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A. Camus : La mort heureuse


bena11

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Membre, Posté(e)
bena11 Membre 3 087 messages
Baby Forumeur‚
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:hu:

Camus : Noces à Tipasa

"Au printemps, Tipasa est habité par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes, la mer cuirassée d'argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres. A certaines heures, la campagne est noire de soleil."

Écoutons encore Albert Camus (La mort heureuse, chapitre IV)

mort_heureuse_L10.jpg

"Après un peu moins de deux heures Mersault arriva en vue du Chenoua.... C'était là qu'il allait vivre. Sans doute la beauté de ces lieux touchait son cœur. C'était pour eux qu'aussi bien il avait acheté cette maison. Mais le délassement qu'il avait espéré trouver là l'effrayait maintenant. Et cette solitude qu'il avait recherchée avec tant de lucidité lui paraissait plus inquiétante maintenant qu'il en connaissait le décor. Le village n'était pas loin, à quelques centaines de mètres. Il sortit. Un petit sentier descendait de la route vers la mer. Au moment de le prendre, il s'aperçut pour la première fois qu'on apercevait de l'autre côté de la mer la petite pointe de Tipasa. Sur l'extrémité de cette pointe, se découpaient les colonnes dorées du temple et tout autour d'elles les ruines usées parmi les absinthes qui formaient à distance un pelage gris et laineux. Les soirs de juin, pensa Mersault, le vent devait porter vers le Chenoua à travers la mer le parfum dont se délivraient les absinthes gorgées de soleil.

Il lui fallait installer sa maison et l'organiser. Les premiers jours passèrent rapidement. Il peignit les murs à la chaux, acheta des tentures à Alger, recommença l'installation électrique. Et dans ce labeur coupé dans la journée par les repas qu'il prenait à l'hôtel du village et par les bains de mer, il oubliait pourquoi il était venu ici et se dispersait dans la fatigue de son corps, les reins creusés et les jambes raides, soucieux du manque de peinture ou de l'installation défectueuse d'un va-et-vient dans le couloir. (...) ; les filles qui se promenaient le soir sur la route qui dominait la mer (elles se tenaient par le bras et leurs voix chantaient un peu sur les dernières syllabes des mots); Pérez, le pêcheur, qui fournissait l'hôtel en poissons et n'avait qu'un bras. Ce fut là aussi qu'il rencontra le docteur du village, Bernard. Mais le jour où dans la maison tout fut installé, Mersault y transporta ses affaires et revint un peu à lui. C'était le soir. Il était dans la pièce du premier, et derrière la fenêtre deux mondes se disputaient l'espace entre les deux pins. Dans l'un, presque transparent, les étoiles se multipliaient. Dans l'autre, plus dense et plus noir, une secrète palpitation d'eau annonçait la mer.''

...

Dernière page de La mort heureuse :

Tout le grand Camus est là. Alors lire lentement, respirer profondément, fermer les yeux, rêver.

:dort:

« Le matin qui pointa fut plein d'oiseaux et de fraîcheur. Le soleil se leva rapidement et d'un bond fut au-dessus de l'horizon. La terre se couvrit d'or et de chaleur. Dans le matin le ciel et la mer s'éclaboussait de lumières bleues et jaunes, par grandes taches bondissantes. Un vent léger s'était levé et par la fenêtre un air à goût de sel venait rafraîchir les mains de Meursault. A midi le vent cessa, la journée éclata comme un fruit mûr et sur toute l'étendue du monde, elle coula en jus tiède et étouffant, dans un concert soudain de cigales. La mer se couvrit de ce jus doré comme d'une huile et renvoya sur la terre écrasée de soleil un souffle chaud qui l'ouvrit et laissa monter des parfums d'absinthe, de romarin et de pierre chaude. De son lit, Mersault perçut ce choc et cette offrande et il ouvrit les yeux sur la mer immense et courbe, rutilante, peuplée des sourires de ses dieux. Il s'aperçut soudain qu'il était assis sur son lit et que le visage de Lucienne était tout près du sien. En lui montait lentement, comme depuis le ventre, un caillou qui cheminait jusqu'à sa gorge. Il respirait de plus en plus vite, profitant des passages. Cela montait toujours. (...)

"... Le lendemain matin il se leva tôt et descendit vers la mer. Le jour était déjà dans toute sa clarté et le matin chargé de froissements d'ailes et de pépiements d'oiseaux. Mais le soleil effleurait seulement la courbe de l'horizon et, lorsque Meursault entra dans l'eau encore sans éclat, il lui sembla nager dans une nuit indécise jusqu'à ce que le soleil se levant, il enfonça ses bras dans des coulées d'or rouge et glacé. Il revint à ce moment et rentra chez lui. Il sentit son corps alerte et prêt à tout accueillir."

:coeur:

http://www.tipasa.eu/tipasa/lumiere_02.html

14980.jpg

Tipasa / Tipaza

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  • 3 mois après...
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Membre, Posté(e)
solanderdog Membre 5 messages
Baby Forumeur‚
Posté(e)

Merci. C'est très joli. J'adore Camus et je souhaite aller à Tipasa depuis plus de vingt ans.

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  • 1 mois après...
Membre, Posté(e)
Antigone.L Membre 4 messages
Baby Forumeur‚
Posté(e)

5 mois se sont écoulés... J'apprécie beaucoup A. Camus, continuons ce voyage ...De même qu’il faut savoir s’arrêter en art, qu’un moment vient toujours où une sculpture ne doit plus être touchée et qu’à cet égard une volonté d’inintelligence sert toujours plus un artiste que les ressources les plus déliées de la clairvoyance, de même il faut un minimum d’inintelligence pour parfaire une vie dans le bonheur. À ceux qui ne l’ont pas de la gagner.

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