Secrets d'histoire de la ville du Havre

Au XVème siècle, au beau milieu d'une zone marécageuse recouverte par la marée deux heures par jour et bordant l'estuaire de la Seine, à l'emplacement de la ville du Havre, était l'Eure (autrefois orthographié l'Heure), un hameau de pêcheurs avec sa chapelle centrale dédiée à Notre Dame de Grâce, protectrice des gens de mer.

Plus haut en amont, était le port d'Harfleur qui avait eu des occasions de souffrir la violence de l'envahisseur anglais.

Plus loin, à flanc de falaise, cette longue falaise morte qui surplombe les marais de l'estuaire et longe le fleuve, se dressaient le château et l'abbaye de Graville (actuel prieuré).

La falaise de craie étant un véritable gruyère en raison du passage des eaux, ces édifices étaient reliés entre eux par des souterrains dont le réseau labyrinthique s'étendait jusqu'à Ingouville, vers la côte, et jusqu'à d'autres châteaux de la noblesse locale : celui de Tourneville, et sur le plateau s'étendant en haut des falaises, dans la forêt des Hallates (actuelle forêt de Montgeon) celui de Frileuse (un quartier porte désormais ce nom). J'y reviendrai par la suite.

Dès 1509, Louis XII forma le projet de remplacer le vieux port de Harfleur, tombé en ruines, par une cité nouvelle. Seulement voilà : comment faire tenir une cité sur des sables et de la vase ?

Ci-dessous : le hameau de l'Heure sur une carte de l'époque

François 1er trouva la solution à ce problème en la personne de Belarmato, un architecte italien qui connaissait le truc pour faire tenir Venise sur de la vase. L'amiral Bonnivet travaillerait sur le projet avec lui.

Une ville fortifiée que le souverain proposa d'appeler Franciscopolis ou Françoiseville. Cela déplut aux locaux, trop attachés à la Sainte Vierge pour que le nom de cette cité à bâtir ne l'évoque pas. Le Havre de Grâce leur sembla de meilleur augure.

François 1er accepta de transiger avec le nom : Françoise de Grâce. Or cela ne devait pas longtemps être respecté.

Au final, il ne restera du Havre de Grâce que Le Havre.

Belarmato l'édifia sur le principe du tracé en damier. Lequel tracé fut scrupuleusement respecté par les architectes modernes (parmi lesquels Auguste Perret) qui reconstruisirent la ville détruite à plus de 98 % par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale.

Ci-dessous, ancienne carte du Havre renforcée d'une citadelle dont la construction fut commandée par Charles IX

Au sujet des souterrains : ils existent toujours mais nul ne peut plus y avoir accès. Ci-dessous, une grotte en face du cimetière du prieuré, d'où partirait un souterrain qui joignait jadis les châteaux de Graville et de Frileuse.

En ce prieuré vous pourrez également admirer la Vierge noire, érigée au XIXème siècle en remerciement à Marie pour avoir épargné la ville de l'armée prussienne. Cette statue fut fondue avec différents métaux dont les vieux canons de l'armée napoléonienne, d'où sa couleur due à l'altération. Une nouvelle statue fut coulée en remplacement de l'originale détruite par les bombardements de 1944.

A l'emplacement de l'ancien manoir du domaine de la seigneurie de Tourneville se situe le parc Hauser. Il fut acquis par Joseph-Alexandre Eyriès, et ce fut son fils, le géographe Jean-Baptiste Benoît Eyriès, qui l'aménagea en beau jardin enrichi de diverses essences exotiques (cèdre du Liban, séquoïa, ginko...). La famille Hauser le racheta avant qu'il ne devînt propriété municipale.

Le pavillon Ancel (photo ci-dessous), en contrebas du bois qui prolonge le parc, est une vaste demeure du XIXème siècle. La grille entre les deux escaliers en fer à cheval empêche les curieux de pénétrer dans un souterrain qui faisait probablement partie du fameux labyrinthe évoqué ci-dessus.

(Suite) :

En tournant à votre droite, vous arrivez devant une série d'arcades avec des cartouches étranges représentant des têtes de vampire, de diable (Méphistophélès ?), d'ivrogne, de cuisinier pendu... (photos ci-dessous). Tout le monde se demande à quoi cela fait référence. Je vais vous dire ce que c'est : autrefois, c'était les entrées d'écuries d'un propriétaire qui adorait les chevaux, mais qui était peut-être encore plus féru de théâtre. A ce point qu'il donnait à ses montures des noms de personnages de scène que représentent les visages sur les cartouches. Les écuries ont été comblées sans doute parce que tout menaçait de s'écrouler.

Revenons au bord de la mer.

A l'extrémité de la plage du Havre débute la commune de Sainte-Adresse, qui fut capitale administrative de la Belgique envahie par les Allemands pendant la Première Guerre mondiale. C'est là que l'on peut visiter le "Pain de Sucre", un étrange édifice de forme conique et à la couleur blanche. Il s'agit d'un cénotaphe élevé à la mémoire du général-comte Lefèbvre-Desnouettes  disparu en 1822 au large de l'Irlande. Visible de fort loin en mer, il sert d'amer (repère) aux marins. A l'intérieur, une chapelle et ses innombrables ex-voto.