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En Guerre


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Date de sortie 16 mai 2018 (1h 53min)
Genre Drame
Nationalité français
 

Synopsis et détails

 
Le film est présenté en compétition au Festival de Cannes 2018.

Malgré de lourds sacrifices financiers de la part des salariés et un bénéfice record de leur entreprise, la direction de l’usine Perrin Industrie décide néanmoins la fermeture totale du site. Accord bafoué, promesses non respectées, les 1100 salariés, emmenés par leur porte‑parole Laurent Amédéo, refusent cette décision brutale et vont tout tenter pour sauver leur emploi.

 

Pour "En guerre", Stéphane Brizé s'est inspiré des "chemises déchirées d'Air France"

C'est l'un des films les plus engagés de cette 71e édition du Festival. Trois ans après "La loi du marché", Stéphane Brizé revient à Cannes pour présenter "En Guerre". Le HuffPost l'y a rencontré.
 
 
 

Une grosse pensée pour les mecs de GM&S, Ford Blanquefort et tous les autres.

 

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Totolasticot Membre 826 messages
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Je le regarderai un jour ou l'autre en espérant que Stéphane Brizé nous fasse pas une Ken Loach. Il a trop de talent  pour ça (Je ne suis pas là pour être aimé ou La loi du marché entre autres). Tant de délicatesse dans le traitement de sujets divers et variés. :wub:

Vincent Lindon également, très bon acteur. :coeur:

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Cannes 2018 : « En guerre », dans les tranchées du front social

Stéphane Brizé met en scène la lutte menée par un syndicaliste, joué par Vincent Lindon, contre la fermeture d’une usine. En salle mercredi 16 mai

 

C’est une histoire vieille comme l’inégalité. Celle de l’homme ordinaire contraint de se lever avec les siens contre plus puissant que lui, forcé de devenir chef de guerre. Stéphane Brizé est un cinéaste réfléchi et le titre de son film cristallise la violence qu’il met en scène avec autant de colère que de lucidité. Aucun coup de feu ne sera tiré, c’est à peine si quelques coups seront échangés. Pourtant, la lutte que mène Laurent Amédéo (Vincent Lindon) contre la fermeture de l’usine dont il est salarié est bien un conflit dont l’issue verra l’application d’un des principes fondamentaux de la guerre : malheur aux vaincus.

Lire l’entretien avec Vincent Lindon :   « J’essaie d’être dans des films qui servent un peu »

Brizé extrait cette histoire de la litanie des chaînes d’information en continu. La première séquence est frappée du sceau de BFM TV qui rapporte le dernier incident du conflit opposant les salariés de Perrin Industrie, équipementier automobile racheté par un groupe allemand, à la maison mère qui a décidé la fermeture de leur usine. Le logo de la chaîne s’efface alors que les caméras de Brizé qui restent quand d’ordinaire leurs consœurs de la télévision quittent la pièce. On est dans une salle où se font face les représentants syndicaux et les cadres de l’usine et de la filiale française du groupe allemand.

 

Dès cette première confrontation, on s’aperçoit que la méthode que le metteur en scène a mise au point sur le tournage de La Loi du marché tourne à plein rendement. Dans le champ, Vincent Lindon est le seul acteur professionnel. Il est entouré de débutants, Olivier Lemaire, qui incarne le représentant d’un syndicat maison, avec qui Amédéo le ­cégétiste fait front commun, ­Mélanie Rover, la collègue de la CGT, Jacques Borderie, le patron de l’usine. Entre le vétéran des plateaux et les néophytes, il n’y a pas d’autre différence que celle qu’introduit le scénario, d’une extraordinaire précision. Il y a deux ans, après le rachat de Perrin Industrie, la direction a obtenu du personnel des concessions sur les salaires et la durée du travail en échange de la promesse du maintien de l’emploi.

La loi d’airain de la rentabilité

Le regard générique que l’information en continu porte sur ces situations s’est mué en intérêt pour les individus et en interro­gations sur les raisons de chacun. Les cadres expliquent aux ouvriers et aux employés la dureté de la concurrence internationale, la loi d’airain de la renta­bilité, dans le langage qu’on emploie aujourd’hui, fait de fatalismeet de mathématiques. Les ouvriers tentent de faire entendre que leur enjeu n’est pas le cours en Bourse mais leur avenir, réduit à ses composantes les plus élémentaires : où ils vont habiter, de quoi ils vont se nourrir, comment ils élèveront leurs enfants.

