Aller au contenu

dans le sillage des caravelles....suite


pyrenne

Messages recommandés

Membre, .un pavé dans chaque main!, Posté(e)
pyrenne Membre 7 025 messages
.un pavé dans chaque main!,
Posté(e)

Depuis la mort de l'Infant Henrique, dix ans ont passé, pendant lesquels armateurs et commerçants ont eu les coudées franches pour s'enrichir

On commercialise surtout la malaguette, appelée aussi maniguette, ou poivre du Paradis, qui pallie à la pénurie d'épices consécutive à la prise de Constantinople

L'or est directement rapporté à Lisbonne, pour être frappé en cruzados, qui devient pour un siècle la monnaie la plus forte de l'Europe

L'esclavage est pour une bonne part l'affaire de la Couronne

Bref...après que les marchands soient devenus des marins, les marins deviennent des marchands

maniguette.jpg

Malaguette ¿ en fleurs, en gousses, en grains...

cruzados.png

cruzados

Puis les caravelles reprennent peu à peu leur route aventureuse, sous les ordres de Pedro de Sintra, et doublent un cap dont la forme leur inspire son nom : Sierra Leone

Et ce fut à nouveau une halte de quelques années

Un marin dont on ignore le nom est allé jusqu'au Libéria et à la Côte d'Ivoire et il a raconté que le littoral change radicalement de direction, orienté franchement vers l'Est

Le projet du passage vers le sud parait de plus en plus réalisable, et dès lors, on recrute avec soin les équipages, interdiction d'embarquer des matelots qui auraient servis sur des navires castillans

sierraleone.jpg

Sierra Léone

En 1469, un nouveau nom apparaît : Fernão Gomes

Nouveau pilote, nouvelle méthode : par contrat, Gomes devra chaque année découvrir cent lieues de côtes

Avec ce contrat d'affermage des découvertes, c'est une économie mixte qui vient de naître : une entreprise financière privée couplée au partenariat de la Couronne

Bien sûr, Gomes n'est pas le seul à naviguer sous contrat

La politique de la dispersion, déjà pratiquée par Henrique, a fait ses preuves : en aucun cas la Couronne ne veut être trop redevable à un découvreur, ce serait se mettre à sa merci, risquer que la gloire d'un marin fasse de l'ombre à celle du Prince, donc on change le maître d'équipage chaque fois qu'une nouvelle expédition est projetée, ce qui explique que chaque avancée est due à un nouveau pilote

lesnavigateursjdesantar.jpg

João de Santarem et Pêro Escobar

Avancées qui se succèdent à un rythme soutenu :

1470 : Soeiro da Costa atteint le Ghana

1471 : João de Santarem et Pêro Escobar atteignent l'embouchure démentielle du Niger, faite de mille estuaires, mille mangroves, mille marécages

En revenant, ils découvrent les îles désertes de São Tomé, Principe, Annobon...

...et un autre Bojador : l'Afrique équatoriale et son ciel sont devenus illisibles, pour trouver le passage, s'il existe, il faut aller le chercher plus loin encore

1473 : Lopo Gonçalves s'y colle à son tour, il franchit l'équateur, et atteint le Cap de Port-Gentil au Gabon

1474 : Rui Sequeria déclare après son expédition que la côte s'incurve à nouveau sud/sud-est, il faut continuer...

guinefelupespadraocasal.jpg

padrão élevé sur la côte de Guinée

C'est alors que le conflit se déclare entre la Castille et le Portugal, et les contrats mixtes prennent fin, les découvertes redeviennent une affaire d'état, et un secret défense : on est en guerre !

