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Les connus inconnus


Blaquière

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Les connus inconnus

(ou la complainte des rabasses)

 

Dans la série Mon père avait raison : "Il y a des gens qu'on croit connaître mais qui ne se ressemblent plus quand on les voit de près !" J'étais petit quand il me disait ça. Il commençait ou finissait par "Tu as remarqué ?" Oui, j'avais remarqué. Et nous tombions d'accord sur les individus en question. Ceux que l'on ne reconnaissait plus de près. 

Il y avait Marius G. à la figure ronde toute piquetée de vérole comme la lune et ses cratères. De près elle devenait un monde immense, étrange, plein de détails, d'accidents insoupçonnés, imprévisibles... Et Paupau P aussi. De près, c'était plus lui du tout ! Sa lèvre inférieure n'était plus une lèvre distincte du reste du visage, elle n'était qu'une ouverture, comme un bloc épais, solidaire jusqu'au menton. Et sa casquette... qui n'en était pas une non plus ! De fait, c'était un béret qu'il avait transformé en casquette ! Un béret qu'il tirait si souvent sur le devant du front de la main entre le pouce et l'index replié (du même geste qu'on utilise pour presser un tube de dentifrice), que cette action des milliers de fois répétée lui avait créé une visière comme un rebord de tuile, un peu pointu, en accent circonflexe...

Mais ces gens, quand ils étaient venus à la maison, c'était la première fois, moi que je les voyais de près, je ne les avais jamais aperçus que de loin. C'était donc normal que je les découvre différents. Alors que mon père lui, il les voyait tout les jours, il les connaissait bien. Comment faisait-il pour savoir que de près ils ne se ressembleraient plus ? Pour savoir qu'ils seraient différents de l'image qu'on avait d'eux de loin ?

Peut-on avoir une allure générale, une dégaine vraiment différente et quasiment opposée, contraire à ce qu'on est dans le détail ? Ou une figure qui démente cette allure ? Ou peut-être qu'à se souvenir d'eux tout jeunes, petits garçons et que cette image s'étant depuis longtemps imprimée, fixée dans sa mémoire, il était surpris à chaque fois de les voir aussi changés de leur ancienne image ?

Car il y a des gens qui changent et d'autres qui ne changent pas ! Je me souviens de Rasègue de B. Depuis la sixième, je ne l'avais pas revu... ! Et là, on avait déjà plus de cinquante ans chacun... Il vient vers moi, et à la seconde : Rasègue ! C'était le même ! Le même qu'à onze ans ! Avec ses yeux ronds, rieurs, étonnés... Grand mince dégingandé... Et surtout, toujours un délire en tête, une rigolade : il sort deux baguettes de cuivre torsadés de son fourgon : "je vais te trouver l'eau sur ton terrain !" Rasègue sourcier ! Je ne l'aurais pas imaginé mais c'était évident ! C'est un bonheur des gens comme ça ! Mallot, (dans la même sixième), que je connaissais bien,  je me souviens de l'avoir vu de très très près lors d'une bagarre. A quelques centimètres. Ce zoom inhabituel, l'avait totalement transformé : œil pour œil, dent pour dent ! Surtout son nez d'ailleurs ! qui s'était comme élargi, élargi. Il était devenu sous mes yeux une sorte d'extraterrestre. Quasi inhumain... De plus loin, ensuite, il était redevenu tout-à-fait normal. Mais le pire, c'est Bélu, de N... Pas vu non plus depuis la sixième... Autant gamin il avait une vraie originalité, physique avec sa figure en lame de couteau et sa coupe de cheveux comme une flamme jaune mouvante sur le crâne, comme une crête de coq ; et morale aussi avec son air toujours en urgence... mais là, vieux, il s'était depuis, englouti, perdu. Il était tombé dans tous les pièges ordinaires de la vie : Il venait de faire planter un terrain de chênes truffiers ! (C'est dire!). On a mis deux mille ans pour faire de la plaine qui était une forêt sauvage, une plaine riche et cultivable, et voilà que les paysans y replantent des chênes ! Parce que la truffe ça se vend TRÈS CHER !  En provençal, la truffe c'est la "rabasse" ! Un nom horrible ! L'aspect aussi en est horrible : une crotte de chien desséchée ! Et c'est les mêmes paysans qui vendent les rabasses et qui sont chasseurs ! Et qui ont donc des chiens... Aussi je me demande...

Je me demande si les truffes et les crottes de chiens ne sont pas un peu le contraire des gens qui sont les mêmes mais ne se ressemblent pas... a savoir qu'elles ne seraient qu'une seule et même chose, mais qu'en plus, elles se ressembleraient trait pour trait !..

 

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Blaquière Membre 18 857 messages
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A la première relecture : un désastre ! Alors j'ai un peu repris, découpé par-ci par là. c'est peut-être mieux lisible...