 

Ce que montre Stéphane Brizé au long de cette introduction ­magistrale n’a rien d’un débat. Ce sont des troupes qui ma­nœuvrent pour se mettre en ­position. Entre les deux, il y a un no man’s land vide de mots et de sens communs.

S’il est une chose que démontre ce film, c’est que nous ne vivons pas dans un monde idéal

En guerre ne sera pas de ces films imprégnés de l’exaltation du combat. Régulièrement les logos des chaînes d’information reviendront pour scander les escarmouches du conflit : la montée à Paris, les coups d’éclat, bientôt présentés comme des actes de vandalisme, fissures et éclatement du front syndical. Sans jamais briser le rythme inexorable du film, Brizé déploie ces situations, met en évidence les blessures qu’elles provoquent, les cicatrices qu’elles laissent, y compris chez l’adversaire.

Le seul privilège dont bénéficie Lindon est de pouvoir sortir de temps à autre Amédéo de l’espace confiné qu’a créé le conflit social. Divorcé, bientôt grand-père, on devine que l’engagement syndical est (aussi ? accessoirement ? surtout ?) un moyen d’échapper à la solitude. Les autres acteurs doivent se débrouiller avec ce qu’ils ont, ils le font tous avec une justesse remarquable. Un mot, aussi cryptique que possible sur la ­conclusion d’En guerre. Elle est déconcertante – c’est un euphémisme. Elle mériterait d’être débattue. Dans un monde idéal, les spectateurs se retrouveraient après la sortie pour en parler. Mais s’il est une chose que démontre ce film, c’est que nous ne vivons pas dans un monde idéal

 

http://abonnes.lemonde.fr/festival-de-cannes/article/2018/05/15/cannes-2018-en-guerre-dans-les-tranchees-du-front-social_5299155_766360.html

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Alexterieur Membre 799 messages
Forumeur activiste‚
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Ce genre de film mêlant social, syndicalisme et misérabilisme m'emmerde profondément !!!!

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«En guerre» ,ou la résistance face à l'ordre économiste du monde

 

Le dernier film de Stéphane Brizé, co-écrit avec Olivier Gorce, est un film sur la résistance comme forme extrême de la lutte pour sa survie dans un ordre économiste du monde où la voie de la négociation est condamnée à l’échec et où le soutien de l’État ne sert plus à rien.

Lutte des classes, mépris social et dignité

La force de ce film n’est pas seulement de montrer que la violence sociale est au cœur du droit du travail qui ne sanctionne pas les entreprises ne respectant pas leurs engagements, les autorise à fermer quand elles réalisent un bon chiffre d’affaires et accepte même qu’elles refusent de vendre afin de délocaliser la production dans un pays où la main-d’œuvre est meilleur marché. Ce qui est donné à voir, c’est que la lutte des classes ne concerne plus seulement les inégalités sur le plan du salaire, de l’habit, du langage, du pouvoir et du capital social ; elle remet aussi en question le principe de l’égale dignité des personnes. Il y a des individus qui peuvent s’enrichir sans limite, même si, pour ce faire, ils détruisent la vie des autres. Comment faire accepter cela dans une démocratie ? En usant de l’arme du mépris social, en disqualifiant tout ce que les syndicats disent, en attendant que les grévistes se fatiguent, en les divisant, et en poussant les plus combatifs au désespoir. Car la lutte est profondément inégale. Laurent Amédéo, le leader syndical incarné par Vincent Lindon, qui campe un personnage éloquent, sûr de lui et de son combat, comprend cela ; il voit que l’État est impuissant, que les lois ne sont pas du côté des ouvriers, et que seul le rapport de force lui permettra, en médiatisant son combat, de sauver son emploi et ceux de ses frères d’armes.

...

Un film politique, et non idéologique

Le contresens serait de penser que nous avons affaire à un film idéologique. Ce film est politique, mais la politique va plus loin que l’idéologie et Stéphane Brizé n’est pas dogmatique. Il n’y a pas, d’un côté, les méchants et, de l’autre, les bons et leur héros, incarné par Vincent Lindon. Nous n’avons pas non plus affaire à un film à la gloire de l’insoumission. Il n’est pas question de révolte ni d’insoumission, mais d’injustice et du désespoir qu’elle entraîne. L’injustice, qui prend la forme du droit et frappe l’État d’impuissance, est celle d’un ordre économiste du monde, d’un ordre où l’économie a perdu son sens, où elle n’est plus l’administration de la maison ni la gestion des biens de l’État, mais le profit de quelques groupes. Elle n’est plus au service des humains ni de la prospérité, et les entreprises ne se pensent plus à l’intérieur d’un écosystème, mais comme des entités atomisées n’ayant aucun compte à rendre à personne; elles peuvent piller comme bon leur semble les ressources de la Terre, hypothéquer les conditions de vie des générations futures, soumettre les États et exploiter sans limite les humains et les non-humains.

