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Quand la France interdisait l'avortement... sauf aux femmes noires


azed1967

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azed1967 Membre 4 597 messages
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Quand la France interdisait l'avortement... sauf aux femmes noires

En 1970, un scandale éclata à la Réunion: des milliers de femmes avaient été avortées et stérilisées, souvent sans leur consentement, avec le soutien des pouvoirs publics. Un essai glaçant revient sur ce crime d'Etat oublié.

 

En juin 1970, à Trois Bassins, un village de la Réunion, un médecin généraliste de la Croix-Rouge était appelé au chevet d’une fille de dix-sept ans tombée dans le coma. Il diagnostiqua une hémorragie «consécutive à un avortement et un curetage». L’avortement n’avait pas encore été légalisé par la loi française. Le médecin déposa une plainte contre X. La police judiciaire de Saint-Denis découvrit que la jeune fille avait été opérée dans une clinique orthopédique de la ville de Saint-Benoît, et qu’elle n’était pas un cas isolé: des milliers de femmes y avaient subi des avortements et des stérilisations, souvent sans consentement.

Ces femmes étaient noires, et pauvres. Dans la presse, les témoignages se multiplièrent. Citons celui d’une femme enceinte de trois mois, entrée dans cette même clinique pour une douleur au ventre, à laquelle on avait annoncé une opération de l’appendicite, et qui s’était rendue compte au réveil qu’on avait mis fin à sa grossesse et qu’on lui avait ligaturé les trompes. Certaines patientes de la clinique de Saint-Benoît étaient enceintes de six, sept, huit mois.

Bientôt, on évoqua le chiffre de 8000 avortements par an, pour 16.000 naissances annuelles sur toute l’île de la Réunion. Le chiffre est tout à fait crédible, lorsqu’on sait qu’un seul médecin de la clinique avait pratiqué un peu moins de 900 avortements pendant l’année 1969, soit trois par jour, et que le nombre de journées d’hospitalisation était mystérieusement passé de 4000 en 1968 à 44.000 en 1969, dont la moitié pour des interventions en gynécologie.

Le scandale prit une tournure politico-financière. Les patientes étaient couvertes par l’Assistance médicale gratuite, et chaque avortement était facturé à la Sécurité sociale entre 500 et 1000 francs. Des centaines de millions de francs avaient ainsi été détournés par les médecins réunionnais, tous blancs ou presque, qui vivaient comme des nababs.

 

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En juin 1970, à Trois Bassins, un village de la Réunion, un médecin généraliste de la Croix-Rouge était appelé au chevet d’une fille de dix-sept ans tombée dans le coma. Il diagnostiqua une hémorragie «consécutive à un avortement et un curetage». L’avortement n’avait pas encore été légalisé par la loi française. Le médecin déposa une plainte contre X. La police judiciaire de Saint-Denis découvrit que la jeune fille avait été opérée dans une clinique orthopédique de la ville de Saint-Benoît, et qu’elle n’était pas un cas isolé: des milliers de femmes y avaient subi des avortements et des stérilisations, souvent sans consentement.

Ces femmes étaient noires, et pauvres. Dans la presse, les témoignages se multiplièrent. Citons celui d’une femme enceinte de trois mois, entrée dans cette même clinique pour une douleur au ventre, à laquelle on avait annoncé une opération de l’appendicite, et qui s’était rendue compte au réveil qu’on avait mis fin à sa grossesse et qu’on lui avait ligaturé les trompes. Certaines patientes de la clinique de Saint-Benoît étaient enceintes de six, sept, huit mois.

Bientôt, on évoqua le chiffre de 8000 avortements par an, pour 16.000 naissances annuelles sur toute l’île de la Réunion. Le chiffre est tout à fait crédible, lorsqu’on sait qu’un seul médecin de la clinique avait pratiqué un peu moins de 900 avortements pendant l’année 1969, soit trois par jour, et que le nombre de journées d’hospitalisation était mystérieusement passé de 4000 en 1968 à 44.000 en 1969, dont la moitié pour des interventions en gynécologie.

Le scandale prit une tournure politico-financière. Les patientes étaient couvertes par l’Assistance médicale gratuite, et chaque avortement était facturé à la Sécurité sociale entre 500 et 1000 francs. Des centaines de millions de francs avaient ainsi été détournés par les médecins réunionnais, tous blancs ou presque, qui vivaient comme des nababs.

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Surtout, le procès révéla que cette campagne d’avortements et de stérilisations sauvages était soutenue par le pouvoir. Le docteur Alain Ladjadj, arrêté alors qu’il tentait de fuir l’île, déclara: «La Sécurité sociale, le président du Conseil général m’ont donné le feu vert pour les stérilisations.» A un autre moment, il dit: «Tout le monde savait. Si j’ai agi ainsi, c’est parce que j’étais couvert.» Il ajouta: «L’avortement est la seule solution valable au problème démographique tragique dans ce département.»

"L'invention de la décolonisation"

La politologue Françoise Vergès revient sur cette affaire dans «le Ventre des femmes». Militante féministe, spécialiste de l’esclavage et des sociétés créoles, notamment de La Réunion, diplômée de Berkeley, elle est la nièce de l’avocat Jacques Vergès et la fille de Paul Vergès, mort en 2016, figure de l’île, qui y a été député, maire et sénateur.

Vergès souligne qu’elle n’a pas eu besoin de recueillir des témoignages pour travailler sur ce scandale réunionnais. La presse l’a couvert, et notamment «le Nouvel Observateur». Les rapports sont publics. «Beaucoup d’abus de pouvoir ou de crimes d’Etat ne sont pas cachés», écrit-elle. Et pourtant, cette publicité n’a pas empêché l’affaire de disparaître des mémoires et du récit national.

Vergès utilise cette affaire pour montrer que notre lecture de l’histoire est mutilée. Elle se fonde sur ce que l’historien Todd Shepard a appelé «l’invention de la décolonisation»: en faisant de la décolonisation une «catégorie historique», le pouvoir français, dit Shepard, a instauré l’idée que la colonisation a été suivie d’un moment inverse, réparateur. Le livre de Vergès montre qu’il n’en est rien, et que la «colonialité républicaine» s’est perpétuée dans la création des «outre-mers», avec un racialisme tout aussi féroce.

C’est le paradoxe le plus frappant de son livre: cinq ans avant la loi Veil, au moment où la droite française mène un combat farouche en métropole contre «toute politique  de libéralisation de la contraception et de l’avortement», elle l’encourage à La Réunion. En métropole, une politique nataliste explique aux femmes blanches qu’elles doivent procréer. Pendant qu’on avorte massivement les Noires dans les anciennes colonies départementalisées.

 

"Perpétuer l'espèce"

Une figure centrale de cette affaire est d’ailleurs un des fondateurs de notre Ve République: Michel Debré, Premier ministre et député de la Réunion de 1963 à 1988, avec quelques interruptions. Très proche de De Gaulle, il s’est présenté sur l’île après l’indépendance algérienne, pour sauver les restes de l’Empire, lui qui jugeait que la France ne devait être absente «d’aucun des océans, d’aucune des mers qui font l’univers».

Debré était un opposant au droit à l’avortement. Il a écrit que la «traditionnelle mission de la femme» est de «donner la vie, assurer la famille, perpétuer l’espèce»: «Renoncer au fait que le couple doit procréer, renoncer à la mission féminine d’être source de vie, c’est accepter qu’une nation, une civilisation se couchent pour mourir.»

 

la suite sur le lien

 

http://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20170302.OBS6014/quand-la-france-interdisait-l-avortement-sauf-aux-femmes-noires.html

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