mais non : Clint n’était pas fini. Même s’il n’avait plus rien à  prouver, il allait viser plus haut dans le nouveau millénaire. La plupart des gens en seraient restés là et se seraient reposés sur leurs lauriers. Mais Clint Eastwood n’est pas la plupart des gens.

La première corde que Clint avait à son arc était la version cinématographique de Mystic River. A la fin du mois de septembre 2002, alors que Créance de Sang était encore à l’affiche, le cinéaste âgé de 72 ans partit en tournage à Boston, accompagné d’un casting de rêve : Sean Penn, Kevin Bacon, Tim Robbins, Laurence Fishburne…

Avec Clint, le tournage commençait à 10h30, le déjeuner était à 15h00 et la journée de travail se terminait à 20h00. On ne prenait pas de retard sur le planning et le nombre de prises était toujours minimal. Clint aimait suivre son instinct pour le placement de la caméra, et improviser, moins avec le script qu’avec l’image, en observant en général les scènes qui avaient été tournées sur un écran portable. Pour donner le signal aux techniciens et aux acteurs il ne disait pas « Action ! » mais préférait quelque chose de plus doux comme « Ok, on y va » ; les prises ne se terminaient pas par un très sec « Coupez ! » mais par un calme « Stop ».

On se faisait beaucoup d’espoirs, en mai 2003, quand Mystic River fut projeté en avant-première du Festival de Cannes. Pour beaucoup de critiques, « le sombre et puissant » Mystic River sauva le « pire festival qu’il y ait jamais eu ». On fut donc surpris que Clint rentre chez lui sans aucune récompense pendant que Elephant (tuerie de Columbine) remporta la palme d’or et le prix de la mise en scène.

Mais Mystic River était un point tournant, plus encore qu’Impitoyable, en partie parce que Clint n’y jouait pas. Il possédait les signes distinctifs « classiques » d’un film d’Eastwood – un film situé dans un univers où le mal est omniprésent, la société corrompue ou impuissante (ou les deux), et où l’individu n’a pas d’autre choix que de faire lui-même régner la loi. Pourtant, dans tous les films qui avaient précédés celui-ci, la vengeance qu’accomplissaient les personnages de Clint était justifiée et il s’arrangeait toujours pour que ce soient les méchants qui soient tués.

Pas dans Mystic River, un monde dans lequel les anges de la vengeance ne tuaient pas les bonnes personnes, où le cycle de la violence se poursuivait.

Mystic River rapporta plus de 150 millions de dollars, six nominations aux Oscars mais aucun prix pour le film à la fin, la trilogie de Tolkien raflant tout (Le seigneur des Anneaux). En revanche, Penn et Robbins gagnèrent, et ils attribuèrent leur succès à leur réalisateur.

Après ça, Steven Spielberg et Clint Eastwood discutèrent du projet « Mémoires de nos pères ». Spielberg proposa une coproduction avec ses sociétés Dreamworks et Amblin Entertainment. Depuis quelques années, l’embourbement des USA en Afghanistan et le conflit encore plus sanglant, chaotique et mal vu en Irak avaient engendré une vague de nostalgie américaine pour les histoires sur le sacrifice de ce qu’on appelait la « Greatest Generation » au cours d’une guerre plus justifiée, la Seconde Guerre Mondiale.

Dans le même temps, Clint avait déjà demandé qu’on lui écrive un autre film qui serait unique en son genre dans les annales de Hollywood et qui décrirait l’expérience des Japonais à Iwo Jima. Les deux films seraient tournés parallèlement et seraient de toute façon indissociables.

A cette époque, on aurait dit que Clint avait toujours une nouvelle carte à jouer, et la prochaine, l’as de cœur, s’intitulait Million Dollar Baby. La première version du script fit pleurer tout le monde. Hillary Swank, qui avait remporté son premier Oscar, fut rapidement choisie pour incarner Maggie et Morgan Freeman, qui s’était spécialisé dans les rôles de « vieux sage », s’imposa naturellement.

Le tournage se déroula sereinement dans les clubs de boxe de Los Angeles, au début 2004. Clint percevait ingénieusement le film non comme un film « sur la boxe », mais comme une histoire d’amour qui se déroule en périphérie de la boxe, une histoire père-fille.

Il y avait d’autres sous-entendus dans Million Dollar Baby, et ils furent à l’origine de l’une de ces controverses nationales qui ne semblaient pouvoir coller qu’à la carrière de Clint Eastwood.

Quand le film sortit dans les salles, Clint était déjà apparu comme un opposant aux droits des handicapés. Des hurlements de protestation émanèrent de la National Spinal Cord Injury Association et du groupe d’activistes Not Yet Dead. Les personnes qui s’indignaient publiquement des opinions apparemment pro-suicide assisté de Clint furent suivies même par des gens qui étaient en  général dans le camp de Clint.

Il riposta : « Il n’est pas nécessaire d’être pour l’inceste pour aller voir Hamlet ! C’est tout simplement dans l’histoire. »

La vaste majorité des critiques accordèrent néanmoins beaucoup de valeur à Million Dollar Baby…qui pourtant peinait à rapporter de l’argent. Il en rapporta après avoir remporté l’Oscar du meilleur film et meilleur réalisateur, meilleure actrice et meilleur second rôle. Et cette année-là, en face d’Aviator ou de Ray, c’était un succès époustouflant.