A Lisbonne, est fondée une véritable administration des Découvertes : la Casa de Mina

.................puis vint le Chien de mer : Diogo Cão

On ne sait où il est né, on ne sait presque rien de lui, il avait de mauvaises manières, mais il fallait qu'il fut un sacré marin pour qu'une des deux dernières expéditions jusqu'au passage sud lui revienne

Un premier voyage, en 1482, le mène à l'embouchure d'un fleuve qu'il appelle Rio Poderoso : le Puissant

Et c'est peu dire du fleuve ayant le plus gros débit après l'Amazone : le Zaïre

Cão y plante un padrão, une borne de pierre aux armes du Portugal

Il atteint l'Angola, avant de prendre le chemin du retour

padeaocaoangola.jpg

Padrão élevé par Diogo Cão près de l'estuaire du Congo (restauré)

fleuvecongo.jpg

Le fleuve Congo

Sitôt revenu, sitôt reparti, le Chien de mer projette de remonter ce Rio Poderoso, rebaptisé Congo, si large qu'il est possible que ce soit le passage vers la côte Est du continent

Le Chien déchante vite, pas besoin de naviguer longtemps sur un fleuve pour faire la différence entre l'eau salée et l'eau douce

Mais têtu comme pas deux, il pousse sa caravelle, qui se prête à merveille à cet exercice, entre les rives jusqu'à ce qu'il se heurte à de grandioses cataractes, que ses marins nomment le chaudron de l'Enfer : les Chutes de Yelala

Et on grave au burin sur les parois des Monts de Cristal les armes du Portugal, les noms des capitaines, des pilotes, le Chien de mer ordonne une messe...

Puis il descend encore, après avoir constaté que la côte s'incurve à nouveau vers l'est, il plante son dernier padrão comme un espoir par 20°10' de latitude sud, et reprend le chemin de Lisbonne : la prochaine fois sera la bonne, il en est sûr !

chutesdeyelela.jpg

Les chutes de Yelala

montsdecristal.jpg

dédicaces gravées par Diogo Cão aux Monts de Cristal

Cinq ans plus tard, à Florence, sur le planisphère d'Henricus Martellus (1490) dans un cartouche, à l'endroit ou le Chien a planté son dernier padrão, il est écrit en latin : « Diegus Canis, et hic moritur »

Et nul ne sait comment finit Cão ni s'il repose sous la borne qui porte son nom

martellus1489copie.png

Planisphère de Martellus

A la fin d'août 1487, deux caravelles et une nave, navire servant de réserve, sortent de l'estuaire du Tage

Le capitão-mor se nomme Bartolomeu Dias, un théoricien de la mer, un virtuose de l'astrolabe, expérimenté, doué de l'instinct qui fait les grands marins

Il est né vers 1450 en Algarve

Le pilote de la seconde caravelle est João Infante, rejeton de Nuno Tristão, celui de la troisième Diogo Dias, le propre frère de Bartolomeu

Ils ont tous voyagé avec le Chien de mer, leurs noms sont gravés sur les Monts de Cristal

bartolomeudias.jpg

Bartolomeu Dias

Poussés par les alizés, ils suivent le chemin habituel : les îles du Cap Vert, puis sud-est jusqu'à Principe, jusqu'au dernier padrão planté par Cão dans la baie des Tigres, à la frontière de la Namibie

La nave qui a emplit son office est abandonnée, on continue avec les caravelles

On s'enfonce alors vers le sud, et la navigation se fait pénible, les vents contraires soufflent en rafales, il faut tirer des bords, rationner les vivres, les équipages s'épuisent et la côte s'allonge toujours...

Dias réunit ses pilotes, il veut tenter un coup de dés : refaire la volte de Eanes !

Au 27° sud, les deux caravelles se laissent entrainer vers le large

Vrai coup de dés, parce que si les vents qu'ils cherchaient n'avaient pas existé, Dias et ses compagnons se seraient probablement perdus à jamais

Coup de dés...ou coup de génie ?