Le film de Stéphane Brizé est la dénonciation de l’économisme qui divise les êtres, les déshumanise ou les broie. Dans un tel monde, il n’y aura à terme ni vainqueurs ni vaincus, comme on le sait quand on pense aux dégâts sanitaires, environnementaux et sociaux que causent ces entreprises voyous que sont certaines multinationales. En attendant que tout s’effondre, et que la misère et l’humiliation précipitent les individus dans le fascisme, certains êtres tirent leur épingle du jeu pour survivre. Pourtant, eux aussi périront si l’État continue de renoncer à sa mission, qui est d’organiser les différentes sphères d’activité en ayant en vue la prospérité du pays, le bonheur des habitants et la justice, au lieu de les subsumer sous l’économie et de diluer le politique dans l’économie. Mais pour que l’État, incarné dans ce film par un fonctionnaire débonnaire, plein de bonne volonté et peu avare de belles paroles, régule le marché en imposant des limites à l’exploitation des humains et des non-humains, en s’opposant aux traités transatlantiques qui autorisent les multinationales à attaquer les États dont les normes sociales ou environnementales ne leur agréent pas, il faut des individus forts, parfois intrépides, et dévoués à la justice.

L’art et la résistance

On aurait tort de voir dans ce film un prétexte pour mettre en valeur un acteur d’exception. La grandeur de ce film est de savoir parler du monde dans lequel nous vivons en nous exhortant à faire tout ce que nous pouvons pour résister à un ordre économiste du monde qui conduira à une catastrophe sociale, environnementale et politique sans précédent. Pour dire cela sans donner de leçons, il faut être généreux.

L’art de Vincent Lindon est justement de se donner tout entier à son personnage, Laurent Amédéo. Il est celui qui dit : non, je ne veux pas laisser croire que l’ordre économiste du monde est le seul ordre possible; un autre monde, plus juste, est possible. Ce dernier ne sera pas forcément un monde sans marché ni même sans lutte des classes, mais ce sera un monde dans lequel les lois et le marché seront au service des humains et où les richesses seront redistribuées, afin que les inégalités entre les riches et les pauvres ne se creusent pas au point de compromettre la paix et les institutions démocratiques.

Il est certains êtres qui comprennent l’état du monde dans lequel ils sont et qui savent qu’il est urgent de réagir, que tout le reste, même le bonheur privé, pèse peu au regard du combat qu’il importe de mener sans fléchir. Une telle passion de la justice dévore. Il n’y a pas d’engagement sans risque et sans souffrance, voire sans sacrifice. Cela ne signifie pas que le sacrifice soit à rechercher pour lui-même, mais, dans tous les combats, ceux d’hier, pour l’abolition de l’esclavage, les droits civiques, la chute du régime nazi, la décolonisation, les droits des travailleurs, et ceux d’aujourd’hui, l’égalité entre les hommes et les femmes, la lutte contre le réchauffement climatique, la promotion de plus de justice envers les animaux, la lutte contre la dérégulation du marché, il y a toujours eu des individus-sentinelles. S’ils arrivent au tout début d’un combat, ils mourront souvent sans voir les fruits de leurs efforts. Mais l’essentiel appartient à l’avenir, à la descendance, comme on le voit dans ce film, lorsque Laurent Amédéo tient longuement dans ses bras l’enfant que sa fille a mis au monde - le nouveau-né, qui incarne, disait Hannah Arendt, dans Condition de l’homme moderne, la promesse de renouvellement du monde.

Le désespoir n’est pas de souffrir pour une cause jusqu’à en mourir, mais de renoncer à la justice quand on sait que ce qui se passe près de chez soi, dans son pays, est inacceptable et contredit les principes et valeurs dans lesquels on a été élevé. Résister n’est pas se révolter contre le monde ni contre quelqu’un, c’est prendre au sérieux les principes de justice, les lois, et refuser qu’un ordre qui les viole s’impose au point de devenir, dans l’esprit de la plupart des êtres, le seul ordre possible. C’est ce que montre ce film puissant et qui dérange, ce film généreux et si opportun. L’art ici rencontre le réel pour l’interroger, non pour nous en détourner ni pour nous en montrer une caricature.

