Sting, depuis tout ce temps...

La future naissance de son fils Joseph le convainc qu’il doit quitter l’enseignement. Il pense à Londres et décide de faire le grand saut vers le monde artistique. Il croit à son destin et il hait le conformisme, malgré la sécurité de son emploi d’instituteur. Et il a bien raison ! Virgin, qui a du flair, signe Last Exit en édition. Cela lui confère le statut d’auteur-compositeur, son cachet augmente, Sting est gonflé à bloc.

Puis, c’est la rencontre avec Copeland (Curved Air). Stewart Copeland cherche à former un trio d’un style nouveau, dynamique, audacieux. Les négociations s’engagent, on s’associe avec un jeune guitariste corse de talent, Henry Padovani…

« Notre point de rencontre ne se situait ni dans le rock que Stewart appréciait, ni dans le jazz que je connais, mais dans un genre totalement différent : le punk. Cela me plaisait parce que c’était bourré d’énergie. Le punk possédait ce que toute musique doit avoir : du jus ! Le hard-rock était devenu si lourd qu’il s’étouffait tout seul. »

Malgré les risques, il quitte l’enseignement et Newcastle. La petite famille s’installe à Londres. Ce que Sting veut, c’est pouvoir faire vivre sa famille avec le produit de sa musique. Ce rapport à la création et à la survie sociale sera le moteur de Gordon Sumner. On pourrait y voir un héritage de ses origines et le lien à la méritocratie liée au travail…

C’est Copeland qui mène la danse et embauche notre futur Sting et Padovani. Sting reste réservé quant aux performances du trio, Padovani est quand même inexpérimenté. Mais Copeland essaie par tous les moyens de compenser le déséquilibre avec une énergie inépuisable.

« Il me ressemblait beaucoup, égocentrique, déterminé et intelligent, bourré d’énergie. Un opportuniste, comme moi ! » déclare le chanteur, non sans humour.

On cherche un nom pour le trio. Copeland’s Police ? Cop’s Police ? Cops and Police ?. Et finalement : The Police. Copeland pense que le nom restera plus facilement dans toutes les mémoires (il n’avait pas tort !).

Y-a-t-il une influence de Miles Axe Copeland Junior, le père de Stewart ? Peut être… (le papa étant agent de la CIA et responsable du bureau de Beyrouth au Liban)

Mais quand même, fallait être gonflé pour choisir : The Police. Provocation ? Peut-être… parce-qu’à l’époque, c’était bien le nom le plus haï par la jeunesse anglaise, subjuguée par le punk.

Stewart paie les frais d’enregistrement de leur premier single (il a emprunté huit mille francs) et il fait fabriquer deux mille petites galettes insérées là dedans :

Le disque se vendra à dix mille exemplaires en une année.

The Police entame son ascension en faisant la première partie des concerts de Cherry Vanilla (l’ancienne attachée de presse de David Bowie), à travers toute l’Angleterre. Sting commence à intégrer ses propres compositions dans le répertoire du groupe. Cette tournée avec Cherry Vanilla lui permet de proposer par exemple Visions of the night ou encore Landlord ou Dead end job.

Seulement voilà, la frustration le rattrape. Le groupe n’est payé que 150 francs par soir et lui, doit nourrir femme et enfant, bien que Frances ne soit pas inactive. Sting est approché par Gerry Richardson (directeur musical de l’orchestre de Billy Ocean) : il lui propose 900 francs par semaine pour le rejoindre dans une tournée de quatre mois.

Catastrophé, Stewart Copeland force Cherry Vanilla à mieux payer Sting et évite la séparation du trio.

C’est alors que Carol wilson (ancienne organisatrice des concerts de Last Exit) va provoquer l’ascension fulgurante du trio. Son époux, Mike Howlett, recrute Sting et Stewart pour le Strontium 90’ qu’il vient de créer. Il ne prend pas Padovani, il a déjà un guitariste : Andy Summers.

Andy Summers se verra tout de suite prendre la place de Padovani et fera part de ses intentions. Si « Police » au départ, comptait quatre membres, c’est parce que Copeland ne se voyait pas congédier Padovani. Ce dernier prendra ses distances, la mésentente et les tensions arriveront inéluctablement, les deux guitaristes finiront par s’insulter et Padovani rejoindra l’Ile de Beauté.

