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Le hold-up


Blaquière

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Blaquière Membre 19 162 messages
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 Le hold-up

 

Dans la banque, comme prévu, Je et son complice, s’étaient retrouvés seuls. Seul à seul devant le coffre.

Ni plus ni moins, qu’un grand placard métallique encastré dans le mur, ce coffre. Et un placard dont la porte non verrouillée (toujours comme prévu) permettait un total libre accès à l’argent : pas la moindre effraction donc à faire à la porte de fer. Laquelle porte, étonnamment épaisse s’ouvrit comme un piston de seringue...

Et ils te le vidèrent, ce coffre (mon ami !), te le cu-rèrent !

Sans la moindre retenue. En souvenir de l’épaisseur de la porte qui les avait un instant effrayés. Ils remplirent ainsi, à craquer, leurs grands sacs mous noirs, d’argent volé. (Un sac chacun)…

 

SADE :

Joun dis rien, ma jou lou vis !

 

Vers la fin, ne subsistait à mi-hauteur, à droite de l’étagère du coffre, que deux ou quatre pièces. Des pièces larges, "operculaires", renflées au centre comme des loupes d’or qui comptaient double. Je les glissa dans sa poche : il ne laisserait rien dans ce coffre ! Rien de rien ! Puis ils refermèrent soigneusement la porte pour ne pas attirer l’attention. Tant qu’on n’ouvrirait pas, le vol passerait inaperçu. (Un coffre fort fermé et plein, ayant, vu de l’extérieur, même apparence qu’un coffre fort fermé mais vide.)

Las ! ils avaient tout pris, et c’était une erreur : en eussent-ils dérobé seulement la moitié, le vol en fût resté à jamais méconnu. (Un coffre fort à moitié plein ayant, vu de l’extérieur comme de l’intérieur, même apparence qu’un coffre fort à moitié vide.) Porte ouverte ou fermée.

...

Ils ressortirent de la salle du coffre, précisément coupables, les sacs à la main. longèrent, l’air ostensiblement de rien, les guichets décorés d’employés s’employant et de clients cliants... Dehors, firent un grand détour, histoire de brouiller les pistes...

— La voiture nous attend-elle (dentelle) à l’endroit prévenu ?... ou prévu ?  Se prit à douter Je.

Son acolyte le rassura :

— Oui ! là-bas, tiens ! les femmes dans la voiture !... 

 

LE CHŒUR :

C’était un hold-up mixte !

 

(Nous aussi, nous voilà rassurés.)

En effet : au bout de la rue, juste avant le rond-point, le break rouge et poussiéreux conduit par les deux femmes s’extrayait, hésitant, de son emplacement en marche arrière...

Le rejoignirent, montèrent, parturent.

« Aussi rapidement que se déplace notre véhicule, expliqua Je, logique et prévoyant à son gang mixte, nous irons moins vite que le téléphone : si l’alerte a été donnée, nous risquons de tomber sur un barrage !... » La conclusion allait de soi.

 

Mais il n’en fut rien du téléphone. Ni de l’alerte. Ni du barrage. Et ils rentrèrent chez eux. Cachèrent mais pas trop, les grands sacs mous noirs d’argent volé sous le lit métallique aux moulures en laiton. Les jours suivants, reprirent le travail. Affichant le plus possible pour donner le change, l’air de gens le moins possible milliardaires...

Et l’affaire se tassa.

Cela faisait maintenant plusieurs jours, semaines, années, ou décennies qu’ils avaient fait le coup. (Peu importe le temps.) Et tout leur semblait calme. Ou bien tout est fini, oublié, terminé, et l’affaire est classée, pensait Je Humble, ou bien la police est toujours à nos trousses et poursuit dans l’ombre, ses investigations à notre insu.

Ou, ou : disjonction exclusive.

Mais c’était la deuxième possibilité la plus probable ! Car pendant le hold-up, un meurtre avait été commis au numéro d’à côté mitoyen de la banque, qu’on devait certainement leur mettre sur le dos. (Ils l’avaient appris dans la presse.)

Et eux, voleurs naïfs, confiants, pour tout dire, honnêtes, qui n’avaient même pas pris de gants pour le hold-up ! L’encadrement métallique du coffre avait dû en être littéralement constellé de leurs empreintes. Je se représentait furieusement la joie des policiers maculant du bout de leurs pinceaux velucheux l’encadrement du coffre de cette poudre blanche révélatrice, selon le procédé qu’il avait si souvent vu au cinéma (le cinéma en face de la banque). Et il imaginait leurs empreintes apparaissant magiquement, comme pour une démonstration : une ici !... une là !... une autre !... et encore une !...

Un gang sans gant, bon sang ! Mais c’était consternant !...