Le cinéma, quand il s’agit d’un art, et non d’un simple divertissement, révèle ce que les journaux occultent et que le concept prétend éclairer, et il invite chacun.e à agir, afin de combler l’écart entre la théorie et la pratique, la conscience et l’action. Non seulement il faut voir ce film, mais il faut également en parler avec les autres, partager ses émotions et ses idées, afin que quelque chose se passe et que nous prenions individuellement et collectivement une autre trajectoire.

* Dernier ouvrage paru: Éthique de la considération, Seuil, 2018.

http://liberationdephilo.blogs.liberation.fr/2018/05/22/en-guerre-de-s-brize-un-film-de-resistants/

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En guerre – pour la préemption salariale !

par Frédéric Lordon, 21 mai 2018
 
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Stéphane Brizé, En guerre, 2018, 113 minutes, actuellement en salles.

On ne résiste à la puissance suffocante du film de Stéphane Brizé (En guerre) qu’à y discerner une place vide, la place du discours manquant. Il faut absolument y voir cet espace inoccupé, et la possibilité de le remplir, l’espace d’une réponse, c’est-à-dire d’un discours à déployer, opposable aux impossibilités montrées par le film, capable d’en faire sauter un mur, sinon c’est insupportable.

Lire aussi Michel Pigenet, « Épineuse indépendance syndicale », Le Monde diplomatique, mai 2018. C’est insupportable, car ce que montre le film, c’est la force d’un ordre institutionnel capable de se donner raison à lui-même, un ordre qui mure portes et fenêtres, qui bouche toutes les issues pour ne laisser subsister que sa vérité. Lorsque les économistes stipendiés, les experts de service, les éditorialistes débiles et les patrons odieux disent qu’« il n’y a pas d’alternative », c’est vrai. C’est vrai parce que les structures ont été aménagées pour que ce soit vrai. Lorsqu’ont été installés la déréglementation financière et le pouvoir actionnarial, le libre-échange commercial au mépris de toute norme sociale et environnementale, la libéralisation du régime des investissements directs, c’est-à-dire de la localisation des sites industriels (à laquelle on ajoutera celle des sièges sociaux), il est exact que tout est joué ou presque, et qu’en effet il n’y a plus d’alternative. En somme, la disparition des alternatives, ça s’organise.

C’est là par excellence le point répugnant de l’époque. La plupart des personnages qui la dominent en actes et qui triomphent en mots savent à peine à quoi ils doivent de la dominer, et de triompher (la plupart – certains savent très bien). Ils en tiennent le discours comme des automates, mots inhabités, phrases mécaniques – « l’environnement de la mondialisation », « dont nous ne pouvons nous abstraire », « le marché », « qui s’impose à nous », « l’agilité », « pour être plus compétitif » – grumeaux de pensée dont Brizé prend soin de nous donner des échantillons atterrants, plus consternants encore quand ils viennent dans la bouche des conseillers ministériels, représentants de l’État mentalement colonisés par la langue du capital. Le plus terrible de ce que montre Brizé, ça n’est pas tant la situation même, que les mots dégoûtants opposés par les triomphateurs pour imposer leur triomphe, et faire toucher terre à ceux dont ils triomphent, à qui ils refuseront tout – mais avec des mots. Et, c’est bien ça le pire, sans réplique possible : avec des mots qui disent « vrai » en un sens, même si leurs utilisateurs ne savent pas pourquoi ils disent vrai, selon quel régime de vérité. Comme un cas d’école d’une théorie simple de l’idéologie, ils croient énoncer un fait de nature quand ils ne disent qu’un état des structures. Un état que d’autres avant eux ont contribué à installer (car les structures ne tombent pas du ciel), et qui – c’est cela le vrai –, une fois installé, déploie implacablement toutes ses nécessités.

L’impossibilité organisée

C’est bien pourquoi tous les mots d’ordre pour manifestations, à base de « partage des richesses », de « réduction du temps de travail », d’« augmentation des salaires » ou d’« interdiction des licenciements » sont nuls et non avenus tant qu’ils ne posent pas explicitement la question de leurs conditions de possibilité structurelles. Faute desquelles, ils demandent la neige en juillet ou Noël à Pâques – et ceci n’arrivera pas.

