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Mediator, le médicament scandale de Servier


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C'est l'histoire d'un médicament qui a procuré à son fabricant un chiffre d'affaires de 1 milliard d'euros bien qu'il ait rendu malades ou tué plus de patients qu'il n'en a guéri ! Le Mediator, mis sur le marché en 1976, était l'un des produits phare des laboratoires Servier, deuxième groupe pharmaceutique français. Indiqué comme «adjuvant au régime chez les diabétiques en surcharge pondérale», il n'a jamais fait la preuve de son efficacité dans le traitement du diabète. Il a pourtant été régulièrement consommé par 200.000 à 300.000 patients par an, occupant le 44e rang des ventes de médicaments, juste après la Ventoline.

Au total, quelque 2 millions de patients auraient recouru au Mediator en France, 20 à 30% l'ayant utilisé comme coupe-faim. Depuis novembre 2009, le Mediator a été retiré de la vente. Il présente un risque avéré de valvulopathie ¿ maladie des valvules cardiaques qui peut entraîner un risque létal. Une étude universitaire citée par l'Afssaps, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (à lire ici) évalue entre 500 et 1000 le nombre de décès imputables au Mediator.

Il se peut que le bilan réel soit encore plus lourd, aucune étude systématique d'épidémio-pharmacologie n'ayant encore été menée. Aujourd'hui, l'avocat Charles Joseph-Oudin, défenseur de douze personnes qui ont porté plainte contre Servier, dénonce un «scandale sanitaire majeur». Après avoir été un best-seller pharmaceutique, le Mediator pourrait être au centre d'une affaire plus grave que celles des hormones de croissance.

Pourquoi ? Tout simplement parce que le médicament des laboratoires Servier aurait dû être retiré de la vente depuis au moins sept ans! Dès 2003, des médecins espagnols décrivent dans la Revista Española de Cardiologia un cas de valvulopathie associée au benfluorex, la molécule active du Mediator. Cette publication met fin à la carrière du Mediator en Espagne, puis en Italie. Mais pas en France, bien que le produit soit français. Or, le cas espagnol aurait dû être considéré comme décisif, car il ne faisait que confirmer des soupçons que l'on pouvait nourrir dès la fin des années 1990. Et même avant...

Comme c'est souvent le cas dans les affaires de risque médical, la chronologie joue ici un rôle crucial. Au début des années 1990, le professeur Gérald Simonneau, du CHU Antoine-Béclère, signale un risque d'hypertension artérielle pulmonaire ¿ maladie rare et très grave ¿ associé à la prise d'Isoméride. Ce médicament, commercialisé lui aussi par Servier, est un dérivé amphétaminique utilisé comme coupe-faim. C'est un produit à succès, vendu dans de nombreux pays, notamment en Amérique du Nord où il porte le nom commercial de Redux.

Une recherche épidémio-pharmacologie est entreprise et deux études cruciales sont publiées, respectivement en 1996 et 1997, dans le New England Journal of Medicine. La première démontre que l'Isoméride entraîne un risque d'hypertension artérielle pulmonaire, la seconde établit le danger de valvulopathies cardiaques. Cette publication entraîne l'interdiction mondiale de l'Isoméride et des produits utilisant la même famille de molécules, les fenfluramines, notamment le Pondéral, autre produit Servier. En 1999, une série d'autres dérivés amphétaminiques utilisés comme coupe-faim seront aussi éliminés du marché français.

Or, la molécule active du Mediator, le benfluorex, est apparentée aux fenfluramines. Curieusement, personne ne fait le lien à l'époque. Dans les années qui suivent, des cas de valvulopathie liés au benfluorex sont signalés en France : selon un compte rendu de la Commission nationale de pharmacovigilance (lire cet avis en cliquant ici -PDF) du 7 juillet 2009, «concernant les valvulopathies, nous disposons d'une trentaine de cas entre 1998 et 2009 sous Mediator». Il est précisé que ces cas sont «rapportés» en France, entre 1998 et 2009, et qu'ils constituent «un signal qu'il convient d'explorer»...

Le moins qu'on puisse dire, c'est que l'exploration a pris son temps. Au début des années 2000, des recherches américaines montrent que les valvulopathies associées à l'Isoméride sont causées par l'action d'un métabolite du médicament, la norfenfluramine. Or, le Mediator libère aussi de la norfenfluramine dans le sang, en quantité sensiblement équivalente à ce que produit l'Isoméride.

A ce stade, le faisceau de présomptions justifierait largement que l'on se penche sur le problème. Mais rien ne se passe. En 2003, les médecins espagnols publient leur cas de valvulopathie, ce qui entraînera l'interdiction du produit dans leur pays. En France, personne ne bouge à la Commission de pharmacovigilance ou à l'Afssaps. Faut-il supposer que les valvules cardiaques espagnoles ont un métabolisme différent des françaises ?

En 2006, le professeur Jean-Louis Montastruc, du CHU de Toulouse, rapporte le cas d'une patiente atteinte de valvulopathie alors qu'elle n'a pas d'antécédent médical et n'est exposée à aucun autre risque que la prise de Mediator. Mais le médicament reste commercialisé, au grand dam de la revue Prescrire, seul journal grand public consacré aux médicaments, qui ne contienne aucune publicité pharmaceutique, et qui tente vainement depuis des années d'alarmer les autorités sanitaires.

