Pêcher le thon en boîte

En ce jeudi soir de printemps, notre héros rentre chez lui après une intense activité physique.

Son frigo désespérément vide le précipite vers le garde-manger. Sa main fébrile glisse sur l’étagère et c’est le regard victorieux qu’il en retire une boîte de thon, LA boîte de thon.

Tenaillé par la faim, il enfile son doigt dans la bague métallique et tire d’un coup sec. Maladresse due à l’heure tardive, erreur du débutant, précipitation incontrôlée, nous n’en saurons jamais rien, mais ce qui devait arriver arriva : l’anneau argenté céda. Voilà donc notre ami tel un fiancé éconduit devant l’autel, sa bague au doigt, et le thon dans son habit scintillant hermétique à ses propositions.

Tel un apprenti Mac Gyver , mille et une idées plus saugrenues les unes que les autres lui traversent l’esprit. Fouillant frénétiquement dans ses tiroirs, c’est finalement armé d’un basique couteau de cuisine qu’il s’attaque au récalcitrant coffret .

Il essaie de l’insérer dans une fente qui n’existe que dans son imagination, force, insiste et, contre toute attente arrive magistralement à ses fins. L’opercule se laisse pénétrer, soulever, tirer, à moitié dévêtir, et c’est une boîte béante d’admiration que l’affamé pose enfin sur la table.

Mais les hommes sont ambitieux et une demi- victoire n’en est pas une à leurs yeux de guerriers.

Le couvercle encore partiellement rattaché à son écrin métallique réveille alors quelque fierté chez le jeune homme. C’est avec un courage frisant l’inconscience qu’il se remet à la tâche. Armé de son instrument affûté, il entreprend d’ôter définitivement toute dignité au réceptacle. Le dernier coup de semonce est celui de trop. La lame dérape et stoppe net sa course dans l’un de ses doigts. Le sang gicle, une fente se dessine, puis s’agrandit laissant apparaître un tendon tout étonné de prendre l’air.

Le 18 est composé. Pas de pompiers au bout du fil mais le SAMU :

- - Vous êtes vivant ?

- - Oui…

- - Vous pouvez marcher ?

- - Oui…

- - Alors débrouillez-vous pour venir à l’hôpital !

Voici donc notre malheureux pêcheur à 22h00 en quête d’une âme charitable.

Et voilà votre humble forumeuse, 10 minutes plus tard, découvrant qu’elle a une âme (charitable s’il en est), et conduisant vers l’hôpital un jeune homme qu’elle ne connaît pas, mais qui a le doux privilège d’être ami avec son fils.

Je vous ferai grâce des 3h30 passées aux urgences à se délecter d’une rétrospective de toutes les émissions de téléréalité présentes et passées (oui, oui, il y a un écran télé aux urgences !).

Après de longues hésitations : « on le garde, on vous le rend, on hésite…. », c’est le doigt recousu que notre blessé repart chez lui avec obligation de se rendre le lendemain dans une clinique spécialisée dans les traumatismes de la main (cela en laissera certains songeurs…) afin d’être réouvert pour vérification de l’état du tendon.

« Pourra-t-il avoir une ambulance demain afin de le conduire là-bas ? » osai-je demander.

Que nenni, les procédures sont claires : « On a droit à une ambulance uniquement lorsque le doigt ne tient plus que par un lambeau de chair ».

En parlant de chair, déposé devant chez lui, la faim toujours présente, c’est avec un zeste d’humour qu’il me confirme qu’il va, sitôt rentré, déguster celle de l’innocent poisson…

Vous en avez d'autres?

Voici une partie de pêche hauturière digne de celle du vieil homme et la mer...

C'est un sport dangereux, nous en avons ici une belle preuve