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Lointain souvenir de la peau


eklipse

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Membre, Dazzling blue², 53ans Posté(e)
eklipse Membre 14 471 messages
53ans‚ Dazzling blue²,
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Par l’auteur de Sous le règne de Bone, De beaux lendemains et de American Darling, le grand roman du nouveau désordre sexuel, à l’ère d’Internet et de la pornographie en ligne, à travers le personnage d’un jeune délinquant sexuel incarnant l’enfer d’une addiction aussi particulière que largement répandue et le supplice de l’exclusion qui peut la sanctionner. Sur la disparition du corps confisqué par le “virtuel” et sur ses nécessaires réémergences pathologiques, une réussite romanesque éblouissante portée par des personnages inoubliables.

http://livre.fnac.co...enir-de-la-peau

Dix-sept ans après Sous le règne de Bone, le Kid est un nouvel avatar du picaro américain, dont les aventures se déroulent non plus seulement dans l'espace réel mais dans un monde numérisé, sécuritaire, où l'idée même de fuite n'a plus véritablement de sens. A 22 ans seulement, il est fiché par le Registre national des délinquants sexuels. Il porte un bracelet électronique TrackerPal GPS à la cheville droite. Surveillé 24 heures sur 24, il lui est interdit de se connecter à Internet, de quitter le périmètre de Calusa (Floride) et de vivre à moins de 2.500 pieds (760 mètres) d'une école ou de tout lieu où pourraient se trouver des enfants.

Où vivre ? Il trouve refuge entre les piliers du viaduc Claybourne, où se terrent les délinquants sexuels. C'est le seul espace qui puisse répondre à ces critères draconiens, cul-de-sac d'une courte vie sans attention ni amour, avec pour seul compagnon Iggy, un iguane que sa mère lui a rapporté du Mexique, avec pour seule occupation le sexe virtuel et la pornographie sur Internet (jusqu'au jour où il tombe dans un piège tendu par la police pour tentative de détournement de mineure) et pour seul horizon, la marge d'une société américaine toujours plus puritaine et totalitaire, enfermée dans le fantasme du risque zéro.

Lointain souvenir de la peau est, en ce sens, l'épopée de la mémoire nécessaire : celle du roman américain, celle des grands mythes perdus d'une société qui, par son culte de la surveillance, du traçage permanent, interdit de prendre la route et de disparaître. Celle des crimes inexpiables, de ces communautés d'exclus mis au ban des villes, chair humaine même plus bonne à être exploitée, tout juste bonne à alimenter les reportages clés en main avant les élections locales.

Mais il s'agit aussi d'une mémoire de la peau, puisque tout, par le biais du virtuel, du « numérique », s'abstrait. Saturé d'images, de clichés, refusant l'équivoque et l'ambiguïté, le risque y est grand d'oublier les fondements de l'humanité : le contact, direct, concret, réel. C'est la profession de foi de Banks : les humains sont des êtres et non des objets et la réification comme la dépersonnalisation autorisent tous les arbitraires.

L'autre paradoxe est que le numérique, tout en promettant une démultiplication des identités (pseudonymes, avatars, vies potentielles via les médias sociaux), autorise aussi le fichage à tout jamais, une fois condamné pour un délit même mineur... Ainsi du Kid ou du Professeur qui ne parviennent pas à échapper à leur passé.

Peut-il exister une vérité dans un tel univers ? Que (ou qui) croire ? Le projet de Russell Banks n'est pas de dénoncer Internet ou les réseaux sociaux. Il souligne au contraire combien il est excitant pour lui d'avoir connu la révolution technologique qui marque de tels changements dans notre rapport à l'espace, au temps, au monde. Mais il prend aussi conscience des aspects plus négatifs de ce seuil :

Russell Banks : « J'ai voulu poser la question... par Mediapart

Prendre conscience pour pouvoir contrôler la part de soi que l'on offre à la curiosité de tous. Avant que, comme pour le Kid, d'un simple clic sur un ordinateur, s'affichent « nom complet – prénom, deuxième prénom et nom de famille –, date de naissance, taille, poids, race, couleur des yeux et de cheveux », et, si besoin, « description détaillée de son délit et de sa condamnation ». Aucun espoir de rachat pour le Kid, il est marqué, à jamais, par sa condamnation : avec un bracelet à la cheville et un fichier consultable par tous, comment trouver un travail ou louer un appartement ?

Lointain souvenir de la peau est l'apprentissage de ce monde sécuritaire du XXIe siècle par un personnage ambigu : coupable sans doute (mais de quoi ? il est vierge à tous points de vue), peu instruit mais avide de comprendre. Au contact du Professeur puis d'un Écrivain – deux personnages eux-mêmes complexes, équivoques –, le Kid tente de trouver des repères et de trouver une raison de croire. Pas pour se bercer d'illusions consolantes mais pour forcer le lecteur à questionner un monde qu'il doit construire plutôt qu'admettre.

Le roman a cette puissance : celle d'interroger – les tabous, la pédophilie, le conspirationnisme –, de dire sans caricaturer, de rendre la mémoire et pousser à une conscience lucide du monde comme il va.

Russell Banks nous l'a dit, il a conscience de l'ambition littéraire de ce texte : produire une fable – en ce sens atemporelle –, qui puise dans les racines du mythe mais aspire à exprimer le monde contemporain, bousculer, interroger notre responsabilité dans l'ordre des choses : « La société, ce n'est pas “eux”, c'est “nous” », dit Banks.

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