Ceci n’arrivera pas parce que les structures ont été bien faites pour le rendre impossible. Vérité simple et presque tautologique : quand les structures sont en place, tout est vrai des objections opposées par les structures. Pourquoi fermer une usine rentable ? Parce qu’elle ne l’est pas assez. Mais pourquoi ne pas se contenter de « moins » ? Parce qu’il y a des actionnaires et qu’ils ne le permettraient pas. Ne peut-on résister parfois aux actionnaires ? Non, parce que lorsqu’ils ne sont pas contents, ils vendent et le cours de l’action baisse (déréglementation des marchés de titres). Et ? Et l’entreprise dont la valeur boursière plonge devient une proie potentielle pour un raider (démantèlement du système des participations croisées), or s’il y a une OPA, toute la direction sautera – pense, à raison, la direction, qui ne veut pas du tout sauter, et puis qu’on a aussi pris soin de gaver de stock-options de sorte que ses propres intérêts soient désormais bien alignés sur ceux des actionnaires. Négocier avec ces derniers quand même ? Bon courage, la plupart sont des grands investisseurs institutionnels qui se font sauvagement concurrence par la rentabilité servie aux épargnants et ne renonceront pas à un dixième de point (financiarisation de l’épargne concentrée auprès des grands gestionnaires de fonds collectifs – mirifiques perspectives de la retraite par capitalisation). Nous irons donc baisser les coûts partout où c’est possible, en matraquant d’abord les salariés puisque tout nous y incite : le chantage à la compétitivité d’abord (libéralisation du commerce international) et à la délocalisation (nouveau régime des investissements directs et liberté d’établissement), la démolition de toutes les protections juridiques et réglementaires des salariés ensuite (dérégulations successives du marché du travail), par annulation des conquêtes d’un siècle de luttes sociales. Si donc le Nord de la France est trop cher, sous la double commande de nos actionnaires et de nos stock-options nous irons en Pologne, si la Pologne à son tour exagère, nous l’expédierons au Vietnam, et puis du Vietnam en Afrique, car nous en avons pour un moment avant d’avoir épuisé tout le réservoir à pauvres de la planète. Et nous ferons tout ça car nous le pouvons, car depuis trente ans nous ne cessons d’œuvrer pour qu’on nous aménage le terrain de jeu qui nous le permette et que, dans ces conditions, nous ne voyons pas pourquoi nous nous retiendrions d’user de la moindre de nos latitudes.

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Tel est le mur de nécessités auquel se heurtent les salariés du film de Brizé. Il y a de quoi devenir fou. Pas seulement par les immondes fins de non-recevoir langagières qui sont opposées à la souffrance humaine, mais par le fait que toutes les coordonnées spontanées de la lutte y sont mises en échec : la vraie combativité ne paiera pas. La lutte qui ne s’affale pas tout de suite sera défaite, parce qu’elle est une lutte locale et qu’elle a contre elle toutes les structures globales, donc parce que toutes ses conditions de réussite lui échappent. Le tragique du film de Brizé est qu’il y a un héros et que le héros va immanquablement perdre parce qu’il se trompe. Plus il est héroïque, plus il se trompe, et l’inverse aussi : il se bat pour sauver les emplois dans un monde agencé pour que les emplois ne soient plus sauvables. Et ce sont les résignés qui ont raison – tactiquement. À de miraculeuses exceptions près, on ne se bat plus dans une fermeture que pour gratter de la « supra-légale », ou des promesses de reclassement ou de « réindus » auxquelles on ne croit même pas. Il faut avoir quelques robustes ancrages pour ne pas sortir du film passablement abattu.

Alors les structures

Mais le point de triomphe de l’ordre néolibéral désigne aussitôt son point de faiblesse. « Il n’y a pas d’alternative » n’est jamais qu’un énoncé conditionnel à l’état de ses structures. Faire autrement est impossible puisque la nécessité installée par les structures s’oppose à ce qu’on fasse autrement ? Très bien, nous savons maintenant où se situe l’enjeu : dans la reconstruction des structures. Voilà le discours manquant, celui qui laisse une chance de respirer à nouveau au sortir d’un film étouffant : le discours des structures comme objet de la politique. Car, elles, peuvent toujours être refaites – autrement. Ce « toujours », c’est le nom même de la politique. Dès lors qu’on s’élève au niveau des structures, il y a toujours une alternative.