En mai 2005, Clint aurait 75 ans et ferait le plus grand pari de sa carrière : son double film sur la Seconde Guerre Mondiale, Mémoires de nos pères et Lettres d’Iwo Jima. La Warner qui s’était montrée réticente pour Mystic River et Million Dollar Baby avait compris la leçon et accepta de coproduire les deux films sur Iwo Jima avec Steven Spielberg.

Si Mémoires de nos Pères eut du mal à sortir la tête de l’eau, Lettres d’Iwo Jima fut considéré comme le chef-d’œuvre de Clint Eastwood.

Cette même année 2007, en France, le président Jacques Chirac décora Clint Eastwood de la légion d’honneur. En novembre, Clint se lança dans le tournage d’une autre long métrage, le septième où il n’apparaîtrait pas à l’écran. Une véritable tendance commençait à se dessiner.

The Changeling, ou L’Echange, bénéficierait des services de l’une des plus grandes stars de Hollywood – qui ne résidait pas à Hollywood. Angelina Jolie incarnerait la mère d’un jeune garçon disparu à Los Angeles en 1928, une histoire que le scénariste J. Michael Straczynski avait adaptée de faits réels. John Malkovich tiendrait également un des rôles principaux.

Le film fut prêt pour Cannes 2008.Clint et son actrice principale donnèrent des interviews et firent sensation. Le film fut accueilli chaleureusement par la critique tandis qu’aux USA, les critiques étaient mitigés. On pouvait lire « maladroit et hautement ambigu » dans la presse.

Cannes laissa un goût amer à Clint, qui fut pointé du doigt par un autre cinéaste, Spike Lee. Lee s’était rendu à Cannes pour présenter son prochain film, Miracle at St. Anna, l’histoire d’une troupe de soldats noirs piégés derrière les lignes ennemies en Toscane pendant la deuxième guerre mondiale. Lee se plaignit de l’absence de visages afro-américains dans les scènes de Mémoires de nos Pères : « C’est sa version, deux films sur Iwo Jima qui durent en tout plus de quatre heures et pas un seul acteur noir à l’écran. »

Clint ne dissimula pas sa colère : « Est-ce qu’il s’est déjà penché sur l’Histoire ? Il m’a critiqué quand j’ai fait Bird. Pourquoi est-ce qu’un type blanc fait ce genre de film ? Parce qu’il fallait bien que quelqu’un le fasse, voilà pourquoi. Il n’avait qu’à prendre le taureau par les cornes et le faire, lui. Mais il était occupé à autre chose. Quand je fais un film à 90% noir, comme Bird, je choisis un casting à 90% noir. Les types comme lui feraient mieux de la fermer. »

Spike Lee n’apprécia pas : « Tout d’abord, ce type n’est pas mon père, et ensuite, nous ne sommes pas dans une plantation. C’est un grand réalisateur, il fait ses films, je fais les miens. Le problème cela dit, c’est que moi je ne l’ai pas attaqué personnellement. Et un commentaire comme « les types comme lui feraient mieux de la fermer » - voyons Clint, enfin.. Ca ressemble pas mal à une réplique de vieillard aigri. »

Il déclara ensuite qu’il organiserait un rassemblement des afro-américains qui avaient combattu à Iwo Jima afin que Clint puisse leur dire que ce que ces types avaient fait était insignifiant et qu’ils n’existaient pas.

Clint eut le dernier mot dans le Guardian, où il annonça qu’il retournait en Afrique pour un futur film sur le leader sud-africain Nelson Mandela. « Et je ne vais pas transformer Nelson Mandela en type blanc ! »

Les journalistes et les bloggeurs se précipitèrent pour soutenir Clint et Lee s’abstint de tout autre commentaire.

En 2008, Barack Obama devint le 44ème président des Etats-Unis. L’Echange sortit dans les salles et la critique fut divisée. « Obscur, surjoué, soporifique ». Mais le film n’est pas aussi mauvais que l’ont prétendu les critiques déçus. Et il n’est pas aussi exceptionnel que l’auraient souhaité les adeptes de Clint.

Clint était déjà en train de tourner Gran Torino, discrètement. Le film sortirait en décembre. A la première, un critique éminent détracteur écrivit : « Ceux qui ont qualifié le film de chef-d’œuvre de la nouvelle ère Obama doivent tolérer les stratagèmes artificiels et les mélodrames lourdauds et situer Gran Torino sur l’échelle de valeur des crétins enclins à la justice du justicier ».

Cette fois non plus, Clint n’aurait pas d’Oscar de meilleur acteur. Gran Torino fut snobé et absent des  nominations aux Oscars en 2009, alors que l’Echange était en compétition pour trois récompenses : photographie, direction artistique et meilleure actrice (Angelina Jolie).

L’Echange ne remporta aucune récompense, Slumdog Millionnaire régna sur la soirée.

Mais Gran Torino fut le grand vainqueur dans les salles. Le Eastwood le moins coûteux et le plus modeste de l’année se révéla être un excellent outsider.