Dias a fait le pari, mais le pari raisonné, que le régime des vents dans l'hémisphère sud est symétrique à celui des alizés de l'hémisphère nord

Ils fuient ainsi très loin, et trouvent enfin ces vents qui les ramènent vers la côte africaine : ce sont les quarantièmes rugissants, vagues énormes, froid intense, ils sont en plein c¿ur de l'été austral, ils ont le soleil levant devant eux quand il consent à se montrer, mais l'océan est vide...où donc est passée l'Afrique ?

diogocaoetbartolomeudia.jpg

Les expéditions de Diogo Cão et Bartolomeu Dias (la volte de Dias)

Dias décide de virer de bord et de remonter vers le nord, au hasard, et un jour de février, enfin, une terre barre l'horizon

Le jour de la Saint Blaise, ils abordent une plage de sable blanc entourée de falaises

La température est aussi douce qu'au Portugal et de petits hommes nus et basanés qu'ils interpellent (les Bochimans) s'enfuient après leur avoir envoyé une volée de flèches

Sur un îlot, Dias érige son premier padrão, fait chanter un Te Deum, et laisse ses marins se gaver de phoques et de lions de mer

Pour les équipages, le voyage est fini, on va rentrer...

-Non pas ! réplique Dias, nous n'avons pas fait nos cent lieues de découverte !

Il triche, bien sûr, il sait parfaitement qu'il en a fait bien plus

On repart donc, la mer toujours aussi dure, on aperçoit des tribus de chasseurs-cueilleurs : ici, c'est encore le matin du monde !

La São Cristovão et la São Pantaleão poursuivent inlassablement leur route de vagues et d'écume, on plante un dernier padrão au fond d'une baie peuplée d'otaries et de manchots : la baie d'Algoa, Mossel bay, rebaptisée depuis peu Nelson Mandela Bay

mosselbayheader.jpg

Mossel Bay

Maintenant, la côte file droit vers le nord-est, Dias et ses pilotes savent qu'ils viennent de découvrir un nouvel océan

Dias explique à ses équipages qu'ils ont trouvé la route des Indes, et qu'une gloire éternelle rejaillira sur eux...mais qu'il faut en être sûr

-Pas question, répondent les marins, le contrat est rempli, les cent lieues accomplies, il faut rentrer !

Dias s'incline, mais exige que chaque homme signe son refus

Les caravelles rebroussent chemin, et double une avancée rocheuse qu'on n'avait pu voir à l'aller

Pas si impressionnante que ça, cette avancée, mais les boussoles s'affolent, perdent le nord : il s'agit du phénomène de déclinaison, quand l'angle formé par le pôle géographique et le pôle magnétique devient perceptible

Dias appelle ce point le Cap des Aiguilles, c'est à 34°49'S20°E la pointe la plus extrême de l'Afrique australe

Puis la mer se fâche à nouveau, en ces lieux où l'Atlantique, l'Antarctique et l'océan Indien s'affrontent sans trêve

Tous les marins du monde, de Drake à Moitessier, savent que ce Cap est pire que le Horn, et qu'il est aussi le plus beau

h3ill662473cap.jpg

Le Cap de Bonne Espérance

Tandis qu'ils remontent le long des côtes, Dias fait dessiner sur les portulans les côtes qu'il relève, et nomme ce promontoire qu'ils viennent de découvrir Cabo das Tormentas, le Cap des Tempêtes

En décembre 1488, après 16 mois de mer, Dias fait une entrée discrète dans le port de Lisbonne

Il faut rendre compte à João II des résultats du voyage, et aussi à la junte des mathématiciens et des cartographes de la Casa de Mina

Pas question de chanter victoire prématurément, et d'ailleurs Dias lui-même considère que ce n'est qu'une étape, majeure sans doute, mais pas définitive

João II se contente donc d'un triomphe modeste, il rebaptise le Cap des Tempêtes d'un nouveau nom qui exprime mieux son intention de poursuivre l'épopée : Cap de Bonne-Espérance

Et il livre au monde de vraies informations sur le voyage de Dias...mais avec des données complètement fausses !