L’alternative peut entrer bien plus vite dans la réalité qu’on ne l’imagine, très soudainement même. En Argentine, pendant toutes les années 1990, le currency board (1) impose une politique monétaire déflationniste, et pour qu’il ne vienne à l’idée de personne de « faire autrement », on l’a inscrit dans la Constitution (grande affaire du néolibéralisme, la constitutionnalisation des politiques économiques – voir les traités européens). Donc il y a le currency board, et on ne peut « pas faire autrement ». Puisqu’il est dans la Constitution. En janvier 2002 pourtant, après des semaines de manifestations de masse, le currency board est abrogé d’un trait de plume : en une nuit. On pouvait donc faire autrement – éternelle surprise, mêlée de ravissement un peu idiot, pour tous ceux qui s’aperçoivent d’un coup qu’ils s’étaient asservis pour rien, qu’ils s’étaient soumis à un fallacieux décret d’impossibilité. La question n’est pas de discuter ce qui s’en est suivi, elle est de rappeler ce que c’est que la souveraineté politique comme décision et comme alternative de principe – et les conditions de sa remanifestation.

Briser le pouvoir actionnarial

Si elle se remanifeste, où son effort doit-il porter ici ? Aux trois lieux stratégiques du pouvoir actionnarial, du libre-échange et des investissements directs – par parenthèse, dénonciation des traités européens non-optionnelle. Mais spécialement au premier, qui domine hiérarchiquement les deux autres. Le discours ordinaire dit que, sous le pouvoir des actionnaires, il n’y a pas d’alternative ; restaurer le discours manquant, c’est dire qu’il y a une alternative au pouvoir des actionnaires. Et comment en finit-on avec le pouvoir des actionnaires ? À ce sujet, il y a des idées assez précises. Une série d’idées même, bien graduée, selon ce que les conditions politiques du moment rendent possible. D’abord le SLAM (Shareholder Limited Authorized Margin) qui procède par fixation d’un taux limite de rentabilité complète pour les actionnaires (Total shareholder return), applique un impôt confiscatoire à tout ce qui dépasse, et cisaille ainsi toute incitation à augmenter indéfiniment la pression à la rentabilité financière – l’État capterait tout. En régime, sous SLAM bien ajusté (et sans doute avec les « bonnes » mesures complémentaires), Perrin Industrie (le nom de l’entreprise du film de Brizé) ne ferme pas, car la fermeture est devenue sans objet.

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Mais il n’est pas interdit d’aller plus loin. L’étape d’après, c’est de fermer la Bourse. Son charme particulier tient au fait d’apparaître comme l’irresponsable rêverie par excellence quand en réalité elle a toute la rationalité économique pour elle – et même de quoi nouer une alliance objective entre le salariat et une certaine fraction du capital contre leur fléau commun de la finance.

Lire aussi « Et si on fermait la Bourse… », Manuel d’économie critique, septembre 2016. On dira que l’alternative réelle au pouvoir des actionnaires, c’est l’abolition de la propriété financière du capital. C’est vrai. On ajoutera que s’en prendre à la finance ne fait que reconduire l’alternative « du “mauvais” capitalisme (financiarisé) et du “bon” (industriel) », c’est-à-dire rester dans l’exploitation capitaliste. C’est vrai aussi. Maintenant, si quelqu’un voit la sortie du capitalisme dans les conditions d’aujourd’hui, c’est qu’il a la vue psychédélique. Et si, ne connaissant que cet horizon, il se désintéresse de tout ce qui ne l’atteint pas, il est aveugle aux opportunités de la période. Ce n’est pas que penser/militer/expérimenter des rapports non-capitalistes ne soient pas urgent – ça l’est. C’est que délaisser, à ce motif, la possibilité de faire quelque chose dans la conjoncture et à l’étage majoritaire est une absurdité, où l’on ne discerne plus à la fin que la condescendance des virtuosités minoritaires pour le grand nombre.

On ne redira jamais assez que les grands libéraux sont des marxistes structuralistes à l’état pratique. Eux visent ce qui va saisir le grand nombre, et ils savent à quels étages de la politique se joue ce saisissement : aux plus élevés, là où l’on refait les structures – de la finance, du commerce et de la politique économique : UE, BCE, FMI, BRI, OMC, traités variés (CETA), etc., lois nationales bien sûr. Sans surprise, c’est à cet étage que Macron opère pour accroître les latitudes stratégiques des uns et les impossibilités des autres – puisque c’est l’état des structures qui règle le rapport de force du capital et du travail. Or on ne défera la politique des structures que par une contre-politique des structures.