Nous voici en août 1977, au Rebecca Club de Birmingham où Police se produit pour la première fois. Il y a un hic : le trio n’a plus un radis. Sting fait de la pub pour des cravates, des bijoux, et grâce à ça le mois suivant, le groupe se produit en France, au Nashville Club de Paris.  En automne le groupe disparaît complètement de la circulation. Il n’a plus une date de concert ni de session en enregistrement. La faute à l’ami d’enfance de Copeland engagé comme manager du groupe : il enchaîne les erreurs de communication. Le manager devient Miles Copeland (le frère de Stewart).

Sting continue de tourner dans des pubs et cela amène le groupe à collaborer avec la marque Wrigley. La célèbre compagnie demande à Summers de se teindre les cheveux en blond comme ses deux partenaires : Wrigley sans le savoir vient de créer le look de Police, le groupe a enfin trouvé son identité visuelle.

Le 7 avril 1978 le single « Roxanne » sort dans les bacs. La chanson est interdite d’antenne par la BBC et les ventes n’excèdent pas « Fall out »… Le sujet est trop transgressif pour l’époque.

Sting a composé cette chanson à Paris (vous vous rappelez ? Le concert au Nashville), dans une chambre d’un hôtel miteux à Saint Denis, sa fenêtre donnant sur les prostituées qui arpentent les trottoirs parisiens.

L’accueil est donc très mitigé. Et puis l’étiquette Punk effraie les programmateurs. Police trop propre pour être accepté par les Sex Pistols et pas assez pour passer à la radio… Même s’il y a censure des diffusions de Roxanne, le groupe  assure de nouvelles dates de spectacle. Première partie de Steel Pulse, show télévisé « Old Grey Whistle » où Sting fera sensation avec ses étranges yeux de libellule.

En effet, pendant la séance de maquillage, l’aérosol d’un flacon de laque déverse son fluide irritant dans les pupilles de Sting. Au moment du direct, il remue alors frénétiquement le nez dans tous les sens pour remettre en place les montures qui cachent ses yeux. Prestation épique mais marquante quoi qu’il en soit pour quelques millions de téléspectateurs.

En octobre, nouveau boycott de la BBC. « Can’t stand losing you » aborde le thème du suicide : c’est tabou. Tant mieux : le groupe part à la conquête de l’Amérique.

Et ils se produisent parfois devant… quatre ou cinq personnes. Peu importe, ils ont la foi, et ils font bien parce qu’un DJ les remarque et dès le lendemain, il diffuse « Roxanne » non-stop, provoquant une réaction en chaîne. Police devient célèbre à Boston. De retour en Europe, le premier album studio sort dans les bacs, « Outlandos d’Amour ». Sting est l’auteur de toutes les chansons sauf deux, créees pour l’une avec Andy et l’autre avec Stewart. Tournée au Royaume Uni et retour chez l’oncle Sam où la maison mère d’A&M décide d’imprimer une édition de « Roxanne » en picture-disc en forme de badge de policier, qui devient immédiatement collector. La « Policemania » commence à battre son plein, Roxanne atteint la douzième place des charts et le premier album du groupe s’empare de la sixième place des meilleures ventes de disques. Le succès tant attendu est désormais là.

Police prend conscience du rôle social qu’implique toute célébrité. Le groupe donnera un concert gratuit devant 900 détenus de la prison Terminal Island à San Pedro. Sting organisera un concert en faveur des enfants déshérités de Londres : chaque spectateur doit donner un jouet pour avoir un billet.

Police poursuit son périple, Japon, Inde, Afrique du Nord. En Egypte, le concert donné à l’Université du Caire dégénère un peu trop au goût d’un policier local qui n’hésite pas à réprimer la joie des étudiants par des coups de matraque et autres brutalités. Sting observe la scène avec attention puis insulte durement le policier au micro. Miles Copeland doit intervenir pour empêcher le chef de la police d’embarquer Sting manu militari.

C’est la folie en Grèce où la jeunesse n’a pas vu un concert depuis les Rolling Stones, en 1969. Puis c’est l’Italie, la France et Newcastle pour finir où tous les gains vont à une œuvre de charité.

Sting a réalisé son rêve de gagner sa vie grâce à sa musique. Il est même devenu plus riche que ce qu’il pouvait imaginer. […] Toutefois, il ne fait pas bon être riche en Angleterre au début des années 80. Le gouvernement Thatcher prévoit en effet de prendre 60% des gains des membres du groupe. Le souvenir de la pauvreté est tellement proche qu’ils décident d’enregistrer leur prochain disque aux Pays-Bas, pour échapper au fisc anglais.