Il exagère d'un millier de kilomètres l'extrémité sud de l'Afrique, et il étire la distance entre la baie d'Algoa et le Cap de plus du double, erreurs volontaires qui seront reproduites sur le globe de Martin Behaim en 1492, histoire de décourager les éventuels concurrents : c'est de bonne guerre

globebehaim.jpg

Le globe de Martin Behaim

Bartolomeu Dias, que Camoens appellera « le Capitaine de la Fin » repartira avec Cabral et il disparaîtra dans le naufrage de son navire

Je vous donne rendez-vous, la prochaine fois, sur la route des Indes

avec Vasco de Gama caravelle.gif

Pour les curieux :

Bien que réinstallée à Lisbonne dans les années 1470, la pépinière de Sagres n'en continua pas moins à fournir savants, chroniqueurs, astronomes, ingénieurs, cartographes et inventeurs de tout poil à la marine portugaise

Ils sont si nombreux, certains connus, d'autres anonymes, qu'il est impossible de les raconter tous

J'en ai donc choisi un qui, s'il n'a rien inventé de fantastique, est très symbolique du monde marin : partir, c'est merveilleux, revenir, c'est encore mieux

Pedro Nunes (1502-1578)

Il obtient son diplôme de médecine en 1425, et 7 ans plus tard, il détient les chaires de logique, philosophie, morale, et métaphysique de l'Université de Lisbonne

En 1529, il devient premier cartographe et gardien des cartes et instruments de la Casa de Mina

Jusque là, malgré les instruments de plus en plus perfectionnés, les marins se heurtaient à une énigme : quand un bateau partait de A pour aller à B, même en faisant le point soigneusement pour naviguer tout droit, il n'arrivait jamais à B, mais toujours plus haut s'il naviguait d'ouest en est, ou plus bas s'il naviguait d'est en ouest

Et on avait beau faire, ça ne ratait jamais : on tapait tout le temps à côté

Ce n'était pas bien grave pour des trajets courts, mais quand on se mit à traverser l'Atlantique, cela devint sérieusement ennuyeux, parce que plus le trajet était long, plus le décalage était important

Nunes s'attela à la tâche et de calculs en calculs, il put enfin expliquer aux navigateurs pourquoi un navire qui maintient son cap et coupe les méridiens sous un angle constant ne décrit pas un cercle mais une courbe en spirale

C'est ce que l'on appelle la loxodromie, et c'est un effet de la convergence des méridiens

loxodromie.jpg

Fig.1 : dans son « éloge des cartes marines, Pedro Nunes montre qu'un bateau qui navigue à cap constant depuis le point b pour atteindre le point c se retrouve finalement au point en raison de la convergences des méridiens, c'est la loxodromie

Fig.2 : le diagramme le pus élaboré que réalisa Pedro Nunes représente le tracé en projection polaire d'une route loxodromique

Fig.3 : Mercator corrigea la courbe loxodromique de Pedro Nunes et la transforma en courbe spirale tracée sur le globe

Il mit donc au point des tables de calculs qui permettaient aux marins de corriger instantanément leur trajectoire

Ces tables de calculs sont toujours utilisées aujourd'hui, appliquées par les ordinateurs de bord, mais tout marin sait calculer sa trajectoire pour retrouver sa chérie qui l'attend au port grâce à l'ingéniosité de Pedro Nunes !

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Annonces
Maintenant
Membre, .un pavé dans chaque main!, Posté(e)
pyrenne Membre 7 025 messages
.un pavé dans chaque main!,
Posté(e)

pour ceux qui suivent:

je me rends bien compte que c'est une longue histoire

elle tient en dix lignes dans les livres de classe

mais c'est un siècle entre le premier pas et l'arrivée aux Indes

et encore quelques décennies pour donner à Magellan le temps de faire son périple

un siècle d'efforts, et des sommes phénoménales englouties dans le projet

un siècle d'inventions et un siècle de courage

un siècle de doutes et un siècle d'espoir, jamais découragé

combien que nous ignorons ont apporté leur pierre à l'édifice, combien ne sont jamais revenus?

pour ceux-ci et pour ceux-là, je ne peux décemment pas faire plus court

vous voudrez bien m'en excuser

Lien à poster
Partager sur d’autres sites

Archivé

Ce sujet est désormais archivé et ne peut plus recevoir de nouvelles réponses.

×