Le moment de la politique macroscopique – le moment de la préemption

Au reste, on aurait tort de jouer l’un contre l’autre les deux registres de l’anticapitalisme et de l’antinéolibéralisme. D’abord parce qu’il redevient possible de les tenir ensemble pourvu qu’on les réinscrive dans leurs temporalités distinctes, et que rien n’interdit d’avoir l’esprit au premier sans abandonner de saisir les possibilités plus rapprochées du second. Ensuite parce que, même dans l’immédiat, ils ne sont pas sans points d’accrochage. Ainsi de celui qui passerait par un droit de préemption des salariés pour une reprise en coopérative des entreprises ou des sites qui ferment : abolition locale de la propriété financière des moyens de production, instauration de leur propriété collective d’usage, suppression par conséquent du rapport salarial, remplacé par une politique de la production collective. Les choses, alors, ne s’agencent-elles pas merveilleusement : si le néolibéralisme ferme à tour de bras, puisqu’« il n’y a pas d’alternative », c’est le capital lui-même qui, abandonnant le terrain de son propre mouvement, se laissera grignoter et déposséder de l’intérieur.

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Assurément, il y faudrait une loi. C’est-à-dire jouer le jeu où l’on passe des lois. Mais une petite loi – plus innocente (et plus filoute) que s’il s’agissait de décréter la fin révolutionnaire de la propriété privée –, une loi à portée de main. Par exemple d’un mouvement social de quelque ampleur, qui, sortant du registre du seul refus, l’élirait comme sa revendication positive. Car c’est une bénédiction rare qu’une vision d’avenir, et même une vision d’ampleur, ni plus ni moins que la diffusion invasive de rapports de production postcapitalistes, ait ainsi le bon goût de se laisser résumer dans une disposition législative aussi simple, aussi modeste, aussi accessible – et aussi capable de dérober le sol sous les pieds du pouvoir capitaliste.

Mais, précisément, un mouvement social, nous en avons un sous la main.

Et c’est dans ce moment que, providentielle coïncidence, le film de Brizé nous arrive. Si son tableau des impossibilités objectives est suffocant, il n’appelle par-là que plus intensément le complément du discours manquant, le discours des structures. Du fond de son impasse, il crée la nécessité impérieuse de se décaler, de se désobnubiler des impossibilités locales pour regarder du côté de la cause globale qui les a installées toutes – et rouvrir une possibilité d’ensemble. Il est vrai que recréer une ouverture de cette sorte ne peut être l’affaire que d’une politique macroscopique : on ne refait les structures globales que par de la politique globale – seul moyen, redisons-le, de reconstituer les conditions pour que les luttes locales aient de nouveau leur chance. Mais le mouvement social d’aujourd’hui pressent sa propre portée macroscopique, il entrevoit la portée globale de ses enjeux, il en pose à nouveau la question. C’est bien pourquoi il importe de désectoriser les luttes présentes, de dégager leur dénominateur commun, de voir qu’elles renvoient toutes au même lieu, de nommer ce lieu, et d’unir tous pour l’attaquer. Les moments de cette sorte sont rares, dominés la plupart du temps par l’étroitesse et la compartimentation des horizons locaux. Voilà qu’il s’en présente un, propice à magnifier l’effet d’un film peut-être appelé à marquer l’opinion, effet paradoxal s’il en est, puisqu’il force à trouver les voies du ré-espoir à partir de son fond de désespoir – et que, bien complémenté, il peut y conduire. Par exemple sous un mot d’ordre simple, ramassé, faussement modeste, mais réellement subversif de l’ordre présent : « Pour la préemption salariale ! »

Post-scriptum
Violences admissibles, violences inadmissibles

Mais il n’y a pas dans En guerre que l’espace en creux d’une contre-politique des structures. Il y a aussi, attesté par son titre même, le plein d’un propos sur la violence – la violence de classe. Si le personnage central du film est tragique, c’est qu’il reprend en lui toute la violence de la situation – très significativement, il ne cesse de se mettre en travers du débordement de ses camarades légitimement fous de rage : « arrête ! arrête ! » ne cesse-t-il de leur crier en faisant interposition. Mais il y a une économie générale, à la fois collective et individuelle, de la violence, avec des points critiques qui signalent l’arrivée aux limites de la capacité d’absorption et d’accommodation. En ces points s’ouvre alors une bifurcation aux termes simplissimes : ou renvoyer la violence du dehors vers le dehors, ou la retourner contre soi. À force d’intimer à ses camarades « d’arrêter », le héros se dirige inexorablement vers sa fin. Et c’est bien cette forme-là de la violence que le néolibéralisme apprécie par-dessus tout, encourage de fait même – en ne cessant de condamner l’autre. Que les salariés se suppriment. C’est bien triste, mais, disons les choses entre nous, comme solution radicale au problème des gêneurs, c’est épatant. Qu’ils sombrent dans la dépression, ça peut nous intéresser aussi : ne sommes-nous pas fondés à nous débarrasser des loques improductives ?