Troisième album et nouvelle tournée dont le prestigieux Madison Square Garden. Entre deux concerts, les musiciens apprennent qu’ils ont remporté le Grammy Award du meilleur instrumental pour Reggatta de Blanc et qu’ils font la couverture du magazine Rolling Stone pour la première fois.

Montserrat (Caraïbes) pour l’enregistrement de « Ghost in the machine » et une nouvelle technique d’enregistrement : Sting joue dans la salle de mixage pendant qu’Andy est dans le studio et Copeland dans la cuisine. Le son s’en trouve amélioré car les prestations sont séparées, la technique est utilisée par Supertramp.

Les britanniques seront intéressés par le titre « Invisible sun ». En effet, Sting prend position en intégrant au texte de la chanson une préoccupation politique et sociale concernant la situation de l’Irlande du Nord. La BBC est une nouvelle fois contrainte d’interdire la vidéo du titre, qui montre des images terrifiantes de la guerre civile en Irlande. Peu importe le boycott, le titre sera un succès.

Sting découvre que son éditeur musical contrôle ses propres compositions et qu’il vient notamment de vendre pour un pub télé les droits de « Don’t stand so close to me » sans son accord et pour une somme dérisoire. Le procès entraîne une interruption du Ghost Tour pour une durée de plus de deux mois. Après deux semaines d’audience, l’affaire sera réglée à l’amiable. Virgin s’engage à verser 7,5% de royalties sur toutes les chansons déjà publiées.

Comme une tuile n’arrive jamais seule (quoique là… il s’en soit bien sorti), Sting est confronté à une crise conjugale grave et le divorce apparaît comme la seule solution possible. La rumeur de la dissolution de Police commence à se propager, il existe un refroidissement notable entre les membres du groupe. Pour enregistrer « Synchronicity », la relation entre eux était tellement tendue qu’ils enregistraient chacun leur partie dans des pièces séparées, ne communiquant désormais que par… un lien vidéo.

Ah carrément dans des pièces séparées , punaise 

On comprend mieux leur séparation 

Ah oui le torchon brûlait... On comprendra encore mieux ensuite, mais on voit bien déjà là, à quel point la frustration rattrape toujours Sting..

Pourtant : 

C’est la naissance de « Every breath you take ». Considéré comme un chant de désespoir amoureux, la chanson sera en fait, dans l’esprit de Sting, une analyse d’un monde anxiogène et aliénant toute liberté individuelle qu’est devenu le nôtre. C’est l’un des paradoxes de ce classique qui fût à sa sortie un « slow » assez réputé et que beaucoup perçoivent encore comme une chanson de rupture à caractère sentimental.

Le single « Synchronicity II » s’offre le luxe de détrôner … Thriller !  de Michael Jackson.  La prochaine tournée sera un triomphe, c’est l’apothéose quand Police se produit devant 70 000 personnes au Shea Stadium de NY, 70 000 places vendues en moins de cinq heures.

C’est l’apogée. Un changement de cap doit intervenir, sous peine de régresser.

Ce timbre de voix, ce charisme...

Police annonce une pause d’un an au printemps 84, mais en automne, Sting annonce qu’il quitte le groupe :

« Police était devenu monumental. Je savais que si je quittais le groupe à cet instant, on s’intéresserait beaucoup à moi en solo. J’avais des idées précises et je ne voulais pas faire de compromis. Je souhaitais être un dictateur, être Napoléon. »

Il s’entoure de musiciens de jazz et enregistre The Dream Of The Blue Turtles. Il explique qu’il ne fait pas ça parce qu’il est frustré dans ses relations avec le groupe Police ni parce qu’il ne veut en faire qu’à sa tête, mais pour se rendre compte d’une expérience avec un autre groupe.

Un album de dix pistes, toutes écrites par Sting à l’exception de Russians. Il choisit Paris pour le début de la tournée.

Trudie Styler est la nouvelle compagne de Sting, elle est enceinte. Dans un documentaire réalisé par Michael Apted, une scène aussi magnifique que dérangeante, où Trudie met au monde leur fils en présence du chanteur :

« La naissance de mon fils m’a fait apprécier mes autres enfants, le miracle qu’ils représentent. C’est très facile d’arriver après quand ils sont tout propres avec leur jolie chemise de nuit blanche et les cheveux brossés. Mais la réalité est beaucoup plus sanglante et profonde. »

Pour cette scène, Russians en fond sonore. Dans les paroles de cette chanson Sting s’interroge sur l’amour que les russes portent à leurs enfants. Inquiet sur la question, parce que selon lui, ce qui pouvait potentiellement sauver le monde d’une guerre nucléaire, c’était ça, l’amour porté aux enfants.