 

Advint alors ce qui ne pouvait qu’aveindre :

Un soir, à la sortie du cinéma (toujours le même cinéma en face de la banque), les policiers les arrêtèrent. La boucle et le gang mixte étaient bouclés ! Et curieusement, ce n’était pas à cause des empreintes qu’on avait pu remonter jusqu’à eux, mais des lunettes... Les lunettes oculaires que l’un des deux avait perdues sur place. Et ils ne s’en étaient même pas rendu compte ! « Car les lunettes, leur apprit Monsieur le Commissaire, en matière d’enquête, sont un moyen aussi sûr que les dents pour reconnaître les gens. »

« Même cassées. » Il lui avait suffi de rechercher auprès des oculistes (et non des dentistes puisqu’il n’y avait pas de dent cassée sur les lieux du forfait), pour découvrir la personne qui, ayant aux deux yeux, la même mauvaise vue que celle hypothétiquement corrigible par les dites lunettes, avait lunetto sensus, signé son acte.

 

LE CHŒUR :

D’où le proverbe :

« Je signe mon acte sans mes lunettes »

 

Je ne comprit jamais (outre le sens obscur du proverbe) pourquoi ces mêmes lunettes, perdues de nombreuses années avant le hold-up et en un tout autre lieu, s’étaient retrouvées là, dans la banque, près du coffre.

(Quand le destin s’en mêle...)

Pourtant, aussitôt pris, ils tinrent à préciser aux policiers que le meurtre de-la-porte-à-côté-mitoyen-ne-de-la-banque-et-contemporain-du-hold-up, n’était pas du tout leur fait. Ce qui fut sans la moindre difficulté cru d’eux, vu qu’à ce même moment, l’un des quatre policiers qui montaient la garde contre un des quatre murs de la salle où se déroulait ce premier interrogatoire informel, s’écroula, un poignard planté dans le dos.

Je et son compagnon en étaient donc tous disculpés : et de ce meurtre-ci, et de celui remontant au hold-up ! En premier du second, puisque ils parlaient lors du coup de couteau près de la porte à l’entrée de la pièce, avec le Commissaire, où n’importe qui (dont le commissaire lui-même) pouvait les surveiller n’assassinant personne... et en second, du premier, puis qu’ils auraient pu tout aussi bien à cette époque-là parler avec quelqu’un et donc ne point le commettre...

Ad libitum.

Un alibi en béton ! Le vrai agresseur, lui, caché sans doute derrière quelque tenture en attente de meurtre, s’y était vraisemblablement refaufilé par la suite, incognito, son forfait fait. Il lui eût même été un jeu d’enfant de perpétrer le premier meurtre, personne n’ayant jamais songé à vérifier des tentures si elles ne cachaient pas par hasard, quelque passage secret reliant les deux immeubles, quitte à les soulever, ne serait-ce qu’un tout petit peu, juste pour voir...

Il est des failles dans les enquêtes les mieux menées...

 

Le policier poignardé qui dans un premier temps, s’était, en poignardé classique, écroulé de tout son long face à terre, venait à présent de s’installer à la table au milieu de la pièce et manifestait son désir de manger de la purée. (Ce qui était son droit le plus strict de poignardé classique.)

Mais Je, aux-prévisions-pessimistes-en-pareil-cas, jugea bon de l’en dissuader :

— Le couteau a dû vous transpercer l’estomac : il serait plus prudent que vous ne mangiez point aucune purée, redonda-t-il...

Le malheureux lui montra alors, le long poignard à lame lisse, large, ferreuse, sombre et pointue qu’il venait de retirer tout seul d’entre ses omoplates. « Elle n’a pas dû pénétrer bien profond. » dit-il de la lame à Je Humble. Et la marque sur la lame précisait la profondeur. Pour en être bien sûr, Je renfonça le couteau dans la plaie jusqu’au fond à plusieurs reprises, puis vérifia le niveau, qui augmentait rapidement, au fur et à mesure qu’il y appliquait son attention (comme monte un liquide thermométrique sous l’effet de la chaleur ou de l’inquiétude). Après avoir attendu le temps réglementaire, la marque disait une bonne vingtaine de centimètres...

« L’estomac a certainement été perforé » conclut Je Humble.

Mais sans attendre son avis, le policier transpercé, s’empiffrait déjà de purée...

...

Ici, il y a comme un blanc dans l’histoire.

Nous en conclurons que sans attendre de savoir si le policier poignardé était ou non étanche à la purée, Je était parti au devant, seul avec le Commissaire...

Ils marchèrent dans un large couloir cloîtru éclairé-du-côté-gauche (le droit étant de grandes vitres sales et sombrées).

Et là, chemin faisant, Je lui avoua tout, au commissaire, lui expliqua tout. Bien sûr, il eût mieux valu que son acolyte et lui s’entendissent à l’avance sur la teneur de leurs déclarations... mais il était trop tard.

Ainsi donc plaida son cas, Je :

— Finalement, nous n’avons pas dépensé l’argent : nous pouvons le rendre ? Et nous n’avons tué personne ?... C’est donc un peu comme si nous n’avions rien fait ?!!!... 

Encore leur faudrait-il rembourser la police, proportionnellement aux salaires des policiers fonctionnaires, rata pro rata du temps qu’ils avaient perdu à leur recherche.

Après, mais après seulement, ils pourraient se considérer comme totalement innocents.

 

LE LOCUTEUR :

Que voulez-vous que je vous dise ?

Ni ne se marièrent,

ni n’eurent le moindre enfant...

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