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Toutes les fois où des salariés choisissent autre chose que leur destruction, le ministère de la propagande intégrée est là, entier, écumant, pour leur tomber dessus : France 2, BFM, France Info (la BFM étiquetée « service public »), France Inter dont les matinaliers s’égosillent à chaque occasion pour savoir si tout de même on ne condamne pas ces violences. Car voilà : il faut « condamner les violences ». En 2010, Pujadas, à l’aise, croit pouvoir se faire en petite foulée le syndicaliste des Conti après le passage des ordinateurs de la sous-préfecture de Compiègne par la fenêtre. Le malheureux : il ne sait pas qu’il est tombé sur un os. L’os s’appelle Xavier Mathieu et lui, qui ne pratique pas la reptation comme l’autre, a une colonne vertébrale. Ici, coup d’arrêt : le tribunal des procureurs médiatiques, c’est fini. L’ère des condamnations sélectives « des violences », c’est terminé. Voulez-vous parler « des violences » ? C’est parfait, examinons-en donc le tableau d’ensemble. Mais c’est ce que le ministère de la propagande qui s’ignore ne veut en aucun cas ! Lui, ce qui l’intéresse, ce sont les chemises de DRH et rien d’autre. Qu’on lui donne une voiture de PDG sur le toit comme dans le film de Brizé, là oui, sa joie est faite. Mais le film, précisément, a le mauvais goût de montrer aussi tout ce qui conduit à la voiture à l’envers – car elle ne s’y est pas mise toute seule, et l’hypothèse de la sauvagerie naturelle des ouvriers n’y suffit pas non plus. Loi générale : les gens font des choses parce qu’on leur a fait des choses. Or, ici, les choses qu’on leur a faites, on les voit. Du coup, les choses qu’ils font, on les comprend – au double sens du terme même. Si le film de Brizé est étouffant quand il semble nous laisser sans issue, il est politiquement salutaire quand il restaure les images manquantes, les images antécédentes – celles que les médias prennent bien soin de ne jamais montrer, pour que surtout jamais on ne comprenne.

Lire aussi Alexia Eychenne, « Goodyear et ses fantômes », Le Monde diplomatique, mai 2018. Pendant ce temps, la racaille éditorialiste, qui ne supporterait pas qu’on lui fasse le centième de ce qu’on fait ordinairement à la classe ouvrière, et quand on la met au travail et quand on la jette hors du travail, continue de donner des leçons. Des dossiers préfectoraux au vent, des vitrines brisées, des sacs de nuggets en déshérence, c’est très grave. Goodyear : divorces par dizaines, naufrages individuels dans l’alcoolisme, surendettements, maisons vendues, 750 salariés sans solutions, RSA. Seize suicides aussi. Les médias avaient parlé du « saccage » de la sous-préfecture de Compiègne. À seize suicidés chez Goodyear, on passe le seuil technique du « saccage » ? on ne le passe pas ?… On ne l’a pas passé. L’humanisme étendu souffre plus pour les nuggets ou les ordinateurs, dont il est vrai qu’on ne souligne pas assez la cause.

Et puis, disait Berkeley, esse est percipi : être, c’est être perçu. C’est formidable, pense aussitôt la racaille : de ce qu’on ne voit pas, on peut donc dire qu’il n’existe pas ! C’est cela même contre quoi lutte le film de Brizé, contre cette élévation de l’injustice au carré qui consiste en le déni de l’injustice. Et si, élargissant le champ des perceptions, commençant à y faire entrer les causes prochaines ordinairement occultées, si, faisant cela, il nous aide, c’est pour nous acheminer vers une décision, une décision éclairée même, puisqu’il nous en met tous les éléments sous les yeux. C’est que nous voilà rendus à un grand carrefour civilisationnel, une grande ligne de partage politique des eaux. Deux partis s’offrent : le parti des nuggets et le parti des hommes. On va voir qui choisit quoi.

 

https://blog.mondediplo.net/en-guerre-pour-la-preemption-salariale

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