Après cinq dates à Paris, c’est Rome, puis les pays-bas où Sting enregistre son premier album live, « Bring On The Night », qui comporte des titres de Police. S’il n’a pas abandonné les chansons qu’il a écrites pour son ancien groupe, c’est parce qu’elles sont toujours les siennes (et qu’il entend bien le faire savoir !)

« Mes chansons ont été reprises pour ce spectacle, parce que quand les gens viennent au concert, je ne voudrais pas leur dire « vous n’allez pas entendre ce que vous attendez ou ce que vous voulez ». Je leur ai donné 50 % de ce qu’ils voulaient entendre, mais aussi 50 % des compositions qu’ils ne connaissaient pas. C’est plutôt unique qu’un artiste établi procède de cette manière, car personne ne va au concert interpréter des compositions que le public ne connaît pas. C’est un grand risque. »

C’est risqué, et ça fonctionne. Toutes les dates affichent complet. Le nouveau Sting plaît.

1985 n’est pas seulement la sortie de son premier opus. Sting collabore avec de nombreux artistes et il compose notamment une chanson avec Mark Knopfler de Dire Straits : Money for nothing. Si si, écoutez bien, vous entendrez Sting dans le refrain et les chœurs.

Phil Collins invite Sting sur son troisième album solo No Jacket Required. Miles Davis l’invite lui sur son titre You’re Under Arrest.

Sting termine sa première tournée mondiale en 1986 et s’attelle à créer l’album Nothing Like The Sun. La chanson du même nom est un hommage au sonnet 130 de William Shakespeare.

Douze pistes, plus abouti et plus complexe que le premier album, plus rock mais gardant un côté jazzy, particulièrement Englishman In New York, morceau métissé. The Secret Marriage est un hommage à Trudie, sa future femme, The Lazarus Heart un hommage à sa mère alors mourante.

La plupart des titres ne sont pas des hits en puissance mais Sting reste imbattable en catégorie « album », il sait mieux que personne construire un univers, chanson après chanson. Son public se compose à présent d’une souche majoritairement intellectuelle, qui préfère les disques complexes aux singles efficaces. C’est exactement la rançon de la crédibilité que le chanteur cherchait.

Dans le cadre du Nothing Like The Sun Tour, Sting a décidé de rendre hommage au pays qu’il visite en interprétant une chanson dans la langue locale. En France, il a choisi un classique que tout le monde respecte, l’inoubliable Ne Me Quitte Pas de Jacques Brel, dont l’œuvre le passionne depuis toujours.

Après Paris, Sting se rend dans les pays du Nord de l’Europe puis il fait l’ouverture du concert donné en célébration du soixante-dixième anniversaire de Nelson Mandela, toujours emprisonné en Afrique du Sud. Il lui dédie Set Them Free, ainsi qu’aux enfants de la nation arc-en-ciel.

The Soul Cages est un disque basé sur la mort et, plus généralement, sur le processus du deuil d’un proche. En effet, entre ses deux derniers opus, Sting a perdu ses parents qui sont tous deux morts d’un cancer à moins de soixante ans et le chanteur a réagi d’une manière tout à fait négative en fuyant, se jetant à corps perdu dans le travail comme si de rien n’était :

« Je pensais que c’était une forme de bravoure, en fait, je fuyais la réalité, et cela nous retombe sur la figure un jour ou l’autre. […] Il faut pouvoir contempler la mort, je ne l’ai pas fait jusqu’à ce que j’y sois forcé par un blocage total. Quant à l’écriture de mes chansons, j’en ai trouvé la clef au fond de moi-même, ce qui n’a pas été une partie de plaisir. »

Son nouvel album comme thérapie, donc. La plupart des chansons sont dédiées à son père dont la disparition lui a laissé un goût amer de réconciliation inassouvie :

« […] Peu avant sa mort, j’étais assis près de lui et je le regardais et je lui ai dit : « tu sais, nous avons les mêmes mains » et il m’a répondu : « mais tu les as utilisées mieux que moi ». Ce fut la seule et unique fois qu’il me fit un compliment. »

A noter la présence d’une chanson assez prégnante du répertoire « Mad About You ». Quelques années plus tard, il reprendra le refrain en langue italienne sur le disque hommage « Pavarotti and friends ». L’album de duos avec le tenor mondialisé sera également l’occasion d’un duo atypique entre Pavarotti et Sting, « Panis Angelicus » qui témoigne de la haute tenue vocale du chanteur pop.