 

Les connus inconnus

(ou la complainte des rabasses)

 

Dans la série Mon père avait raison : "Il y a des gens qu'on croit connaître mais qui ne se ressemblent plus quand on les voit de près !"

J'étais petit quand il me disait ça. Il commençait ou finissait par "Tu as remarqué ?" Oui, j'avais remarqué. Et nous tombions d'accord sur les individus en question. Ceux que l'on ne reconnaissait plus de près. 

Il y avait Marius G. à la figure ronde toute piquetée de vérole comme la surface de la lune avec ses cratères. De près elle devenait un monde immense, étrange, plein de détails, plein d'accidents insoupçonnés, imprévisibles...

Et Paupau P. aussi. De près, il n'était plus lui du tout ! Sa lèvre inférieure n'était plus une lèvre distincte du reste du visage, elle n'était qu'une fente et tout le dessous, jusqu’au menton était comme un seul bloc épais, solidaire. Et sa casquette aussi de près n’était plus une casquette non plus ! Mais un béret ! Un béret qu'il se tirait si souvent sur le devant du front en le pinçant entre le pouce et l'index replié (comme on presse un tube de dentifrice), que cette action des milliers de fois répétée l’avait transformé en casquette. Ça lui avait fabriqué une visière. Comme un rebord de tuile, un peu pointu sur le milieu, en accent circonflexe...

Mais ces gens, quand ils étaient venus à la maison, c'était la première fois, moi que je les voyais de près, je ne les avais jamais aperçus que de loin. C'était donc normal que je les découvre différents. Alors que mon père lui, il les voyait tous les jours, il les connaissait bien. Comment faisait-il pour savoir que de près ils ne se ressembleraient plus ? Pour savoir qu'ils seraient différents de l'image qu'on s’était forgée d’eux vus de loin ?

Il faut croire qu’on peut avoir une dégaine, une allure générale, vraiment différente et quasiment contraire à ce qu'on est dans le détail... Ou avoir un visage qui démente cette allure ? Mais peut-être qu'à se souvenir d'eux quand ils étaient tout jeunes, petits garçons, et cette image s'étant depuis longtemps imprimée, fixée dans sa mémoire, il était surpris à chaque fois de les voir de nouveau aussi différents de cette ancienne image ?

Car il y a des gens qui changent et d'autres qui ne changent pas ! Je me souviens de Rasègue de B. Depuis la sixième, je ne l'avais pas revu... ! Et là, on avait déjà plus de cinquante ans chacun... Il vient vers moi, et à la seconde : Rasègue ! C'était le même ! Le même qu'à onze ans ! Avec ses yeux ronds, rieurs, étonnés... grand, mince, dégingandé... de grands gestes… Et surtout, avec toujours un délire, une rigolade dans la tête : il sort deux baguettes de cuivre torsadés et coudées de son fourgon : "je vais te trouver où y’a de l'eau sur ton terrain !" Rasègue sourcier ! Je n'aurais pas pu l’inventer mais c'était dans l’instant même devenu évident ! C'est un bonheur des gens comme ça !

Mallot, (dans la même sixième), que je connaissais bien,  je me souviens de l'avoir vu de très très près lors d'une bagarre à l’interclasse. À quelques centimètres. Et ce zoom inhabituel, l'avait totalement transformé : œil pour œil, dent pour dent ! Surtout son nez d'ailleurs ! qui s'était comme élargi, élargi. Il était devenu sous mes yeux une sorte d'extraterrestre inconnu. Quasi inhumain... Et de plus loin, ensuite, il était redevenu tout-à-fait comme je le connaissais.

Mais le pire, c'est Bélu, de N... Pas vu non plus depuis la sixième... Si gamin il avait une vraie personnalité, une originalité, physique avec sa figure aiguë, en lame de couteau et sa coupe de cheveux comme une flamme jaune mouvante sur le crâne, en crête de coq ; et morale aussi avec son air toujours inquiet, toujours en urgence... Là, vieux, il s'était engourdi, englouti, perdu. Il était tombé dans tous les pièges d’une vie ordinaire : Il venait de faire planter un terrain de chênes truffiers ! (C'est dire !). On a mis deux mille ans pour faire de la forêt sauvage qu’était la plaine, une plaine riche et cultivée, et voilà que les paysans y replantent des chênes ! Parce que la truffe ça se vend TRÈS CHER !  En provençal, la truffe c'est la "rabasse" ! Un nom horrible ! L'aspect aussi en est horrible : une crotte de chien desséchée ! Et c'est les mêmes paysans qui vendent les rabasses qui sont chasseurs... Et qui ont donc des chiens...

Aussi je me demande...

Je me demande si les truffes et les crottes de chiens ne sont pas un peu le contraire des gens qui sont les mêmes et ne se ressemblent pas... a savoir qu'elles ne seraient qu'une seule et même chose, mais qui en plus, se ressemblerait trait pour trait !..


 

 

 

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