La seule mesure prise par la Commission nationale d'AMM (autorisation de mise sur le marché) sera, en avril 2007, de retirer une des indications du Mediator : «adjuvant du régime adapté dans les hypertriglycéridémies». Le produit continue à être indiqué pour le diabète, alors que son efficacité reste à démontrer. En fait, son effet le plus significatif est d'agir comme coupe-faim, ce qui ne fait pas partie de ses indications officielles.

En 2007, le docteur Irène Frachon, du CHU de Brest, découvre le problème en étudiant une patiente atteinte de lésions valvulaires, et qui a été traitée au Mediator. Irène Frachon est frappée par le fait que les lésions évoquent celles qui sont associées à l'Isoméride. Elle se lance alors dans une enquête méthodique qui aboutira à la publication, en juin 2009, d'un livre-réquisitoire, Mediator, combien de morts ? (édition Dialogues). Les laboratoires Servier attaquent Irène Frachon en justice, exigent que le sous-titre «combien de morts ?» soit supprimé.

Mais cette censure n'empêchera pas Irène Frachon et ses collègues de mener une étude cas-témoin pendant l'été 2009 : «Les dossiers de plus de 600 patients hospitalisés pour insuffisance mitrale au CHU de Brest entre 2003 et 2009 sont examinés, raconte Irène Frachon. Parmi eux, une trentaine est inexpliquée. Chacun de ces cas est apparié à deux témoins porteurs d'insuffisances mitrales expliquées et l'exposition au Mediator recherchée (interrogatoire téléphonique des patients et de leur médecin) et comparée dans les deux groupes. Résultat, dans notre série, 70 % des valvulopathies inexpliquées ont été exposées au Mediator; le risque relatif d'insuffisance mitrale sous mediator est multiplié par 40 ! (étude en cours de publication).»

L'étude complète a été publiée en ligne (et en anglais) dans la revue américaine d'accès libre Plos. Entre-temps, les résultats de l'étude ont convaincu l'Afssaps de retirer des pharmacies le Mediator ainsi que ses deux génériques (Benfluorex Mylan et Qualimed), ce qui sera fait fin novembre 2009. Une décision liée à «leur efficacité modeste dans le diabète 2 et à la confirmation du risque d'atteinte des valves cardiaques», précise l'Afssaps dans la note d'information accompagnant ce retrait.

Il aura donc fallu une dizaine d'années pour qu'un médicament «d'efficacité modeste» mais potentiellement dangereux soit retiré du marché. Et cela, alors que, d'après l'Afssaps, le benfluorex faisait l'objet «d'une surveillance étroite par le système national de pharmacovigilance depuis 1990». Si les prisons françaises étaient surveillées avec le même degré de vigilance, les rues seraient pleines de criminels condamnés à de longues peines !

Comment expliquer l'extrême lenteur de notre système sanitaire ? L'Afssaps, structure publique en principe indépendante, souffre pratiquement du désengagement de l'Etat, comme le déplorait, dès 2005, une proposition du Sénat visant à la création d'une commission d'enquête (séance du 25 janvier 2005):

«En 2003, les ressources de l'AFSSAPS provenaient pour 83% de l'industrie pharmaceutique et pour seulement 6,4% de l'Etat. Circonstance aggravante, l'agence européenne (EMEA) qui connaît la même dépendance financière est placée sous la Direction générale ¿entreprise¿ de la Commission européenne. Comment dans ces conditions ne pas redouter que les agences ne soient devenues au fil des années les instruments dociles de ceux qui fournissent la majorité de leurs subsides alors qu'elles n'ont pas pour seule vocation de rendre un service aux industriels ?»

Et les sénateurs d'enfoncer le clou : «N'étant plus soutenue financièrement par l'Etat (4,9 millions d'euros de subvention en 2003), l'AFSSAPS n'ose plus prendre de décisions contrariant un tant soit peu les intérêts immédiats des firmes. Des médicaments considérés à tort comme majeurs sont mis ou maintenus sur le marché sans avoir fait la preuve de leur efficacité ou de leur innocuité : en 2002, sur 185 avis rendus par la commission d'AMM, 112 soit 71% du total concernaient des médicaments considérés comme importants alors qu'il s'agissait en fait de simples copies de produits innovants, déjà sur le marché.»

D'où cette conclusion peu réjouissante : «La préservation de la santé de l'industrie pharmaceutique semble ainsi passer avant celle des patients, comme si l'on ne savait plus très bien faire la distinction entre un plan industriel de santé et un plan de santé publique.»

On peut ajouter que, dans ce contexte, l'Afssaps ne dispose pas des moyens scientifiques adaptés à l'étude des risques des médicaments. La pharmacovigilance repose essentiellement sur des consultations d'experts, sans outil de recherche pharmaco-épidémiologique. Au-delà d'éventuels problèmes de conflits d'intérêts, le système français est scientifiquement largement dépassé au regard des standards actuels. Tant que notre pays conservera ce dispositif périmé, les scandales sanitaires se répéteront, pour le malheur des patients et l'intérêt mal compris de laboratoires attachés à des pratiques d'un autre âge.

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Modérateur, A ghost in the shell, 50ans Posté(e)
Nephalion Modérateur 32 709 messages
50ans‚ A ghost in the shell,
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Un topic existe déjà sur le mediator ici :http://www.forumfr.com/news392681-le-mediator-serait-responsable-de-500-a-1000-deces.php?hl=mediator :yahoo:

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